COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 15 Juin 2023
N° RG 21/01538 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GYJ7
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 17 Juin 2021, RG 19/01711
Appelants
M. [O] [L], demeurant [Adresse 5]
Mme [C] [L], demeurant [Adresse 5]
S.A. MAAF ASSURANCES dont le siège social est sis [Adresse 3] prise en la personne de son représentant légal
Représentés par la SCP MAX JOLY ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHAMBERY
Intimés
M. [N] [X]
né le [Date naissance 1] 1994 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]
S.A. AXA FRANCE IARD, dont le siège social est sis [Adresse 2] prise en la personne de son représentant légal
Représentés par la SELARL LEGI RHONE ALPES, avocat au barreau d'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 04 avril 2023 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
M. et Mme [L] sont propriétaires d'un chalet à usage d'habitation situé à [Localité 7] (Savoie), lieudit [Localité 4], assuré auprès de la compagnie MAAF Assurances (la MAAF).
Par acte sous seing privé du 1er juin 2015, M. et Mme [L] ont donné ce bien en colocation à quatre locataires : M. [N] [X], Mme [V] [Y], M. [O] [W] et M. [I] [A], assurés auprès de la société AXA France IARD (AXA).
Le 14 mars 2016, un incendie a détruit en grande partie le chalet, sans faire de victime.
Une expertise amiable a été réalisée par les deux assureurs, sans qu'aucun accord n'aboutisse.
M. et Mme [L] et leur assureur ont donc saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Chambéry aux fins d'expertise judiciaire, laquelle a été ordonnée le 17 mai 2016, et confiée à M. [F].
L'expert a déposé son rapport le 08 novembre 2017.
C'est dans ces conditions que, par actes délivrés les 6 et 18 novembre 2019, M. et Mme [L] et la MAAF ont fait assigner M. [X] et AXA, devant le tribunal de grande instance de Chambéry aux fins d'indemnisation de leurs préjudices, sur le fondement des dispositions de l'article 1733 du code civil.
M. [X] et AXA se sont opposés aux demandes en soutenant que la cause du sinistre est un vice de construction.
Par jugement contradictoire rendu le 17 juin 2021, le tribunal judiciaire de Chambéry a:
débouté M. et Mme [L] et la MAAF de leurs demandes,
condamné in solidum M. et Mme [L] et la MAAF aux entiers dépens de la procédure, en ce compris les frais d'expertise judiciaire liés à la procédure engagée devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Chambéry sous le n° de RG 17/00087,
condamné in solidum M. et Mme [L] et la MAAF à verser à M. [X] et à AXA la somme totale de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 20 juillet 2021, M. et Mme [L] et la MAAF ont interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 19 octobre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. et Mme [L] et la compagnie MAAF Assurances demandent en dernier lieu à la cour de :
dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par la MAAF et les époux [L] contre le jugement déféré,
l'infirmant et statuant à nouveau,
Vu les dispositions des articles 1346 et 1733 du code civil,
Vu les dispositions de l'article L. 121-12 du code des assurances,
dire et juger que M. [X], locataire, est responsable du sinistre du 13 mars 2016,
dire et juger que la garantie souscrite par M. [X] auprès de la compagnie AXA est mobilisable,
condamner in solidum M. [X] et la compagnie AXA à payer:
- à la MAAF subrogée 329 114,00 euros
- à M. et Mme [L] 43 283,00 euros
dire et juger que ces sommes produiront intérêts à compter du 3 avril 2018, date de présentation de la réclamation amiable,
condamner les requis à payer à M. et Mme [L] ainsi qu'à la MAAF, la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de la SCP Max Joly & associés, avocats, incluant ceux des procédures de référé.
Par conclusions notifiées le 18 janvier 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société AXA France IARD et M. [X] demandent en dernier lieu à la cour de :
Vu les articles 1302 du code civil, applicable au jour de l'incendie, et 1733 du code civil,
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
condamner les demandeurs solidairement à verser à la compagnie AXA la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
condamner les demandeurs solidairement aux entiers dépens.
L'ordonnance de cloture a été prononcée le 6 mars 2023.
MOTIFS ET DÉCISION
En application de l'article 1733 code civil, le locataire répond de l'incendie, à moins qu'il ne prouve :
Que l'incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction.
Ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
Ainsi, une présomption de responsabilité pèse sur le locataire en cas d'incendie, dont il ne peut s'exonérer qu'en rapportant la preuve de l'un des cas d'exonération précités.
Les appelants font grief au jugement déféré d'avoir écarté la présomption de responsabilité pesant sur les locataires en retenant que l'incendie aurait été causé par un vice de construction, alors que, selon eux, la cause du sinistre n'est pas déterminée par l'expert judiciaire.
Toutefois, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte expressément que le tribunal, s'appuyant sur les conclusions de l'expert judiciaire, a retenu que le vice de construction est la cause du sinistre.
En effet, l'expert judiciaire, y compris dans ses réponses aux dires, a clairement conclu en ce sens que le feu a pris, à l'extérieur du chalet, dans la gaine (coffrage en bois réalisé par M. [L]) qui enferme le conduit de fumée, causé par une fuite localisée à la jonction de deux tronçons de ce conduit. Le conduit comportant plusieurs tronçons, c'est uniquement la localisation exacte de la jonction fuyarde qui n'a pas été identifiée avec précision, et non la cause de l'incendie qui est parfaitement déterminée.
Ainsi que l'a justement retenu le tribunal, M. [F] a relevé plusieurs non-conformités majeures de l'installation aux règles de l'art, qui expliquent le départ de feu (page 10) :
- l'existence de deux décalages du conduit,
- l'absence de support du conduit de fumée extérieur,
- l'assemblage entre le conduit de raccordement et le conduit de fumée effectué par deux coudes à 45° et non pas avec un Té de raccordement,
ces trois non conformités faisant que le poids du conduit n'est pas repris correctement, supporté seulement par le conduit horizontal et les colliers fixés au bardage (lesquels n'ont pas vocation à supporter le poids, mais seulement à maintenir le conduit vertical).
L'expert explique ainsi qu'au fil du temps, et depuis l'installation réalisée par M. [L] en 1998, les tronçons coudés ont subi des contraintes conduisant à la rupture d'une jonction laissant les gaz chauds s'échapper vers le haut du coffrage pour ensuite l'enflammer.
Les appelants soutiennent que les règles de construction invoquées par l'expert n'étaient pas applicables en 1980 lors de la construction du chalet et qu'ainsi il n'y aurait aucun vice de construction.
Toutefois, l'expert a bien précisé que les règles de l'art n'ont pas été respectées, sans se référer à une norme réglementaire ou de fabricant, puisque le nom du fabricant du conduit n'a pas été identifié avec certitude. Les appelants ne produisent aucun document technique de nature à remettre utilement en cause les conclusions de l'expert de ce chef.
Concernant la date des travaux, la cour note que le chalet avait été construit sur le terrain d'un tiers en 1980, mais a été déplacé sur le terrain des appelants en 1995 et que le poêle a été réinstallé dans les lieux à cette occasion, M. [L] effectuant lui-même l'habillage extérieur du conduit, c'est-à-dire la gaine qui a pris feu. De ce fait l'argument lié à la date de construction du chalet (dont on ignore s'il comportait déjà un poêle) est inopérant.
L'expert judiciaire a encore souligné une autre non-conformité, à savoir l'absence de ventilation de la gaine entourant le conduit, laquelle a contribué au déclenchement du sinistre en favorisant l'accumulation des gaz chauds.
Les appelants soutiennent encore que les locataires auraient commis une imprudence en utilisant du bois de palette comme combustible dans le poêle et que le deuxième ramonage n'aurait pas été réalisé.
Toutefois, l'expert a très clairement exclu que l'incendie ait pu être causé par un feu de cheminée, de sorte que ces points sont sans incidence sur la solution du litige. Il sera noté en outre que le ramonage avait été effectué le 19 septembre 2015, soit exactement six mois avant le sinistre, et que l'expert souligne qu'un ramonage supplémentaire n'aurait pas permis d'identifier le défaut d'étanchéité d'une jonction du conduit.
Il sera enfin ajouté que l'ensemble des conclusions de l'expert rejoignent celles, moins affirmatives toutefois, du cabinet Elex (pièce n° 3 des appelants), mandaté par la MAAF, assureur des époux [L], lequel conclut que la cause la plus probable du sinistre est le déboîtement du conduit de fumée au niveau d'un coude, ou le décalage du conduit suite à une défaillance d'une pièce de fixation, entraînant un échappement de fumées brûlantes et l'inflammation d'une pièce de bois de la gaine d'habillage du conduit.
Les deux experts soulignent que le conduit de fumées, entièrement masqué par la gaine en bois, n'était pas visible ni accessible, de sorte que le défaut à l'origine de l'incendie ne pouvait être détecté, même à l'occasion d'un ramonage. Le fait que le poêle ait fonctionné sans incident pendant 18 ans est sans effet, puisque l'expert indique que ce sont, justement, les contraintes exercées au fil du temps qui ont fragilisé les jonctions et permis la survenance du sinistre.
Il résulte de ce qui précède que le vice de construction retenu par l'expert est bien la cause du sinistre, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal a jugé que le locataire rapporte la preuve d'une cause d'exonération de sa responsabilité.
Le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [X] et de la société AXA France IARD la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de leur allouer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel.
Les appelants supporteront les entiers dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry le 17 juin 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [O] [L], Mme [C] [L] et la compagnie MAAF Assurances à payer à M. [N] [X] et la société AXA France IARD la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [O] [L], Mme [C] [L] et la compagnie MAAF Assurances aux entiers dépens de l'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 15 juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente