COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 11 Avril 2024
N° RG 22/00887 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G7XN
Décision déférée à la Cour : Décision de la Commission d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction de THONON LES BAINS en date du 05 Mai 2022, RG 21/00047
Appelants
Mme [I] [N] veuve [T] née le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 11] - KOSOVO, agissant en son nom propre et ès qualités de représentante légale de ses deux enfants mineurs [D] [T] né le [Date naissance 4] 2007 et [R] [T] née le [Date naissance 5] 2012, demeurant [Adresse 9] - [Localité 8]
M. [W] [T]
né le [Date naissance 1] 2003 à [Localité 13], demeurant [Adresse 9] - [Localité 8]
Représentés par Me Assia HARMLI, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
Intimé
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS dont le siège social est sis [Adresse 6] - [Localité 10] et pour sa délégation sise à [Localité 3] - [Adresse 12], agissant par ses représentants légaux en exercice domiciliés en ces qualités audit siège
Représenté par la SCP MILLIAND THILL PEREIRA, avocat au barreau d'ALBERTVILLE
Partie Jointe :
Madame La Procureure Générale COUR D'APPEL - [Adresse 14] - [Localité 7]
Dossier communiqué
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 30 janvier 2024 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré ,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement rendu le 11 mars 2021, le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains a notamment :
- déclaré Mme [G] [B] épouse [L] coupable de faits de menace de mort réitérée proférée à l'encontre de Mme [T], l'a condamnée à une peine de 10 mois d'emprisonnement dont quatre mois avec sursis probatoire pendant deux ans,
- déclaré recevable la constitution de partie civile de Mme [I] [N] veuve [T], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs [W], [D] et [R] [T],
- ordonné une expertise médicale des trois enfants mineurs victimes,
- condamné Mme [B] à payer à Mme [T] la somme de 600 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Par un second jugement du 3 mai 2021, le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains a notamment :
- déclaré Mme [G] [B] épouse [L] coupable de faits de menace de mort réitérée proférée à l'encontre de Mme [T], l'a condamnée à une peine de douze mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis probatoire pendant trois ans, avec maintien en détention,
- déclaré recevable la constitution de partie civile de Mme [I] [N] veuve [T], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de sa fille mineure [R] [T],
- déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Mme [T] en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs [W] et [D],
- condamné Mme [B] à payer à Mme [T] la somme de 800 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Par requête du 20 septembre 2021, Mme [T] a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains aux fins d'expertise médicale pour elle-même et ses trois enfants, l'allocation de la somme de 2 500 euros à titre de provision ad litem et celle de 8 000 euros à titre de provision à valoir sur les préjudices subis par elle-même et ses enfants.
Le Fonds de garantie a conclu à l'irrecevabilité de la requête, faute de remplir les conditions légales prévues par l'article 706-3 et l'article 706-14 du code de procédure pénale.
Le ministère public a également conclu à l'irrecevabilité de la requête.
Par décision contradictoire, rendue le 5 mai 2022, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :
déclaré irrecevables les demandes de Mme [T], tant en son nom personnel qu'à titre de représentante légale de ses enfants mineurs [W], [D] et [R] [T],
laissé les dépens à la charge du Trésor public.
Par déclaration du 18 mai 2022, Mme [T], en son nom propre et en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs [R] et [D] [T], et M. [W] [T], ont interjeté appel de cette décision.
Par conclusions notifiées le 13 octobre 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme [I] [N], veuve [T], agissant en son nom propre et ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs [R] et [D] [T], et M. [W] [T] demandent en dernier lieu à la cour de :
Vu les dispositions des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale,
Vu les articles 1153-1 et 1154 du code civil,
Vu les articles 16 et 276 du code de procédure civile,
Vu l'article 480 du code de procédure civile,
infirmer la décision déférée en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes de Mme [I] [N] veuve [T], tant en son nom personnel qu'à titre de représentante légale de ses enfants mineurs [W], [D] et [R] [T],
En conséquence, jugeant à nouveau,
juger que l'ensemble des membres de la famille [T], c'est-à-dire Mme [I] [T] en son nom personnel et ès qualité de représentante légale de [D] et [R] [T] et Monsieur [W] [T], devenu majeur, sont recevables à saisir la CIVI conformément à l'article 706-3 du code de procédure pénale,
désigner un expert spécialisé en psychiatrie, strictement indépendant des compagnies d'assurances pour évaluer les préjudices corporels de chacun des membres de la famille sus désignés,
donner à l'expert mission complète,
préciser dans la mission confiée à l'expert que : « L'expert ne peut s'opposer à la présence de l'avocat durant l'examen clinique si la victime en émet la demande »,
allouer à Mme [T] en son personnel et en qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs ([D] et [R] [T]) ainsi qu'à Monsieur [W] [T] une somme de 2 500,00 euros à titre de provision ad litem,
allouer à Mme [T] en son personnel et en qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs ([D] et [R] [T]) ainsi qu'à Monsieur [W] [T], une somme de 8 000,00 euros à titre de provision,
mettre à la charge du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 2 500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre les entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 28 juillet 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI) demande en dernier lieu à la cour de :
dire et juger irrecevable et en tous cas mal fondé l'appel formé par les consorts [T] contre la décision déférée,
en conséquence les en débouter,
confirmer le jugement rendu par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions le 5 mai 2022,
dire et juger que Mme [I] [T] ne démontre pas que les faits commis contre elle les 30 octobre 2020 et 30 avril 2021 par Mme [G] [B] ont entraîné une incapacité permanente partielle ou une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois,
dire et juger que [W] [T] ne démontre pas avoir été victime d'atteinte à sa personne ayant entraîné une incapacité permanente partielle ou une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois,
dire et juger que Mme [I] [T] en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs [R] et [D] ne démontre pas que ceux-ci ont été victimes d'atteinte à la personne ayant entraîné une incapacité permanente partielle ou une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois,
en conséquence, dire et juger que les conditions d'application des dispositions de l'article 706-3 du code de procédure pénale ne sont pas réunies et déclarer irrecevables les demandes de Mme [I] [T], en son nom personnel et à titre de représentante légale de ses enfants mineurs [D] et [R], ainsi que celles de [W] [T],
rejeter les demandes d'expertise formées par les consorts [T],
rejeter également leurs demandes au titre d'une provision ad litem et d'une provision à valoir sur l'indemnisation de leurs préjudices,
rejeter la demande des consorts [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 27 novembre 2023, le ministère public demande la confirmation de la décision.
L'affaire a été clôturée à la date du 27 novembre 2023 et renvoyée à l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 11 avril 2024.
MOTIFS ET DÉCISION
Les consorts [T], qui expliquent agir sur le seul fondement de l'article 706-3 du code de procédure pénale, font grief à la décision déférée de les avoir déclarés irrecevables en leur demande faute pour eux de justifier avoir subi une incapacité de travail égale ou supérieure à un mois, alors que, selon eux, ils justifient d'une incapacité permanente imputable aux faits commis par Mme [B].
Le FGTI soutient pour sa part que les conditions de l'article 706-3 du code de procédure pénale ne sont pas réunies.
En application de l'article 706-3 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige, toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
1° Ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l'article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation et n'ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux susceptibles d'occasionner des dégâts ;
2° Ces faits :
- soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;
- soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-5 à 225-10, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;
3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.
La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.
Il résulte des pièces produites et des explications des parties que les appelants, qui ne le prétendent d'ailleurs plus, ne justifient, pour aucun d'entre eux, d'une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, puisque les certificats médicaux ne font état que d'une incapacité de six jours pour Mme [T], et de un à cinq jours pour ses enfants.
Ils prétendent désormais que la condition du 2° de l'article 706-3 serait remplie en ce qu'ils subiraient une incapacité permanente à la suite des faits commis par Mme [B].
Toutefois, aucun certificat médical produit par les appelants ne laisse entendre qu'une incapacité permanente serait subie par Mme [T] ou par l'un de ses enfants, et ce quand bien même il s'agit essentiellement de retentissements psychologiques. Les éléments médicaux sont très insuffisants pour établir l'existence d'une telle incapacité, même prévisible comme il est prétendu. Les certificats ne font état que d'un «choc émotionnel» ou d'un «traumatisme psychologique» (pièces n° 2 à 7 des appelants), ou encore de «troubles du sommeil», d'un «stress péri traumatique» (pièces n° 12 à 16), mais sans indication de troubles devant persister dans le temps de manière définitive avec pour conséquence un déficit fonctionnel permanent.
Enfin, les requérants excluent l'application des dispositions de l'article 706-14 du code de procédure pénale, dont il n'est pas démontré que les conditions, de ressources notamment, seraient réunies.
Il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que la CIVI a déclaré irrecevables les consorts [T] en leurs demandes et la décision déférée sera confirmée en toutes ses dispositions.
Les consorts [T], qui succombent en leur appel, en supporteront les entiers dépens conformément aux dispositions de l'article R.50-21 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme en toutes ses dispositions la décision rendue par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 5 mai 2022,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [I] [N], veuve [T], à titre personnel et ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs [R] et [D] [T], et M. [W] [T] aux entiers dépens de l'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 11 avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente