GS/SL
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 28 Mai 2024
N° RG 22/01634 - N° Portalis DBVY-V-B7G-HCWT
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 7] en date du 25 Août 2022
Appelantes
Mme [O] [B] épouse [Y]
née le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]
Mme [S] [L] [U] épouse [Y]
née le [Date naissance 3] 1953 à [Localité 9]), demeurant [Adresse 2]
S.C.I. [Localité 10], dont le siège social est situé [Adresse 5]
Représentées par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY
Représentées par l'AARPI BIRD & BIRD AARPI, avocats plaidants au barreau de LYON
Intimées
Maître [R]-[T] [A], demeurant [Adresse 8]
SCP Yves MARTIN [A] [R]-[T] et Vincent MARTIN, dont le siège social est situé [Adresse 8]
Représentées par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentées par la SCP CABINET BOUVARD, avocats plaidants au barreau de [Localité 7]
Représentées par la SCP KUHN, avocats plaidants au barreau de PARIS
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE, dont le siège social est situé [Adresse 11]
Représentée par la SCP BREMANT GOJON GLESSINGER SAJOUS, avocats au barreau d'ANNECY
BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES, dont le siège social est situé [Adresse 4]
Représentée par la SELARL F.D.A, avocats au barreau de [Localité 7]
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Date de l'ordonnance de clôture : 18 Décembre 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 20 février 2024
Date de mise à disposition : 28 mai 2024
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Composition de la cour :
Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l'assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
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Faits et procédure
La SCI [Localité 10] a pour associés :
M. [J] dit [D] [Y], époux de Mme [O] [B],
M. [F] [Y], époux de Mme [S] [U],
M. [H] [Y],
M. [I] [Y],
M. [M] [Y].
Elle est propriétaire de plusieurs parcelles sises au "lieudit [Localité 10]" à [Localité 7] qu'elle loue depuis le 10 octobre 1996 à la société Scierie [Y], devenue la société [Y] Bois, laquelle exerce depuis 1925 une activité de sciage et rabotage de bois, et dont le capital social est également détenu par la famille [Y]. Elle a également consenti à la société [Y] Bois, le 31 juillet 1997, un bail à construction sur une des parcelles lui appartenant.
En 2004, la SCI [Localité 10] s'est portée caution hypothécaire à hauteur de 122 000 euros, au titre de deux emprunts souscrits par la société Scierie [Y] auprès de la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie et de la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes.
Le 1er août 2008, dans le cadre d'un important projet d'investissement visant notamment à s'équiper d'une nouvelle ligne complète de machine de sciage, la société [Y] Bois a souscrit quatre emprunts notariés auprès de la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie et deux emprunts notariés auprès de la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes. En sus d'autres garanties, la SCI [Localité 10] s'est portée caution hypothécaire de ces engagements de la société [Y] Bois à hauteur de la somme de 3 900 000 euros pour chacun de ces établissements bancaires, soit pour un montant total de 7 800 000 euros.
Suivant acte en date du 20 mars 2015, sept des actionnaires de la société [Y] Bois ont cédé à la société Camsel 56,25 % du capital social de la société.
Des avenants aux prêts ont été signés, les 30 mai 2011, 3 octobre 2014 et 11 mai 2015, aux termes desquels la SCI [Localité 10] a maintenu son engagement hypothécaire. L'ensemble des actes de prêt, ainsi que ces avenants, ont été passés en l'étude de Maître [A] [R] [T], notaire au sein de la Scp ' la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] Et Vincent Martin'.
Le 31 juillet 2017, le tribunal de commerce d'Annecy a arrêté un plan de sauvegarde de la société [Y] Bois (devenue Neofor [Localité 7] [Y]).
Suivant courrier en date des 17 et 23 novembre 2017, la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes et la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie ont mis en demeure la SCI [Localité 10] de régler le solde des emprunts.
Après lui avoir fait délivrer un commandement aux fins de saisie immobilière le 11 décembre 2018, la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a, suivant exploit en date du 22 mars 2019, fait citer la SCI [Localité 10] à l'audience d'orientation du juge de l'exécution de [Localité 7], puis la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes le 27 mars 2019 en qualité de créancier inscrit.
Suivant jugement en date du 9 septembre 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de [Localité 7] a :
déclaré irrecevables les exceptions de nullités, notamment du cautionnement, soulevées par la SCI [Localité 10],
ordonné la vente forcée des biens appartenant à la SCI [Localité 10], situés "lieudit [Localité 10]", à [Localité 7].
La SCI [Localité 10] a interjeté appel de cette décision, et la procédure d'appel reste pendante devant la présente juridiction.
Par actes d'huissier des 3 et 4 février 2022, la SCI [Localité 10] et Mmes [B] et [U] ont, après y avoir été autorisées, fait assigner à jour fixe devant le tribunal judiciaire de [Localité 7] la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, ainsi que la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] Et Vincent Martin et Mme [A] [R] [T], notaire rédacteur des actes de prêt et de caution, notamment aux fins d'obtenir leur condamnation à leur payer des dommages et intérêts.
Par jugement du 25 août 2022, le tribunal judiciaire de [Localité 7] a :
- déclaré irrecevable l'action de Mme [O] [B] et Mme [S] [U] ;
- déclaré recevable l'action de la SCI [Localité 10] ;
- débouté la SCI [Localité 10] de l'intégralité de ses demandes ;
- débouté Me [A] [R]- [T] de sa demande de dommages et intérêts ;
- condamné in solidum la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à payer à la société Caisse Regionale de Crédit Agricole Mutuel Des Savoie la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à payer à la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à payer à la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] et Vincent Martin et Maître [A] [R] [T] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] aux dépens ;
- accordé à la SCP Bouvard le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au visa principalement des motifs suivants :
faute pour Mme [O] [B] et Mme [S] [U] d'agir expressément pour le compte de la communauté, en vertu des pouvoirs conférés par leur régime matrimonial et notamment par l'article 1421 du code civil qu'elles n'ont même invoqué, ces dernières ne sont pas recevables à agir à titre personnel et individuel en réparation d'un préjudice divisible qu'elles tireraient de droits indivis qu'elles n'ont pas ;
l'action indemnitaire engagée par la SCI [Localité 10] n'est pas prescrite, puisque le préjudice dont elle sollicite l'indemnisation correspond à la mise en oeuvre de son obligation de garant, caractérisée par les mises en demeure qui lui ont été adressées par chacun des deux créanciers le 17 et le 23 novembre 2017, constituant le point de départ de la prescription quinquennale ;
un cautionnement hypothécaire, qui est limité à la valeur du bien, ne peut présenter un caractère excessif ;
la SCI [Localité 10] était une caution avertie ;
aucun manquement à un devoir de mise en garde, octroi d'un crédit excessif, ou souscription d'une garantie excessive ne se trouvent caractérisés ;
les manquements à l'obligation d'information,, de conseil et de bonne foi dans la rédaction des actes ne sont pas caractérisés de la part des notaires.
Par déclaration au greffe du 13 septembre 2022, la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] ont interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu'elle a :
- déclaré recevable l'action de la SCI [Localité 10] ;
- débouté Me [A] [R]- [T] de sa demande de dommages et intérêts ;
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 15 mai 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] sollicitent l'infirmation des seuls chefs critiqués de la décision et demandent à la cour de :
- rejeter les demandes incidentes des intimées ;
Et statuant à nouveau,
- juger recevable l'action de Mme [O] [B] et Mme [S] [U] ;
A titre principal,
- juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie et la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes ont manqué à leur obligation de bonne foi ;
- juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie et la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes ont octroyé des crédits excessifs à la société [Y] Bois ;
- juger que la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] Et Vincent Martin Notaires Associes et Mme [A] [R]-[T] ont manqué à leur devoir de conseil et de mise en garde ;
En conséquence,
- condamner solidairement la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, Mme [A] [R] [T] et la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] Et Vincent Martin notaires associés, à verser à la SCI [Localité 10] des dommages-intérêts à hauteur de 6 336 811,41 euros ;
- juger que ces dommages-intérêts viendront se compenser avec les sommes sollicitées par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie et la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes à la SCI [Localité 10] au titre de son engagement de caution hypothécaire ;
- condamner solidairement la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, Mme [A] [R] [T] et la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] et Vincent Martin Notaires Associes, à verser à Mme [O] [B] et Mme [S] [U] des dommages-intérêts à hauteur de 3 404 000 euros ;
A titre subsidiaire,
- juger que les garanties prises la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie et la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes en contrepartie des prêts fautifs accordés à la société [Y] Bois sont disproportionnées ;
- réduire le montant de la caution hypothécaire de la SCI [Localité 10] à l'égard de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie et la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes à la somme d'1 euro ;
En tout état de cause,
- débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, Mme [A] [R]-[T] et la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] Et Vincent Martin Notaires Associes de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamner solidairement la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, Mme [A] [R] [T] et la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] Et Vincent Martin Notaires Associes, à leur verser la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, Mme [A] [R] [T] et la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] Et Vincent Martin Notaires Associés, aux entiers dépens de l'instance avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Mme Clarisse Dormeval, avocat.
Au soutien de leurs prétentions, la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] font valoir notamment que :
la prescription quinquennale n'a pu courir avant les mises en demeure des 17 novembre 2017 et le 23 novembre 2017, réclamant la mise en oeuvre de la caution hypothécaire et manifestant ainsi leur préjudice ;
Mmes [B] et [U] ont le pouvoir d'administrer seule les biens communs, et elles ont à ce titre intérêt à agir;
les banques ont commis une faute en octroyant un crédit excessif à la société [Y] Bois ;
elles ont manqué à leur obligation de bonne foi en présentant de manière trompeuse les différentes sûretés venant garantir les emprunts de la société [Y] Bois, leur laissant penser que la caution hypothécaire ne serait mise en oeuvre qu'après les autres garanties, et en s'abstenant de les informer du caractère subsidiaire de la garantie OSEO ;
elles ont également manqué à leur obligation de bonne foi en acceptant un plan dérogatoire de sauvegarde de la société [Y] Bois, comportant un abandon massif de leurs créances, en sachant que la SCI ne pourrait de son côté échapper au paiement des dettes et se trouverait ensuite subrogée dans les droits des créanciers à des conditions désavantageuses ;
le notaire n'a pas informé la SCI sur la nature et les risques liés à son engagement, contraire à son objet social, ni sur le fait de sa garantie n'était pas subsidiaire, contrairement à celle d'OSEO, et qu'elle pouvait être mobilisée même en cas de procédure collective du débiteur principal ;
le notaire a ainsi manqué à son devoir d'information, de conseil et de mise en garde à l'égard de la SCI [Localité 10] ;
les fautes imputables aux banques et au notaire leur ont causé des préjudices dont elles sont fondées à obtenir la réparation dans le cadre de la présente instance, la SCI subissant un préjudice égal à la valeur de l'immeuble et à la perte de chance de percevoir des loyers pendant 66 ans, et Mesdames [B] et [U] subissant quant à elle une perte de valeur des parts sociales, et une perte de chance de percevoir leur quote part des produits générés par ces parts;
elles sont également fondées, à titre subsidiaire, à réclamer la réduction de la garantie sur le fondement de l'article 650-1 du code de commerce, dès lors que la responsabilité des banques se trouve engagée du fait de l'octroi de concours excessifs.
Par dernières écritures du 20 février 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Mme [A] [R] [T] et la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] et Vincent Martin notaires associés sollicitent de la cour de :
- infirmer le jugement le jugement du tribunal judiciaire de [Localité 7] du 25 août 2022 en ce qu'il a rejeté l'exception procédure tendant à voir prescrite l'action initiée par la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à leur encontre ;
Statuant à nouveau,
- juger prescrite l'action en responsabilité engagée par la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à l'encontre du notaire ;
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de [Localité 7] du 25 août 2022 en ce qu'il a jugé recevables les demandes Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à leur encontre ;
Statuant à nouveau,
- juger Mme [O] [B] et Mme [S] [U] irrecevables en leurs demandes fins et conclusions pour défaut d'intérêt à agir ;
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de [Localité 7] du 25 août 2022 en ce qu'il a prononcé leur mise hors de cause pure et simple ;
- juger la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] tant irrecevables que mal fondées en toutes leurs demandes, fins et conclusions à tant à leur encontre ;
- les en débouter purement et simplement ;
Statuant reconventionnellement,
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de [Localité 7] du 25 août 2022 en ce qu'il a débouté Mme [A] [R] [T] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire à l'encontre de la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] ;
Statuant à nouveau,
- juger que l'action menée par la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à l'encontre de Mme [A] [R] [T] revêt manifestement un caractère abusif et vexatoire ;
- condamner in solidum la [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à payer à Mme [A] [R]-[T] une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamner par ailleurs les mêmes à leur payer une somme de 20 000 euros sur le fondement de l'Article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel, dont distraction sera faite pour ces derniers au profit de la SELURL Bollonjeon, avocat associée, aux offres de droits, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs prétentions, Mme [A] [R] [T] et la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] et Vincent Martin notaires associés font valoir notamment que :
l'assignation en responsabilité est intervenue plus de 14 ans après la signature des actes, qui constitue le point de départ de la prescription quinquennale ;
Mme [O] [B] et Mme [S] ne sont ni associées, ni coindivisaires des parts de la SCI [Localité 10] et n'ont donc pas qualité à agir ;
aucun manquement au devoir de conseil, d'information et de mise en garde ne peut être reproché au notaire, les dirigeants de la SCI [Localité 10] et de la société [Y] Bois étant communs et avertis, et les actes étant dénués de la moindre ambiguïté, aucune hirérachie entre les garanties n'étant notamment stipulée ;
le préjudice, perte d'actifs et éventuel préjudice locatif, dont la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] sollicitent aujourd'hui réparation n'est ni actuel ni certain.
Par dernières écritures du 17 février 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré recevable l'action de la SCI [Localité 10] ;
En conséquence,
- juger que le point de départ de la prescription est la date de souscription des contrats pour la SCI [Localité 10] ;
- juger que Mme [O] [B] et Mme [S] [U], qui sont tiers, à la SCI [Localité 10], ont eu connaissance des actes à compter de leur publication au service des hypothèques ;
En conséquence,
- juger prescrites l'action en responsabilité engagée par la SCI [Localité 10] et Mme [O] [B] et Mme [S] [U] ;
- déclarer irrecevables Mme [O] [B] et Mme [S] [U] et la SCI [Localité 10] comme étant prescrites en leur action ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré irrecevable l'action de Mme [O] [B] et Mme [S] [U],
- déclaré recevable l'action de la SCI [Localité 10],
- débouté la SCI [Localité 10] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté Mme [A] [R]-[T] de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la SCI [Localité 10] à payer la somme de 8 000 euros à chacune des parties défenderesses ;
Pour le surplus,
- condamner Mme [O] [B] et Mme [S] [U] et la SCI [Localité 10] à lui payer la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie fait valoir notamment que :
la valeur patrimoniale des parts n'a pas encore été attribuée aux épouses [Y] et les parts sociales sont des biens propres de leurs époux, de sorte qu'elles n'ont pas de qualité et d'intérêt à agir ;
le point de départ de la prescription est la date de la conclusion du contrat, les actes des 2004 et 2008 ayant reçu exécution par leur publication auprès des services de la publicité foncière ;
le cautionnement hypothécaire, sûreté réelle, est nécessairement adapté aux capacités du constituant ;
la SCI [Localité 10] était une caution avertie et elle ne pouvait ignorer la teneur ainsi que la portée de son engagement ;
elle n'a jamais fait de la garantie OSEO la condition déterminante de son engagement ;
elle n'a commis aucune faute et la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] ne démontrent aucun préjudice ;
la SCI [Localité 10] est une société in bonis, les dispositions de l'article L.650-1 du code de commerce ne lui sont pas applicables.
Dans ses dernières écritures du 28 février 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes demande quant à elle à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de [Localité 7] du 25 août 2022 en ce qu'il a dit Mme [O] [B] et Mme [S] [U] irrecevables en leur action ;
- réformer le jugement et dire irrecevable comme prescrite l'action initiée pour faute par la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à son encontre ;
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de [Localité 7] du 25 août 2022 pour toutes les autres dispositions et notamment, dire qu'elle n'a pas commis de faute et qu'il n'est justifié d'aucun préjudice direct ;
- en conséquence, débouter la SCI [Localité 10] Mme [O] [B] et Mme [S] [U] de leur demande d'allocation de dommages et intérêts ;
- constater que la SCI [Localité 10] ne fait pas l'objet d'une procédure collective ;
- en conséquence, débouter la SCI [Localité 10] de sa demande de réduction de la sûreté à la somme d'un euro ;
- condamner la SCI [Localité 10] et Mme [O] [B] et Mme [S] [U] au paiement d'une somme supplémentaire de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner aux entiers dépens d'appel.
Au soutien de ses prétentions, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes fait valoir notamment que :
Mme [O] [B] et Mme [S] [U] ne sont pas propriétaires indivises des parts sociales,et elles n'ont pas qualité ni intérêt à agir avant la dissolution du régime matrimonial ;
seules les formalités de publicité auprès du service de la publicité foncière ont vocation à constituer l'information des tiers et donc de Mme [O] [B] et Mme [S] [U], de sorte que leur action, comme celle
de la SCI [Localité 10], est prescrite ;
la SCI [Localité 10] est une caution avisée, qui a renoncé au bénéfice de discussion;
elle n'a commis aucune faute et Mme [O] [B] et Mme [S] [U] ne subissent aucun préjudice par l'affectation hypothécaire décidée par les associés de la SCI [Localité 10].
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 18 décembre 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 20 février 2024.
MOTIFS ET DÉCISION
I - Sur la fin de non recevoir tirée de l'absence de qualité et intérêt à agir de Mesdames [O] [B] et [S] [U]
Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé'.
Il est constant en l'espèce que Mesdames [O] [B] et [S] [U] sont mariées sous le régime de la communauté légale respectivement avec M. [J] dit [D] [Y] et M. [F] [Y], associés de la SCI [Localité 10] et porteurs chacun de 25 % du capital social de cette structure. L'entrée en société a par ailleurs été réalisée durant le mariage, en 1988, et s'est faite partiellement à l'aide de biens communs.
Aux termes des statuts, Mesdames [O] [B] et [S] [U] ont par contre expressément renoncé à devenir personnellement associées de la SCI. Comme l'ont relevé les premiers juges, ce n'est du reste nullement en une telle qualité qu'elles agissent.
Conformément à la distinction entre le titre et la finance, consacrée par la doctrine puis par la Cour de cassation en 2014 (Civ, 1ère, 12 juin 2014, n°13-16309), les attributs patrimoniaux des parts sociales, ou la 'finance', peuvent revêtir le caractère d'acquêts.
Pour autant, Mesdames [O] [B] et [S] [U] ne sont nullement propriétaires indivises des parts sociales litigieuses, en l'absence de dissolution de la communauté. Ce n'est que dans le cadre de la liquidation-partage de la communauté qu'elles seraient fondées à se prévaloir, le cas échéant, de la valeur patrimoniale des parts sociales, l'indivision post-communautaire recueillant alors la valeur des parts. Mais pendant le mariage, dès lors qu'elles ont renoncé à la qualité d'associées, les parts sociales restent la propriété de leurs époux, qui seuls peuvent exercer les droits qui y sont attachés.
Et force est de constater que si elles citent les dispositions de l'article 1421 du code civil en cause d'appel, elles se prévalent d'un préjudice personnel, consistant dans la dévalorisation de leur propre patrimoine et n'agissent nullement pour le compte de la communauté.
Surtout, il se déduit de l'examen des statuts de la SCI [Localité 10] que lors de sa constitution en 1988, les biens communs apportés ne concernent que 250 parts, soit 1/19ème des 4 750 parts détenues par Messieurs [Y]. Les parts sociales ont ainsi été financées dans leur quasi totalité par des biens propres de leurs époux respectifs, et Mesdames [O] [B] et [S] [U] ne précisent nullement, dans ces conditions, à quel titre les parts sociales pourraient revêtir le caractère de biens communs, même en ce qui concerne uniquement leurs attributs patrimoniaux, et ce alors que les intimés soutiennent tous que les parts sociales seraient en réalité des biens propres de leurs époux respectifs.
Il convient d'observer, enfin, que les associés de la SCI [Localité 10] ne sont nullement poursuivis sur leur patrimoine personnel.
En l'absence d'intérêt à agir, l'action indemnitaire de Mesdames [O] [B] et [S] [U] ne pourra en conséquence qu'être déclarée irrecevable.
II - Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription
Aux termes de l'article 2224 du code civil, 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
La prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance (Com. 28 mars 2006, n° 04-15.506 ; 17 févr. 2009, n° 08-10.191 ; Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820).
Il appartient en conséquence à la présente juridiction de se livrer à une appréciation concrète des faits de l'espèce pour déterminer la date à laquelle la SCI [Localité 10] a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage dont elle sollicite la réparation dans le cadre de la présente instance, cette date devant constituer le point de départ de la prescription quinquennale applicable à son action indemnitaire.
En l'espèce, le préjudice dont excipe l'appelante consiste dans la mise en oeuvre de son obligation de garant et non dans sa simple éventualité, liée à la publication des hypothèques, comme le fait valoir le Crédit Agricole. Le dommage consiste ainsi non pas en une perte de chance de ne pas contracter les engagements litigieux, mais en l'impossibilité d'y faire face.
La Cour de Cassation a ainsi jugé, dans des arrêts du 5 janvier 2022 (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325 , D. 2022. 68 ; AJDI 2022. 289, et 291 ; RTD com. 2022. 134, obs. D. Legeais ; Banque et Dr. 2022, n° 203, p. 15, obs. T. [X]) que, d'une part, l'action en responsabilité de l'emprunteur à l'encontre du prêteur pour manquement à son devoir de mise en garde se prescrit à compter du jour du premier incident de payement « permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement », et que, d'autre part, l'action en responsabilité de la caution contre le prêteur garanti, pour disproportion de son engagement, se prescrit à compter du jour de sa mise en demeure de payer les sommes dues par l'emprunteur cautionné lui permettant « d'appréhender l'existence éventuelle d'une telle disproportion » (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-18.893, D. 2022. 68 ; Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-24.436 ; Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325, D. 2022. 68).
Il convient d'observer, en outre, que la circonstance que la caution soit avertie ne saurait suffire à elle seule à faire remonter le point de départ du délai de prescription au jour de la conclusion des contrats, dès lors qu'à cette date, aucun dommage ne se trouvait encore réalisé.
Ce qui doit conduire en l'espèce la cour à situer le point de départ de la prescription au jour où les mises en demeure des 17 et 23 novembre 2017 ont été adressées par les banques à la SCI [Localité 10], comme l'ont fait les premiers juges, dont le raisonnement ne pourra donc qu'être approuvé. Aucune prescription quinquennale ne se trouvait donc acquise lors de la délivrance de l'assignation en février 2022, de sorte que la fin de non recevoir tirée de la prescription sera écartée.
III - Sur la responsabilité des banques
La SCI [Localité 10] reproche en premier lieu à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie et à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes d'avoir commis une faute en octroyant des crédits excessifs à la société [Y], à hauteur d'un montant total de 7,8 millions d'euros en 2008, auquel elle ne pouvait faire face, ce qui a conduit à la mise en oeuvre de sa caution hypothécaire. L'appelante ne précise nullement si elle entend situer cette argumentation sur un terrain délictuel ou contractuel, puisqu'elle se réfère dans ses écritures à la fois aux dispositions de l'article 1240 qu'à celles de l'article 1104 du code civil.
Force est de constater cependant que le cautionnement hypothécaire consenti par la SCI [Localité 10] ne constitue pas une sûreté personnelle engageant l'ensemble de son patrimoine, mais une sûreté réelle engageant uniquement les parcelles dont elle est propriétaire, de sorte que le caractère excessif ou non du crédit accordé au débiteur principal est indifférent dès lors qu'il ne conditionne nullement l'ampleur de la garantie, qui reste limitée en toute hypothèse aux biens hypothéqués.
Pour le même motif, le cautionnement hypothécaire ne peut en aucun cas présenter un caractère excessif ou disproportionné. Et le banquier n'est ainsi tenu, dans une telle hypothèse, d'aucune obligation de mise en garde à l'égard du constituant (voir sur ce point Cour de cassation, Com, 24 mars 2009, n008-13.034). Etant observé que la valeur des biens hypothéqués, qui sont évalués de manière unilatérale par la SCI [Localité 10] à hauteur de 2 419 000 euros, est largement inférieure en l'espèce au montant des crédits accordés par les banques à la société [Y].
Par ailleurs, le raisonnement adopté par l'appelante, consistant à opérer une comparaison entre le montant des concours octroyés en 2008 et le chiffre d'affaires annuel antérieur de la société [Y], est de toute évidence inopérant, puisqu'il est constant que les financements litigieux s'inscrivaient dans le cadre d'un investissement important réalisé par cette société, devant conduire à augmenter considérablement sa production et la qualité de ses prestations, et à lui conférer un avantage sur ses concurrents, notamment par l'acquisition d'une nouvelle ligne complète de machine de sciage, devant constituer l'outil de sciage le plus moderne de France, comme il se déduit du bilan économique et social dressé par Maître [G] le 13 juin 2017.
Du reste, le chiffre d'affaires de la société [Y] a presque doublé suite à cet investissement, puisqu'il est passé de 9 491 179 euros en 2008 à 16 687 600 eros en 2011. Aucune disproportion ne se trouve ainsi caractérisée, étant observé qu'en tout état de cause, il n'appartenait pas aux banques de substituer leur appréciation à celle des dirigeants sur l'opportunité de recourir à de tels investissements dans l'appareil productif de la société.
L'appelante reproche ensuite aux banques d'avoir manqué à leur obligation de contracter de bonne foi en :
- procédant à une présentation trompeuse des différentes sûretés garantissant les emprunts de la société [Y], de nature à lui laisser penser que sa caution hypothécaire ne pourrait être mise en oeuvre qu'en dernier lieu ;
- s'abstenant de l'informer du caractère subsidiaire de la garantie OSEO ;
- acceptant des conditions de remboursement défavorables dans le cadre du plan de sauvegarde de la société [Y].
Il convient d'observer, à titre liminaire, que la SCI [Localité 10] était une caution avertie lors de la souscription de son cautionnement hypothécaire, puisque ses dirigeants connaissaient le monde des affaires, étaient en partie communs à ceux de la société [Y] et que les deux sociétés avaient des intérêts patrimoniaux et commerciaux convergents. M. [D] [Y], gérant de la SCI, était ainsi également représentant légal, en 2008, de la société [Y].
La SCI ne pouvait dans ces conditions ignorer, lors de la souscription des prêts litigieux en 2008, qui étaient nécessaires aux investissements à réaliser, que son cautionnement hypothécaire était indispensable en ce qu'il permettait aux banques d'avoir une garantie sur les constructions objets du bail à construction qu'elle avait consenti à la société [Y]. Les financements consentis en 2008 avaient ainsi pour objet de contribuer au développement des deux entités familiales, dont le capital social était alors intégralement détenu par la famille [Y]. Et les avenants postérieurs n'ont consisté qu'en un réaménagement de ces crédits initiaux.
Par ailleurs, lors de la cession d'une partie du capital social de la société [Y], intervenue le 20 mars 2015, tant les actionnaires cédants que les actionnaires restants se sont engagés auprès du cessionnaire à ce que les garanties hypothécaires accordées par la SCI [Localité 10] soient maintenues dans leurs conditions actuelles.
Ceci étant observé, il convient de constater que si dans les actes authentiques de prêt, et les avenants sucessifs, la caution hypothécaire de l'appelante figure effectivement en dernière position dans l'énumération des garanties, après la garantie OSEO, le nantissement du fonds de commerce, et l'hypothèque conventionnelle sur les baux à construction, aucune stipulation contenue dans ces actes n'était de nature à laisser penser à la SCI [Localité 10] qu'elle ne pourrait être mobilisée qu'en dernier recours, ou qu'elle présenterait un caractère subsidiaire, ce d'autant qu'aux termes de ces actes, l'appelante, qui était une caution avertie, avait renoncé au bénéfice de discussion. La simple présentation successive des différentes garanties n'était nullement de nature à induire en erreur la SCI, en l'absence de hiérarchisation expresse contenue dans les actes.
S'agissant ensuite de la garantie OSEO, dont elle prétend qu'elle ignorait le caractère subsidiaire, la SCI [Localité 10] n'apporte aucun élément susceptible de démontrer qu'elle aurait fait de cette garantie une condition déterminante de son engagement. En outre, l'acte de caution qu'elle a régularisé stipule expressément que le prêteur pourra exercer son recours envers une seule caution sans avoir à poursuivre les autres cautions ni l'emprunteur.
L'appelante ne peut enfin faire grief aux banques d'avoir sciemment accepté des conditions défavorables de remboursement dans le cadre du plan de sauvegarde de la société [Y] Bois, devenue Neofor [Localité 7] [Y], dès lors qu'un tel plan, qui est soumis à l'approbation du tribunal de commerce, a pour objet de permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise et de favoriser ainsi le paiement de ses dettes, ne serait-ce que de manière partielle.
Les conditions de ce plan s'inscrivent nécessairement dans le cadre d'une négociation avec les créanciers et si une durée de vingt ans a été entérinée, c'est au regard de la capacité de remboursement prévisionnelle de l'entreprise. Etant observé qu'en l'espèce, il est faux de prétendre, comme le fait l'appelante, que les banques auraient consenti dans ce cadre un abandon de 47 % de leurs créances, alors qu'une clause d'Excess Cash Flow était stipulée à leur bénéfice, leur permettant de capter, dès 2022, une partie de l'éventuel excédent de trésorerie de la société.
Il est en outre difficile de concevoir quel aurait été l'intérêt du Crédit Agricole et de la Banque Populaire à accepter sciemment des conditions de remboursement défavorables, alors que le cautionnement hypothécaire de la SCI [Localité 10] ne couvrait que partiellement le montant de leurs créances.
En tout état de cause, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, les banques ne sont tenues d'aucune obligation de préservation du patrimoine de la caution hypothécaire.
Aucune faute ou manquement contractuel des banques ne se trouvant ainsi caractérisés, la SCI [Localité 10] ne pourra qu'être déboutée des prétentions indemnitaires qu'elle forme à leur encontre.
IV - Sur la responsabilité du notaire
Il est de jurisprudence constante que le notaire est tenu d'un devoir de conseil au titre duquel il doit notamment fournir aux parties toute information leur permettant d'appréhender la nature ainsi que la portée de leurs engagements. Le manquement à ce devoir de conseil est sanctionné sur le terrain délictuel.
La SCI [Localité 10] reproche à Maître [A] [R] [T] et à la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] et Vincent Martin notaires associés :
- de ne pas l'avoir informée sur la nature de son engagement hypothécaire et mis en garde sur les risques de perte de son patrimoine et donc de disparition de son objet social;
- d'avoir présenté de manière trompeuse l'ordre des différentes sûretés consenties pour garantir les emprunts ;
- de ne pas l'avoir informée sur le caractère subsidiaire de la garantie OSEO.
Cependant, comme il a été précédemment exposé, l'appelante était une caution avertie, qui avait parfaitement conscience de la nature des engagements qu'elle souscrivait, lesquels étaient indispensables au développement de la société [Y] Bois, dont le capital social était également détenu par la même famille.
Elle ne saurait dans ces conditions faire grief au notaire de ne pas lui avoir expliqué plus en détail le fonctionnement d'une caution hypothécaire, étant observé qu'elle ne précise nullement quelles auraient été exactement les informations dont elle n'aurait pas disposé lors de la souscription de son engagement.
L'argumentation qui est exposée par ailleurs par la SCI [Localité 10], selon laquelle elle n'aurait pas maintenu ses engagements suite à la cession de capital de 2015 si elle avait été mieux informée, apparaît en outre manifestement dénuée de la moindre pertinence, puisqu'elle ne pouvait nullement révoquer sa caution de manière unilatérale et que ses associés, par ailleurs actionnaires de la société [Y] Bois, s'étaient engagés expressément en 2015 au profit de leur cessionnaire à ce que cet engagement hypothécaire soit maintenu.
Il convient d'observer, en outre, que le notaire n'est nullement tenu d'une obligation de conseil et de mise en garde concernant l'opportunité économique de l'opération qui lui est soumise par les parties, et qu'aucune contrariété de la caution hypothécaire avec l'objet social de la SCI ne se trouve caractérisée, dès lors que la souscription d'une telle sûreté au profit de sa locataire pouvait parfaitement relever des 'opérations immobilières ou financières' prévues dans ses statuts.
Enfin, comme il a été précédemment exposé, les actes notariés ne contiennent aucune présentation trompeuse des différentes garanties, et l'appelante ne démontre nullement qu'elle aurait fait de la garantie OSEO une condition déterminante de son engagement, ce qui aurait imposé d'introduire dans les actes une quelconque stipulation particulière de ce chef.
Aucune faute du notaire ne se trouve ainsi caractérisée.
A titre surabondant, il sera relevé que les préjudices dont excipe la SCI [Localité 10] ne présentent pas de caractère actuel et certain, dans la mesure où elle reste à ce jour propriétaire des parcelles hypothéquées et qu'elle continue à percevoir des loyers.
Les demandes indemnitaires formées à l'encontre de Maître [A] [R] [T] et de la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] et Vincent Martin notaires associés seront donc rejetées.
V - Sur la réduction de la sûreté
La SCI [Localité 10] sollicite à titre subsidiaire la réduction de la sûreté qu'elle a consentie, sur le fondement de l'article L 650-1 du code de commerce, dont le contenu est le suivant :
'Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge'.
Ce texte ne peut cependant trouver application en l'espèce, dès lors qu'aucune responsabilité des créanciers n'a été reconnue. L'appelante ne pourra donc qu'être déboutée de cette demande.
VI - Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
Maître [A] [R] [T] réclame une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. Elle ne fait cependant état d'aucun élément qui serait susceptible de caractériser la mauvaise foi, l'intention de nuire ou la légèreté grossière équipollente au dol des appelantes, qui ferait dégénérer en faute leur droit d'agir en justice. Elle sera donc déboutée de ce chef de demande.
VII - Sur les mesures accessoires
En tant que parties perdantes, les appelantes seront condamnées in solidum aux entiers dépens d'appel, avec distraction au profit de la Selurl Bollonjeon, ainsi qu'à payer aux intimées la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en seconde instance.
La demande formée à ce titre par les appelantes sera par contre rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à payer à la société Caisse Regionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à payer à la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] à payer à la SCP Yves Martin [A] [R]-[T] et Vincent Martin et Maître [A] [R] [T] la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande formée à ce titre par la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] ;
Condamne in solidum la SCI [Localité 10], Mme [O] [B] et Mme [S] [U] aux dépens exposés en cause d'appel, avec distraction au profit de la Selurl Bollonjeon.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 28 mai 2024
à
Me Clarisse DORMEVAL
la SELARL BOLLONJEON
la SCP BREMANT GOJON GLESSINGER SAJOUS
la SELARL F.D.A
Copie exécutoire délivrée le 28 mai 2024
à
la SELARL BOLLONJEON
la SCP BREMANT GOJON GLESSINGER SAJOUS
la SELARL F.D.A