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21/05/2024 | FRANCE | N°21/02112

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 21 mai 2024, 21/02112


GS/SL





COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 21 Mai 2024





N° RG 21/02112 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G2S5



Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 30 Septembre 2021







Appelante





S.A.S. JS INVEST, dont le siège social est situé [Adresse 1]



Représentée par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée p

ar la SELARL LETANG AVOCATS, avocats plaidants au barreau de PARIS









Intimés





Mme [J] [W], demeurant [Adresse 8]



M. [S] [X], demeurant [Adresse 6]



Représentés par la SCP MILLIAND - ...

GS/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 21 Mai 2024

N° RG 21/02112 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G2S5

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 30 Septembre 2021

Appelante

S.A.S. JS INVEST, dont le siège social est situé [Adresse 1]

Représentée par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELARL LETANG AVOCATS, avocats plaidants au barreau de PARIS

Intimés

Mme [J] [W], demeurant [Adresse 8]

M. [S] [X], demeurant [Adresse 6]

Représentés par la SCP MILLIAND - DUMOLARD - THILL, avocats au barreau de CHAMBERY

M. [U] [I]

né le 08 Novembre 1968 à [Localité 11], demeurant [Adresse 2]

E.U.R.L. MMO, demeurant [Adresse 5]

Représentés par la SCP BESSAULT MADJERI SAINT-ANDRE, avocats au barreau de CHAMBERY

S.A.R.L. ISAGEO, dont le siège social est situé [Adresse 7]

Représentée par la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de PARIS

S.A.R.L. DIAGONALES ARCHITECTURE, dont le siège social est situé [Adresse 12]

Représentée par la SELARL MLB AVOCATS, avocats au barreau de CHAMBERY

SMABTP TRAVAUX PUBLICS - SMABTP -, dont le siège social est situé [Adresse 9]

Représentée par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par Me Marie-laure CARRIERE, avocat plaidant au barreau de PARIS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 15 Janvier 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 février 2024

Date de mise à disposition : 21 mai 2024

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et procédure

Au courant de l'année 2009, la société JS Invest (Sas) a entrepris, en qualité de maître d'ouvrage, la rénovation d'un bâtiment abritant un ancien karting, situé [Adresse 13] à [Localité 15], afin de créer un ensemble commercial de 5 000 m2 de surface de vente et un parc de stationnement de 147 places.

Sont notamment intervenus à la construction :

- M. [S] [X], du cabinet [X] et [B] en qualité de géologue consultant,

- Le cabinet Peronnier, aux droits duquel vient la société Isageo, en qualité de géomètre-expert, investi d'une mission de conception et réalisation des VRD et du parc de stationnement,

- M. [U] [I], exerçant sous l'enseigne MMO, chargé de la maîtrise d''uvre,

- La société Diagonales Architecture, chargée d'une mission de conception comprenant l'établissement et le dépôt du permis de construire.

Par requête en date du 28 août 2009, la société JS Invest a sollicité la délivrance d'un permis de construire, qui lui a été accordé par le maire de la commune le 10 mars 2010, puis prorogé par arrêté du 30 novembre 2012.

Les travaux de construction ont débuté dans le courant de l'année 2012.

Par courrier du 13 février 2013, la direction départementale des territoires de la Savoie a informé la société JS Invest que la création du parc de stationnement sur les parcelles cadastrées section AI [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 10] entraînerait la destruction de la zone humide de [Localité 14] et qu'elle devait déposer un dossier loi sur l'eau avant toute réalisation des travaux et notamment prévoir des mesures de compensation.

La société JS Invest a confié au bureau d'études Ecospheres la mission de faire réaliser une expertise relative à la zone humide en question, qui a confirmé son existence. Le maître d'ouvrage a ensuite sollicité un permis de construire modificatif et déposé un dossier au titre de la loi sur l'eau auprès de la préfecture de la Savoie.

Le chantier de construction a été arrêté.

La société créée de fait [X] Et [B] a cessé toute activité à compter du 30 septembre 2012 et par ordonnance en date du 21 octobre 2015, Madame [J] [W] a été désignée comme mandataire ad hoc par le Président du tribunal de grande instance de Chambéry.

Suivant exploit d'huissier du 13 janvier 2016, la société JS Invest, estimant notamment que ses contractants auraient manqué à leur devoir de conseil en s'abstenant de l'aterter sur la présence d'une zone humide, a fait assigner la Sarl Isageo, venant aux droits du cabinet Peronnier, et la société créée de fait [X] et [B] représentée par M. [J] [W], ès qualités de mandataire ad hoc, devant le tribunal de grande instance de Chambéry afin d'obtenir la réparation de ses préjudices.

Ont ensuite successivement été appelées en la cause :

- la société Diagonales Architecture par acte d'huissier du 31 mai 2016 délivré par la société Isageo ;

- la société SMABTP par acte d'huissier du 19 avril 2016 délivré par son assurée, la société créée de fait [X] Et [B];

- la société MMO (Eurl) par acte d'huissier du 7 décembre 2016 délivré par la société Diagonales Architecture ;

- la société MMO (Sarl) et M. [S] [X] par acte d'huissier du 16 janvier 2018, délivré par la société JS Invest.

Ces instances ont toutes été jointes.

Par jugement en date du 30 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Chambéry a :

- déclaré irrecevable l'action de la société JS Invest à l'encontre de la société créée de fait [X] Et [B] représentée par M. [J] [W], ès qualités de mandataire ad hoc ;

- débouté la société JS Invest de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société JS Invest à payer à M. [X] et la société créée de fait [X] Et [B] représentée par Mme [J] [W], ès qualités de mandataire ad hoc la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société JS Invest à payer à l'EURL MMO la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société JS Invest à la SMABTP, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société JS Invest à payer à la société Isageo, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société JS Invest à payer à la société Diagonales Architecture, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société JS Invest de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société JS Invest aux entiers dépens de l'instance ;

- accordé à Me Cambet et la SCP Bessault Madjeri Saint-André le bénéfice des disposition de l'article 699 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.

Au visa principalement des motifs suivants :

le cabinet [X] Et [B] est une société créée de fait, qui n'a jamais été au registre du commerce et des sociétés, dès lors, elle ne dispose pas de la personnalité morale ;

la société JS Invest invoque et allègue des manquements contractuels mais ne démontre pas en quoi les différentes sociétés concernées étaient tenues aux obligations contractuelles qu'elle invoque ;

faute pour la société JS Invest de démontrer les obligations auxquelles étaient soumis les défendeurs, le tribunal n'est pas en mesure de déterminer si l'absence d'identification de la zone humide procède d'une faute simple ou conjointe d'un ou de plusieurs défendeurs à l'action.

Par déclaration au greffe du 25 octobre 2021, la société JS Invest a interjeté appel de cette décision en toute ses dispositions, hormis en ce qu'elle a :

- accordé à Me Cambet et la SCP Bessault Madjeri Saint-André le bénéfice des disposition de l'article 699 du code de procédure civile ;

- ait n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières écritures du 15 décembre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société JS Invest demande à la cour de réformer le jugement du 30 septembre 2021 n° RG 16/00169 en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- la déclarer recevable et bien fondée en sa demande ;

Avant dire droit,

- désigner tel expert qu'il plaira à votre Cour avec la mission suivante :

- conforter la Cour de céans quant aux contours de la mission d'un hydrogéologue, d'un géomètre et d'un bureau d'étude s'agissant de l'identification d'une zone humide et de l'information devant être portée à la connaissance du maître d'ouvrage les ayant saisis ;

- recueillir les explications des parties, prendre connaissance de tous les documents de la cause, les inventorier et le cas échéant entendre tout sachant ;

- donner tous les éléments d'ordre techniques et se prononcer sur les manquements des intervenants aux règles contractuelles et règles de l'art ;

- donner son avis sur son préjudice du fait des manquements commis par ses cocontractants dans le cadre de la mission qui leur a été confiée ;

- donner à la Cour tous les éléments lui paraissant nécessaires aux fins d'apprécier les préjudices qu'elle a subis, proposer une évaluation chiffrée de ces préjudices ;

En tout état de cause,

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 9 700 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts en raison des frais engagés pour recourir à un cabinet d'études aux fins d'une expertise relative à la zone humide de [Localité 14], étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 7 500 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts en raison des frais de constitution d'un dossier de demande de permis de construire modificatif, étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 1 376.814,06 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts pour la réalisation d'une expertise en estimation immobilière et foncière, pour la perte de chance de donner à bail les locaux objets du permis de construire ainsi que le paiement des charges de copropriété et la taxe foncière qu'elle a supportés, étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 10 239,29 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts en raison des frais de procédure et d'expertises, étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 56 960,59 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts pour les frais financiers de banque supportés, étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 20 000 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts pour le remboursement des mesures compensatoires relatives à la destruction de la zone humide payée au CISALB, étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 23 622,38 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts pour les frais de conseils juridiques, étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 12 315 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts correspondant aux honoraires versés à ces professionnels, étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 25 000 euros hors taxes au titre des frais avancés pour la remise en état du terrain, étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 3 794 euros hors taxes au titre des sommes payées au bureau Veritas pour ses interventions supplémentaires, étant entendu que cette somme sera augmentée du taux d'intérêt légal à compter des mises en demeure opérées par lettre en date des 9 novembre 2015 et 17 juillet 2017 ;

- débouter l'ensemble des parties intimées de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions à son encontre ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum M. [I] - la société MMO, le cabinet Isageo ' venant aux droits du Cabinet Peronnier et M. [S] [X] ' société [X] et [B] ' aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Mme Dormeval, avocat, sur son affirmation de droit.

Au soutien de ses prétentions, la société JS Invest fait valoir notamment que :

si la société [X] et [B] est une société créée de fait, ses associés, qui agissent comme tel au vu et au su des tiers, sont indéfiniment engagés sur leur patrimoine personnel avec solidarité si la société est commerciale, de sorte qu'elle est fondée à agir à l'encontre de M. [S] [X] à titre personnel ;

la demande d'expertise qu'elle forme avant dire droit est parfaitement recevable, conformément aux articles 563 et 564 du code de procédure civile ;

aucun des professionnels n'a attiré son attention sur la présence d'une zone humide sur une partie de son terrain et des conséquences de cet état de fait en termes réglementaires et financiers sur son projet au titre des devoirs de conseil respectifs dont ils étaient débiteurs envers elle ;

M. [X] a ainsi été défaillant dans la mission qui lui a été confiée puisqu'il n'a pas tiré la conséquence de son étude d'hydrogéologie manquant tant à ses obligations contractuelles qu'à son devoir général d'information et de conseil ;

le cabinet Isageo était tenu au titre de son devoir de conseil de l'alerter sur la spécificité des parcelles du projet et les conséquences y découlant pour lui permettre de prévoir la réalisation d'une étude au titre de la loi sur l'eau ;

la société MMO n'a mis en évidence aucune particularité attenante au sol du site du projet s'agissant des contraintes hydrogéologiques et réglementaires sur le terrain d'assiette du projet et a donc failli à son obligation de conseil et d'information.

Par dernières écritures du 1er août 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [J] [W], ès qualités de mandataire de la société [X] et [B], et M. [X] demande quant à eux à la cour de :

- dire et juger irrecevable et mal-fondé l'appel interjeté l'appel par la société JS Invest ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry du 30 septembre 2021, notamment en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la société JS Invest à l'encontre de la société créée de fait [X] Et [B] représentée par Mme [J] [W] ;

- dire et juger irrecevable la demande nouvelle d'expertise formulée au fond par la société JS Invest ;

- dire et juger irrecevable l'action de la société JS Invest à l'encontre de la société [X] Et [B] et de Mme [J] [W] ès qualités ;

- débouter la société JS Invest de l'ensemble de ses demandes ;

- débouter la société Diagonales Architecture de sa demande de condamnation in solidum à l'encontre du cabinet [X] & [B] et de M. [I] exerçant sous l'enseigne MMO à la relever et garantir contre les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

- à titre subsidiaire, dire que M. [X], et au besoin la société [X] Et [B], sera relevé et garanti de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre par son assureur, la compagnie SMABTP ;

- condamner la société JS Invest à leur payer la somme complémentaire de 4 000 euros chacun, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'appelant aux dépens.

Au soutien de leurs prétentions, Mme [J] [W], ès qualités de mandataire de la société [X] et [B], et M. [X] font valoir notamment que :

la société créée de fait [X] [S] et [B] [Z], qui n'a jamais été inscrite au registre du commerce et des sociétés, ne possède pas de personnalité juridique et ne peut dès lors pas ester en justice en demande et en défense ;

à aucun moment le Cabinet [X] Et [B] n'a reçu pour mission de procéder à des investigations sur le plan administratif ou au regard des règles d'urbanisme ou d'environnement ;

elle a eu pour seule mission d'effectuer une étude permettant de connaître les caractéristiques physiques du sol concernant la géologie et l'hydrogéologie et à ce titre elle n'a commis aucune faute dans l'accomplissement de sa mission ;

la société JS Invest était accompagnée du Cabinet Peronnier qui avait précisément comme mission d'analyser les contraintes liées au PPRI et à l'urbanisme, ainsi que d'un architecte et d'un maître d''uvre d'exécution.

Dans ses dernières conclusions du 19 avril 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société MMO et M. [I] demande à la présente juridiction de :

À titre principal,

- dire et juger mal fondé l'appel de la société JS Invest à l'encontre de M. [I] gérant de la société MMO ;

- le rejeter ;

- dire et juger mal fondé l'appel de la société JS Invest à l'encontre de la société MMO ;

- le rejeter ;

- confirmer le jugement du 30 septembre 2021 en toutes ses dispositions ;

- rejeter les demandes de la société JS Invest, ou de toutes autres parties à la procédure, présentées à leur encontre ;

- condamner la société JS Invest à leur payer la somme de 5 000 euros chacun par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;

- condamner la société JS Invest aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Bessault Madjeri Saint-André par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

À titre subsidiaire, si la Cour entendait réformer le jugement en tout ou partie,

Avant dire droit sur la demande d'expertise,

- dire et juger nouvelle en cause d'appel la demande d'expertise judiciaire ;

En conséquence,

- la juger irrecevable et la rejeter ;

Subsidiairement,

- la juger mal fondée et la rejeter également ;

Sur le fond,

- dire et juger mal fondé l'appel de la société JS Invest à l'encontre de M. [I] gérant de la société MMO qui n'a pas contracté à titre individuel avec la société JS Invest ;

- rejeter toutes les demandes qui seraient présentées contre lui par la société JS Invest, ou par toutes autres parties à la procédure ;

- dire et juger mal fondé l'appel de la société JS Invest à l'encontre de la société MMO ;

- dire et juger que la responsabilité de la société MMO ne peut être engagée au titre du prétendu préjudice subi par la société JS Invest du fait de l'absence de preuve d'une quelconque faute et d'un quelconque lien de causalité entre la faute et le prétendu préjudice ;

En conséquence,

- dire et juger mal fondées les demandes de la société JS Invest ;

- rejeter toutes demandes de condamnation présentées à l'encontre de la société MMO que ce soit par la société JS Invest à titre principal ou, à titre récursoire, par l'une quelconque des parties à la présente procédure ;

À titre subsidiaire également, si la Cour devait retenir l'existence d'une faute établie à l'égard de la société MMO et d'un lien de causalité avec le prétendu préjudice de la société JS Invest,

- dire et juger que la société JS Invest n'établit pas la réalité de la perte de chance dont elle se prévaut pour solliciter un préjudice lié à un défaut d'exploitation ;

- dire et juger que la société JS Invest réclame des sommes qu'elle aurait dû de toute façon acquitter au titre de la découverte de la zone humide en phase conception ;

- dire et juger que le rapport technique et financier du Cabinet Berthier, réalisé unilatéralement à la seule demande de la société JS Invest, est inopposable à la société MMO ;

- dire et juger que la société JS Invest n'établit en aucune façon la réalité de son préjudice ;

- dire et juger que ses demandes financières, quelles qu'elles soient, sont toutes mal fondées ;

En conséquence,

- rejeter les demandes de la société JS Invest dans leur intégralité ;

Subsidiairement, si la Cour devait condamner la société MMO au profit de la société JS Invest pour quelle que somme que ce soit,

- dire et juger recevable et bien fondée la demande récursoire de la société MMO à l'encontre des autres constructeurs concernés, le Cabinet [X] [B], M. [X], la société Isageo, la société Diagonales Architecture et la SMABTP, en sa qualité d'assureur du Cabinet [X] [B] et de M. [S] [X] ;

En conséquence,

- condamner le Cabinet [X] [B], M. [X], la société Isageo, la société Diagonales Architecture et la SMABTP, en sa qualité d'assureur du Cabinet [X] [B] et de M. [S] [X] à relever et à garantir la société MMO, selon les proportions qui seraient établies par la juridiction, pour toutes condamnations qui seraient mises à sa charge et au profit de la société JS Invest, en principal, intérêts, frais, accessoires et dépens ;

Dans tous les cas,

- condamner la société JS Invest à leur payer la somme de 5 000 euros chacun par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;

- condamner la société JS Invest aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Bessault Madjeri Saint-André par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, la société MMO et M. [I] font valoir notamment que:

M. [I] gérant de la société MMO n'a jamais contracté à titre individuel avec la société JS Invest ;

la demande d'expertise est nouvelle en cause d'appel et est mal fondée car elle a pour seul objet de pallier la carence probatoire de la requérante ;

la société JS Invest se contente de soutenir que la société MMO aurait dû la prévenir de l'existence d'une zone humide sans apporter la preuve de l'existence de cette obligation ;

la société MMO est intervenue bien après la conception du projet de construction mis en 'uvre par la société JS Invest et seulement pour des missions très précises en relation avec la seule exécution des travaux de VRD ;

sa mission de suivi d'exécution n'a pu commencer qu'au lancement des travaux, dès lors la société MMO n'aurait pu s'apercevoir de l'existence de la zone humide que dans la même période où le maître d'ouvrage en a été informé par la préfecture ;

la recherche et la détermination de l'existence potentielle d'une zone humide relevaient nécessairement des constructeurs chargés de la conception du projet.

Dans ses dernières écritures du 12 août 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Isageo demande quant à elle à la cour de :

A titre principal,

- déclarer la demande tendant à l'obtention d'une expertise irrecevable ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 septembre 2021 par le tribunal judicaire de Chambéry ;

- constater l'absence de faute du cabinet Isageo et de préjudice indemnisable tel que revendiqué par JS Invest ;

- débouter en conséquence la société JS Invest de l'ensemble de ses demandes formulées à son encontre ;

A titre subsidiaire,

- réduire les demandes indemnitaires de la société JS Invest au titre de son préjudice à de plus justes proportions ;

- condamner solidairement le cabinet Diagonales, M. [I], et la société MMO à la relever indemne de toute condamnation à son encontre ;

En tout état de cause,

- condamner tout succombant au paiement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Mme Cambet qui justifie en avoir fait l'avance dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la société Isageo fait valoir notamment que :

la société JS Invest ne démontre l'existence d'aucun fait nouveau pouvant justifier la demande d'expertise à hauteur d'appel ;

sa mission se limitait à la conception des VRD et du parc de stationnement et n'avait aucun lien avec la recherche d'une zone humide sur le terrain concerné par les travaux, qui tend à la préservation d'un écosystème ;

elle a été missionnée uniquement en tant que bureau d'étude technique et n'avait pas vocation à analyser les contraintes environnementales existantes sur le site ;

elle a été sollicitée en qualité de géomètre expert, notamment pour analyser les contraintes géotechniques (portabilité) et géologiques (imperméabilité) du terrain de construction ;

le préjudice allégué par la société JS Invest est manifestement surévalué.

Aux termes de ses dernières écritures du 21 décembre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Diagonales Architecture demande à la présente juridiction de :

- constater que la demande d'expertise constitue une demande nouvelle en appel et partant irrecevable ;

- débouter la société JS Invest de sa demande de ce chef ;

Pour le surplus,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 30 septembre 2021 sauf à lui allouer une indemnité supplémentaire destinée à compenser ses frais de défense devant la Cour ;

- lui donner acte de ce qu'aucune demande n'est formée à son encontre par la société JS Invest ;

- constater que la société Isageo ne rapporte pas la preuve de ce que les conditions de la responsabilité délictuelle seraient réunies à son encontre ;

- constater en effet que la mission qui lui a été confiée était limitée à l'établissement et au dépôt du dossier de permis de construire et qu'en outre, elle est intervenue à la suite du cabinet [X] [B] et de la société Isageo, lesquels se devaient de lui remettre les documents nécessaires pour l'établissement du dossier de permis de construire ;

- dire et juger que la société Isageo avait notamment pour mission l'analyse des contraintes liées à l'urbanisme et aurait dû dans ce cadre, rechercher l'existence d'une éventuelle zone humide, au regard notamment de la nature des sols ;

- dire et juger que la société Isageo ne rapporte pas la preuve d'une quelconque faute à son encontre ;

En conséquence,

- débouter la société Isageo de ses demandes à son encontre ;

Subsidiairement,

- débouter la société JS Invest de ses demandes dès lors que le lien de causalité entre les sommes qu'elles sollicite à titre d'indemnisation et la découverte tardive de la zone humide et des incidences que cela a pu avoir sur son projet n'est pas établi ;

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner M. [I] exerçant sous l'enseigne MMO in solidum avec le cabinet [X] Et [B] à la relever et garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre à la demande de la société Cabinet Isageo ;

- condamner la JS Invest ou tout autre succombant à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SELARL Mlb Avocats- Mme [N] en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la société Diagonales Architecture fait valoir notamment que :

aucune demande n'est formée par la société JS Invest à son encontre ;

la société JS Invest ne rapporte pas la preuve de la nécessité de voir ordonner en appel une mesure d'instruction, cette demande visant manifestement à pallier sa carence probatoire;

la demande d'expertise s'analyse en une prétention nouvelle, qui est irrecevable ;

les documents d'urbanisme qui lui ont été communiqués dans le cadre de l'établissement du dossier de permis de construire initial ne comportaient aucune mention relative à l'existence d'une zone humide ;

elle n'avait d'autre obligation que de vérifier la faisabilité du projet par rapport aux règles d'urbanisme ;

elle n'avait pas de mission de suivi de chantier et ne pouvait donc découvrir l'existence de cet écosystème en cours de chantier ;

la société Isageo aurait dû faire une analyse plus approfondie des documents d'urbanisme afin de vérifier l'existence de cette zone et ce d'autant qu'elle avait effectivement dans son rapport relevé le caractère marécageux du terrain ;

il n'est pas démontré de lien de causalité entre la découverte de la zone humide sur le site et les préjudices dont se prévaut la société JS Invest.

Dans ses dernières écritures du 19 juillet 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société SMABTP demande quant à elle à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en ses conclusions ;

- confirmer le jugement rendu le 30 septembre 2021 en toutes ses dispositions ;

- constater que la demande d'expertise constitue, au sens de l'article 564 du code de procédure civile, une nouvelle prétention et la declarer irrecevable ;

En tout état de cause,

- débouter la société JS Invest de sa demande de désignation d'un expert judiciaire avant dire-droit ;

- dire et juger que la problématique de la « zone humide » et du dossier de la loi sur l'eau n'entre pas dans la sphère d'intervention du cabinet [X] Et [B], qui était circonscrite à la géotechnique ;

- dire et juger que le cabinet [X] Et [B] n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses strictes obligations dans le cadre de la mission confiée, de nature à engager sa responsabilité contractuelle ou quasi délictuelle ;

- débouter en conséquence purement et simplement la société JS Invest ou toute autre partie de leurs demandes en tant que dirigées à son encontre en sa qualité d'assureur du cabinet [X] Et [B] ;

- condamner in solidum Isageo, venant aux droits du cabinet Peronnier, Diagonales Architecture, ainsi que M. [I] et l'EURL Mmo à la relever et garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre en principal, intérêts, dommages et intérêts, frais et accessoires ;

- juger qu'en sa qualité d'assureur de la société [X] Et [B], elle ne peut être tenue que dans les limites du contrat d'assurance souscrit et est fondée à opposer aux tiers ses limites de garantie, ainsi que le montant de la franchise contractuelle ;

- condamner toute partie déclarée responsable à lui verser une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner tout succombant aux entiers dépens avec application pour ceux d'appel des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Mme Bollonjeon, avocat.

Au soutien de ses prétentions, la société SMABTP fait valoir notamment que :

aucun fait nouveau ne justifie la demande d'expertise formée par la société JS Invest pour la première fois en cause d'appel ;

l'existence d'une « zone humide » n'entre aucunement dans la sphère d'intervention du cabinet [X] Et [B], bureau d'études géotechniques ;

ce bureau d'études géotechniques, débiteur d'une obligation de moyens, a bien mis en évidence le site marécageux, élément de nature à éclairer les concepteurs sur le contexte hydrologique du site ;

il n'appartenait pas au cabinet [X] Et [B] de se préoccuper de l'environnement et d'établir le dossier de loi sur l'eau, de telles prestations sortant de sa sphère d'intervention et de compétence ;

la question environnementale n'entre pas dans la sphère d'intervention du géotechnicien dès lors aucun devoir de conseil à ce titre ne peut être mis à sa charge ;

les différentes demandes d'indemnisation de la société JS Invest ne sont pas fondées.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 15 janvier 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 13 février 2024.

Motifs de la décision

I - Sur la recevabilité des demandes formées à l'encontre de la société créée de fait [X] et [B]

Il est de jurisprudence constante que, comme l'ont constaté les premiers juges, une société créée de fait est dépourvue de la personnalité morale et ne peut ainsi être attraite en justice (voir sur ce point notamment : Cour de cassation, chambre commerciale, 4 juillet 2006, n°04-16. 578).

La société JS Invest a interjeté appel du jugement rendu le 30 septembre 2021 en ce qu'il a, pour ce motif, déclaré irrecevable l'action qu'elle a engagée à l'encontre de la société créée de fait [X] et [B], mais elle ne développe, dans ses dernières écritures, aucune argumentation tendant à remettre en cause cette irrecevabilité. Pour autant, la société JS Invest maintient dans le dispositif de ses écritures des demandes en paiement qui sont dirigées contre 'la société [X] et [B]'.

L'appelante conclut de fait uniquement à la recevabilité des prétentions qu'elle forme à l'encontre de M. [S] [X], sur le fondement des dispositions combinées des articles 1872-1 et 1873 du code civil, en tant qu'associé du cabinet et signataire du contrat. Or, la recevabilité des demandes formées à l'encontre de M. [X] n'est pas contestée par ce dernier.

Le jugement entrepris devra donc être confirmé sur ce point.

II - Sur la demande d'expertise

La société JS Invest demande à la présente juridiction d'ordonner une expertise ayant notamment pour objet de délimiter les contours des missions qu'elle a respectivement confiées à chacun des intervenants qu'elle a fait assigner en responsabilité contractuelle s'agissant de l'identification d'une zone humide, et de proposer une évaluation chiffrée de ces préjudices.

Les sociétés défenderesses estiment qu'une telle demande, qui est formée pour la première fois en cause d'appel, constituerait une prétention nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile et serait à ce titre irrecevable. Cependant, l'article 563 du même code permet aux parties d'invoquer des moyens nouveaux, de produire de nouvelles pièces, ou de proposer de nouvelles preuves pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge.

Or, en l'espèce, la demande d'expertise qui est formée par l'appelante a une vocation probatoire, et tend effectivement à justifier ses prétentions initiales tendant à voir engager la responsabilité contractuelle des sociétés qu'elle a fait assigner dans le cadre de la présente instance. Du reste, elle doit nécessairement être analysée comme constituant l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de ses prétentions initiales, au sens de l'article 566 du code de procédure civile.

La demande d'expertise formée avant dire droit par la société Js Invest ne pourra ainsi qu'être déclarée recevable.

Pour autant, conformément aux dispositions de l'article 146 alinéa 2 du code de procédure civile, une telle mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration d'une preuve dont la charge lui incombe. Or, en l'espèce, la cour ne peut que constater que l'expertise qui est sollicitée par la société Js Invest, en ce qu'elle tend à cerner les contours des obligations de chacun de ses contractants, ne recouvre en réalité aucune investigation technique qui pourrait être confiée à un expert, mais consisterait à déléguer à un tiers une analyse purement juridique qui ressort nécessairement des attributions de la présente juridiction.

Par ailleurs, en dehors de ses allégations, non justifiées, sur des démarches qu'elle prétend avoir entreprises et qui n'auraient pu aboutir auprès des différents professionnels des secteurs concernés, l'appelante n'apporte aucun élément susceptible de démontrer qu'elle se trouverait dans l'impossibilité de rapporter la preuve des manquements contractuels qu'elle impute à chacun des intervenants à l'acte de construire qu'elle a mandatés en définissant au préalable le contenu de leurs obligations respectives.

La mesure d'expertise qu'elle sollicite avant dire droit de ce chef ne tend ainsi, en réalité, qu'à suppléer sa carence probatoire. En outre, l'évaluation de ses préjudices se trouve subordonnée à la démonstration préalable de leur existence ainsi que de leur lien de causalité avec des manquements contractuels des défendeurs. Or, cette démonstration préalable lui incombe.

Cette demande ne pourra en conséquence être accueillie.

III - Sur la responsabilité contractuelle de M. [X], de la Sarl Isageo et de l'Eurl MMO

Aux termes de l'article 1147 ancien du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable compte tenu de la date de signature des contrats litigieux, 'le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit en raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexcéution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part'.

Il appartient à celui qui agit en responsabilité contractuelle de rapporter la preuve d'un manquement de son contractant à ses obligations, qui lui aurait causé un préjudice.

S'il est par ailleurs de jurisprudence constante que tout professionnel de la construction est tenu, avant réception, d'une obligation de conseil envers le maître de l'ouvrage, il appartient néanmoins à ce dernier de démontrer que l'obligation de conseil dont il excipe du non-respect serait intervenue dans le domaine de spécialité de son contractant.

En l'espèce, la société JS Invest reproche aux professionnels dont elle s'est entourée afin d'apprécier la faisabilité technique et financière de son projet de reconversion du bâtiment dont elle était propriétaire à [Localité 15] de ne pas avoir attiré son attention sur la présence d'une zone humide située sur une partie de son terrain, ainsi que sur l'impact qu'elle pouvait avoir sur son projet. Elle indique avoir ainsi été contrainte d'arrêter ses travaux après avoir été informée par la direction départementale des territoires de la Savoie, le 13 février 2013, de ce que la création du parc de stationnement sur les parcelles cadastrées section AI [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 10] entraînerait la destruction de la zone humide de [Localité 14] et qu'elle devait déposer un dossier loi sur l'eau avant toute réalisation des travaux et notamment prévoir des mesures de compensation.

Il convient d'examiner successivement les manquements contractuels qui sont ainsi imputés à chacun des intervenants, à savoir :

- M. [S] [X], mandaté en qualité de géologue consultant;

- le cabinet Peronnier, aux droits duquel vient la société Isageo, mandaté en qualité de géomètre-expert, investi d'une mission de conception et réalisation des VRD et du parc de stationnement;

- la société MMO, chargée de la maîtrise d''uvre.

Etant observé que l'appelante ne forme aucune demande à l'encontre de la société Diagonales Architecture, qui était chargée d'une mission de conception comprenant l'établissement et le dépôt du permis de construire, et que la responsabilité de cette dernière n'est recherchée qu'à titre subsidiaire, sur le terrain délictuel, par les autres intervenants.

1) Sur les manquements imputés à M. [S] [X]

Le contrat liant les parties, daté du 5 juin 2009, a confié à M. [S] [X] la réalisation d'une étude géologique et géotechnique de faisabilité ou préalable de site missions GO, G11 et G12, ainsi qu'une étude hydrogéologique comportant divers sondages (mission G0) sur les parcelles sur lesquelles devait être implanté le parc de stationnement, outre une étude hydrogéologique relative au traitement des eaux pluviales.

Il se déduit de la norme NF P 94-500 du 5 juin 2000 relative aux missions géotechniques qui a été révisée le 5 décembre 2006, et qui est versée aux débats par la SMABTP, assureur du cabinet [X], que l'étude préalable G12 qui a été réalisée en l'espèce avait pour objet de contribuer à la mise au point de l'avant-projet en émettant des hypothèses géotechniques et des principes généraux de construction envisageables pour les ouvrages géotechniques.

M. [X] a indiqué dans son rapport que le site était marécageux et contenait une nappe phréatique quasiment affleurante en hautes eaux et une nappe profonde en charge. La société JS Invest lui reproche de ne pas avoir tiré les conséquences juridiques de ses constatations en ne s'assurant pas de la présence d'une zone humide, alors que la configuration technique du terrain le laissait présumer, et de ne pas avoir attiré son attention sur la nécessité subséquente de déposer dossier relatif à la 'loi sur l'eau' du 3 janvier 1992, dès lors qu'il existait un risque d'atteinte à une zone humide.

Il convient cependant d'observer qu'à aucun moment le cabinet [X] et [B] ne s'est vu confier une mission consistant à procéder à des investigations sur le plan administratif au regard des règles du droit de l'environnement régissant la zone concernée. L'étude qui lui a été confiée consistait uniquement à déterminer les caractéristiques physiques du sol, conformément aux règles de l'art géotechnique. Aucune expertise juridique n'était ainsi sollicitée de sa part, ce qui ne rentrait nullement dans son domaine de spécialité.

A cet titre, la norme NF P 94-500, qui régit son exercice professionnel, définit uniquement des missions géotechniques, et non environnementales.

Dans ce contexte, les constatations réalisées par M. [X] dans son rapport, en particulier sur la présence d'un terrain marécageux, avaient pour objet d'éclairer les concepteurs sur le contexte hydrologique du site, et la problématique de l'eau n'était analysée à cet égard que pour en apprécier l'incidence sur la construction des ouvrages, et la mise en oeuvre de principes constructifs spécifiques.

Force est de constater, d'une manière plus générale, que l'identification de la présence d'une zone humide sur les lieux, au sens du code de l'environnement, tendant à la préservation des écosystèmes aquatiques et la protection des eaux contre la pollution, ne relève nullement du domaine géotechnique, une telle problématique relèvant le cas échéant de la compétence d'un bureau d'études environnemental.

La société JS Invest ne saurait ainsi valablement arguer d'un quelconque manquement de M. [X] à son devoir de conseil, lequel est nécessairement limité à sa sphère d'intervention et à son domaine de compétence géotechnique et ne peut s'étendre à un domaine dans lequel il est un non-sachant.

2) Sur les manquements imputés à la société Isageo

Le cabinet Peronnier, géomètre-expert, aux droits duquel vient la société Isageo, est quant à lui intervenu au titre de la conception des voiries et réseaux divers (VRD), avec la mission suivante, définie suivant contrat en date du 5 juin 2009 :

- analyse des contraintes géologiques et hydrogéologiques ;

- analyse liée au PPRI (plan de prévention du risque inondation);

- analyse des contraintes liées à l'urbanisme ;

- définition de l'avant-projet VRD ;

- coordination avec l'architecte et les différents services (commune, DDA...);

- établissement d'un plan de projet VRD;

- établissement d'un descriptif détaillé des travaux nécessaire à une consultation ;

-estimation des travaux à réaliser ;

- consultation des entreprises ;

- assistance à la passation des marchés de travaux.

La mission confiée au géomètre ne s'étendait ainsi pas expressément à l'identification des contraintes environnementales existantes sur le site.

S'il est constant que la mission confiée à ce géomètre ne comportait pas la réalisation d'une étude au titre de la loi sur l'eau, la société JS Invest reproche à son contractant, au titre de son obligation de conseil et d'information, de ne pas avoir attiré son attention sur la nécessité de réaliser une telle étude. Elle lui fait notamment grief de s'être abstenue de procéder à l'analyse des contraintes liées au PPRI, qui devait faire suspecter la présence d'une zone humide.

Il convient d'observer cependant, en premier lieu, que la présence d'un zone humide ne pouvait être décelée en consultant les documents d'urbanisme applicables, une telle identification n'ayant été offerte à titre facultatif aux rédacteurs des plans locaux d'urbanisme que suite à l'ordonnance du 23 septembre 2015. Et la problématique afférente à la réalisation d'une étude sur l'eau est en tout état de cause totalement étrangère au droit de l'urbanisme.

Par ailleurs, la vocation d'une étude sur l'eau consiste en un examen de la végétation et de la morphologie des sols à partir de sondages pédologiques, de manière à déterminer, au travers des nomenclatures de l'arrêté du 24 juin 2008, modifié le 1er octobre 2009, si la végétation est hygrophile, ainsi que le degré de potentialité du terrain d'être juridiquement qualifiable de zone humide. Il ne peut qu'être constaté que de telles investigations sont manifestement étrangères aux études portant sur les contraintes géotechniques et géologiques du terrain, et, plus généralement, au domaine d'intervention d'un géomètre-expert, qui n'a aucune compétence en matière environnementale.

Il n'appartenait ainsi nullement au cabinet Isageo, qui n'était investi que d'une mission de conception des VRD et du parc de stationnement, d'analyser les contraintes environnementales du site et de proposer une étude hydro-biologique relevant de la sauvegarde du milieu naturel.

Il n'est nullement démontré, en outre, que l'étude du plan de prévention du risque inondation aurait dû conduire le géomètre-expert à s'interroger sur la présence d'une zone humide sur le site, la circonstance que le terrain d'assiette était situé en zone inondable ne pouvant laisser supposer l'existence d'une zone humide telle qu'elle est définie par la loi sur l'eau, c'est à dire au titre de la protection des espèces.

Etant observé enfin que le cabinet Isageo n'a pas la qualité de juriste et que l'identification de contraintes liées au droit de l'environnement ne faisait pas partie de sa mission et ne relevait en outre nullement de son domaine de compétence.

La société JS Invest échoue ainsi à rapporter la preuve d'un quelconque manquement de la société Isageo à son devoir de conseil.

3) Sur les manquements imputés à la société MMO

La société MMO était chargée quant à elle de 'la réalisation du suivi des travaux VRD', conformément à son devis du 23 octobre 2012.

L'appelante prétend qu'à ce titre, elle aurait dû s'enquérir des précautions prises s'agissant du traitement du sol sur lequel elle était amenée à intervenir et d'alerter son mandant, en présence d'un sol marécageux, sur les contraintes liées à la possible présence d'une zone humide.

Or, comme elle le fait observer à juste titre, la société MMO est intervenue bien après la conception du projet de construction. Elle n'avait ainsi à sa charge aucune étude de conception, et lorsqu'elle a été mandatée, le projet de VRD était déjà intégralement conçu, sa mission consistant uniquement à optimiser ce projet par l'établissement de plans au format DWG. L'identification d'une zone humide ne pouvait pourtant être appréhendée, le cas échéant, qu'au stade de la conception du projet. Du reste, la société MMO ne dispose d'aucune compétence en matière environnementale.

En tout état de cause, au regard de la date à laquelle elle a été mandatée par le maître d'ouvrage, l'éventuel signalement qu'elle aurait pu adresser sur la présence éventuelle d'une zone humide n'aurait vraisemblablement eu aucune incidence sur le projet, puisque cetet difficulté a été signalée par la Préfecture mois de quatre mois plus tard.

Aucun manquement de la société MMO à son devoir de conseil ne se trouve ainsi caractérisé.

En définitive, s'il est manifeste que la problématique environnementale, qui aurait dû conduire à l'identification de la présence d'une zone humide et au dépôt d'un dossier au titre de la loi sur l'eau, a été ignorée par l'ensemble des intervenants en charge de la conception du projet, il n'est pas démontré que cette mission aurait relevé expressément de leurs champs de compétences respectifs.

Cette problématique a été également ignorée par la société JS Invest, agissant en qualité de maître d'ouvrage, dont le président est un ancien notaire. A cet égard, l'appelante s'abstient de verser aux débats le titre de propriété afférent aux parcelles qu'elle a acquises, dont l'une des fonctions consiste pourtant précisément à identifier l'existence d'une telle contrainte, qui est d'ordre juridique.

Force est de constater, en conséquence, que la société JS Invest échoue à rapporter la preuve de manquements contractuels imputables aux intervenants à l'acte de construire dont elle recherche la responsabilité dans le cadre de la présente instance.

Il convient d'observer en outre, à titre surabondant, qu'en admettant que des fautes éventuelles auraient pu être caractérisées si qui n'est pas le cas en l'espèce, l'appelante ne démontre nullement que les préjudices dont elle sollicite la réparation lui auraient été causés, de manière directe et certaine, par l'identification tardive de la présence d'une zone humide.

En effet, les mesures compensatoires qui ont dû être mises en oeuvre à ce titre ont supposé un surcoût de 20 000 euros supporté par la JS Invest, ce qui est un montant dérisoire au regard des enjeux financiers de son projet, et cette dépense aurait dû être supportée en tout état de cause par le maître d'ouvrage.

Par ailleurs, comme le fait notamment observer la société Diagnole Architecture, la demande de permis modificatif déposée suite au courrier préfectoral du 13 février 2013 ne portait qu'à la marge sur cette problématique de la zone humide, mais avait surtout pour objet d'augmenter la surface commerciale de vente, de 1 000 m2 à 2 999 m2. Du reste, le seul dépôt d'un dossier 'loi sur l'eau' n'exigeait nullement un permis modificatif. La société JS Invest s'est ensuite heurtée à une décision défavorable de la commune (à travers sa commission départementale d'aménagement concerté) à ce nouveau projet le 14 novembre 2014, contre laquelle elle a dû intenter un recours, aboutissant à une décision favorable le 8 avril 2015, ce qui a retardé considérablement son chantier de construction, à tout le moins jusqu'au 4 septembre 2015, date de purge des recours des tiers.

Il est ainsi permis de penser que le retard pris par son projet est en réalité imputable à d'autres causes que l'absence d'identification de la zone humide existante sur le site, et en particulier à sa volonté de modifier le projet initial, et que c'est à tort que l'appelante tente, dans le cadre de la présente instance, d'imputer à cette seule circonstance l'ensemble des difficultés auxquelles elle a été confrontée dans le cadre de son projet commercial.

Au regard de ces constatations, le jugement entrepris ne pourra qu'être confirmé en toutes ses dispositions.

IV - Sur les mesures accessoires

En tant que partie perdante, la société JS Invest sera condamnée aux dépens exposés en cause d'appel, avec distraction au profit de la Selarl MLB Avocats, de Maître Anne Cambet, de la Scp Bessault Madjeri Saint André et de Maître Audrey Bollonjeon.

Elle sera également condamnée à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel, la somme de 2 000 euros à chacune des parties intimées.

La demande formée à ce titre par l'appelante sera enfin rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Declare recevable la demande d'expertise formée en cause d'appel par la société JS Invest,

Rejette la demande d'expertise formée en cause d'appel par la société JS Invest,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Chambéry,

Y ajoutant,

Condamne la société JS Invest à payer à M. [S] [X] et la société créée de fait [X] et [B] représentée par Mme [J] [W], ès qualités de mandataire ad hoc la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société JS Invest à payer à l'Eurl MMO la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société JS Invest à la société SMABTP la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société JS Invest à payer à la société Isageo la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société JS Invest à payer à la société Diagonales Architecture la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société JS Invest de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société JS Invest aux dépens exposés en cause d'appel, avec distraction au profit de la Selarl MLB Avocats, de Me Anne Cambet, de la Scp Bessault Madjeri Saint André et de Me Audrey Bollonjeon.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 21 mai 2024

à

Me Clarisse DORMEVAL

la SCP MILLIAND - DUMOLARD - THILL

la SCP BESSAULT MADJERI SAINT-ANDRE

la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES

la SELARL MLB AVOCATS

la SELARL BOLLONJEON

Copie exécutoire délivrée le 21 mai 2024

à

la SCP MILLIAND - DUMOLARD - THILL

la SCP BESSAULT MADJERI SAINT-ANDRE

la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES

la SELARL MLB AVOCATS

la SELARL BOLLONJEON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/02112
Date de la décision : 21/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-21;21.02112 ?
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