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04/07/2024 | FRANCE | N°21/02499

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 04 juillet 2024, 21/02499


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 04 Juillet 2024



N° RG 21/02499 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G4AM



Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge des contentieux de la protection d'ANNECY en date du 22 Novembre 2021, RG 1120000517



Appelante



S.A. CIC LYONNAISE DE BANQUE dont le siège social est sis [Adresse 12] prise en la personne de son représentant légal



Représentée par la SELARL TRAVERSO-TREQUATTRINI ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ANNECY<

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Intimés



M. [Y] [H] majeur faisant l'objet d'une mesure de curatelle renforcée assisté de son curateur, M. [M] [C], mandataire judiciaire à la protection...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 04 Juillet 2024

N° RG 21/02499 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G4AM

Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge des contentieux de la protection d'ANNECY en date du 22 Novembre 2021, RG 1120000517

Appelante

S.A. CIC LYONNAISE DE BANQUE dont le siège social est sis [Adresse 12] prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELARL TRAVERSO-TREQUATTRINI ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ANNECY

Intimés

M. [Y] [H] majeur faisant l'objet d'une mesure de curatelle renforcée assisté de son curateur, M. [M] [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, domicilié [Adresse 13] désigné en cette qualité par jugement rendu le 22 octobre 2020 par le Tribunal d'Instance d'ANNECY

né le [Date naissance 11] 1967 à [Localité 14], demeurant [Adresse 10]

M. [M] [C] mandataire judiciaire à la protection des majeurs ès qualités de curateur renforcé de [Y] [H] - intervenant forcé -

demeurant [Adresse 13]

Représentés par Me Guillaume PUIG, avocat au barreau de CHAMBERY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 30 avril 2024 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré ,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon offre préalable acceptée le 10 avril 2015, la société CIC - Lyonnaise de Banque (le CIC) a consenti à M. [Y] [H] une ouverture de crédit renouvelable utilisable par fractions, d'un montant maximal de 15 000 euros. Suivant offre acceptée le 11 avril 2017, le montant du crédit autorisé a été porté à 50 000 euros.

Cinq déblocages de fonds successifs ont été effectués au titre de ce contrat :

- le 21 avril 2017 pour 30 000 euros, remboursable en 60 mensualités au taux de 2,86 %,

- le 7 juillet 2018 pour un montant de 30 000 remboursable en 60 mensualités au taux de 5,50 %,

- le 5 novembre 2018 pour la somme de 5 000 euros, remboursable en 45 mensualités au taux de 5,50 %,

- le 31 décembre 2018 pour la somme de 3 481,56 euros, remboursable en 60 mensualités au taux de 5,50 %,

- le 18 juin 2019 pour un montant de 6 592,41 euros, remboursable en 45 mensualités au taux de 5,60 %.

A compter du 5 juin 2020 et du 5 juillet 2020, selon les déblocages, des échéances ont cessé d'être payées. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er juillet 2020, le CIC a mis en demeure M. [H] de régulariser les arriérés dus, puis, par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 septembre 2020, en l'absence de paiement, la banque a prononcé la déchéance du terme de l'ensemble des prêts.

Après avoir été placé sous sauvegarde de justice par décision du 2 juin 2020, M. [H] a été placé sous le régime de la curatelle renforcée par jugement du 22 octobre 2020, mesure confiée à M. [M] [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Par actes délivrés à M. [H] et à son curateur le 28 décembre 2020, le CIC les a fait assigner devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Annecy pour obtenir le paiement des sommes restant dues au titre des différents déblocages du crédit.

Par jugement avant dire droit du 13 janvier 2021, le tribunal a soulevé d'office divers moyens de déchéance du droit aux intérêts, notamment l'absence de vérification de la solvabilité de l'emprunteur, ainsi que l'absence de la notice d'assurance.

M. [H] et son curateur ont comparu devant le tribunal et ont soulevé diverses contestations, tenant notamment à l'irrégularité de la déchéance du terme, et sollicité, reconventionnellement, la condamnation de la banque à payer 10 000 euros à titre de dommages et intérêts. Ils ont, subsidiairement, sollicité un report des sommes dues pendant deux ans.

Par jugement contradictoire rendu le 22 novembre 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Annecy a :

dit qu'à défaut de mise en demeure préalable régulière, le CIC ne peut se prévaloir de la déchéance du terme,

dit que le CIC ne peut ainsi réclamer à M. [H] que les échéances impayées du crédit renouvelable,

condamné M. [H], assisté de son curateur, M. [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, à payer au CIC les sommes suivantes :

- 618,90 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX01], avec intérêts au taux contractuel de 2,86 % à compter du 17 septembre 2020,

- 1 761,66 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX02], avec intérêts au taux contractuel de 5,50 % à compter du 17 septembre 2020,

- 376,65 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX03], avec intérêts au taux contractuel de 5,50 % à compter du 17 septembre 2020,

- 272,66 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX04], avec intérêts au taux contractuel de 5,50 % à compter du 17 septembre 2020,

-388,05 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX05], avec intérêts au taux contractuel de 5,60 % à compter du 17 septembre 2020,

dit que le CIC a manqué à son devoir de mise en garde et engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. [H],

condamné le CIC à payer à M. [H], assisté de son curateur, M. [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

rejeté le surplus des demandes,

dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné le CIC aux entiers dépens.

Par déclaration du 23 décembre 2021, le CIC a interjeté appel de ce jugement en intimant M. [H] et M. [M] [C], mandataire judiciaire de M. [H].

Par acte du 27 septembre 2023, l'appelante a fait délivrer une assignation en intervention forcée à M. [M] [C], tuteur de M. [H], suite à sa désignation en cette qualité par jugement du tribunal judiciaire d'Annecy du 20 septembre 2022.

Par conclusions notifiées le 8 septembre 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société CIC - Lyonnaise de Banque demande en dernier lieu à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1103 et 1353 du code civil,

Vu les dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation,

infirmer le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Annecy le 22 novembre 2021 en ce qu'il a :

- dit qu'à défaut de mise en demeure préalable régulière, le CIC ne peut se prévaloir de la déchéance du terme,

- dit que le CIC ne peut ainsi réclamer à M. [H] que les échéances impayées du crédit renouvelable,

- condamné M. [H], assisté de son curateur, M. [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, à payer au CIC, les sommes suivantes :

' 618,90 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX01], avec intérêts au taux contractuel de 2,86 % à compter du 17 septembre 2020,

' 1 761,66 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX02], avec intérêts au taux contractuel de 5,50 % à compter du 17 septembre 2020,

' 376,65 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX03], avec intérêts au taux contractuel de 5,50 % à compter du 17 septembre 2020,

' 272,66 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX04], avec intérêts au taux contractuel de 5,50 % à compter du 17 septembre 2020,

' 388,05 euros au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX05], avec intérêts au taux contractuel de 5,60 % à compter du 17 septembre 2020,

- dit que le CIC a manqué à son devoir de mise en garde et engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. [H],

- condamné le CIC à payer à M. [H], assisté de son curateur, M. [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- rejeté le surplus des demandes,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le CIC aux entiers dépens,

Statuant à nouveau :

condamner M. [H], assisté de son curateur M. [C], à lui payer :

' au titre du crédit renouvelable utilisé sous le n° [XXXXXXXXXX01] la somme de 9 452,57 euros outre intérêts au taux de 2,86 % et l'assurance au taux de 0,50 %, à compter du 10 novembre 2020,

' au titre du crédit renouvelable utilisé sous le n° [XXXXXXXXXX02], il reste dû à la requérante la somme de 21 736,63 euros outre intérêts au taux de 5,5 % et l'assurance au taux de 0,50 %, à compter du 10 novembre 2020,

' au titre du crédit renouvelable utilisé sous le n° [XXXXXXXXXX03], il reste dû à la requérante la somme de 3.361,32 euros outre intérêts au taux de 5,5 % et l'assurance au taux de 0,50 %, à compter du 10 novembre 2020,

' au titre du crédit renouvelable utilisé sous le compte n° [XXXXXXXXXX06] 12, il reste dû à la requérante la somme de 2 900,45 euros outre intérêts au taux de 5,5 % et l'assurance au taux de 0,50 %, à compter du 10 novembre 2020,

' au titre du crédit renouvelable utilisé sous le n°[XXXXXXXXXX01], il reste dû à la requérante la somme de 6 592,41 euros outre intérêts au taux de 5,5 % et l'assurance au taux de 0,50 %, à compter du 10 novembre 2020,

' au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 500 euros,

débouter M. [H], assisté de son curateur M. [C], de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

condamner M. [H], assisté de son curateur M. [C], aux entiers dépens dont distraction au profit de l'avocat de la concluante en application de l'article 699 du code de procédure civile,

dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, l'exécution forcée pourra être réalisée par l'intermédiaire d'un Huissier et le montant des sommes retenues par l'huissier chargé de l'exécution forcée en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 (portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96-180 sur le tarif des huissiers) sera supporté par tout succombant, en sus des frais irrépétibles et des dépens.

Par conclusions notifiées le 22 juin 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [H] et M. [C], en qualité de mandataire judiciaire de M. [H], demandent en dernier lieu à la cour de :

Vu les articles 1147, 1343-5 et suivants du code civil,

confirmer le jugement du 22 novembre 2021 en ce qu'il a :

- dit qu'à défaut de mise en demeure préalable régulière, le CIC ne peut se prévaloir de la déchéance du terme,

- dit que le CIC ne peut ainsi réclamer à M. [H] que les échéances impayées du crédit renouvelable,

- dit que le CIC a manqué à son devoir de mise en garde et engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. [H],

- condamné le CIC à payer à M. [H], assisté de son curateur, M. [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

Pour le surplus, réformer partiellement le jugement entrepris,

dire et juger irrecevable et infondée l'action du CIC,

dire et juger que le CIC a commis une faute contractuelle dans son devoir de conseil et de mise en garde en octroyant des crédits abusifs,

dire et juger que M. [H] a subi un préjudice à hauteur de 25 000 euros, et en conséquence ne pas limiter ce préjudice à 6 000 euros,

condamner le CIC à payer à M. [H] la somme de 25 000 euros,

prononcer la déchéance des intérêts au taux contractuel de la totalité des prêts objets du litige,

à titre subsidiaire, dire et juger que M. [H] bénéficiera d'un report de l'ensemble des sommes dues pendant une durée de deux années,

dire et juger que durant ce délai de grâce, les sommes correspondantes aux échéances du prêt, ne produiront pas d'intérêts et que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital,

dire et juger n'y avoir pas lieu à déclaration et inscription au FICP,

condamner le CIC à payer à M. [H] la somme de 4 000,00 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance,

condamner le CIC aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Me Guillaume Puig en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'affaire a été clôturée à la date du 26 février 2024 et renvoyée à l'audience du 30 avril 2024, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 4 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'action 

Les intimés concluent à l'irrecevabilité de l'action du CIC, sans développer aucune fin de non-recevoir, ni préciser sur quel fondement.

Il ne résulte pas des pièces de la procédure que l'action serait irrecevable, étant souligné que M. [C] a bien été mis en cause en première instance et en appel en qualité de curateur, et désormais de tuteur, de M. [H].

Sur la régularité de la déchéance du terme 

Le CIC fait grief au jugement déféré d'avoir jugé que la déchéance du terme ne serait pas régulière alors, selon lui, que le contrat prévoit l'exigibilité de l'intégralité des sommes empruntées en cas de défaillance, de sorte que la mise en demeure du 1er juillet 2020 lui permettait de prononcer la déchéance du terme de l'ensemble des utilisations du crédit renouvelable.

M. [H] et M. [C] sollicitent la confirmation du jugement en se fondant sur le caractère peu clair et ambigu de la mise en demeure.

Sur ce,

Avant d'examiner la régularité de la déchéance du terme au regard des clauses du contrat, il convient d'approuver le premier juge en ce qu'il a écarté toute irrégularité fondée sur l'absence de notification des mises en demeure à M. [C], dès lors que les intimés ne prouvent pas formellement que la banque aurait été effectivement avertie du placement de M. [H] sous sauvegarde de justice le 2 juin 2020 avant le 17 septembre 2020.

En application de l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en l'espèce, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

L'article 1184 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Il est de jurisprudence constante que, si le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier, sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.

Une telle mise en demeure doit permettre à l'emprunteur d'appréhender les conséquences de l'absence de régularisation de la situation dans le délai imparti.

En l'espèce, le contrat de crédit renouvelable du 10 avril 2015 contient, dans sa partie consacrée à l'exécution du contrat, les clauses suivantes :

« Avertissement sur les conséquences d'une défaillance - indemnités de retard

L'emprunteur est informé qu'en cas de défaillance de sa part, le prêteur pourra comme indiqué ci-dessous exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échues mais non payés. Jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard au taux conventionnel [...]

Exigibilité anticipée

Le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat des sommes dues, sans autre formalité qu'une mise en demeure, dans les cas suivants :

- en cas de défaillance de l'emprunteur au titre d'une quelconque des utilisations [...] »

La lettre recommandée avec accusé de réception du 1er juillet 2020 adressée à M. [H] par la banque précise que :

« nous vous mettons en demeure :

- de régulariser le solde débiteur de votre compte n° [XXXXXXXXXX07] à hauteur de 1 515,36 EUR en principal, hors agios courus et non échus,

- de procéder au paiement des mensualités impayées à ce jour, au titre du UTILISATION PROJETS n° [XXXXXXXXXX08] d'un montant initial de 3 481,56 EUR, pour un montant de 68,37 EUR suivant décompte joint et sauf articles portés pour mémoire.

La présente lettre vaut mise en demeure de nous régler les sommes ci-dessus pour le 16 juillet 2020 au plus tard. [...]

Nous vous rappelons qu'en vertu des clauses contractuelles applicables au crédit, le non-paiement à bonne date de toute somme due nous autoriserait à prononcer sa résiliation. Dans ce cas, la totalité des montants exigibles au titre du prêt (échéances impayées, capital restant dû, intérêts de retard, pénalités) vous serait réclamée [...] »

Y sont joints les seuls décompte de créance du compte courant et du sous-compte n° [XXXXXXXXXX08], ce dernier pour un montant total de la dette de 2 633,14 euros.

Il convient de rappeler que si un seul contrat de crédit renouvelable a été signé entre les parties, ce sont cinq sous-comptes qui ont été constitués pour gérer le remboursement des utilisations successives effectuées par M. [H]. Or la mise en demeure précitée ne vise que le seul sous-compte n° [XXXXXXXXXX08], pour lequel un impayé avait été enregistré le 5 juin 2020, les quatre autres n'ayant enregistré des impayés qu'à compter du 5 juillet 2020.

Ainsi, les termes de la mise en demeure sont ambigus en ce qu'ils ne permettent pas à l'emprunteur de comprendre qu'en l'absence de régularisation de la situation telle qu'elle est énoncée, la résiliation de l'ensemble des utilisations effectuées est encourue. En effet, chaque utilisation de crédit a donné lieu à la création d'un sous-compte avec tableau d'amortissement et taux d'intérêt distinct.

Cette ambiguïté est aggravée par le fait que, comme l'a justement relevé le premier juge, cette mise en demeure peut laisser penser au débiteur qu'il lui est demandé de payer la totalité de la créance due au titre du compte n° [XXXXXXXXXX08] et non, comme le soutient en vain le CIC, la seule échéance impayée de 68,37 euros.

Aucune autre mise en demeure préalable à la déchéance du terme n'a été adressée à M. [H], la lettre recommandée avec accusé de réception du 17 septembre 2020 précisant d'ailleurs « nous vous notifions la résiliation de vos contrats de prêt (souligné par le rédacteur) dont la totalité des montants (échéances impayées, capital restant dû, intérêts de retard, accessoires) est devenue exigible », le montant réclamé étant de 43 167,03 euros, et il y est joint le « décompte des prêts » avec le numéro du contrat d'origine et des cinq sous-comptes.

Ces termes laissent ainsi entendre que six contrats de prêts ont été souscrits, et non un seul, ajoutant encore un élément de confusion à la compréhension du débiteur.

Aussi, c'est à juste titre et par des motifs que la cour approuve que le premier juge a retenu que la mise en demeure du 1er juillet 2020 ne permettait pas au débiteur de savoir comment régulariser sa situation et éviter la déchéance du terme, ni d'appréhender que celle-ci porterait alors sur l'ensemble des sommes empruntées au titre des différentes utilisations.

La déchéance du terme n'ayant pas été valablement prononcée, et en l'absence de demande de prononcé judiciaire de la résiliation du contrat de crédit, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a jugé que la banque ne pouvait réclamer à M. [H] que les échéances impayées afférentes aux cinq déblocages de fonds auxquelles elle a successivement procédé.

Toutefois, au jour où la cour statue, force est de constater que l'ensemble des sous-comptes sont devenus exigibles en totalité, le dernier le 5 juin 2024. M. [H] et son tuteur ne prétendent pas avoir repris le paiement des échéances et ne contestent pas devoir les sommes empruntées, et la banque réclame toujours la totalité des sommes qu'elle estime exigibles.

Aussi, compte tenu des motifs qui précèdent et des décomptes produits par le CIC, il convient de retenir que M. [H] est tenu au paiement des échéances impayées retenues par le premier juge et des sommes échues depuis, sans que la banque puisse prétendre aux indemnités conventionnelles. Les intérêts conventionnels courront à compter de la date d'exigibilité de chacun des sous-comptes, aucune cause de déchéance du droit aux intérêts conventionnels ne résultant de l'examen des pièces produites, ainsi que l'a justement relevé le premier juge.

Les sommes dues au titre de chaque sous-compte sont donc constituées :

- d'une part des échéances impayées au 17 septembre 2020, déjà allouées par le premier juge, les intérêts contractuels sur ces sommes courant à compter de cette date,

- d'autre part de la différence entre la totalité des sommes qui auraient dû être payées par l'emprunteur si les remboursements avaient été jusqu'au terme (en ce compris l'assurance) et les mensualités effectivement payées, augmentées des échéances impayées déjà allouées.

Le solde restant dû sera assorti des intérêts contractuels (hors assurance, celle-ci étant résiliée du fait du terme échu) à compter du terme de chaque sous compte.

- sous-compte n° [XXXXXXXXXX01] :

- échéances impayées au 17 septembre 2020 618,90 euros

somme due outre intérêts au taux de 2,86 % à compter du 17 septembre 2020.

- montant total des échéances dues 32 660,50 euros

- échéances payées - 23 782,25 euros

- 3 échéances impayées - 618,90 euros

- solde dû 8 259,35 euros

somme due outre intérêts au taux de 2,86 % à compter du 5 mars 2024, date du terme du remboursement.

- sous-compte n° [XXXXXXXXXX02] :

- échéances impayées au 17 septembre 2020 1 761,66 euros

somme due outre intérêts au taux de 5,50 % à compter du 17 septembre 2020.

- montant total des échéances dues 35 236,57 euros

- échéances payées - 14 666,42 euros

- 3 échéances impayées - 1 761,66 euros

- solde dû 18 808,49 euros

somme due outre intérêts au taux de 5,50 % à compter du 5 juillet 2023, date du terme du remboursement.

- sous-compte n° [XXXXXXXXXX03] :

- échéances impayées au 17 septembre 2020 376,65 euros

somme due outre intérêts au taux de 5,50 % à compter du 17 septembre 2020.

- montant total des échéances dues 5 651,38 euros

- échéances payées - 2 635,50 euros

- 3 échéances impayées - 376,65 euros

- solde dû 2 639,23 euros

somme due outre intérêts au taux de 5,50 % à compter du 5 août 2022, date du terme du remboursement.

- sous-compte n° [XXXXXXXXXX08] :

- échéances impayées au 17 septembre 2020 272,66 euros

somme due outre intérêts au taux de 5,50 % à compter du 17 septembre 2020.

- montant total des échéances dues 4 087,06 euros

- échéances payées - 1 294,28 euros

- 3 échéances impayées - 272,66 euros

- solde dû 2 520,12 euros

somme due outre intérêts au taux de 5,50 % à compter du 5 décembre 2023, date du terme du remboursement.

- sous-compte n° [XXXXXXXXXX09] :

- échéances impayées au 17 septembre 2020 388 ,05 euros

somme due outre intérêts au taux de 5,60 % à compter du 17 septembre 2020.

- montant total des échéances dues 7 749,23 euros

- échéances payées - 1 664,98 euros

- 3 échéances impayées - 388,05 euros

- solde dû 5 696,20 euros

somme due outre intérêts au taux de 5,60 % à compter du 5 juin 2024, date du terme du remboursement.

M. [H], représenté par son tuteur M. [C], sera donc condamné au paiement de ces sommes au profit du CIC.

Sur la faute de la banque 

Le CIC fait grief au jugement déféré d'avoir alloué à M. [H] des dommages et intérêts pour manquement au devoir de mise en garde alors, selon la banque, que l'emprunteur disposait des revenus nécessaires pour faire face au remboursement des sommes empruntées, et qu'en outre il s'agit d'un emprunteur averti compte tenu de son parcours professionnel.

Les intimés soutiennent que la banque n'a pas vérifié les revenus déclarés par M. [H], sans aucun justificatif, et n'a donc pas vérifié sa solvabilité effective, alors qu'il ne saurait être qualifié d'emprunteur averti.

Sur ce,

Le banquier dispensateur de crédit est tenu, envers l'emprunteur non averti, d'un devoir de mise en garde en cas de risque d'endettement excessif lié à l'opération qu'il envisage de réaliser. Il appartient à l'emprunteur qui se prévaut d'un manquement de la banque de rapporter la preuve de l'existence d'un tel risque au moment de la souscription du contrat.

En l'espèce, s'il est exact que le curriculum vitae de M. [H] produit par le CIC pourrait laisser croire que l'emprunteur a exercé longtemps des fonctions excluant qu'il puisse être considéré comme un emprunteur non averti, il résulte toutefois des pièces produites par les intimés, notamment du courrier du Docteur [N] du 13 novembre 2013, que M. [H] souffre depuis 2007 d'une pathologie psychiatrique sévère, à cause de laquelle il a été placé en invalidité en 2010. Le fait qu'il ait pu reprendre ponctuellement une activité professionnelle à titre individuel n'a pas fait disparaître cette pathologie qui a des répercussions sur son humeur et donc sur sa capacité décisionnelle. Il a d'ailleurs été placé sous curatelle renforcée en octobre 2020, puis sous tutelle le 20 septembre 2022.

Ces éléments excluent donc qu'il puisse être considéré comme emprunteur averti et la banque était tenue d'un devoir de mise en garde à son égard.

En ce qui concerne le risque d'endettement, pour le contrat initial du 10 avril 2015 autorisant un découvert de 15 000 euros, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte, et après avoir effectué une complète analyse des pièces produites, que le premier juge a retenu que ce crédit limité à 15 000 euros n'entraînait aucun risque d'endettement excessif de M. [H] compte tenu de ses revenus et charges.

En ce qui concerne l'avenant du 12 avril 2017 qui a porté le découvert autorisé à 50 000 euros, ainsi que l'a justement relevé le premier juge, les revenus nets déclarés par M. [H] avant impôts étaient alors de 33 936 euros annuels, soit 2 828 euros par mois. La fiche de renseignement précise que le taux d'effort de 32,45 %, qui pourrait être considéré comme supportable, représente une charge annuelle de 11 012,04 euros ou 917,67 euros par mois. La banque ne peut raisonnablement soutenir que M. [H] aurait alors pu consacrer 1 910,33 euros par mois au remboursement de ses crédits, ce qui reviendrait à un taux d'effort de 67,55 %, ce qui n'est évidemment pas tenable.

Au fil des déblocages successifs de crédit, le montant total des mensualités supportées par M. [H] a atteint plus de 1 600 euros, ce qui devait inévitablement le conduire à des impayés. Il convient de souligner que le CIC, qui le soutient pourtant, ne justifie pas que l'utilisation des fonds prêtés serait liée à l'activité professionnelle de M. [H], ce dernier n'expliquant pas l'usage qu'il en a fait, de sorte que cette spirale de crédits aurait dû interpeller la banque.

Or aucune mise en garde particulière n'est justifiée à l'égard de l'emprunteur.

Il sera enfin ajouté que le seul contrat d'assurance vie d'un montant de l'ordre de 9 000 euros est insuffisant pour garantir la solvabilité de M. [H] et exclure le risque d'endettement excessif.

Il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que le premier juge a retenu que le CIC a manqué à son devoir de mise en garde, cette faute ayant entraîné pour M. [H] une perte de chance de ne pas emprunter des sommes au-delà de ses capacités financières.

Les éléments produits établissent que M. [H], s'il avait été dûment mis en garde par la banque et avait reçu une information adaptée, aurait pu raisonnablement porter son crédit renouvelable jusqu'à 25 000 euros, alors que la totalité des 50 000 euros a été utilisée.

Compte tenu des circonstances de l'espèce, la perte de chance de ne pas emprunter cette somme supplémentaire sera retenue pour 80 %, soit un montant supplémentaire emprunté de 20 000 euros. En considération des sommes auxquelles il a été condamné ci-dessus (pour un total global de 41 341,31 euros, soit 16 341,31 euros de plus que sa capacité d'emprunt), des intérêts nécessairement appliqués sur le montant qu'il aurait normalement pu emprunter au taux de 5,50 %, de la durée de remboursement de 5 ans, et des éléments relatifs à sa situation personnelle, le préjudice subi sera justement évalué à 10 000 euros.

Le CIC sera donc condamné au paiement de cette somme outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les délais de paiement 

L'article 1343-5 du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

En l'espèce, M. [H] ne produit aucun justificatif de sa situation actuelle et n'explique pas de quelle manière il entend se libérer de sa dette. Sa demande de délais de paiement sera en conséquence rejetée.

Sur les autres demandes 

Les circonstances de l'espèce justifient que chaque partie conserve la charge des frais et dépens qu'elle a exposés, aucune considération d'équité ne commandant par ailleurs de faire application des dispositions de l'article 700 au profit de l'une d'elles.

Il n'y a pas lieu de prévoir la charge des frais d'exécution forcée, lesquels n'ont pas encore été exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Annecy le 22 novembre 2021, mais seulement en ce qu'il a :

- condamné la société CIC - Lyonnaise de Banque à payer à M. [Y] [H], assisté de son curateur, M. [M] [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné la société CIC - Lyonnaise de Banque aux entiers dépens,

Confirme le jugement déféré pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs de jugement infirmés, et y ajoutant,

Constate que l'ensemble des déblocages du crédit renouvelable souscrit par M. [Y] [H] sont arrivés à terme,

Condamne M. [Y] [H], représenté par son tuteur M. [M] [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, à payer à la société CIC - Lyonnaise de Banque les sommes de :

- au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX01], la somme de 8 259,35 euros outre intérêts au taux de 2,86 % à compter du 5 mars 2024,

- au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX02], la somme de18 808,49 euros outre intérêts au taux de 5,50 % à compter du 5 juillet 2023,

- au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX03], la somme de 2 639,23 euros outre intérêts au taux de 5,50 % à compter du 5 août 2022,

- au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX08], la somme de 2 520,12 euros outre intérêts au taux de 5,50 % à compter du 5 décembre 2023,

- au titre du sous-compte n° [XXXXXXXXXX09], la somme de 5 696,20 euros outre intérêts au taux de 5,60 % à compter du 5 juin 2024,

Déboute la société CIC - Lyonnaise de Banque du surplus de sa demande en paiement,

Condamne la société CIC - Lyonnaise de Banque à payer à M. [Y] [H], représenté par son tuteur M. [M] [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Déboute M. [Y] [H], représenté par son tuteur M. [M] [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, du surplus de sa demande indemnitaire,

Déboute M. [Y] [H], assisté de son curateur M. [M] [C], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, de sa demande de délais de paiement,

Dit que chacune des parties conservera la charge des frais et dépens qu'elle a exposés, tant en première instance qu'en appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avocats de la cause,

Déboute les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 04 juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/02499
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;21.02499 ?
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