COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 14 Mars 2024
N° RG 23/00484 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HGSO
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TJ d'annecy en date du 06 Mars 2023, RG 22/00517
Appelante
Mme [I] [J]
née le 11 Septembre 1960 à MUSSOMELI - ITALIE, demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Pierre-Antoine RONDET, avocat au barreau d'ANNECY
Intimés
Mme [R] [I] [G]
née le 18 Juin 1973 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Isabel BUENADICHA, avocat au barreau d'ANNECY
M. [F] [M] [A] [E]
né le 15 Août 1973 à [Localité 7], demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Isabel BUENADICHA, avocat au barreau d'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 19 décembre 2023 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré ,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [I] [J] a fait l'acquisition d'un terrain à bâtir cadastré section B n° [Cadastre 2], situé [Adresse 4]), par acte notarié du 26 novembre 1990, sur lequel elle a fait construire sa maison d'habitation (parcelle n°[Cadastre 2]).
Cette parcelle bénéficie d'une servitude de passage conventionnelle grevant le terrain nu appartenant à Mme [R] [G] et M. [F] [E] (parcelle n°[Cadastre 3]), créée dans l'acte du 26 novembre 1990, et qui a fait l'objet d'une délimitation par un géomètre-expert le 15 septembre 2017, ayant reçu l'accord des parties.
Cette servitude permet aux trois fonds concernés ([Cadastre 2], [Cadastre 3] et [Cadastre 1] qui n'est pas en cause) d'accéder au chemin départemental dénommé aujourd'hui route de la chapelle Rambaud.
Un premier contentieux a opposé les consorts [G] - [E] à Mme [J] en 2018, les premiers ayant saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d'Annecy fin de faire cesser tout passage sur la parcelle [Cadastre 3] hors assiette de la servitude, et ordonner le retrait du goudron avec remise en état en terre végétale de la partie de terrain non comprise dans l'assiette de la servitude.
Par ordonnance du 26 décembre 2018, le juge des référés a essentiellement dit n'y avoir lieu à référé, et renvoyé les parties à se pourvoir au fond ainsi qu'elles en aviseront, la remise en été demandée ayant été faite avant la décision.
Se plaignant de ce que les consorts [G] - [E] auraient implanté une structure métallique en limite de cette servitude, gênant l'accès à sa propriété, par actes délivrés le 13 septembre 2022, Mme [J] a fait assigner Mme [G] et M. [E], devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy, afin notamment de les voir condamner à procéder au retrait de cette structure métallique sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Les consorts [G] - [E] se sont opposés aux demandes.
Par ordonnance contradictoire du 6 mars 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy a :
débouté Mme [I] [J] de l'ensemble de ses demandes,
débouté Mme [R] [G] et M. [F] [E] de l'ensemble de leurs demandes,
condamné Mme [I] [J] aux dépens,
rejeté tous les autres chefs de demande.
Par déclaration du 22 mars 2023, Mme [J] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions notifiées le 14 octobre 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme [I] [J] demande en dernier lieu à la cour de :
Vu les articles 834 et 835 du code de procédure civile,
Vu les articles 544, 701 du code civil,
infirmer l'ordonnance déférée,
En conséquence,
déclarer Mme [J] recevable et bien fondée en ses prétentions,
constater qu'il existe une urgence à ce que les consorts [E] [G] retirent la structure métallique obstruant l'accès de Mme [J] à son domicile,
constater que les consorts [E] [G] n'opposent aucune contestation sérieuse,
condamner les consorts [E] [G] à procéder au retrait de cette structure métallique sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
Subsidiairement, si l'existence d'une contestation sérieuse devait par extraordinaire être retenue,
constater que la structure métallique apposée par les consorts [E] [G] constitue un trouble anormal de voisinage caractérisant un trouble manifestement illicite en ce qu'elle entrave l'exercice d'une servitude de passage sans motif,
constater par ailleurs que cette structure représente un dommage imminent au sens de l'article 835 du code de procédure civile, dans la mesure notamment où elle empêche à un véhicule de type pompier ou ambulance d'accéder à la propriété, et où elle contraint les visiteurs à effectuer des man'uvres sur la route départementale où à stationner en bordure de route,
condamner les consorts [E] [G] à procéder au retrait de cette structure métallique sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,
En tout état de cause,
condamner les consorts [E] [G] à payer à Mme [J] une somme de 6 000 euros au titre d'une résistance abusive,
condamner les consorts [E] [G] à payer à Mme [J] une somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner les consorts [E] [G] aux entiers dépens, incluant le coût du constat d'huissier en date du 17 novembre 2020.
Par conclusions notifiées le 13 octobre 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme [R] [G] et M. [F] [E] demandent en dernier lieu à la cour de :
Vu l'article 750-1 du code de procédure civile,
Vu les dispositions des articles 834 et 835 du code de procédure civile,
Vu la loi n° 2015-177 du 16 février 2015,
Vu l'article 647 du code civil,
Vu les articles 682, 686 et suivants, et 701 et 702 du code civil,
confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a débouté Mme [J] de l'ensemble de ses demandes,
A défaut,
déclarer irrecevable la demande de Mme [J],
A titre subsidiaire,
rejeter la demande de Mme [J] pour absence de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite,
En conséquence,
débouter Mme [J] de sa demande de retrait de la structure métallique apposée par Mme [G] et M. [E],
débouter Mme [J] de sa demande de condamnation de Mme [G] et M. [E] à la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,
débouter Mme [J] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
faire droit à l'appel incident Mme [G] et M. [E] relatif à leur demande reconventionnelle,
En conséquence,
condamner Mme [J] à laisser libre l'entrée du passage sous astreinte de 150 euros par contravention constatée,
condamner Mme [J] à payer la somme de 5 000 euros à Mme [G] et M. [E] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, avec distraction au profit de Me [U] [O], sur ses offres et affirmations de droit.
L'affaire a été clôturée à la date du 16 octobre 2023 et renvoyée à l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 14 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action
Mme [G] et M. [E] soutiennent que l'action engagée par Mme [J] serait irrecevable faute pour elle d'avoir saisi le conciliateur de justice préalablement à la saisine du juge des référés et invoquent à cet effet les dispositions de l'article L. 750-1 du code de procédure civile.
Toutefois, cet article, tel qu'il résultait du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, a été annulé dans son intégralité par décision n° 436939, 437002 du 22 septembre 2022 du Conseil d'Etat, de sorte que c'est en vain que les intimés invoquent cette fin de non-recevoir qui ne peut aboutir. Il sera ajouté que le décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 ayant recréé cet article n'est entré en vigueur que le 1er octobre 2023, de sorte qu'il n'est pas applicable au présent litige.
En tout état de cause, Mme [J] produit en pièce n° 9 le constat d'échec de la conciliation établi le 12 novembre 2021 par le conciliateur.
L'action est donc recevable.
Sur la demande d'enlèvement de la structure métallique
En application de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 835 du même code dispose par ailleurs que, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il appartient au demandeur de rapporter la preuve que les conditions du référé sont réunies.
En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats et des explications des parties que l'existence de la servitude conventionnelle grevant la parcelle [Cadastre 3] au profit de la parcelle [Cadastre 2] n'est pas discutable, ni même discutée, celle-ci ayant même fait l'objet d'une matérialisation par des bornes OGE et des clous d'arpentage le 15 septembre 2017 (pièce n° 2 de l'appelante).
Le plan établi par le géomètre à cette occasion permet de constater que le portail de Mme [J] est en retrait par rapport à la limite de la servitude et que le « triangle » qu'elle demandait pour compléter le passage sur la parcelle [Cadastre 3] n'a pas été retenu. C'était d'ailleurs l'objet de la première procédure de référé ayant opposé les parties comme rappelé ci-dessus.
Mme [J] ne rapporte pas la preuve que des bornes ou des clous auraient été retirés ou déplacés par Mme [G] et M. [E], le procès-verbal de constat étant insuffisant sur ce point. Elle ne rapporte pas non plus la preuve de ce que la structure métallique litigieuse aurait été implantée sur l'assiette de la servitude, de sorte que la demande ne peut pas prospérer sur le fondement des dispositions de l'article 834 du code de procédure civile, l'existence de l'obligation pour Mme [G] et M. [E] de retirer cette structure étant sérieusement contestable.
Quant au trouble manifestement illicite, faute pour Mme [J] de prouver que la structure métallique serait implantée sur l'assiette même de la servitude, la gêne dont elle se plaint ne rend pour autant pas l'accès impossible à sa propriété et ne peut à elle seule constituer un trouble manifestement illicite.
En effet, le rétrécissement du passage dont elle se plaint peut ne pas être imputable à la structure litigieuse, mais pourrait résulter de la modification de l'implantation de son propre portail, ou d'une implantation inappropriée pour qu'elle puisse respecter les limites de la servitude, d'où sa demande, non retenue lors de la délimitation de l'assiette, d'obtenir une extension de la servitude sur un « triangle » permettant un passage plus aisé. C'est d'ailleurs sur ce triangle que la structure a été implantée.
A cet égard elle prétend sans aucunement le prouver que l'implantation actuelle de son portail résulterait d'une demande expresse de la mairie, les pièces produites à l'appui n'étant pas probantes.
Le trouble manifestement illicite n'est donc pas établi et c'est à juste titre que le premier juge a rejeté sa demande.
Sur la demande reconventionnelle
Mme [G] et M. [E] sollicitent que Mme [J] soit condamnée à laisser libre le passage permettant l'accès aux parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 1], sous astreinte.
Toutefois, si quelques photographies, non datées, montrent des véhicules stationnés sur l'entrée de la parcelle [Cadastre 3], aucun des documents produits ne permet d'établir que ces véhicules seraient ceux de Mme [J], ni même qu'il s'agirait de véhicules appartenant à ses visiteurs.
En conséquence la décision déférée sera encore confirmée en ce qu'elle a rejeté cette demande.
Sur les demandes accessoires
Mme [J] sollicite des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Toutefois, dès lors qu'il n'a pas été fait droit à sa demande principale, il ne peut être fait reproche aux intimés de ne pas l'avoir exécutée.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [G] et M. [E] la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de leur allouer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [J], qui succombe à titre principal, supportera les entiers dépens de l'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me [U] [O].
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déclare recevable l'action engagée par Mme [I] [J] à l'encontre de Mme [G] et M. [E],
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy le 6 mars 2023,
Y ajoutant,
Condamne Mme [I] [J] à payer à Mme [G] et M. [E] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [I] [J] aux entiers dépens de l'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me [U] [O].
Ainsi prononcé publiquement le 14 mars 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente