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20/06/2024 | FRANCE | N°21/00054

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 20 juin 2024, 21/00054


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 20 Juin 2024



N° RG 21/00054 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GS5G



Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ALBERTVILLE en date du 10 Juillet 2020, RG 18/01300



Appelants



Mme [O] [V]

née le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 5] ([Localité 5]), demeurant [Adresse 4]



M. [P] [V]

né le [Date naissance 3] 1949 à [Localité 7] ([Localité 7]), demeurant [Adresse 4]>


M. [X] [V]

né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 9], demeurant [Adresse 4]



Représentés par la SELARL CABINET PASCAL SOUDAN CONSEIL, avocat au barreau de CHAMBERY


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COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 20 Juin 2024

N° RG 21/00054 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GS5G

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ALBERTVILLE en date du 10 Juillet 2020, RG 18/01300

Appelants

Mme [O] [V]

née le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 5] ([Localité 5]), demeurant [Adresse 4]

M. [P] [V]

né le [Date naissance 3] 1949 à [Localité 7] ([Localité 7]), demeurant [Adresse 4]

M. [X] [V]

né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 9], demeurant [Adresse 4]

Représentés par la SELARL CABINET PASCAL SOUDAN CONSEIL, avocat au barreau de CHAMBERY

Intimée

LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE ayant pour nom commercial 'CREDIT AGRICOLE DES SAVOIE', dont le siège social est sis [Adresse 6] prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SCP LOUCHET CAPDEVILLE, avocat au barreau d'ALBERTVILLE

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 02 avril 2024 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré ,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 19 août 2009, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a consenti à M. [X] [V], exploitant d'un fonds de commerce d'hôtel-restaurant à [Localité 8], un prêt professionnel n° 225008 de 180 000 euros garanti par un nantissement sur le fonds de commerce exploité et un cautionnement solidaire et cumulatif de Mme [O] [N] épouse [V] et M. [P] [V] dans la limite de la somme de 117 000 euros pour chacun d'eux.

M. [X] [V] a apporté son fonds de commerce à la société Il Peppuccio selon contrat d'apport du 21 octobre 2009. Un avenant au contrat de prêt était régularisé désignant la société Il Peppuccio comme débitrice principale. Le 19 mai 2010, M. [X] [V] s'engageait en qualité de caution de la société Il Peppuccio dans la limite de la somme de 217 607 euros.

Par acte sous seing privé du 1er juin 2010, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie, la sarl Il Peppuccio et M. [X] [V] ont conclu une délégation imparfaite au terme de laquelle la banque se réservait expressément, tant qu'elle n'aura pas été entièrement désintéressée de l'obligation de 167 390 euros dont elle est créancière, tous les droits, actions et garanties contre le délégant, sans novation.

Le 4 décembre 2012, une procédure de sauvegarde était ouverte pour la société Il Peppuccio avec une période d'observation jusqu'en juin 2013. La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie déclarait sa créance à hauteur de 107 097,42 euros et informait les consorts [V] de l'existence de la procédure par lettres recommandées avec avis de réception du 11 janvier 2013. La période d'observation a été prolongée à deux reprises et, par jugement du 13 janvier 2014, le tribunal de commerce de Chambéry a converti la procédure de sauvegarde en procédure de redressement judiciaire.

A nouveau, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie déclarait sa créance pour un montant de 114 104,66 euros, créance admise au passif de la société Il Peppuccio pour ce montant. Information était à nouveau délivrée par la banque aux cautions par lettres recommandées avec avis de réception.

Le 21 juillet 2014, le plan de redressement était arrêté par le tribunal de commerce pour une durée de 10 ans.

Par lettres recommandées avec avis de réception en date du 9 avril 2018, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie mettait en demeure Mme [O] [N] épouse [V] et M. [P] [V] de lui régler la somme de 117 000 euros et M. [X] [V] de lui régler la somme de 148 161,86 euros, outre intérêts.

Par jugement du 14 mai 2019, le tribunal de commerce de Chambéry a prononcé la résolution judiciaire du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la société Il Peppuccio. La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie déclarait sa créance à hauteur de 156 472,84 euros entre les mains du mandataire liquidateur le 17 mai 2019.

Par acte du 16 octobre 2018, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a assigné en paiement de diverses sommes dues au titre du prêt, M. [P] [V], Mme [O] [N] épouse [V] et M. [X] [V].

Par jugement contradictoire du 10 juillet 2020, le tribunal judiciaire d'Albertville a :

- déclaré recevable l'action en paiement de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie à l'encontre de M. [P] [V], Mme [O] [N] épouse [V] et M. [X] [V], en leur qualité de caution,

- condamné M. [P] [V] et Mme [O] [N] épouse [V] en leur qualité de caution de la société Il Peppuccio à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie, chacun la somme de 30 230,52 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 9 avril 2018, au titre du prêt n°00000225008,

- condamné M. [X] [V], en sa qualité de caution de la société Il Peppuccio, à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie la somme de 110 754,12 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 5.25 % majoré de 3 % à compter du 09 avril 2018, sauf à préciser que les sommes dues au titre des intérêts échus ne peuvent produire intérêts au nom de la prohibition de l'anatocisme, au titre du prêt n° 0000022508

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné in solidum M. [P] [V], Mme [O] [N] épouse [V] et M. [X] [V] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum M. [P] [V], Mme [O] [N] épouse [V] et M. [X] [V] aux entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de maître Capdeville.

Par déclaration en date du 12 janvier 2021 Mme [O] [N] épouse [V], M. [P] [V] et M. [X] [V] ont interjeté appel de cette décision.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 août 2022.

A l'audience du 27 septembre 2022, le dossier a été, à la demande des parties, renvoyé à la mise en état en vue d'un désistement partiel.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 8 février 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [X] [V], M. [P] [V] et Mme [O] [N] demandent à la cour de :

- dire et juger recevable et dans tous les cas bien fondé l'appel interjeté à l'encontre du jugement rendu le 10 juillet 2020 par le tribunal judiciaire d'Albertville

Y faisant droit,

- réformer ledit jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- s'agissant de M. [P] [V] et Mme [O] [N] :

- donner acte à M. [P] [V] et à Madame [O] [N] de ce que, conformément à l'article 400 du Code de procédure civile, ils se désistent, par les présentes conclusions, de l'instance et de l'action par eux engagées contre elle devant la cour d'appel de Chambéry, par déclaration d'appel du 12 janvier 2021, RG N°21/00054 DA n°°21/00056,

- constater leur désistement et, par voie de conséquence, le dessaisissement partiel de la cour d'appel de Chambéry, celle-ci étant toujours saisie des demandes formées par M. [X] [V],

- laisser à la charge de chacune des parties leurs dépens d'appel,

- s'agissant de M. [X] [V],

- dire et juger irrecevables et dans tous les cas mal fondées les demandes formées par la société CRCAM,

- dire et juger que les engagements de cautions souscrits lui sont caducs et en conséquence, que les dettes de cautionnement sont éteintes conventionnellement,

- dire et juger que la société CRCAM ne peut se prévaloir des actes de caution à son encontre,

- dire et juger que les engagements de cautions souscrits par lui sont dans tous les cas prescrits,

- débouter la société CRCAM de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger que les engagements de cautions souscrits par lui envers la société CRCAM sont manifestement disproportionnés,

- dire et juger que la société CRCAM ne peut se prévaloir des actes de caution litigieux à son encontre,

- débouter la société CRCAM de l'ensemble de ses demandes formulées à son encontre,

À titre subsidiaire,

- dire et juger que la société CRCAM n'a pas déféré à son obligation de mise en garde à son égard, caution non avertie,

- condamner la société CRCAM à lui verser à des dommages et intérêts à hauteur des sommes qu'elle lui réclame et ordonner la compensation entre les créances respectives des parties,

- prononcer à l'encontre de la société CRCAM la déchéance du droit aux intérêts frais et pénalités depuis l'origine des engagements de cautions,

- condamner la société CRCAM à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société CRCAM aux entiers dépens de première instance et d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Selarl Cabinet Pascal Soudan Conseil - CPS Conseil, société d'avocats.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 22 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie demande à la cour de:

- déclarer recevable mais mal fondé l'appel formé par les cautions à l'encontre du jugement rendu le 10 juillet 2020 par le tribunal judiciaire d'Albertville,

- déclarer recevable et bien fondé son appel incident à l'encontre des dispositions dudit jugement relatives au montant des condamnations prononcées à l'encontre des cautions,

- lui donner acte de ce qu'elle accepte le désistement d'appel des époux [V] et de ce qu'elle se désiste de son appel incident contre eux,

- confirmer le jugement du 10 juillet 2020 en toutes ses dispositions à l'exception de celles faisant l'objet de l'appel incident contre M. [X] [V],

- condamner M. [X] [V] à régler à la caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie la somme de 148 161,86 euros outre intérêts au taux de 8,25 % l'an à compter du 9 avril 2018,

- débouter M. [X] [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

y ajoutant,

- condamner M. [X] [V] à lui régler la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [X] [V] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec application au profit de la scp Louchet-Capdeville, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur le désistement partiel

Mme [O] [N] épouse [V] et M. [P] [V] font savoir dans leurs conclusions qu'ils entendent se désister sans réserve de l'instance et de l'action contre la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie.

La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie de son côté conclut qu'elle accepte ce désistement et qu'elle se désiste à son tour de son appel incident contre Mme [O] [N] épouse [V] et M. [P] [V].

Conformément à l'article 400 du code de procédure civile, le désistement de l'appel ou de l'opposition est admis en toutes matières, sauf dispositions contraires.

Par application de l'article 403 du code de procédure civile, le désistement d'appel emporte acquiescement au jugement.

Il convient donc de constater le désistement d'appel de Mme [O] [N] épouse [V] et M. [P] [V] contre la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie et le désistement de cette dernière de son appel incident contre eux.

Conformément aux articles 405 et 399 du code de procédure civile, au regard des conclusions des parties, chacune d'elle conservera à sa charge les dépens d'appel qu'elle a engagé.

2. Sur la recevabilité de l'action en paiement contre M. [X] [V]

M. [X] [V] expose qu'il s'est engagé comme caution pour une durée de 101 mois le 5 mai 2010 de sorte que son engagement avait pris fin le 5 octobre 2018. Il relève que l'assignation en paiement a été délivrée le 18 octobre 2018, soit tardivement. Il ajoute que si la caution reste tenue des dettes nées pendant la période de couverture, la créance de la banque à l'égard du débiteur principal, née le 4 décembre 2012 est devenue exigible le 21 janvier 2013. Or l'assignation qui lui a été délivrée l'a été plus de 5 ans plus tard de sorte que l'action de la banque est irrecevable à son encontre.

La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie expose pour sa part que, si l'engagement en qualité de caution de M. [X] [V] a pris fin le 5 octobre 2018, il reste néanmoins redevable des dettes nées pendant la durée de son engagement en vertu de son obligation de couverture. Elle ajoute qu'il appartient ensuite au créancier d'agir contre la caution dans les 5 ans de la date d'exigibilité de la créance. Elle en déduit que la caution peut être actionnée après la fin de son engagement pour des dettes nées pendant ce dernier, peu important pour celles-ci la date d'exigibilité et celle des poursuites. Elle précise ensuite :

- que sa dette est née le 4 décembre 2012, date de la décision prononçant la mise sous sauvegarde du débiteur principal ;

- que sa créance a été déclarée le 8 janvier 2013 puis le 20 janvier 2014, ces déclarations interrompant à chaque fois le délai de prescription en tant que demande en justice ;

- que la créance n'est devenue exigible qu'à la date du jugement prononçant l'adoption du plan de continuation du débiteur principal dont ne peuvent se prévaloir les cautions ; que l'exigibilité ne date pas de la mise en demeure de payer de janvier 2013 dans laquelle la déchéance du terme contre la caution n'est pas prononcée.

Elle en conclut que son assignation a été délivrée moins de 5 ans après cette date d'exigibilité et que son action est bien recevable.

Sur ce :

La cour relève que M. [X] [V] s'est engagé, en tant que caution, par un acte du 19 mai 2010 (pièce banque n°3). Il cautionnait un prêt de 180 000 euros d'une durée de 84 mois, au capital restant dû de 167 390 euros, au taux de 5,25% l'an par la société Il Peppucio. Il s'engageait à cautionner à hauteur de 217 607 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, des pénalités et intérêts de retard, pour une durée de 101 mois, soit 8 ans et 5 mois.

Il est constant que la dette de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie est née le 4 décembre 2012, date du jugement plaçant le débiteur principal sous sauvegarde avec une période d'observation initiale de 6 mois (pièce banque n°5). La dette est donc bien née pendant la période de l'engagement de M. [X] [V].

Il est encore constant, en jurisprudence, que la déclaration de créance à la procédure collective du débiteur constitue une demande en justice qui interrompt la prescription, cet effet se prolongeant jusqu'à la clôture de la procédure collective et cette interruption valant à l'égard de la caution (cass. com. 26 septembre 2006, n°04-19.751).

Il convient enfin de relever que le contrat de cautionnement prévoit que 'en cas de non paiement d'une somme quelconque à bonne date, la déchéance du terme est applicable de plein droit à la caution'. Toutefois, il est nécessaire que le créancier entende se prévaloir d'une telle déchéance du terme. Or la lettre recommandée avec avis de réception en date du 8 janvier 2013 adressée par la banque à M. [X] [V] ne fait que lui demander s'il souhaite, en sa qualité de caution solidaire, régler les sommes dues, échues et exigibles (5 164,82 euros) et reprendre ensuite l'amortissement normal du prêt. La lettre précise ensuite qu'à défaut, elle vaut mise en demeure de payer les sommes échues outre intérêts et informe la caution de la possibilité de prendre des mesures conservatoires pour l'intégralité de la créance (107 838,30 euros). A aucun moment la banque n'entend donc se prévaloir d'une déchéance du terme à ce moment là.

Dans la mesure où la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a déclaré sa créance par lettre recommandée avec avis de réception en date du 8 janvier 2013 (pièce banque n°6) et que le jugement arrêtant le plan de redressement a été rendu le 21 juillet 2014 (pièce banque n°5), l'action de la banque contre la caution engagée le 16 octobre 2018, l'a été moins de 5 ans plus tard. Elle est donc recevable. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

3. Sur la disproportion manifeste de l'engagement de M. [X] [V]

M. [X] [V] expose que la banque n'a pas vérifié ses revenus, charges et patrimoine, qu'aucune fiche afférente au contrat de prêt n'est produite aux débats, malgré les demandes effectuées en se sens en cours de procédure. Il en conclut que la banque n'a pas satisfait à ses obligations et doit être déchue de son droit contre lui, sans même examiner la proportionnalité de l'engagement. Il ajoute que son patrimoine ne lui permettait pas de faire face à son engagement de caution et expose sa situation patrimoniale en 2009, date de souscription du prêt, et indique que ses seuls revenus sont ceux tirés de son activité commerciale et qui ont cessé avec la liquidation judiciaire de la société Il Peppuccio. Il ajoute qu'au jour de la poursuite, il n'est pas en état de faire face à son engagement.

La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie rappelle que, si elle est tenue de se renseigner sur la situation financière de l'emprunteur, elle n'a pas d'obligation d'établir un document. Elle précise que si la caution n'a pas de patrimoine, il dispose de revenus importants qui doivent lui permettre de régler sa dette. Elle estime donc qu'il est en mesure de faire face à ses obligations.

Sur ce :

Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

Conformément aux articles 2288 et suivants du même code, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, applicables en l'espèce, celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même. Le cautionnement ne se présume point. Il doit être exprès et on ne peut l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.

L'article L.341-4 du code de la consommation, en vigueur au jour de la signature de l'acte de caution litigieux, et recodifié à droit constant à l'article L.332-1 (14 mars 2016), dispose toutefois qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

L'appréciation de la disproportion se fait donc à la date de la conclusion du contrat de cautionnement, à charge pour la caution de démontrer son existence. Dans l'affirmative, le créancier peut toutefois démontrer que le patrimoine de la caution est suffisant pour honorer l'engagement au jour de l'appel en garantie. A défaut, l'acte de cautionnement s'avère inopposable.

Cette disposition est mobilisable par toutes les cautions personnes physiques, qu'elles soient ou non averties.

Pour apprécier factuellement la disproportion, il convient de prendre en considération la situation patrimoniale de la caution dans sa globalité. Sont donc non seulement pris en compte les revenus et les biens propres de la caution mais également tous les éléments du patrimoine susceptibles d'être saisis. Viennent en déduction des actifs ainsi identifiés l'ensemble des prêts et des engagements souscrits par la caution à l'exception de ceux qui auraient été pris postérieurement à la souscription de la garantie litigieuse.

En l'absence d'anomalies apparentes, la fiche déclarative de patrimoine renseignée par la caution au moment de la souscription de l'engagement lui est opposable, conformément à l'article 1104 du code civil, sans que la banque ait à vérifier l'exactitude des éléments financiers déclarés.

En l'espèce, la banque ne produit pas de fiche de patrimoine et la disproportion manifeste de l'engagement de M. [X] [V] doit être appréciée sur le fondement des éléments qu'il produit. Il est constant et non contesté qu'il n'a pas de patrimoine. Il fournit sa déclaration de revenu de l'année 2009 faisant état de 19 927 euros (pièces n°19 et 20), et 2010 faisant état d'un revenu de 37 190 euros (pièce n°18). Dès lors, même si en 2008, ses revenus étaient bien plus importants (63 898 euros - pièce n°21), il convient de constater que son engagement maximum à hauteur de 217 607 euros, souscrit en 2010, représente un montant presque 6 fois supérieur à son revenu annuel d'alors. Par conséquent, M. [X] [V] établit que son engagement était manifestement disproportionné au moment de la conclusion du cautionnement.

En ce qui concerne la capacité de M. [X] [V] à faire face à ses engagements au temps où il est sollicité, la banque s'appuie uniquement sur la déclaration d'imposition pour les revenus 2018 produite par la caution (pièce n°10), soit 76 433 euros. Il convient de mettre ce montant en perspective avec celui des revenus 2019 (14 289, pièce n°26) et 2020 (4 577, pièce n°27) et avec celui du montant demandé, soit 148 161,86 euros, outre un taux d'intérêt particulièrement élevé de 8,5%. Ce dernier montant représente environ 2 fois le montant total des revenus de 2018 de la caution et bien plus pour les années suivantes. En conséquence, la banque ne démontre pas en quoi M. [X] [V] est en capacité de faire face à son engagement au moment où il est appelé en paiement.

Il résulte de ce qui précède, qu'en raison de la disproportion manifeste de l'engagement de caution et de l'impossibilité pour M. [X] [V] d'y faire face au temps de la mise en oeuvre de la garantie, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie ne peut pas se prévaloir de cet engagement de caution. Elle sera donc déboutée de ses demandes contre M. [X] [V]. Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

4. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie qui succombe à l'égard de M. [X] [V] sera tenue aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction, pour ceux d'appel, au profit de la Selarl Cabinet Pascal Soudan Conseil -CSP Conseil par application de l'article 699 du code de procédure civile. Elle sera, dans le même temps, déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.

Il n'est pas inéquitable de faire supporter par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par M. [X] [V]. La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie sera condamnée à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

En ce qui concerne Mme [O] [N] épouse [V] et M. [P] [V] :

Constate le désistement de Mme [O] [N] épouse [V] et M. [P] [V] de leur appel contre la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie et le désistement corrélatif de son appel incident de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie contre Mme [O] [N] épouse [V] et M. [P] [V],

Dit que la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie, Mme [O] [N] épouse [V] et M. [P] [V] conserveront la charge des dépens qu'ils ont pu engager en cause d'appel,

En ce qui concerne M. [X] [V] :

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit recevable l'action de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie,

Infirme le jugement déféré pour le surplus,

Dit que la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie ne peut pas se prévaloir de l'engagement de caution de M. [X] [V],

Déboute la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie de l'ensemble de ses demandes contre M. [X] [V],

Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie aux dépens de première instance et d'appel, la Selarl Cabinet Pascal Soudan Conseil -CSP Conseil étant autorisée à recouvrer directement contre elle ceux d'appel dont elle a fait l'avance pour le compte de M. [X] [V] sans recevoir provision,

Déboute la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie à payer à M. [X] [V] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 20 juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/00054
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;21.00054 ?
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