La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/09/2024 | FRANCE | N°23/01208

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 03 septembre 2024, 23/01208


HP/SL





COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 03 Septembre 2024





N° RG 23/01208 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HJ2S



Décision attaquée : Ordonnance du Juge de la mise en état d'ALBERTVILLE en date du 07 Juillet 2022







Appelante





S.A.R.L. AGIA ZANE, dont le siège social est situé [Adresse 1]



Représentée par Me Christian MENARD, avocat au barreau de CHAMBERY











Intimée





S.A.S. AXIA, dont le siège social est situé [Adresse 2]



Représentée par la SAS SAS LEGALPS AVOCATS-HERLEMONT ET ASSOCIES, avocats au barreau d'ANNECY







-=-=-=-=-=-=-=-=-







Date de l'ordonna...

HP/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 03 Septembre 2024

N° RG 23/01208 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HJ2S

Décision attaquée : Ordonnance du Juge de la mise en état d'ALBERTVILLE en date du 07 Juillet 2022

Appelante

S.A.R.L. AGIA ZANE, dont le siège social est situé [Adresse 1]

Représentée par Me Christian MENARD, avocat au barreau de CHAMBERY

Intimée

S.A.S. AXIA, dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentée par la SAS SAS LEGALPS AVOCATS-HERLEMONT ET ASSOCIES, avocats au barreau d'ANNECY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 04 Mars 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 avril 2024

Date de mise à disposition : 03 septembre 2024

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- Madame Inès REAL DEL SARTE, Magistrate honoraire,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et procédure

La société Agia Zane, spécialisée dans le secteur d'activité de la location de terrains et d'autres biens immobiliers, est propriétaire de terrains sur la commune de La Bâthie (73540) dont elle estime qu'ils sont occupés illégalement par la société Axia depuis plusieurs années, malgré de nombreuses relances restées sans effet, ce qui l'a conduite à solliciter du président du tribunal de commerce de Chambéry, par requête en date du 21 octobre 2019 une injonction de payer la somme de 130 800 euros à titre de dommages-intérêts.

Par ordonnance du 24 octobre 2019, le président du tribunal de commerce de Chambéry a retenu que la requête de la société Agia Zane était fondée et a enjoint à la société Axia de payer à la société Agia Zane :

- la somme de 130 800 euros en principal,

- les intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2019,

- les dépens et les frais de greffe fixés à la somme de 35,21 euros.

Cette ordonnance a été signifiée à la société Axia le 13 novembre 2019, laquelle, le 19 novembre 2019, a formé opposition, en soulevant notamment in limine litis une exception d'incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire en raison du caractère exclusivement civil du litige et du caractère extra-contractuel de la créance rendant irrégulier le recours à une procédure d'injonction de payer.

Par jugement du 16 juin 2021, le tribunal de commerce de Chambéry s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire d'Albertville, sans se prononcer sur l'incompétence liée à l'absence de recours à la procédure d'injonction de payer.

Par ordonnance du 7 juillet 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Albertville a :

- Déclaré recevable la fin de non-recevoir tirée de l'irrégularité de la saisine du tribunal soulevée par la société Axia ;

- Déclaré irrecevables les demandes formées par la société Agia Zane ;

- Condamné la société Agia Zane à payer à la société Axia la somme de 3 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Agia Zane aux dépens.

Au visa principalement des motifs suivants :

Il résulte des conclusions de la société Agia Zane qu'elle sollicite la somme de 130 800 euros à titre d'indemnité d'occupation et l'expulsion de la société Axia pour occupation sans droit ni titre de son fonds ;

La demande s'analyse comme une demande de dommages et intérêts sur un fondement extracontractuel ce qui n'est au demeurant pas contesté par la société Agia Zane ;

Dès lors, la saisine du tribunal qui n'a pas été faite par voie d'assignation mais par requête en injonction de payer est irrégulière.

Par déclaration au greffe du 4 août 2023, la société Agia Zane a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 23 février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Agia Zane sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :

- Déclarer recevable et bien fondé son appel ;

- Réformer l'ordonnance de mise en état du 7 juillet 2022 ;

- Constater que la société Axia a méconnu le principe d'estoppel ;

En conséquence,

- Dire et juger que les demandes présentées par la société Axia sont irrecevables ;

- Débouter la société Axia de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- Constater que la société Axia ne justifie d'aucun recours contre l'ordonnance rendue le 24 octobre 2019 par le tribunal de commerce de Chambéry ;

- Dire et juger que le jugement rendu le 16 juin 2021 a l'autorité de la chose jugée concernant la compétence matérielle du tribunal judiciaire ;

En conséquence,

- Débouter la société Axia de l'ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Axia à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner enfin la société Axia aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Agia Ziane fait notamment valoir que :

' La société Axia a soulevé l'incompétence matérielle du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire ainsi que l'exception de nullité de la procédure de sorte qu'elle ne pouvait pas à la fois conclure au renvoi devant le tribunal judiciaire et soutenir que ce tribunal judiciaire n'était pas compétent du fait de la nullité de l'ordonnance d'injonction de payer ;

' Le jugement du tribunal de commerce a autorité de la chose jugée et la société Axia a accepté cette décision qui pourtant n'a pas tranché l'exception soulevée de la nullité de la procédure d'injonction de payer ;

' Aucun texte ne prévoit que la requête en injonction de payer doit être déclarée nulle si celle-ci repose sur une créance de nature indemnitaire et en tout état de cause, la société Axia ne démontre pas l'existence d'un grief ;

' Aucun recours en nullité n'a été formé par la société Axia contre la décision du tribunal de commerce de Chambéry.

Par dernières écritures du 26 octobre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Axia sollicite de la cour de :

- Confirmer l'ordonnance rendue le 7 juillet 2022 par le juge de la mise en état près du tribunal judiciaire d'Albertville en toutes ses dispositions ;

Et statuant de nouveau,

- Juger que les créances invoquées par la société Agia Zane et qui ont donné lieu à l'ordonnance d'injonction de payer du 24 octobre 2019 est une créance de nature extracontractuelle, dès lors qu'il s'agit d'une demande d'indemnité en contrepartie d'une occupation illicite, sans droit ni titre, ainsi que d'une indemnité pour résistance abusive

- Juger qu'en application des dispositions de l'article 1405 du code de procédure civile, la procédure d'injonction de payer ne peut viser qu'une créance de nature contractuelle ou statutaire ;

- Déclarer que les créances revendiquées par la société Agia Zane à son encontre ne relèvent pas des conditions posées par l'article 1405 du code de procédure civile ;

- Juger que la procédure d'injonction de payer, réservée aux actions contractuelles, a été dévoyée par la société Agia Zane dès lors qu'aucun contrat n'existe entre les parties et que la créance revendiquée par la Agia Zane, au titre d'une indemnité d'occupation sans droit ni titre, est de nature délictuelle ;

En conséquence,

- Déclarer irrégulière la procédure d'injonction de payer engagée par la société Agia Zane sur une créance extracontractuelle ;

- Déclarer la société Agia Zane irrecevable en son action et l'ensemble de ses demandes dirigées à son encontre ;

- Rejeter purement et simplement l'intégralité des prétentions adverses ;

- Débouter la société Agia Zane de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions contraires ;

- Condamner la société Agia Zane à lui payer une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner le même aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Axia fait notamment valoir que :

' Le défaut de saisine régulière d'une juridiction constitue une fin de non recevoir qui peut être soulevée à tout instant et pour laquelle la partie qui s'en prévaut n'a pas à justifier de l'existence d'un grief ;

' L'indemnité que la société Agia Zane sollicite n'a pas de fondement contractuel mais elle est basée sur une prétendue occupation illicite de ses terrains ;

' Elle n'a pas fait preuve de mauvaise foi puisqu'elle pouvait tout à fait conclure à l'incompétence matérielle du tribunal de commerce de Chambéry et soutenir que la procédure d'injonction de payer n'était pas applicable en l'espèce ce qu'elle avait devant le tribunal de commerce, sachant qu'elle n'invoque pas une exception de nullité mais une fin de non recevoir ;

' Le jugement du tribunal de commerce de Chambéry ne peut avoir autorité de la chose jugée sur l'irrégularité de la procédure d'injonction de payer puisqu'il ne s'est pas prononcé.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 4 mars 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 2 avril 2024.

MOTIFS ET DÉCISION

Le juge de la mise en état est notamment compétent pour statuer sur les exceptions de procédure, les incidents mettant fin à l'instance et les fins de non recevoir en application des dispositions de l'article 789 du code de procédure civile.

En application de l'article 1405 du code de procédure civile, le recouvrement d'une créance peut être demandé suivant la procédure d' injonction de payer lorsque la créance a une cause contractuelle ou résulte d'une obligation de caractère statutaire et s'élève à un montant déterminé.

En l'espèce, la société Agia Zane sollicite des dommages-intérêts pour une occupation de ses terrains qu'elle estime illicite. Cette demande n'est pas fondée sur une cause contractuelle et ne résulte pas d'une obligation de caractère statutaire. Ainsi, elle ne pouvait poursuivre le recouvrement de sa créance suivant la procédure d'injonction de payer et le président du tribunal de commerce de Chambéry ne disposait pas du pouvoir juridictionnel pour en connaître.

Le moyen tendant à faire déclarer irrégulière une procédure d' injonction de payer pour avoir été engagée hors des cas prévus par l'article 1405 du code de procédure civile, constitue une exception de procédure - Com., 1 avril 1997, pourvoi n° 93-21.265 Com., 19 mai 2015, pourvoi n° 14-16.888.

La société Axia a présenté ce moyen devant le tribunal de commerce saisi de l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer en excipant de la nullité de l'ordonnance portant injonction de payer et en spécifiant qu'il s'agissait, aux termes de la jurisprudence constante de la cour de cassation d'une exception d'incompétence. Elle en a tiré la conclusion à titre principal que le tribunal de commerce était incompétent au profit du tribunal judiciaire et à titre subsidiaire, que l'ordonnance rendue sur requête d'injonction de payer était nulle et que les prétentions de la société Agia Zane devaient être rejetées.

Il est certain que l'exception d'incompétence ne pouvait, contrairement à ce que soutient d'ailleurs la société Agia Zane, qu'entraîner la nullité de l'ordonnance d'injonction de payer et non, comme indiqué de façon erronée par la société Axia à une incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire, ni même au rejet des prétentions adverses. Cependant, il appartenait au tribunal de commerce de restituer aux faits leur exacte qualification et de statuer en premier lieu sur cette exception d'incompétence liée à l'impossibilité de recourir à la procédure d'injonction de payer. La société Axia, dans sa demande tendant à voir déclarer la procédure d'injonction de payer irrégulière, ne fait pas ni preuve de déloyauté à l'égard de la société Agia Zane, ni ne se heurte, dans sa prétention, à l'autorité de la chose jugée, prétention qu'elle a formé in limine litis devant le tribunal devant statuer sur son opposition.

Rendue par un juge incompétent, l'ordonnance d'injonction de payer du 24 octobre 2019 doit être annulée, l'opposition formée contre une décision nulle ne pouvant avoir eu pour effet de saisir le tribunal de commerce de la demande du créancier et par voie de conséquence, le tribunal judiciaire d'Albertville, après renvoi du tribunal de commerce devant lui.

Il y a donc lieu de constater que le tribunal judiciaire d'Albertville n'est pas valablement saisi.

Partie perdante, la société Agia Zane doit être débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles et condamnée aux dépens d'appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Axia de la totalité de ses frais irrépétibles. Il lui sera alloué une indemnité procédurale de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme l'ordonnance entreprise uniquement en ce qu'elle a dit que la prétention de la société Axia tirée de l'irrecevabilité de la procédure était une fin de non recevoir,

Statuant à nouveau de ce seul chef,

Dit que les prétentions de la société Axia fondée sur l'irrégularité de la procédure d'injonction de payer constitue une exception de procédure, valablement présentée par la société Axia,

Dit que la société Agia Zane ne pouvait poursuivre le recouvrement de sa créance à l'encontre de la société Axia selon la procédure d'injonction de payer et que le président du tribunal de commerce de Chambéry était incompétent pour en connaître,

Annule en conséquence l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 24 octobre 2019 par le président du tribunal de commerce de Chambéry,

Constate que le tribunal judiciaire d'Albertville, après renvoi devant lui de l'instance sur décision d'incompétence d'attribution du tribunal de commerce de Chambéry n'est pas valablement saisi,

Confirme l'ordonnance entreprise pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne la société Agia Ziane aux dépens de l'instance,

Condamne la société Agia Ziane à payer à la société Axia la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnité procédurale.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 03 septembre 2024

à

Me Christian MENARD

la SAS LEGALPS AVOCATS-HERLEMONT ET ASSOCIES

Copie exécutoire délivrée le 03 septembre 2024

à

la SAS LEGALPS AVOCATS-HERLEMONT ET ASSOCIES


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/01208
Date de la décision : 03/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-03;23.01208 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award