IRS/SL
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 11 Juin 2024
N° RG 23/01019 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HI7M
Décision attaquée : Ordonnance du Juge de la mise en état d'ALBERTVILLE en date du 02 Mars 2023
Appelante
S.A.S. PERRI MACONNERIE, dont le siège social est [Adresse 4]
Représentée par Me Bérangère HOUMANI, avocat au barreau de CHAMBERY
Intimés
Mme [R] [X] épouse [P]
née le 28 Juillet 1972 à [Localité 5], demeurant [Adresse 1]
M. [Y] [P]
né le 27 Février 1959 à [Localité 2], demeurant [Adresse 1]
Représentés par Me Zelda JASTRZEB-SENELAS, avocat postulant au barreau d'ALBERTVILLE
Représentés par la SCP CABINET 24, avocats plaidants au barreau de GRENOBLE
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Date de l'ordonnance de clôture : 29 Janvier 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 05 mars 2024
Date de mise à disposition : 11 juin 2024
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Composition de la cour :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
- Madame Inès REAL DEL SARTE, Magistrate honoraire,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et procédure
Par acte authentique du 8 septembre 2005, M. [Y] [P] et Mme [R] [X] ont acquis une maison d'habitation à [Localité 3]. La construction a été réalisée par M. [T] [B], architecte titulaire de la maîtrise d''uvre, et les travaux de gros 'uvre par la Perri Maçonnerie (Sas).
L'ouvrage a été réceptionné le 2 septembre 2005 sans réserve.
Se plaignant du délitement du béton au niveau d'un balcon de leur maison, les époux [P] ont sollicité une expertise. Par ordonnance du 28 juin 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Albertville a ordonné une mesure d'expertise au contradictoire des époux [P], de la société Perri Maçonnerie et de M. [T] [B] et a commis M. [U] [C] pour y procéder.
Par ordonnance du 9 mai 2017, les opérations d'expertise ont été rendues communes et opposables à la compagnie MMA Iard, assureur dommages ouvrage.
L'expert a rendu son rapport le 27 mai 2021.
Par actes des 20 et 24 mai 2022, les époux [P] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire d'Albertville, M. [T] [B], la société Perri Maçonnerie et la société MMA Iard Assurances Mutuelles notamment aux fins de faire engager la responsabilité décennale de M. [T] [B] et la société MMA Iard.
Par ordonnance du 2 mars 2023, le juge de la mise en état a :
- Constaté le désistement d'incident par MMA Iard Assurances Mutuelles ;
- Déclaré irrecevables comme prescrites les actions en responsabilité décennale et responsabilité contractuelle des constructeurs fondée sur l'article 1792-4-1 du code civil engagées par les époux [P] contre M. [T] [B] et la société Perri Maçonnerie ;
- Déclaré recevable comme non prescrites les actions en responsabilité contractuelle de droit commun engagées par les époux [P] contre M. [T] [B] et la société Perri Maçonnerie ;
- Rejeté les demandes d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure de civile ;
- Renvoyé le dossier à la mise en état électronique du jeudi 27 avril 2023 pour conclusions de Mes Balme et Houmani ;
- Dit que les dépens du présent incident suivront le sort de ceux de l'instance au fond.
Au visa principalement des motifs suivants :
' Le délai de dix ans courant à compter du 8 septembre 2005 a expiré le 8 septembre 2015, dès lors l'acte interruptif du 3 mai 2016 a été tardif et il doit être constaté la prescription de l'action fondée sur l'action en responsabilité décennale ;
' L'action engagé le 3 mai 2016 contre M. [T] [B] et la société Perri Maçonnerie a valablement interrompu le délai de prescription de l'action contractuelle et le déroulement de l'expertise a ensuite suspendu le délai, conformément aux dispositions de l'article 2239 du code civil, jusqu'au dépôt du rapport le 30 avril 2021.
Par déclaration au greffe du 5 juillet 2023, la société Perri Maçonnerie a interjeté appel de la décision à l'encontre des seuls époux [P] en ce qu'elle a :
- Déclaré recevable comme non prescrites les actions en responsabilité contractuelle de droit commun engagées par les époux [P] contre M. [T] [B] et la société Perri Maçonnerie ;
- Rejeté sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure de civile
- Dit que les dépens du présent incident suivront le sort de ceux de l'instance au fond.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 12 juillet 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Perri Maçonnerie sollicite l'infirmation des seuls chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
- Déclarer recevable et bien fondé son appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance du juge de la mise en état près le tribunal judiciaire d'Albertville du 2 mars 2023 ;
Y faisant droit,
- Confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevables comme prescrites les actions en responsabilité décennale et responsabilité contractuelle des constructeurs fondée sur l'article 1792-4-1 du code civil, engagées par les époux [P] à son encontre ;
Statuant à nouveau,
- Dire et juger que l'action engagée par les époux [P] à son encontre est une action en responsabilité contractuelle des constructeurs, laquelle est irrecevable car prescrite ;
- Subsidiairement, dire et juger que l'action en responsabilité contractuelle de droit commun (pour faute dolosive) engagée par les époux [P] à son encontre est irrecevable en raison de la prescription de l'action ;
- Déclarer éteinte l'instance engagée par les époux [P] à son encontre devant le tribunal judiciaire d'Albertville ;
- Condamner in solidum les époux [P] à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner in solidum les époux [P] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses prétentions, la société Perri Maçonnerie fait valoir notamment que :
' La responsabilité contractuelle dite « de droit commun » en matière de droit de la construction est une responsabilité résiduelle pour faute dolosive exclusivement, or l'action en responsabilité contractuelle des époux [P] n'est pas fondée sur la faute dolosive mais sur la responsabilité contractuelle des constructeurs ;
' En cas d'application de la responsabilité contractuelle de droit commun c'est de façon erronée que l'ordonnance entreprise a retenu comme point de départ du délai de prescription la date du 28 janvier 2016 en faisant application des dispositions de l'article 2224 (nouveau) du code civil et il convient en réalité de retenir comme point de départ de la prescription de l'action, la date du 2 septembre 2005 au plus tard.
Par dernières écritures du 28 juillet 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, les époux [P] sollicitent de la cour de :
- Débouter la société Perri Maçonnerie de l'intégralité de ses moyens, fins et prétentions tendant à voir réformer l'ordonnance du 2 mars 2023 en ce qu'elle a déclarée recevable comme non prescrites leurs actions en responsabilité contractuelle de droit commun engagées contre M. [B] et la société Perri Maçonnerie ;
Par voie de conséquence,
- Confirmer l'ordonnance du 2 mars 2023 en ce qu'elle a déclarée recevable comme non prescrites leurs actions en responsabilité contractuelle de droit commun engagées par les époux [P] contre M. [B] et la société Perri Maçonnerie ;
- Condamner la société Perri Maçonnerie à leur verser la somme de 3 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de la société Cabinet 24 Avocats en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs prétentions, les époux [P] font valoir notamment que :
' Le juge de la mise en état n'a commis aucune erreur de droit en retenant que le point de départ de la prescription est la date du premier constat d'huissier du 28 janvier 2016 ;
' Le délai de prescription a été interrompu par deux fois par l'action engagée le 3 mai 2016 à l'encontre de M. [B] et de la société Perri Maçonnerie et par les opérations d'expertise judiciaire et jusqu'au dépôt du rapport d'expertise le 30 avril 2021.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 29 janvier 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 5 mars 2024.
Motifs et décision
Ainsi que l'a relevé à bon droit le premier juge, en application de l'article 789 du code de procédure civile le juge de la mise en état, à partir de sa désignation, est jusqu'à son dessaisissement seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir et si cette dernière nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir.
Sur la responsabilité décennale
Selon l'article 1792 du code civil, dont les dispositions sont d'ordre public, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.
Ne constitue pas une cause étrangère, le vice des matériaux, même s'il était indécelable, les constructeurs étant garants des matériaux qu'ils emploient.
Il est constant que les désordres qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à garantie à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.
Ainsi la responsabilité de droit commun est une responsabilité subsidiaire applicable seulement dans les hypothèses où les conditions des garanties décennales et biennales ne sont pas réunies.
En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise et des pièces produites que :
- Les travaux de maçonnerie de la maison acquise par les époux [P] suivant acte authentique du 8 septembre 2005 ont fait l'objet d'une réception sans réserve le 2 septembre 2005.
- En 2014 le béton du balcon de la maison a commencé à s'émietter et un procès-verbal de constat a été dressé par huissier le 28 janvier 2016.
L'expert désigné par ordonnance de référé du 28 juin 2016 du président du tribunal de grande instance d'Albertville a indiqué dans son rapport que le seul désordre visible était le délitement de l'angle du balcon mais que les investigations réalisées par les laboratoires LERM avaient établi que l'ensemble du plancher haut était constitué du même béton pollué, dont la présence faisait courir un risque de désordre futur à l'occasion d'une fuite d'eau même minime, risque qu'il a qualifié de certain sans qu'il soit possible d'en fixer l'échéance. Il a précisé que la seule solution pour résoudre le problème était la démolition du bâtiment jusqu'à la sous-face du plancher haut puis sa reconstruction.
Ainsi, les désordres affectant le bâtiment des époux [P] compromettent la solidité de l'ouvrage et relèvent, à l'évidence, de la garantie décennale de sorte qu'ils sont exclusifs de toute responsabilité contractuelle de droit commun.
Il n'y a donc pas lieu d'examiner la prescription des actions contractuelles fondées sur les articles 1792-4-1 et 1224 du code civil ou encore sur les articles anciens 1147 et 2262 du même code, étant précisé qu'il n'est pas invoqué l'existence d'un dol de la part des constructeurs, et l'ordonnance qui a déclaré non prescrite et recevable l'action en responsabilité contractuelle des époux [P] sera infirmée.
Sur la forclusion de l'action en garantie décennale
Le texte d'origine est l'article ancien 2270 du code civil, issu de la loi du 4 janvier 1978 lequel énonçait : « Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargées des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2 après dix ans après la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article. »
Ce texte a été déplacé à l'article 1792-4-1 par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription civile.
Il est jugé que le délai de la garantie décennale est un délai de forclusion, dans la mesure où il s'agit, comme les délais de la garantie bon fonctionnement ou de parfait achèvement, d'un délai d'épreuve (Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-24.289 ; Cass.3e civ, 19 sept 2019 n°18-15.833).
Le délai de la garantie décennale étant un délai d'épreuve, toute action, même récursoire, fondée sur cette garantie ne peut être exercée plus de dix ans après la réception (Cass. 3e civ., 12 nov. 2020, n° 19-22.376).
Il s'agit ainsi à la fois d'un délai d'épreuve et d'un délai pour agir.
En l'espèce, aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu dans les dix ans qui ont suivi la réception des travaux et l'assignation en référé expertise en date du 3 mai 2016 délivrée à l'encontre de M. [B] et de la société Perri pasquale n'a pu interrompre une prescription qui était acquise depuis le 7 septembre 2015.
Dès lors l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a déclaré l'action des époux [P] fondée sur la garantie décennale, prescrite.
Sur les demandes accessoires
Les époux [P] qui échouent en leurs prétentions sont tenus aux dépens exposés devant la cour.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Perri Maçonnerie en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclarée l'action en responsabilité contractuelle de droit commun fondée sur l'article 2224 du code civil recevable,
Dit que l'action des époux [P] relève exclusivement de la responsabilité décennale des articles 1792 et suivants du code civil,
Confirme l'ordonnance déférée pour le surplus de ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [Y] [P] et Mme [R] [X] épouse [P] aux dépens exposés devant la cour,
Rejette les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 11 juin 2024
à
Me Bérangère HOUMANI
Me Zelda JASTRZEB-SENELAS
Copie exécutoire délivrée le 11 juin 2024
à
Me Bérangère HOUMANI