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25/06/2024 | FRANCE | N°21/01412

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 25 juin 2024, 21/01412


MR/SL





COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 25 Juin 2024





N° RG 21/01412 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GX4E



Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 27 Mai 2021





Appelante



SOCIETE D'AMENAGEMENT DE LA SAVOIE, dont le siège social est situé [Adresse 3]



Représentée par la SELARL CABINET ALCALEX, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

ReprésentÃ

©e par la SELAS LEGA-CITE, avocats plaidants au barreau de LYON









Intimés



Me [D] [G], demeurant [Adresse 1]



S.C.P. SOPHIE LAVOREL & RAPHAEL GUILLAUD E [J] [R], dont le siège...

MR/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 25 Juin 2024

N° RG 21/01412 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GX4E

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 27 Mai 2021

Appelante

SOCIETE D'AMENAGEMENT DE LA SAVOIE, dont le siège social est situé [Adresse 3]

Représentée par la SELARL CABINET ALCALEX, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELAS LEGA-CITE, avocats plaidants au barreau de LYON

Intimés

Me [D] [G], demeurant [Adresse 1]

S.C.P. SOPHIE LAVOREL & RAPHAEL GUILLAUD E [J] [R], dont le siège social est situé [Adresse 4]

S.C.P. [G] COTTAREL [S]-PERRIN, dont le siège social est situé [Adresse 21]

Compagnie d'assurance M.M.A., dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentés par la SCP VISIER PHILIPPE - OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 04 Septembre 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 19 mars 2024

Date de mise à disposition : 25 juin 2024

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Composition de la cour :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

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Faits et procédure

En 2006, l'Association Chrétienne des Institutions Sociales et de Santé (ci-après l'Acis) a proposé au Département de la Savoie de réaliser un projet de foyer pour personnes handicapées sur le site du monastère de [17] le « domaine de [Localité 22] » à [Localité 24] dénommé d'une surface totale de 12 hectares 93 ares 68 centiares, pour un prix de 1 200 000 euros hors frais composé d'un château, d'une maison fermière, de dépendances et d'une chapelle.

Le 13 avril 2006, le conseil général de la Savoie (devenu le conseil départemental de la Savoie) a pris contact avec Me [J] [R], notaire à [Localité 12], aux fins d'acquérir le bien immobilier auprès de la Communauté des S'urs de [19] de [Localité 24] et de le revendre à l'ACIS.

Par arrêté du 22 septembre 2006, la vente a été autorisée par le Préfet de la Savoie. Par acte notarié du 9 octobre 2006, un compromis de vente portant sur les lots cadastrés section [Cadastre 5] à [Cadastre 6] et YE [Cadastre 11], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] composant le monastère de [17] a été régularisé entre la Communauté des s'urs de [19] de [Localité 24] et le département de la Savoie pour un prix de 1 200 000 euros.

Le 2 mars 2004, un diagnostic amiante a été établi par la société Alizé et aucune présence d'amiante n'a été révélée. Ce document a été joint et annexé au compromis du 9 octobre 2006.

L'Acis n'ayant pas été en mesure d'acquérir ce site dans les délais prévus, le département de la Savoie a alors demandé à la société d'aménagement de la Savoie de se porter acquéreur pour un prix maximum de 1 200 000 euros. Le 28 juillet 2008, une convention de portage a été régularisée entre le conseil général de la Savoie et la société d'aménagement de la Savoie aux fins de convenir des modalités de rétrocession du site à l'ACIS ou à tout autre acquéreur.

Par acte authentique de vente du 13 août 2008 dressé par Me [J] [R], notaire instrumentaire avec le concours de Me [G], notaire de la venderesse, la Communauté des s'urs de [19] de [Localité 23] a vendu à la société d'aménagement de la Savoie le tènement immobilier comportant le château, la maison fermière et ses dépendances ainsi que le terrain attenant, en nature de prés, terre et jardins, pour une surface totale de 6 hectares 52 ares 54 centiares pour un prix de 1 151 500 euros.

La commune de [Localité 24] a fait l'acquisition du reste de la propriété, soit les parcelles cadastrées section YE n° [Cadastre 11], [Cadastre 9] et [Cadastre 10], pour une surface de 6 hectares 41 ares et 14 centiares pour un prix de 48 500 euros.

La Communauté des S'urs de [19] de [Localité 24] a été dissoute par un décret du 18 février 2010 publié au JORF n°0043 du 20 février 2010. Le patrimoine de la congrégation a été dévolu à trois autres communautés :

- La communauté des s'urs de [17] de [Localité 28] ([Localité 27],

- La communauté des s'urs de [20] ([Localité 29]),

- La communauté des s'urs de [17] de [Localité 26] ([Localité 26]).

Le conseil Général de la Savoie et la société d'aménagement de la Savoie ont renouvelé la convention de portage du 28 juillet 2008 à plusieurs reprises, repoussant le délai de vente au 31 décembre 2013, puis au 31 décembre 2016, et enfin au 31 décembre 2017.

Lors d'investigations aux fins de revente du bien, la société d'aménagement de la Savoie a découvert la présence d'amiante dans plusieurs bâtiments du bien immobilier. La société d'aménagement de la Savoie a pris contact avec la société Dekra, venue aux droits du cabinet Alize. Le 4 février 2015, la société Dekra lui a transmis d'autres rapports de diagnostic amiante que celui annexé à l'acte authentique, qui ont été établis avant la vente, et qui constatent la présence de matières amiantées.

Suivant rapport du 12 février 2016, le cabinet Faucher, diagnostiqueur, diligenté par la société d'aménagement de la Savoie, a confirmé la présence d'amiante dans plusieurs bâtiments de l'ensemble immobilier

Par acte authentique du 10 octobre 2016, la société d'aménagement de la Savoie a vendu le bien immobilier à la SCI [Localité 14] pour un prix de 600 000 euros. En parallèle à l'acte authentique, la société d'aménagement de la Savoie et la SCI [Localité 14] ont régularisé un protocole transactionnel, suivant acte sous seing privé signé le 10 octobre 2016, prévoyant :

- la prise en charge par le vendeur de travaux de désamiantage du bâtiment dans la limite de 321 900 euros Hors Taxes (TVA en sus), correspondant au devis de désamiantage hors toiture (59 200 euros HT pour les conduits, 37 300 euros hors taxes pour les joints de portes et de fenêtres et 225 400 euros HT pour l'ensemble des autres opérations), le surplus éventuel des travaux de désamiantage étant à la charge définitive de l'acquéreur,

- la prise en charge par le vendeur à hauteur de 100 000 euros HT, TVA en sus, des travaux engagés, notamment en remplacement des éléments du bâtiment détruits lors de l'opération de désamiantage,

- le versement d'une somme forfaitaire de 100 000 euros destinée à participer au désamiantage de la toiture, le surplus étant à la charge définitive de l'acquéreur.

Par actes d'huissier des 27, 28, 29 et 30 décembre 2016, la société d'aménagement de la Savoie a fait assigner la communauté des s'urs de [19] de [Localité 25], la SCP Sophie Lavorel Raphael Guillaud, venant aux droits de Me [J] [R], la SCP [G] Cottarel Gachet-Perrin, Me [D] [G] et la société MMA Iard devant le tribunal de grande instance de Chambéry notamment aux fins de les condamner in solidum à lui payer :

- 469 000 euros au titre de la moins-value sur le prix de vente due aux travaux de remise en état et remplacement des parties contaminées après désamiantage,

- 421 900 euros hors taxes outre TVA au titre du préjudice subi en lien avec le coût des travaux de désamiantage outre les dépens et frais irrépétibles.

Par conclusions du 30 mars 2017, la Communauté des S'urs de [18] est intervenue volontairement à l'instance.

Par acte d'huissier des 9 et 12 juin 2017, la société d'aménagement de la Savoie a fait délivrer assignation en intervention forcée à la Communauté des s'urs de [20] et à la Communauté des S'urs de [17] de [Localité 26].

Par ordonnance du 9 août 2017, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Chambéry a joint les instances.

Par acte d'huissier de justice du 30 novembre 2018, la société d'aménagement de la Savoie a assigné en intervention forcée la société Dekra Industrial venant aux droits du cabinet Alize.

Par ordonnance du 14 mars 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Chambéry a joint les instances.

Par jugement du 27 mai 2021, le tribunal de grande instance de Chambéry, devenu le tribunal judiciaire, a :

- Déclaré irrecevable car dépourvu du droit d'agir l'action de la société d'aménagement de la Savoie à l'encontre des Communautés des S'urs de [17] de [Localité 28], de l[20] et de [17] de [Localité 26] ;

- Déclaré irrecevable comme prescrite l'action de la société d'aménagement de la Savoie à l'encontre de la société [G] Cottarel [S]-Perrin, la société Sophie Lavorel & Raphael Guillaud, Me [D] [G], la société Mma et la société Dekra Industrial ;

- Condamné la société d'aménagement de la Savoie aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Clarisse Dormeval, avocate, de la société Christine Visier-Philippe - Carole Ollagnon-Delroise & Associés et Me Elodie Perdrix, avocats ;

- Condamné la société d'aménagement de la Savoie à payer à la Communauté des S'urs de [17] de [Localité 28], à la Communauté des S'urs de [20] et à la Communautés de S'urs de [17] de [Localité 26] la somme totale de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamné la société d'aménagement de la Savoie à payer à la société [G] Cottarel [S]-Perrin, la société Sophie Lavorel & Raphael Guillaud, Me [D] [G], et la société MMA la somme totale de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamné la société d'aménagement de la Savoie à payer à la société Dekra Industrial la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Au visa principalement des motifs suivants :

La dévolution à titre gratuit des biens de la congrégation dissoute au bénéfice de trois autres congrégations doit s'analyser en un legs. Elle ne procure donc pas de droit à agir à l'encontre des bénéficiaires ;

Le diagnostic amiante annexé à l'acte de vente du 13 août 2008 ne pouvait concerner l'ensemble du bien immobilier, la lecture de l'acte de vente et des annexes permettait d'observer une difficulté concernant la vérification de la présence d'amiante y compris pour un acheteur profane ;

La société d'aménagement de la Savoie a donc été en mesure de constater l'absence de communication de l'intégralité des diagnostics amiante dès le 13 août 2008, date de la vente ;

Or, cette absence de communication est à l'origine du préjudice allégué, son action en responsabilité à l'encontre des défendeurs étant fondé sur l'absence de connaissance de la présence d'amiante lors de l'acquisition des biens immobiliers, dès lors son action est irrecevable comme prescrite.

Par déclaration au greffe du 6 juillet 2021, la société d'aménagement de la Savoie a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a :

- Déclaré irrecevable comme prescrite l'action de la société d'aménagement de la Savoie à l'encontre de la société [G] Cottarel [S]-Perrin, la société Sophie Lavorel & Raphael Guillaud, Me [D] [G], la société Mma ;

- Condamné la société d'aménagement de la Savoie aux entiers dépens dont distraction au profit de la société Christine Visier-Philippe - Carole Ollagnon-Delroise ;

- Condamné la société d'aménagement de la Savoie à payer à la société [G] Cottarel [S]-Perrin, la société Sophie Lavorel & Raphael Guillaud, Me [D] [G], et la société MMA la somme totale de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 27 septembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société d'aménagement de la Savoie sollicite l'infirmation des seuls chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :

Et statuant à nouveau,

- Déclarer recevable son action à l'encontre de la société [G] Cottarel [S]-Perrin, la société Sophie Lavorel & Raphael Guillaud, Me [D] [G], la société MMA ;

- Dire et juger que la société [G] Cottarel [S]-Perrin, la société Sophie Lavorel & Raphael Guillaud, Me [D] [G], notaires, ont commis une faute engageant leur responsabilité ;

En conséquence,

- Condamner in solidum :

- La société Sophie Lavorel Raphael Guillaud, aux droits de Me [J] [R],

- La société [G] Cottarel [S]-Perrin,

- Maître [D] [G],

- La société MMA en sa qualité d'assureur des notaires ;

A lui payer :

- La somme de 469 000 euros (1 069 000 euros ' 600 000 euros) au titre de la moins-value sur le prix de vente due aux travaux de remise en état et remplacement des parties contaminées après désamiantage,

- La somme de 421 900 euros HT outre TVA au du préjudice subi en lien avec le coût des travaux de désamiantage ;

- Assortir ladite condamnation d'intérêts au taux légal à compter de la présente assignation, valant mise en demeure, lesquels produiront, eux-mêmes, intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;

- Condamner in solidum les mêmes à lui payer la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- Condamner in solidum les mêmes aux entiers frais et dépens de la présente instance et autoriser Me Véronique Lorelli, avocate, sur son affirmation de droit qu'elle en a fait l'avance, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

Au soutien de ses prétentions, la société d'aménagement de la Savoie fait valoir notamment que:

Elle n'a eu connaissance du fait dommageable qu'à la date du 4 février 2015 et c'est donc à cette date que la faute du notaire s'est manifestée et que la prescription doit commencer à courir ;

Elle n'a aucune habilitation ni aucune qualification en matière immobilière et ne peut être qualifiée ni de professionnel de l'immobilier ni de professionnel de bâtiment ;

Les notaires intervenus lors des ventes, à savoir, Me [G], qui assistait la venderesse, et Me [R], le notaire rédacteur ayant instrumenté la vente, ne pouvaient pas, en tant que professionnels du droit, ignorer avoir reçu plusieurs diagnostics amiante et n'en avoir annexé qu'un ;

Les notaires ont, à cet égard, chacun commis une faute en lien avec leur devoir de conseil et l'efficacité de l'acte.

Par dernières écritures du 27 décembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société [G] Cottarel [S]-Perrin, la société Sophie Lavorel & Raphael Guillaud, Me [D] [G], la société MMA demandent à la cour de :

- Dire recevable mais mal fondé l'appel interjeté le 6 juillet 2021 par la société d'aménagement de la Savoie à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry le 27 mai 2021 ;

En conséquence,

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry le 27 mai 2021 ;

Y ajoutant,

- Condamner la société d'aménagement de la Savoie à leur payer une somme de 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel ;

- Condamner en outre la société d'aménagement de la Savoie aux entiers dépens d'appel distraits au profit de la société Christine Visier Philippe ' Carole Ollagnon-Delroise & Associes, avocat, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, les notaires font valoir notamment que:

La prescription de l'action en responsabilité dirigée à l'encontre du notaire court à compter du jour de la régularisation de l'acte notarié si, à sa lecture, le signataire était en mesure de déceler par lui-même l'erreur dont il prétend qu'elle lui cause grief, ce qui est en l'espèce le cas ;

La société d'aménagement de la Savoie est un professionnel de l'immobilier qui a acquis le bien litigieux en qualité de marchand de biens ;

La société d'aménagement de la Savoie était en mesure de procéder à l'examen minutieux des diagnostics remis, lequel lui a permis ou aurait dû lui permettre, de déceler une éventuelle anomalie ;

Le notaire instrumentaire a pour seule obligation de vérifier que le professionnel qui y a procédé est agréé et que le diagnostic répond apparemment aux exigences réglementaires, dès lors il n'a pas commis de faute ;

Il ne saurait être reproché au notaire de ne pas avoir décelé l'incomplétude des diagnostics que la venderesse avait fait réaliser.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 4 septembre 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 19 mars 2024.

MOTIFS ET DECISION

I- Sur la prescription de l'action de la société d'aménagement de la Savoie

L'article 2224 du code civil dispose 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.'

Cet article, issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, est applicable au présent litige, qui trouve sa source dans l'acte authentique de vente signé le 13 août 2008 entre la communauté des soeurs de [19] de [Localité 24] et la société d'aménagement de la Savoie.

La mise en cause de la responsabilité du notaire, dans sa mission consistant à assurer l'efficacité d'un acte instrumenté par lui et qui constitue le prolongement de sa mission de rédacteur d'acte, relève de la responsabilité délictuelle (1ère Civ. 2 juillet 2014, pourvoi n°13-19.798). Le point de départ de la prescription de cette action n'est la date de l'acte notarié que lorsque l'examen de sa teneur permet, même à un non professionnel, de constater l'erreur (1ère Civ. 28 septembre 2016, pourvoi n°15-25.593).

Le compromis de vente du 9 octobre 2006 signé entre la communauté des soeurs de [19] de [Localité 24] et le Département de la Savoie mentionnait au sujet de la règlementation sur l'amiante 'un état établi par Alizé, le 2 mars 2004 est demeuré ci-joint et annexé après mention. Cet état ne révèle pas la présence d'amiante', et l'acte authentique du 13 août 2008 conclu avec la société d'Aménagement de la Savoie : 'le vendeur déclare :

- que le bien entre dans le champ d'application des articles R1334-14 et suivants du code de la santé publique ;

- que les recherches effectuées, conformément à l'article R1334-24 de ce code, n'ont pas révélé la présence d'amiante, ainsi qu'il résulte du rapport technique établi par Alizé à [Localité 16] (Isère), [Adresse 7], le 2 mars 2004 dont une copie a été remise à l'acquéreur qui le reconnaît. La fiche récapitulative des conclusions est demeurée ci-annexée après mention.' Etait joint dans les annexes une 'fiche récapitulative conclusions' de la société Alizé, qui mentionnait comme propriétaire 'monastère de [17] et désignation du bien adresse : monastère de [17], type : bâtiment chapelle, date de la visite 02/03/2004" suivi de la mention 'il n'a pas été repéré de matériaux ou produits contenant ou susceptible de contenir de l'amiante', suivi enfin des détails du rapport 'construction de type béton+pierre mitoyenne sur deux côtés, avec toiture en charpente bois annexes (néant), et enfin 'description des revêtements en place au jour de la visite : local : chapelle, plancher : marbre, murs, cloisons, poteaux : lambris PVC, peinture, pierre, plafonds : lambris : bois'.

Il est en outre certain, compte tenu des échanges de mails entre Mme [P] de la société Dekra (Alizé) et Mme [S] du cabinet notarial des 17 et 18 mars 2016 que seul le diagnostic amiante portant sur la chapelle (dossier n°04-03-003899) a été adressé par courrier du 19 octobre 2005, puisqu'à la question du notaire 'Pourriez-vous me confirmer que ce rapport sur 5 pages et la fiche récapitulative conclusions jointe étaient bien les seuls documents qui étaient joints à votre dossier adressé à mon étude le 19 octobre 2005 relatif à votre intervention du 02/03/2004", il était répondu par le diagnostiqueur 'oui, ce sont les seuls documents comme expliqué par téléphone.'

Or, un simple examen du contenu de l'acte de vente lui-même conduit à s'interroger sur le caractère laconique du paragraphe portant sur l'amiante, alors que le paragraphe portant sur le saturnisme était bien plus développé :'ces constats ainsi que les relevés sommaires des dégradations du bâti et la notice d'informations qui y sont annexés ont été établis par Norisko à [Localité 15] (Isère) [Adresse 8]. Ces diagnostics en date du 25 octobre 2007 ont rélévé un risque d'accessibilité au plomb dans les bâtiments suivants :

- bâtiment château

- bâtiments garage et étable

- bâtiment poulailler et pigeonniers

- bâtiment accueil.'

Figuraient dans les annexes relativement au risques de présence de plomb des rapports de diagnostics de Norisko présentés de façon similaire au diagnostic amiante précédement décrit, lesquels mentionnaient 'propriétaire 'monastère de [17] et désignation du bien adresse : monastère de [17], type : bâtiment château' et 'désignation du bien adresse : monastère de [17], type : bâtiment château, description générale construction en béton en R+2 sur sous-sol, avec une charpente bois, annexes : néant', avec des rapports pour les mêmes adresses, bâtiment garage et étable, bâtiment poullalier et pigeonniers, bâtiment accueil, bâtiment l'infirmerie, bâtiment chapelle.

La propriété vendue est en outre décrite comme comprenant '*château, maison fermière, dépendances, * terrain en nature de pré, terres, jardin', de sorte que la seule mention de la chapelle sur le rapport de diagnostic amiante conduit également à s'interroger sur le point de savoir si tous les bâtiments construits ont bien été examinés, ou si seulement la chapelle l'a été, celle-ci étant décrite comme un bâtiment isolé et de dimensions modestes, alors que la vente portait sur un ensemble de biens, un château avec des dépendances.

C'est ensuite à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive et exempte d'insuffisance que les premiers juges ont retenu que la société d'Aménagement de la Savoie ne pouvait être considérée comme un vendeur profane, dans la mesure où :

- elle est inscrite au RCS de Chambéry pour l'exercice de l'activité de construction d'autres ouvrages de génie civil ;

- elle se décrit dans son site internet comme pratiquant des offres immobilières, comme par exemple de bâtiments d'atelier/stockage dans le village d'entreprises à [Localité 13] et intervenant dans les domaines de l'aménagement et du développement urbain, touristique, économique, de la construction publique ;

- il convient d'ajouter que l'acte authentique de vente précise que 'cette acquisition constitue pour lui (l'acquéreur) une opération relevant du régime spécial des achats en vue de la revente et n'entre pas dans le champ d'application de la TVA', et que 'l'acquéreur déclare vouloir faire son affaire personnelle de l'ensemble des frais et responsabilités liés au risque d'exposition au plomb mis en évidence par le constat précité, sans aucun recours contre le vendeur.'

En dernier lieu, la société d'Aménagement de la Savoie fournit des explications laconiques sur la façon dont elle a pris connaissance de l'existence d'amiante dans les biens acquis en 2008, invoquant seulement des 'investigations dans le cadre de la revente', alors que de nouveaux diagnostics ont été réalisés suite à des visites des lieux entre le 19 et le 29 janvier 2016 seulement, et le rapport écrit a été établi le 12 février 2016. Or, la SAS a adressé les premiers courriers de réclamation aux divers intervenants dans la vente en octobre 2015, après avoir réclamé en février 2015 les rapports de diagnostics amiante à la société Dekra industriel, ce qui signifie que les rapports obtenus le 12 février 2016 ne sont pas à l'origine de la découverte d'amiante.

Il s'évince de ces éléments que la réclamation des rapports de diagnostics directement au professionnel, en février 2015, résulte indubitablement d'interrogations sur la complétude du rapport de diagnostic amiante par l'acheteur, ces interrogations ne pouvant découler que la lecture de l'acte notarié lui-même. La société d'Aménagement de la Savoie a souhaité vérifier auprès du diagnostiqueur l'existence des rapports de diagnostics sur l'amiante, alors que le notaire n'avait pu annexer que le seul rapport d'examen de la chapelle, n°04-03-003899 qui lui avait été communiqué par Alizé le 19 octobre 2005, alors que 6 autres rapports existaient (n°04-03-003866 bâtiment accueil, n°04-03-003888 bâtiment emploi et cellules, n°04-03-003912 bâtiment pigeonnier et poulailler, n°04-03-003363 bâtiment ferme et ermitage, n°04-05-003363 gaine ascenseur) et qu'ils ont pu être communiqués en février 2015 à l'acquéreur. Il s'ensuit que l'erreur, qui découle à la fois de la carence du diagnostiqueur n'ayant envoyé qu'un seul rapport et de celle du notaire, qui n'a pas vérifié la complétude de ce rapport, était décelable à la seule lecture de l'acte authentique.

Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a déclaré l'action de la société d'Aménagement de la Savoie prescrite.

II- Sur les demandes accessoires

Succombant en son appel, la société d'Aménagement de la Savoie supportera les dépens de l'instance, ainsi qu'une indemnité procédurale que l'équité commande de fixer à 2000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Condamne la société d'Aménagement de la Savoie aux dépens de l'instance, avec distraction au profit de Me Christine Visier Philippe ' Carole Ollagnon-Delroise & Associés, avocat,

Condamne la société d'Aménagement de la Savoie à payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société [G] Cottarel [S]-Perrin, la société Sophie Lavorel & Raphael Guillaud, Me [D] [G], et la société MMA, pris indivisément.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 25 juin 2024

à

la SELARL CABINET ALCALEX

la SCP VISIER PHILIPPE - OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES

Copie exécutoire délivrée le 25 juin 2024

à

la SCP VISIER PHILIPPE - OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/01412
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;21.01412 ?
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