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02/07/2024 | FRANCE | N°21/00936

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 02 juillet 2024, 21/00936


MR/SL





COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 02 Juillet 2024





N° RG 21/00936 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GWCK



Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 22 Mars 2021





Appelante



Mme [T] [O]

née le [Date naissance 3] 1942 à [Localité 11], demeurant [Adresse 4] - [Localité 11]



Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barre

au de CHAMBERY

Représentée par la SELARL JURISOPHIA SAVOIE, avocats plaidants au barreau de THONON-LES-BAINS









Intimés



M. [F]-[P] [K]

né le [Date naissance 2] 1950 à [Locali...

MR/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 02 Juillet 2024

N° RG 21/00936 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GWCK

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 22 Mars 2021

Appelante

Mme [T] [O]

née le [Date naissance 3] 1942 à [Localité 11], demeurant [Adresse 4] - [Localité 11]

Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELARL JURISOPHIA SAVOIE, avocats plaidants au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimés

M. [F]-[P] [K]

né le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 12], demeurant [Adresse 8] - [Localité 6]

Représenté par Me Michel FILLARD, avocat postulant au barreau de CHAMBERY Représenté par la SELARL JACK CANNARD, avocatsplaidants au barreau de THONON-LES-BAINS

Mme [Z] [K] épouse [B]

née le [Date naissance 5] 1952 à [Localité 12], demeurant [Adresse 9] - [Localité 1]

Représentée par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par Me Stéphanie AMBIAUX, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 18 Septembre 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 26 mars 2024

Date de mise à disposition : 02 juillet 2024

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et procédure :

[G] [W] est décédée le [Date décès 7] 2010, laissant pour lui succéder :

son époux survivant, M. [F] [K], dont elle était séparée de corps,

son fils, M. [F]-[P] [K], divorcé de Mme [T] [O],

sa fille, Mme [Z] [K].

Par testament du 6 février 1985, [G] [W] a indiqué révoquer toutes dispositions antérieures, et spécialement la donation entre époux consentie à son mari, afin d'instituer pour légataires universels ses deux enfants.

Par testament du 7 avril 1997, [G] [W] a indiqué qu'elle souhaitait que ses fonds et ses carnets de caisse d'épargne reviennent à sa fille, Mme [Z] [K].

[G] [W] a souscrit 2 contrats d'assurance-vie auprès de la société [16] et de la société [14] :

Contrat n°625 663226 22 [20] Harmonie souscrit le 10 août 2007 pour un montant de 70 000 euros,

Contrat n°500 120380 08 [20] Ambre souscrit le 21 juillet 2009 pour un montant de 12 000 euros.

Par courrier du 27 novembre 2008, [G] [W] a modifié les clauses bénéficiaires de son contrat [20] Harmonie, désignant Mme [T] [O]. Par courrier du 5 décembre 2008, la société [16] a pris acte de cette modification.

Par acte d'huissier du 27 juin 2017, M. [F]-[P] [K] a assigné Mme [T] [O] devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, estimant que celle-ci était redevable de la somme de 42 915,45 euros.

Par jugement avant-dire-droit du 23 août 2019, le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a :

- Ordonné la réouverture des débats et la révocation de l'ordonnance de clôture ;

- Invité M. [F]-[P] [K] à mettre en cause sa s'ur, Mme [Z] [K] ;

- Dit qu'à défaut de constitution d'avocat ou de manifestation de volonté de la part de cette dernière, M. [F]-[P] [K] sera invité à solliciter la condamnation de Mme [T] [O] à rapporter à la succession le montant des sommes dont il réclame actuellement le paiement ;

- Réservé les autres demandes et les dépens ;

- Renvoyé l'affaire à la mise en état du 8 octobre 2019 à 9 heures.

Par acte d'huissier du 17 septembre 2019, Mme [Z] [K] a été appelée dans la cause.

Par jugement du 22 mars 2021, le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, devenu le tribunal judiciaire, a :

- Condamné Mme [T] [O] à rapporter à la succession de [G] [W] la somme de 42 915,45 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de signification de l'assignation ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné Mme [T] [O] aux dépens de l'instance ;

- Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement.

Au visa principalement des motifs suivants :

L'assurance-vie constituant une opération de prévoyance n'est pas considérée pour la liquidation de la succession de l'assuré souscripteur comme une donation et n'entre pas dans l'actif successoral sauf si les primes sont considérées comme manifestement disproportionnées par rapport aux facultés du souscripteur ;

Les deux primes versées pour un montant de 70 000 euros paraissent disproportionnées par rapport aux facultés de la souscriptrice au moment des versements, au regard de son âge ainsi que de sa situation patrimoniale et familiale, sachant que les époux [K] étaient séparés de corps par jugement du Tribunal de grande Instance de Thonon-les-Bains du 20 février 1987.

Par déclaration au greffe du 29 avril 2021, Mme [T] [O] a interjeté appel de la décision en ce qu'elle l'a condamné à rapporter à la succession de [G] [W] la somme de 42 915,45 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de signification de l'assignation, débouté du surplus de ses demandes et l'a condamné aux dépens de l'instance.

Par ordonnance du 17 février 2022, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Chambéry a :

- Ordonné à la société [14] dont le siège social est situé [Adresse 10] à [Localité 17] de communiquer en copie :

- le contrat d'assurance-vie [20] 625663226 22 conclu le 10 août 2007, par [G] [W],

- la clause bénéficiaire de ce contrat,

- un relevé chronologique des primes versées au titre de ce contrat par [G] [W],

- un relevé chronologique des divers retraits effectués par [G] [W] entre le 10 août 2017 et le 27 décembre 2010 dans le cadre de ce contrat ;

- Dit que la société [14] adressera ces pièces au greffe de la cour d'appel de Chambéry, sous les références RG 21-936, dans un délai de 1 mois, à compter de la date de notification de la présente ordonnance par le greffe ;

- Dit que le greffe remettra ou adressera aux avocats de la cause une copie intégrale de ces pièces, sur support papier ou en version dématérialisées le cas échéant ;

- Dit qu'il en sera référé sans forme en cas de difficulté.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 13 septembre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Mme [T] [O] sollicite l'infirmation des seuls chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :

- Rejeter toute demande, fins et moyens contraires adverses ;

Et, statuant à nouveau,

A titre principal,

- Dire que le caractère manifestement exagéré de chaque prime versée par [G] [W], au titre du contrat d'assurance-vie [20] n°625 663226 22 souscrit le 10 août 2007, en considération de ses facultés au jour du versement de chacune desdites primes n'est pas démontré ;

En conséquence,

- Dire que les primes versées au titre du contrat d'assurance-vie [20] n°625 663226 22 souscrit le 10 août 2007 la désignant en qualité de bénéficiaire ne sont pas manifestement exagérées eu égard aux facultés du de cujus aux moments de chacun des versements ;

- Dire que la somme de 35 172,94 euros qui lui a été versée, bénéficiaire du contrat d'assurance-vie [20] n°625 663226 22 souscrit le 10 août 2007, lui reste acquise du chef des volontés de [G] [W] ;

- Débouter M. [F]-[P] [K] et Mme [Z] [K] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait décider que les primes versées sont manifestement exagérées eu égard aux facultés de [G] [W],

- Requalifier en ce cas la somme qui lui a été versée au titre du contrat d'assurance-vie [20] n°625 663226 22 souscrit le 10 août 2007 par [G] [W] en donation pour la part des primes qui serait à chaque versement jugée manifestement exagérée ;

- Déclarer irrecevable comme prescrite toute demande de M. [F]-[P] [K] aux fins de réduction de la libéralité ;

- Dire qu'en cas de réduction de la libéralité elle ne saurait être tenue à restituer plus qu'elle a reçu, soit la somme de 35 172,94 euros, et seulement après déduction de la part des primes manifestement exagérée et vérification de l'atteinte à la réserve héréditaire ;

En tout état de cause,

- Dire n'y avoir lieu à sa condamnation à quelque titre que ce soit et débouter les intimés de toute demande contraire ;

- Condamner in solidum M. [F]-[P] [K] et Mme [Z] [K] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure de première instance et en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel et tout acte nécessaire à l'exécution de l'arrêt à rendre.

Au soutien de ses prétentions, Mme [T] [O] fait valoir notamment que :

Le caractère manifestement exagéré, comme imposé par les dispositions du droit des assurances n'est en rien démontré ;

Les primes versées doivent être examinées au jour de leur paiement et non pas au jour du décès ni au jour de la souscription du contrat d'assurance-vie, or, les primes versées par [G] [W] n'étaient pas manifestement exagérées en considération de ses capacités d'épargne au jour des versements ;

Sa désignation en qualité de bénéficiaire résulte de la volonté de [G] [W] de la remercier, établissant ainsi son intention libérale, dès lors la partie des primes jugée exagérée devra être requalifiée en donation.

Par dernières écritures du 21 août 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [F]-[P] [K] sollicite de la cour de :

- Recevoir Mme [T] [O] en son appel et l'en dire mal fondée ;

- Confirmer le jugement du 22 mars 2021 sous le RG 17/00991 en toutes ses dispositions;

Y ajoutant,

- Condamner Mme [T] [O] à régler la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour cette dernière au profit de Me Fillard, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, M. [F]-[P] [K] fait valoir notamment que :

Le caractère exagéré s'apprécie au moment de la souscription du contrat ou du versement des primes ;

La souscription de ce contrat représente 65,17 % des avoirs de [G] [W], ce qui est manifestement exagéré eu égard à ses facultés contributives et a porté atteinte à sa réserve héréditaire ;

Le contrat [20] doit être requalifié en contrat de capitalisation exclu du champ d'application de l'article L.132-13 du code des assurances et doit être réintégré dans l'actif de la succession ;

La requalification en donation des sommes versées pour la part qui serait jugée manifestement exagérée est une demande nouvelle donc irrecevable.

Par dernières écritures du 22 octobre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Mme [Z] [K] sollicite de la cour de :

- Déclarer l'appel interjeté par Mme [T] [O] recevable mais non fondé et confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Thonon les Bains le 22 mars 2021 en ce qu'il a condamné Mme [T] [O] à rapporter à la succession de [G] [W] la somme de 42 915,45 euros avec intérêt au taux légal à compter de la date de la signification de l'assignation ;

- Débouter Mme [T] [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner Mme [T] [O] à lui régler la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Mme [T] [O] aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour cette dernière au profit de Me Dormeval, avocate, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, Mme [Z] [K] fait valoir notamment que :

Le montant de 70 000 euros versé sur le contrat d'assurance vie, objet de la présente procédure, représentait 65,17 % des liquidités de [G] [W], démontrant le caractère manifestement exagéré des primes versées sur le contrat d'assurance vie.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 18 septembre 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 26 mars 2024.

MOTIFS ET DECISION

I- Sur le caractère manifestement exagéré des primes du contrat d'assurance-vie

L'article L132-12 du code des assurances dispose 'Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré.' L'article suivant prévoit que le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire désigné ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

L'appréciation du caractère manifestement exagéré des primes s'apprécie en référence à l'ensemble des facultés du souscripteur (Ch.mixte, 23 novembre 2004, pourvois n°01-13.592,, 02-11.352, 02-17.507 et 03-13.673) , c'est-à-dire par rapport à son actif, en tenant compte de l'utilité de l'opération pour le souscripteur (2e Civ. 10 avril 2008, pourvoi n°06-16.725) et de la date du versement des primes.

C'est à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive et exempte d'insuffisance que le premier juge a retenu :

- que [G] [W] épouse [K] avait souscrit le contrat [20] n°625 663226 22 alors qu'elle était âgée de 80 ans révolus,

- que les versements sur ce contrat doivent être examinés de façon unique au regard de l'existence de deux versements de 25 000 euros le 14 août 2007 et de 45 000 euros le 4 janvier 2008, soit à, à peine quatre mois d'écart (1ère Civ. 16 décembre 2020, pourvoi n°19-17.517),

- que sur ce point, il y a lieu d'écarter les arguments de Mme [O] concernant l'examen des multiples mouvements intermédiaires réalisés entre les comptes de [G] [W], qui ne présentent pas toujours de logique précise en terme de gestion du patrimoine,

- que lesdits versements sur le contrat d'assurance-vie [20] représentaient 70% du solde du compte de dépôt de [16] de [G] [W] au 8 août 2017, sachant qu'elle n'a pu constituer, grâce à ce compte, que des économies réduites, 7 170,76 euros sur un livret A et 5 351,24 euros sur un livret d'épargne populaire et qu'elle n'avait que trois autres comptes bancaires dont le solde au jour du décès était réduit (compte de dépôt à vue à la [13], livret B à [16], et compte [19] : total de 6 634,44 euros),

- que les revenus de la défunte étaient également très faibles, de l'ordre de 13 000 euros par an, pour les années 2005, 2006 et 2009, incluant pour les trois quarts des revenus une pension alimentaire versée par l'époux de feue [G] [W], dont elle était séparée de corps par jugement de [Localité 18] du 20 février 1987,

- qu'enfin, le patrimoine immobilier au décès s'élevait à 15 405,71 euros, comportant deux parcelles de terre et une récompense à recevoir pour l'appartement du couple [K] à [Localité 15],

- qu'enfin, il convient de rajouter que feue [G] [W] a réalisé deux rachats partiels sur l'assurance-vie litigieuse, de 15 000 euros chacun, le 9 et le 10 juin 2018, ce qui démontre bien que ledit contrat, qui ne pouvait permettre de percevoir des intérêts qu'à long terme, n'avait pas d'utilité pour cette personne âgée, qui utilisait son épargne pour faire face à ses besoins quotidiens - le passif de la succession faisant apparaître des sommes dues à un EHPAD-, ce qui ressort également de la diminution de ses liquidités sur la période (98 956,67 euros présents sur le CCP le 2 août 2007, et 59 677,75 euros présents sur les comptes au décès, incluant le solde au décès des deux assurances-vies [20] souscrites par la défunte en 2007 et 2009).

Il y a donc lieu de faire application de l'article L132-13 alinéa 2 du code des assurances et de retenir que les primes versées sur le contrat d'assurance-vie [20] n°625 663226 22 par [G] [W] étaient manifestement excessives eu égard à ses facultés et sa situation personnelle.

II- Sur la conséquence de la reconnaissance du caractère manifestement excessif des primes

L'article 843 du code civil dispose 'Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement : il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. (...)'

L'article 920 du même code prévoit que les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d'un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible lors de l'ouverture de la succession. L'article suivant rappelle que la réduction des dispositions entre vifs ne peut être demandée que par ceux au profit desquels la loi fait la réserve, par leurs héritiers ou ayant-cause.

L'alinéa 1 de l'article L132-13 du code des assurances, tel que rappelé au premier chapitre de l'arrêt, conduit à retenir deux conséquences possibles à la reconnaissance du caractère manifestement excessif des primes versées sur une assurance-vie : le rapport de ces primes à la succession du souscripteur est applicable lorsque le bénéficiaire est lui-même héritier (1ère Civ. 20 octobre 2010, pourvoi n°09-16.157), en revanche, en présence d'un bénéficiaire qui n'est pas héritier du souscripteur, il y a lieu de procéder à une réduction si les primes manifestement excessives ont porté atteinte à la réserve héréditaires (2e Civ. 3 novembre 2011, pourvoi n°10-21.760).

Il n'est pas contesté en l'espèce que Mme [T] [O], bénéficiaire de l'assurance-vie [20] n°625 663226 22 n'est pas héritière de feue [G] [W] séparée [K], dont elle était la belle-fille pendant la période de son mariage avec M. [F]-[P] [K].

Il ressort ensuite de l'exposé du litige du jugement du 22 mars 2021 que M. [F]-[P] [K] agit sur le fondement de l'article 843 du code civil et sollicite le rapport à la succession de [G] [W] de 42 915,45 euros, qu'il considère comme étant le montant de l'atteinte à la réserve héréditaire, demande qu'il maintient en cause d'appel, sollicitant à titre principal et unique la confirmation du jugement entrepris. Mme [Z] [K] formule, quant à elle, les mêmes demandes, de sorte que la juridiction de première instance a statué sur le fondement de l'article 843 du code civil et non sur celui des articles 920 et 921 du code civil.

En cause d'appel, Mme [T] [O] soulève la prescription de l'action en réduction, la durée d'exercice de cette action étant de 5 ans à compter de l'ouverture de la succession, 2 ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans pouvoir excéder 10 ans à compter du décès, selon l'article 921 alinéa 2 du code civil. L'argument de M. [K], contenu dans ses conclusions, selon lequel 'les parties ont entendu déroger à l'absence de rapport. D'ailleurs, Mme [O] a elle-même demandé le rapport à la succession dans le cas où le tribunal venait à considérer que les primes versées étaient manifestement exagérées. (Conclusions adverses de première instance)' n'est pas particulièrement clair, dans la mesure où Mme [O] s'est opposée à titre principal aux prétentions adverses et n'avait présenté une offre partielle, de surcroît limitée au dépassement de la quotité disponible, qu'à titre subsidiaire.

En conséquence, il y lieu d'infirmer le jugement de première instance, et de rejeter la demande de rapport des primes excessives maintenue par les appelants à l'encontre du bénéficiaire d'une assurance-vie qui n'a pas la qualité d'héritier, et qui, à défaut de cette qualité, n'est pas soumis à l'application de l'article 843 du code civil.

Il y a enfin lieu d'observer qu'aucune demande n'est présentée sur le fondement de l'article 921 du code civil, et qu'en tout état de cause, sa recevabilité quant à la prescription de l'action des héritiers qui est soulevée par Mme [O] est loin d'être établie.

III- Sur les demandes accessoires

M. [F]-[P] [K] et Mme [Z] [B] succombant au fond supporteront les dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'une indemnité procédurale qu'il convient de fixer à hauteur de 3000 euros pour les causes confondues de première instance et d'appel. Enfin, les frais d'exécution forcée étant à la charge du débiteur en application de l'article L111-8 du code des procédures civiles d'exécution, il ne paraît pas nécessaire de faire droit à la demande de condamnation des intimés à 'tout acte nécessaire à l'exécution de l'arrêt à rendre', qui ne consisterait qu'en un rappel inutile de dispositions légales qui s'appliquent par elles-mêmes sans besoin de les reprendre dans un jugement ou un arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme la décision entreprise,

Statuant à nouveau,

Rejette la demande de rapport à la succession de [G] [W] séparée [K] de la somme de 42 915,45 euros présentée par M. [F]-[P] [K] et Mme [Z] [K] épouse [B] à l'encontre de Mme [T] [O],

Condamne in solidum M. [F]-[P] [K] et Mme [Z] [K] épouse [B] aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne in solidum M. [F]-[P] [K] et Mme [Z] [K] épouse [B] à payer la somme de 3000 euros à Mme [T] [O] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 02 juillet 2024

à

Me Christian FORQUIN

Me Michel FILLARD

Me Clarisse DORMEVAL

Copie exécutoire délivrée le 02 juillet 2024

à

Me Christian FORQUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/00936
Date de la décision : 02/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-02;21.00936 ?
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