MR/SL
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 27 Juin 2023
N° RG 21/00728 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GVK7
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BONNEVILLE en date du 05 Mars 2021
Appelante
SCI RESIDENCE [Adresse 4], dont le siège social est situé [Adresse 2]
Représentée par la SELARL HAMEL ISABELLE, avocats postulants au barreau d'ANNECY
Représentée par lla SELARL LEROUX ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de BESANCON
Intimée
S.A.R.L. THELETIMAX, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Représentée par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY
Représentée par Me Florence GENET-SAINTE ROSE, avocat plaidant au barreau de PARIS
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Date de l'ordonnance de clôture : 06 Mars 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 avril 2023
Date de mise à disposition : 27 juin 2023
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Composition de la cour :
Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l'assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseillère,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
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Faits et procédure
Suivant acte notarié du 1er mars 2019, faisant suite à un contrat de réservation du 19 décembre 2018, la société Thélétimax (sarl) a acquis de la SCCV Résidence [Adresse 4], en l'état futur d'achèvement et pour le prix de 1 485 100 euros HT (TVA 297 000 euros), un appartement d'une surface de 117 m² (tolérance de 5%) dans une résidence à construire à [Localité 6] (Haute-Savoie).
La livraison est intervenue avec réserves le 29 novembre 2019 et les acquéreurs ont fait procéder au contrôle de la surface, laquelle a été chiffrée par expert à 105,03 m², 'loi carrez'.
Par acte d'huissier du 21 octobre 2020, la société Thélétimax a assigné la SCCV Résidence [Adresse 4] devant le tribunal judiciaire de Bonneville aux fins d'obtenir paiement d'une somme de 175 500 euros avec intérêts à compter du 15 octobre 2020 à hauteur de la somme de 87 750 euros et à compter de la présente assignation pour le surplus.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 5 mars 2021, le tribunal judiciaire de Bonneville a :
- déclaré la demande régulière, recevable et bien fondée ;
- dit que la surface non délivrée à l'acquéreur dans le cadre du contrat de vente d'immeuble du 1er mars 2019 est de 11,97 m² ;
- condamné la SCCV Résidence [Adresse 4] à payer à la société Thélétimax, au titre de la réduction du prix de 175 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- condamné la SCCV Résidence [Adresse 4] à payer à la société Thélétimax la somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal retenait que :
' l'acte notarié portant vente visait les plans annexés comportant l'indication des surfaces pour un total de 117 m², que la surface minimale devait être de 111,15 m² (marge de 5% prévue par le contrat ou un vingtième prévu par l'article 1619 du code civil) ;
' la vente relevait de l'application des articles 1616 et 1617 du code civil, mais les parties se sont référé, dans le cadre du contrat de réservation, à la loi Carrez du 18 décembre 1996, de sorte que le mesurage doit se faire selon cette méthode ;
' le rapport de mesurage conduit à retenir la surface à 105,03 m² au titre de la loi Carrez, de sorte que l'acheteuse est fondée à solliciter une diminution du prix de vente.
Par déclaration au greffe en date du 1er avril 2021, la société Résidence [Adresse 4] interjetait appel de cette décision en toutes ses dispositions.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures en date du 3 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Résidence [Adresse 4] sollicite l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :
- débouter la société Thélétimax de ses demandes ;
- condamner la société Thélétimax à lui payer la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamner la société Thélétimax au paiement d'une somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société résidence [Adresse 4] expose essentiellement que :
' la différence des superficies provient des modifications qui ont été demandées par la société Thélétimax en cours de construction (quatre chambres au lieu de trois, une baignoire au lieu et place d'un receveur de douche et un habillage de cheminée imposant), ce qui a diminué de fait la surface relevant de la loi carrez ;
' l'acte notarié prévoyait en page 4 que les plans annexés prévalaient sur les documents antérieurs, et qu'aucune indemnité ne pourrait être réclamée du fait de la disparité ;
' la surface totale, en additionnant les m² de chaque pièce est bien de 110,09 m²,
' l'intimée lui a causé un préjudice, en faisant inscrire une hypothèque sur un bien appartenant à la société résidence [Adresse 4].
Par dernière écritures en date du 6 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Thélétimax, sollicite de la cour de :
- débouter la société résidence [Adresse 4] de ses demandes ;
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- condamner la société résidence [Adresse 4] à lui payer la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;
- condamner la société résidence [Adresse 4] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société résidence [Adresse 4] aux entiers dépens, avec distraction au profit de Mme Clarisse Dormeval, avocate.
Au soutien de ses prétentions, la société intimée fait valoir que :
' il n'y a pas eu de demande de modification, et en ce cas, que les éléments modifiés ne conduisaient pas à des diminutions de superficie selon la loi carrez ;
' la mention de superficie a été ajoutée sur le plan après signature ;
' le promoteur est de mauvaise foi.
Une ordonnance en date du 6 mars 2023 clôture l'instruction de la procédure.
MOTIFS ET DÉCISION
I- Sur le respect de l'obligation de délivrance du vendeur et ses conséquences
L'article 1617 du code civil prévoit 'si la vente d'un immeuble a été faite avec indication de la contenance, à raison de tant la mesure, le vendeur est obligé de délivrer à l'acquéreur, s'il l'exige, la quantité indiquée au contrat. Et si la chose ne lui est pas possible, ou si l'acquéreur ne l'exige pas, le vendeur est obligé de souffrir une diminution proportionnelle du prix.' L'article 1619 du même code précise 'dans tous les autres cas, l'expression de cette mesure ne donne lieu à aucun supplément de prix, en faveur du vendeur, pour l'excédent de mesure, ni en faveur de l'acquéreur, à aucune diminution du prix pour moindre mesure, qu'autant que la différence de la mesure réelle à celle exprimée au contrat est d'un vingtième en plus ou en moins, eu égard à la valeur de la totalité des objets vendus, s'il n'y a stipulation contraire.'
Les parties ont conclu un contrat de réservation le 19 décembre 2018, pour le lot 6 désigné comme 'un appartement dans les combles, d'une surface de 117 m² environ, comprenant entrée, WC, cuisine, séjour, cellier, dégagement, quatre chambres avec chacune une salle de bains, avec la jouissance exclusive et privative de deux balcons, et une quote-part de la propriété des parties communes de l'immeuble, déterminée ainsi qu'il est dit à l'article 5 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, qui sera attachée aux biens ci-dessus.'avec précision que 'la surface habitable sera d'environ 117 m² : la surface habitable d'un logement est la surface de plancher construite, après déduction des surfaces occupées par les murs, cloisons, marches et cages d'escaliers, gaines, embrasures de portes et de fenêtres ; le volume habitable correspond au total des surfaces habitables ainsi définies multipliées par les hauteurs sous plafond. Il n'est pas tenu compte de la superficie des combles non aménagés, caves, sous-sols, remises, garages, terrasses, loggias, balcons, séchoirs extérieurs au logement, ni des parties de locaux d'une hauteur inférieure à 1,80 mètre.'
L'acte authentique du 1er mars 2019 et la procuration pour vendre ne précisent pas de contenance, le bien étant décrit dans la procuration comme 'le lot 6 : appartement occupant la quasi-totalité du niveau à l'exception de la cage d'escalier et de l'ascenseur commun, avec la jouissance exclusive de deux balcons, et les deux cent quarante-six millièmes des parties communes générales'. L'acte authentique fait référence en ce qui concerne le bien vendu de la façon suivante 'La consistance de l'immeuble dont dépendent les biens et droits immobiliers présentement vendus eu sens de l'article R261-13 du code de la construction et de l'habitation résulte des plans, coupes et élévations déposées au rang des minutes de l'office notarial', et 'sont demeurés annexés : les plans cotés des biens présentement vendus, la notice technique propre auxdits biens prévue par l'article R261-13 du code de la construction et de l'habitation.
Or, les plans qui figurent dans les annexes de l'acte authentique, sont signés par les parties et portant en entête : 'plan validé ce jour 22/02/2019 entre les parties' et 'dernier plan notifié par AR 24" sont joints dans un format trop petit pour que les superficies soient lisibles (format A5 ou A6).
La copie de ces plans figure également dans les pièces des parties :
- la pièce 21 de la société résidence [Adresse 4], 'dernier plan notifié par AR 24", en format A4, porte une mention manuscrite de superficie : total 110,09 m², sans que ce chiffre soit vérifiable, dans la mesure où les superficies de chaque pièce sont là aussi en caracères trop petits pour être lisibles, même avec une loupe, en outre, cette mention manuscrite de superficie globale de 110,09 m² ne figure pas dans l'annexe de l'acte notarié,
- en revanche, la page 11/86 de la pièce 9 de la société Thélétimax 'dernier plan notifié par AR' comporte des superficies de pièces lisibles, mais l'addition de toutes les surfaces mentionnées donne un résultat de 119,25 m², et sur la page 13/86 'plan validé ce jour 22/02/2019 entre les parties', les superficies des pièces ne sont pas lisibles, les mentions chiffrées n'étant pas nettes.
En cas de différence entre les stipulations du contrat de réservation et celles de l'acte authentique, ce sont ces dernières qui prévalent. Mais, en l'espèce, c'est bien la superficie de 117 m² du contrat de réservation qui sera retenue, seule surface lisible figurant dans les pièces contractuelles, avec tolérance de 5% (ou un vingtième).
Enfin, l'acte notarié prévoit 'il est convenu que les différences de moins de cinq pour cent des surfaces ou cotes exprimées par les plans sont tenus pour admissibles et ne pourront fonder aucune réclamation. (...) La superficie de l'appartement indiquée sur les plans ci-après annexés est exprimée au sens de l'article R111-2 du code de la construction et de l'habitation.',
Cet acte ne comprenant pas de référence à un prix au mètre carré, l'absence de délivrance du volume de 117 m² était tolérée, avec une limite d'erreur de 5% (CA [Localité 3], RG n°18/01993), soit un minimum de surface devant être délivrée de 111,15 m². Or, l'attestation de superficie de la partie privative 'loi carrez' réalisée par la société Abyss expertise, du 18 février 2020, non contredite par aucun élément, évalue la superficie du lot 6 à 105,03 m², soit une différence de 11,3%, bien supérieure à la marge d'erreur tolérée.
La société résidence [Adresse 4] ne démontre pas que des modifications susceptibles de modifier la superficie globale ont été sollicitées en cours d'exécution des travaux, le contrat de réservation prévoyait bien réalisation de 4 chambres et les divers aménagements pouvant être apportés sont sans incidence sur le mesurage selon le courriel du 2 mars 2023 de M. [M], intervenu pour le mesurage loi Carrez pour la société Abyss Expertise 'tout ce qui est démontable, baignoire, receveur de douche, cuisine est comptabilisé dans le mesurage. La surface située à l'aplomb du conduit de fumée d'une cheminée est décomptée (gaine). En revanche, il est tenu compte du foyer comme mobilier.'
C'est à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive et exempte d'insuffisance que les premiers juges ont retenu que la société Thélétimax était fondée à demander une réduction du prix sur la base de 15 000 euros par m², soit de 175 500 euros.
II- Sur la demande de dommages et intérêts
La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de la société Résidence [Adresse 5] doit être rejetée, celle-ci voyant ses prétentions rejetées.
La société Thélétimax justifie sa demande de dommages et intérêts par les courriers de son cocontractant sollicitant l'accès aux lieux pour réaliser une contre-expertise, alors que les délais pour engager la procédure sont contraints. Pour autant, la procédure en diminution de prix n'est pas soumise à un constat de mauvaise foi de la part du vendeur et la demande d'accès aux lieux pour un mesurage contradictoire ne peut être considérée en elle-même comme abusive.
La demande de dommages et intérêts de la société Thélétimax pour indemniser un préjudice moral insuffisamment caractérisé doit être rejetée.
III- Sur les demandes accessoires
La société Résidence [Adresse 4] succombant au fond supportera les dépens de l'instance d'appel. L'appelante supportera enfin une indemnité procédurale de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par décision publique et contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette la demande de dommages et intérêts de la société Thélétimax,
Condamne la société Résidence [Adresse 4] aux dépens de l'instance,
Condamne la société Résidence [Adresse 5] à payer à la société Thélétimax la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 27 juin 2023
à
la SELARL HAMEL ISABELLE
Me Clarisse DORMEVAL
Copie exécutoire délivrée le 27 juin 2023
à
Me Clarisse DORMEVAL