COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 04 Juillet 2024
N° RG 22/00526 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G6MA
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 7] en date du 21 Février 2022, RG 19/01709
Appelante
S.A.R.L. BOUCHERIE ELFATHE, dont le siège social est sis [Adresse 5] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Vincent PARNY, avocat au barreau de CHAMBERY
Intimée
Mme [Y] [U]
née le [Date naissance 4] 1979 à [Localité 7], demeurant [Adresse 1]
Représentée par Me Christophe LAURENT, avocat au barreau de CHAMBERY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 30 avril 2024 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré ,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [Y] [U] est propriétaire par donation d'un bien situé dans un immeuble en copropriété à [Adresse 6], cadastré section BL n°[Cadastre 3] et [Cadastre 2] constitué de deux appartements situés au deuxième étage, avec un accès au premier étage concernant le lot n°5.
La SARL Boucherie Elfathe exploite un commerce de boucherie-charcuterie-traiteur dans des locaux au rez-de-chaussée situés à [Adresse 5].
Les immeubles situés [Adresse 6] et [Adresse 5] sont séparés par le [Adresse 1].
Aux mois de juillet et août 2018, la SARL Boucherie Elfathe a notamment fait procéder à l'installation, à l'entrée du [Adresse 1], de deux blocs de climatisation/réfrigération sur la façade du bâtiment situé [Adresse 5].
Se prévalant de nuisances sonores liées à ces blocs, par acte du 18 novembre 2019, Mme [Y] [U] a fait assigner la SARL Boucherie Elfathe devant le tribunal de grande instance de Chambéry aux fins notamment de voir les retirés.
Par jugement contradictoire du 21 février 2022, le tribunal judiciaire de Chambéry a :
- dit que le bruit généré par les deux blocs de climatisation/réfrigération appartenant à la SARL Boucherie Elfathe et situés à [Adresse 1], constitue un trouble anormal du voisinage au préjudice de Mme [Y] [U],
- condamné la SARL Boucherie Elfathe, prise en la personne de son représentant légal, à faire cesser, par tout moyen, et au besoin en déposant les blocs de climatisation/réfrigération situés à [Adresse 1], le bruit constitutif du trouble anormal du voisinage subi par Mme [Y] [U], sous astreinte d'un montant de 100 euros par jour de retard, laquelle débutera deux mois à compter de la signification de la décision et durera trois mois,
- condamné la SARL Boucherie Elfathe, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [Y] [U] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- rejeté la demande de Mme [Y] [U] tendant à ce que le coût du constat d'huissier du 31 juillet 2019 soit intégré aux dépens,
- condamné la SARL Boucherie Elfathe, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens avec distraction au profit de Me Christophe Laurent,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 28 mars 2022, la SARL Boucherie Elfathe a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 mars 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SARL Boucherie Elfathe demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- dit que le bruit généré par les deux blocs de climatisation/réfrigération appartenant à la SARL Boucherie Elfathe et situés à [Adresse 1], constitue un trouble anormal du voisinage au préjudice de Mme [Y] [U],
- condamné la SARL Boucherie Elfathe, prise en la personne de son représentant légal, à faire cesser, par tout moyen, et au besoin en déposant les blocs de climatisation/réfrigération situés à [Adresse 1], le bruit constitutif du trouble anormal du voisinage subi par Mme [Y] [U], sous astreinte d'un montant de 100 euros par jour de retard, laquelle débutera deux mois à compter de la signification de la décision et durera trois mois,
- condamné la SARL Boucherie Elfathe, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [Y] [U] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné la SARL Boucherie Elfathe, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens avec distraction au profit de Me Christophe Laurent,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses prétentions,
- rejeter l'appel incident formé par Mme [U],
- condamner Mme [U] à lui payer une indemnité de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [U] aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par Me Vincent Parny, avocat, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions adressées par voie électronique le 23 février 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [Y] [U] demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce que celui-ci a dit que le bruit généré par les deux blocs de climatisation/réfrigération appartenant à la SARL Boucherie Elfathe et situés à [Adresse 1], constitue un trouble anormal du voisinage au préjudice de Mme [Y] [U],
Pour le surplus,
- infirmer le jugement déféré en ce que celui-ci a limité la condamnation de la SARL Boucherie Elfathe à faire cesser, par tout moyen, et au besoin en déposant les blocs de climatisation/réfrigération situés à [Adresse 1], le bruit constitutif du trouble anormal du voisinage subi par Mme [Y] [U], sous astreinte d'un montant de 100 euros par jour de retard, laquelle débutera deux mois à compter de la signification de la décision et durera trois mois,
Statuant à nouveau,
- condamner la SARL Boucherie Elfathe, prise en la personne de son représentant légal, à faire cesser le bruit constitutif du trouble anormal du voisinage subi par Mme [Y] [U] en procédant à la dépose des blocs de climatisation/réfrigération situés à [Adresse 1], sous astreinte d'un montant de 150 euros par jour de retard, laquelle débutera 1 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, et ce pour une durée de 6 mois,
- condamner la SARL Boucherie Elfathe, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Mme [Y] [U] en cause d'appel, la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SARL Boucherie Elfathe, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens, en ce compris le coût du procès-verbal de constat dressé le 31 juillet 2019 par la SELARL Deflin & Hyvert, avec distraction au profit de Me Christophe Laurent, avocat, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur le trouble anormal du voisinage
L'article 651 du code civil dispose que la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations, l'un à l'égard de l'autre, indépendamment de toute convention.
Il est constant en jurisprudence que le droit pour un propriétaire de jouir de la chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage (Cass. civ. 3°, 4 février 1971, n°69-12.327). Ainsi un trouble réel, mais ne dépassant pas les inconvénients normaux du voisinage ne peut pas donner lieu à une responsabilité sur ce fondement. Il est tout aussi constant que le caractère anormal du trouble du voisinage est laissé à l'appréciation souveraine des juges du fond (Cass. civ. 2, 16 juin 1976, n°75-10.577).
La cour observe qu'en l'espèce, depuis que le jugement entrepris a été rendu, la SARL Boucherie Elfathe a fait procéder à des travaux tendant à l'isolation phonique des blocs de climatisation litigieux. Les travaux ont été effectués par la société IMF en 2022 (pièce appelant n°11). Selon un courrier de 2024 de la ville de [Localité 7] (pièce appelant n°23), les travaux consistant à installer des abats-son faisaient suite à sa demande en 2022 destinée à faire réduire les nuisances sonores. Le courrier précise encore que les travaux ont été effectués conformément à la législation et à l'aide d'un acousticien. Par ailleurs, un rapport de la société Acousphère, versé aux débats (pièce appelant n°10), précise que, en comparant ses propres mesures avec celles effectuées par un technicien de la ville (pièce intimé n°3), elle peut estimer que la mise en oeuvre des silencieux a permis un gain de plus de 20 décibels en global et de plus de 20 décibels par bande d'octave.
En parallèle, Mme [Y] [U], sur laquelle pèse la charge de la preuve de l'existence d'un trouble anormal du voisinage, ne produit que deux éléments qui sont postérieurs aux travaux effectués par la SARL Boucherie Elfathe :
- un courrier de la ville de [Localité 7] en date du 22 novembre 2022 (pièce n°14) laquelle relate qu'un technicien de la ville est venu sur les lieux le 21 octobre 2022 et a constaté que malgré la pose de panneaux acoustiques les nuisances sonores continuaient ; l'autrice du courrier conclut qu'elle va demander au commerçant de faire modifier les équipements avec l'aide d'un acousticien ; le contenu de ce courrier est toutefois contredit par le courrier de 2024 cité ci-dessus (pièce appelant n°23) visant le fait que les travaux font suite au courrier de novembre 2022 et qu'ils sont conformes ;
- une attestation de février 2024 (pièce n°16) expliquant que les 'groupes froid' empêche les occupants de l'appartement de s'installer sur la terrasse, qu'ils dégagent 'chaleur humide et bruit' et que 'la mise en place de deux plaques métalliques (...) ne change aucunement le problème' ; une telle attestation ne permet aucunement de mesurer l'ampleur du bruit ainsi généré.
En outre, le fait que les fenêtres de Mme [Y] [U] soient situées au dessus des installations litigieuses qui ne sont pas couvertes en leur partie supérieure, ne permet pas d'établir l'existence d'un bruit constant et anormalement élevé.
Il résulte de ce qui précède que Mme [Y] [U] ne démontre pas, au temps où la cour statue, l'existence du caractère anormal d'un trouble. En effet, si des nuisances semblent persister après les travaux entrepris, rien ne permet de dire qu'elle présentent un caractère anormal au sens des troubles du voisinage. Les travaux entrepris par la SARL Boucherie Elfathe ont manifestement gommé le caractère anormal des troubles tel qu'il avait pu être relevé par le tribunal, étant entendu au demeurant que les installations litigieuses se situent en milieu urbain, tout près d'une rue dans laquelle circulent voitures et camions et donc générant un bruit de fond relativement constant.
En conséquence, le jugement déféré sera réformé et Mme [Y] [U] déboutée de sa demande tendant à voir la SARL Boucherie Elfathe être condamnée sous astreinte à déposer les blocs litigieux.
2. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Dans la mesure où Mme [Y] [U] a engagé à bon escient la procédure de première instance, déterminant ainsi la SARL Boucherie Elfathe à procéder à une isolation phonique des blocs de climatisation, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a mis à la charge de la SARL Boucherie Elfathe les dépens de première instance et l'a condamnée à payer à Mme [Y] [U] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
En revanche, à hauteur d'appel, dans la mesure où Mme [Y] [U] succombe en ses demandes, il convient, par application de l'article 696 du code de procédure civile, de mettre à sa charge les dépens d'appel, avec distraction au profit de maître Vincent Parny conformément aux dispositions de l'articles 699 du code de procédure civile. Elle sera, dans le même temps, déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.
Aucune considération d'équité ne permet, en l'espèce, de faire droit à la demande formulée par la SARL Boucherie Elfathe au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel. Elle en sera donc déboutée.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SARL Boucherie Elfathe aux dépens de première instance et à payer à Mme [Y] [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Réforme le jugement déféré pour le surplus, et statuant à nouveau,
Déboute Mme [Y] [U] de ses demandes,
Y ajoutant,
Condamne Mme [Y] [U] aux dépens d'appel, maître Vincent Parny étant autorisé à recouvrer directement auprès d'elle ceux d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision,
Déboute Mme [Y] [U] et la SARL Boucherie Elfathe de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel
Ainsi prononcé publiquement le 04 juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente