COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 15 Juin 2023
N° RG 21/00799 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GVSR
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 15 Février 2021, RG 17/01490
Appelante
Mme [H] [S]
née le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 5], demeurant [Adresse 4]
Représentée par la SCP LE RAY BELLINA DOYEN, avocat au barreau de CHAMBERY
Intimées
Compagnie d'assurance ALLIANZ, dont le siège social est sis [Adresse 1] prise en la personne de son représentant légal
SAS RESOUL LABELLEMONTAGNE dont le siège social est sis [Adresse 2] prise en la personne de son représentant légal
Représentées par Me Stéphanie BAUDOT, avocat au barreau d'ALBERTVILLE
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CPAM DU PUY DE DOME venant aux droits du RSI et de la CLDSSTI sise [Adresse 7] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SCP SAILLET & BOZON, avocat au barreau de CHAMBERY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 04 avril 2023 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 1er avril 2015, Madame [H] [S], alors âgée de 53 ans, a été victime d'un accident alors qu'évoluait sur la piste du 'Pré du Bois' du domaine skiable de la station [Localité 6] 1850.
Consécutivement, Madame [S] a été hospitalisée pour différentes lésions et fractures d'importance.
Par actes d'huissier des 22 et 23 août 2017, Madame [S] a fait assigner la SA Labellemontagne Management, la SA Allianz Iard son assureur ainsi que la Caisse Nationale du Régime Spécial des Indépendants aux fins de faire établir la responsabilité de l'exploitant et obtenir le bénéfice d'une expertise médicale.
La Caisse Locale Déléguée pour la Sécurité Sociale des Travailleurs Indépendants (CLDSSTI) est intervenue volontairement à la procédure en indiquant venir aux droits du RSI. La Cpam du Puy-de-Dôme est ensuite intervenue volontairement aux droits de la CLDSSTI.
La SAS [Localité 6] Labellemontagne est également intervenue volontairement à la procédure en indiquant agir en qualité d'exploitant de la station de ski [Localité 6] 1850, étant précisé que cette société est également assurée auprès de la SA Allianz Iard, d'ores et déjà mise en cause.
Par jugement contradictoire du 15 février 2021, le tribunal judiciaire de Chambéry a :
- mis hors de cause la SA Labellemontagne Management,
- rejeté la demande de Madame [S] tendant à voir juger la SAS [Localité 6] Labellemontagne entièrement responsable de l'accident dont elle a été victime le 1er avril 2015,
- rejeté la demande de Madame [S] tendant à voir condamner in solidum la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard à l'indemniser de l'intégralité de son préjudice,
- rejeté la demande de Madame [S] tendant à voir ordonner avant dire droit une expertise médicale, au fond sur l'évaluation et la liquidation de ses préjudices corporels,
- rejeté la demande de Madame [S] tendant à voir désigner tel expert qu'il plaira au tribunal avec la mission habituelle en la matière conformément à la nomenclature Dintilhac,
- rejeté la demande de Madame [S] tendant à voir condamner in solidum la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de provision,
- rappelé que le jugement est opposable au RSI,
- rejeté la demande de la Cpam du Puy-de-Dôme tendant à voir condamner in solidum la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard à lui payer les sommes provisoires de :
7 339,97 euros en remboursement des prestations en nature avec intérêts de droit et anatocisme à compter des présentes,
1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale,
- rejeté la demande de la Cpam du Puy-de-Dôme tendant à voir juger qu'elle exerce son recours, en ce qui concerne les prestations en nature prises en charge, sur le poste dépenses de santé actuelles (DSA) fixé provisoirement à la somme de 8 814,29 euros,
- rejeté la demande de la Cpam du Puy-de-Dôme tendant à la condamnation de la SAS [Localité 6] Labellemontagne et de la SA Allianz Iard à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné Madame [S] à payer à la SAS [Localité 6] Labellemontagne et à la SA Allianz Iard la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné Madame [S] aux dépens,
- rejeté la demande de la Cpam du Puy-de-Dôme tendant à voir assortir le présent jugement de l'exécution provisoire.
Par déclaration du 12 avril 2021, Madame [S] a interjeté appel du jugement.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 12 avril 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Madame [S] demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et en ce qu'il a:
- rejeté sa demande tendant à voir juger la SAS [Localité 6] Labellemontagne entièrement responsable de l'accident,
- rejeté sa demande tendant à voir condamner in solidum la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard à l'indemniser de l'intégralité de son préjudice,
- rejeté sa demande tendant à voir ordonner avant-dire droit une expertise médicale, au fond sur l'évaluation et la liquidation de ses préjudices corporels,
- rejeté sa demande tendant à voir désigner tel expert qu'il plaira au tribunal avec la mission habituelle en la matière conformément à la nomenclature Dintilhac,
- rejeté sa demande tendant à voir condamner in solidum la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de provision,
- condamné l'appelante à payer à la SAS [Localité 6] Labellemontagne et à la SA Allianz Iard la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Et, statuant de nouveau,
- dire et juger que la SAS [Localité 6] Labellemontagne a manqué à son obligation de sécurité de moyen,
En conséquence,
- dire et juger la SAS [Localité 6] Labellemontagne entièrement responsable de l'accident survenu,
- dire et juger la SAS [Localité 6] Labellemontagne responsable des préjudices subis par elle,
Ainsi,
- condamner in solidum la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz IARD à l'indemniser de l'intégralité de son préjudice,
- rejeter, en tous les cas, la demande de partage de responsabilité formée par les intimées,
Avant-dire droit, au fond sur l'évaluation et la liquidation de ses préjudices corporels,
- ordonner une expertise médicale,
- désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec la mission habituelle en la matière conformément à la nomenclature Dintilhac,
- condamner in solidum la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de provision,
- condamner in solidum la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer l'arrêt à intervenir opposable à la Cpam du Puy-de-Dôme venant aux droits du RSI et de la CLDSSTI,
- condamner in solidum la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En réplique, dans leurs conclusions adressées par voie électronique le 20 juin 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SA Allianz Iard et la SAS [Localité 6] Labellemontagne demandent à la cour de :
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il a confirmé qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de la SAS [Localité 6] Labellemontagne, et débouté Madame [S] puis la Cpam du Puy-de-Dôme de l'intégralité de leurs demandes,
À titre subsidiaire, si la cour devait infirmer, même partiellement le jugement déféré,
- prononcer un partage de responsabilité laissant à la charge de Madame [S] 80% des conséquences dommageables de son accident,
Plus subsidiairement encore,
- donner acte à la SAS [Localité 6] Labellemontagne et à la SA Allianz IARD de leurs protestations et réserves concernant la demande d'expertise médicale,
- constater que Madame [S] ne justifie pas des sommes qui lui ont été versées par la compagnie d'assurances MAIF,
- ramener la demande de provision à de plus justes proportions,
- débouter Madame [S] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Madame [S] au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Enfin, dans ses conclusions adressées par voie électronique le 4 février 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la Cpam du Puy-de-Dôme demande à la cour de :
- recevoir son appel incident,
- infirmer le jugement déféré,
Dans l'attente du rapport d'expertise,
- condamner in solidum ou directement pour la seconde la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard à lui payer la somme provisoire de:
7 339,97 euros en remboursement des prestations en nature avec intérêts de droit et anatocisme à compter du 18 janvier 2018 date de sa première demande en justice,
1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale,
- dire et juger qu'elle exerce son recours en ce qui concerne les prestations en nature prises en charge, sur le poste dépenses de santé actuelles (DSA) fixé provisoirement à la somme de 8 814,29 euros,
- condamner in solidum ou directement pour la seconde la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum ou directement pour la seconde la SAS [Localité 6] Labellemontagne et la SA Allianz Iard, aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Bozon en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Conformément à l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction en vigueur au 1er avril 2015 et recodifié à droit constant sous l'article 1231-1, le débiteur d'une obligation contractuelle est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En ce sens, l'exploitant d'un domaine de ski, lié contractuellement aux usagers ayant acquitté un forfait, est tenu d'assurer leur sécurité par une obligation de moyen en raison de l'aléa existant dans la pratique de cette activité et du rôle actif du skieur lequel conserve la maîtrise de sa vitesse et de sa trajectoire lorsqu'il évolue sur une piste.
L'étendue de l'obligation de moyen s'apprécie en fonction des facteurs de danger prévisibles, de la configuration naturelle des lieux et au regard des aménagements réalisés.
A l'intérieur du domaine skiable, les usagers doivent être informés des aménagements spécifiques réalisés et de leur niveau de difficulté, prévenus et protégés des dangers particuliers anormaux ou excessifs.
Il en résulte que celui qui poursuit la responsabilité de l'exploitant, au titre du non-respect de son obligation contractuelle de sécurité, doit prouver la faute commise par ce dernier ainsi que le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice subi. En revanche si l'exploitant invoque un fait exonératoire de sa responsabilité, tel que la faute de la victime, la preuve lui en incombe.
Il est acquis aux débats que Madame [S] a acheté un forfait de ski auprès de la SAS [Localité 6] Labellemontagne laquelle est donc tenue, à son égard, d'une obligation de sécurité de moyen concernant la pratique du ski sur le domaine qu'elle exploite en période de validité du forfait, ce qui n'est pas discuté en l'espèce.
Il est en outre constant que Madame [S] a été victime d'un accident alors qu'elle progressait, au sein du domaine de [Localité 6] 1850, sur une piste dénommée 'Pré du Bois', en percutant un arbre situé en contrebas de l'espace aménagé pour la pratique du ski.
A ce titre, Madame [S] reproche à l'exploitant de ne pas avoir suffisamment sécurisé cette partie du domaine en ce qu'aucune protection ne permettait d'empêcher un skieur de sortir de la piste et de chuter en aval, au risque de dévaler une pente puis de percuter un arbre. Elle estime en outre que le balisage était insuffisant.
Il échet de rappeler, à titre liminaire, que la norme NF S52-102 établie en juillet 2001 formule différentes préconisations concernant le balisage, la signalisation et l'information des pratiquants sur les pistes de ski alpin mais demeure dépourvue de valeur réglementaire de sorte qu'il appartient aux exploitants de s'assurer, en considération des danger prévisibles et de la configuration naturelle des lieux, de la sécurisation adéquate du domaine demeurant sous leur responsabilité.
Il résulte des éléments communiqués par les parties que, lors de l'accident, la piste était balisée par des jalons et qu'elle ne présentait pas de défaut ou de dangerosité particulière, la courbure du tracé étant aisément déterminable pour anticiper le virage à réaliser et éviter tout cheminement, au-delà du talu, en direction de la zone boisée.
En ce sens, les photos communiquées par Madame [S] permettent de retenir que, quand bien même la piste présente une déclivité relativement prononcée, cette éventuelle difficulté est compensée à la fois par la grande largeur de la voie et la bonne visibilité offerte aux skieurs y progressant.
La cour retient à ce titre que les arbres situés en contrebas de la piste, visés par l'appelante comme constitutifs d'un danger spécifique, s'avèrent aisément perceptibles pour un skieur normalement attentif lequel ne peut que se rendre compte de leur présence ainsi que de la courbure et de la déclivité de la piste avant de s'engager dans cette descente.
La cour observe encore que depuis le sommet de la piste, connaissance prise des éléments précités, les skieurs conservent la possibilité de s'engager en direction de la piste 'chardon' (classifiée piste verte) de sorte que Madame [S] a manifestement fait le choix, depuis l'embranchement, de s'engager en direction de la piste 'Pré du Bois' étant rappelé que l'appelante possédait un niveau débutant dans la pratique du ski alpin et n'avait pas fait le choix de solliciter le concours d'un moniteur professionnel pour l'apprentissage de cette activité.
Aucun élément de l'espèce ne permet par ailleurs de retenir que la piste où Madame [S] a été victime de l'accident s'avérait spécifiquement accidentogène, le caractère non-exceptionnel de l'accident n'étant étayé par aucun témoignage ni aucune donnée statistique.
Enfin, l'éventuelle modification du classement de la piste (quoique contestée par l'exploitant qui affirme que cette piste a toujours été classifiée 'bleue') et les aménagements réalisés postérieurement (filets de protection) ne sauraient préjuger d'une reconnaissance implicite de responsabilité.
Il en résulte que la SAS [Localité 6] Labellemontagne ne pouvait raisonnablement prévoir que la partie du domaine dans laquelle l'accident s'est produit présentait un danger spécifique nécessitant une signalisation particulière et, a fortiori, un aménagement ad hoc.
Dans ces conditions, aucune faute n'étant démontrée concernant l'exploitant, Madame [S] et la Cpam du Puy-de-Dôme doivent être déboutées de leurs demandes.
Madame [S], appelante principale, est condamnée aux dépens. Elle est en outre condamnée à payer à la SAS [Localité 6] Labellemontagne la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Madame [H] [S] à payer la somme de 2 500 euros à la SA Allianz Iard et à la SAS [Localité 6] Labellemontagne au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [H] [S] aux dépens d'appel,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi prononcé publiquement le 15 juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente