HP/SL
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 13 Juin 2023
N° RG 21/00682 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GVGJ
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 10 Mars 2021
Appelante
S.A.S. SOCCO PROMOTION, dont le siège social est situé [Adresse 1] - [Localité 4]
Représentée par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SARL BALLALOUD & ASSOCIES, avocats plaidants au barreau d'ANNECY
Intimés
M. [D], [P] [N]
né le 18 Juin 1976 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3] - [Localité 4]
M. [A], [U] [N]
né le 27 Août 1973 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3] - [Localité 4]
M. [G], [B] [N]
né le 27 Août 1973 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3] - [Localité 4]
Représentés par la SELARL CABINET ALCALEX, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentés par la SCP LACHAT MOURONVALLE, avocats plaidants au barreau de GRENOBLE
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Date de l'ordonnance de clôture : 27 Février 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 mars 2023
Date de mise à disposition : 13 juin 2023
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Composition de la cour :
Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l'assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseillère,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
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Faits et Procédure
MM. [D], [A] et [G] [N] sont propriétaires indivis de la parcelle BN [Cadastre 2], sur laquelle est édifiée une maison d'habitation, sise [Adresse 3] à [Localité 4], selon acte de donation-partage de leur mère [R] [O] veuve [N] en date du 30 mai 2008. Selon acte authentique en date du 25 septembre 2017, ils consentaient à la société Socco Promotion une promesse unilatérale de vente expirant le 30 mars 2018 portant sur cette parcelle au prix de 970 0000 euros, l'acte prévoyant une indemnité d'immobilisation de 97 000 euros et des conditions suspensives au profit de la société Socco Promotion, plus particulièrement, l'établissement par les vendeurs d'une origine de propriété remontant à un acte translatif de propriété d'au moins trente ans. Par courrier du 29 novembre 2017, par l'intermédiaire de son notaire, la société Socco Promotion indiquait aux consorts [N] ne pas donner suite à l'achat envisagé, estimant que les consorts [N] n'avaient pas justifié de leur propriété sur la fraction de la parcelle située entre le mur de clôture et la rue du Docteur [C], et sur la partie du chemin dénommé '[Adresse 6].
Par exploit d'huissier en date du 16 mai 2018, MM. [D], [A] et [G] [N] assignaient la société Socco Promotion en paiement de l'indemnité d'immobilisation.
Par jugement contradictoire en date du 10 mars 2021, le tribunal judiciaire d'Annecy, avec exécution provisoire sur la moitié des condamnations,
- condamnait la société Socco Promotion à payer à MM. [D], [A] et [G] [N], pris indivisément, la somme de 97 000 euros à titre d'indemnité d'immobilisation et celle de 3 000 euros au titre de l'indemnité procédurale ;
- condamnait la société Socco Promotion au paiement des dépens de l'instance, distraits au profit de Me Perrissin, avocat, sur son affirmation de droit
Le tribunal ayant retenu,
' que l'origine de propriété de la parcelle BN [Cadastre 2], sur laquelle est édifiée une maison d'habitation, sise [Adresse 3], propriété indivise des consorts [N] était établie depuis plus de trente ans par au moins trois actes translatifs de propriété ;
' que la société Socco Promotion ne pouvait exiger des consorts [N] de justifier de leur propriété sur la totalité de l'assiette de la parcelle dans les limites telles que représentées au cadastre ;
' que l'absence de régularisation de la promesse unilatérale de vente était du fait de la société Socco Promotion.
Par déclaration au greffe de la cour en date du 26 mars 2021, la société Socco Promotion interjetait appel de la décision en toutes ses dispositions.
Prétentions des parties
Par dernières écritures en date du 5 janvier 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Socco Promotion sollicite de la cour l'infirmation de la décision entreprise et statuant à nouveau de :
- juger que la condition suspensive figurant à la promesse unilatérale de vente du 25 septembre 2017 tenant à l'établissement d'une « origine de propriété régulière remontant à un titre translatif d'au moins trente ans » n'est pas levée ;
- dire et juger que la société Socco Promotion est de bonne foi ;
- dire et juger que l'absence de régularisation de la promesse n'est pas du fait de la société Socco Promotion ;
- débouter les consorts [N] de leur demande de règlement de l'indemnité d'immobilisation ;
- condamner les consorts [N] à lui verser une indemnité procédurale de 5 000 euros ;
- condamner les mêmes aux entiers dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel par la Selurl Bollonjeon, avocate associée, sur son affirmation de droit.
Par dernières écritures en date du 20 septembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, MM. [D], [A] et [G] [N] sollicitent la confirmation de la décision entreprise et de :
- condamner la société Socco Promotion à leur verser une indemnité procédurale de 5 000 euros et les dépens, avec distraction au profit de Me Véronique Lorelli sur son affirmation de droit.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 février 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 28 mars 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
MOTIFS ET DÉCISION
I - Sur la levée de la condition suspensive figurant dans la promesse de vente
La société Socco Promotion soutient que la condition suspensive figurant dans la promesse de vente que lui ont consentie les consorts [N] par acte authentique en date du 25 septembre 2017, condition selon laquelle devait être établie l'origine de propriété régulière de la parcelle cadastrée BN [Cadastre 2], objet de la promesse, n'a pas été levée, dès lors qu'aux termes d'un acte notarié de 1910, la partie du chemin Saint [P] de Menthon, qui était incluse dans la dite parcelle, n'était en réalité pas la propriété des consorts [N] mais était restée depuis toujours la propriété de Mme [W] et de ses héritiers, de sorte que les promettants n'ont pas justifié de la propriété pleine et entière de la parcelle BN [Cadastre 2].
Les consorts [N] soutiennent au contraire qu'ils ont justifié de leur propriété sur la parcelle BN [Cadastre 2] faisant l'objet de la promesse de vente dès lors qu'ils ont produit les actes translatifs de propriété depuis 1966 et que depuis 1976, les actes font état d'une surface de 588 m². Ils ne contestent pas le fait que la parcelle, dans l'acte de 1910, avait une surface de 398 m², puis de 518 m² en 1966 puis de 588m² à partir du remaniement cadastral et de l'acte translatif de propriété de 1976, mais comme cela résulte de la promesse de vente, la surface cadastrale et la configuration de la parcelle n'ont été données qu'à titre indicatif.
Sur ce,
Par la promesse de vente, établie par acte authentique du 25 septembre 2017, les consorts [N] se sont engagés à vendre à la société Socco Promotion, la parcelle figurant au cadastre sous à la section BN numérotée [Cadastre 2], sise [Adresse 3] à [Localité 4] 74, pour une surface de 588 m², l'extrait du plan cadastral étant annexé à l'acte.
S'agissant de la surface et des limites, il était indiqué dans un paragraphe 'observations concernant la surface et les limites', les mentions suivantes :
'Le bien est désigné par ses références cadastrales et figure en teinte jaune sur le plan annexé.
La contenance cadastrale est généralement obtenue par mesures graphiques relevées sur le plan cadastral à partir des limites y figurant ;
Cette contenance et ces limites n'ont qu'une valeur indicative, le cadastre n'étant pas un document à caractère juridique mais un document à caractère fiscal servant essentiellement au calcul de l'impôt.
La superficie réelle est obtenue à partir des mesures prises sur le terrain et entre les limites réelles, c'est-à-dire, définies avec les propriétaires riverains. Seul les limites et superficies réelles déterminées par un géomètre-expert sont garanties.
Le bénéficiaire déclare en avoir été informé, et qu'il a la possibilité, s'il le désire, de demander à ses frais à un géomètre-expert la détermination des limites et la superficie réelle.
Cette intervention éventuelle ne remettra pas en cause les engagements résultant des présentes'.
En outre, la promesse de vente contenait un paragraphe 'contenance du terrain et des constructions' précisant : 'le promettant ne confère aucune garantie de contenance du terrain ni de superficie de construction'.
Aux termes de la première clause, le bénéficiaire de la promesse, la société Socco Promotion ne pouvait se désengager, même s'il faisait intervenir un géomètre dont le travail aurait pu aboutir au constat d'une surface et de limites différentes. D'ailleurs, la société Socco Promotion en a pleinement conscience puisqu'elle indique dans ses écritures qu'il n'est pas reproché une erreur de limite ou de contenance. Egalement, les parties sont d'accord pour reconnaître que le cadastre n'est qu'un document fiscal et non juridique.
Ainsi, quelqu'aient pu être la contenance exacte et les limites de la parcelle, notamment au vu du cadastre, les consorts [N] devaient démontrer qu'ils étaient propriétaires de la parcelle BN[Cadastre 2], objet de la promesse de vente, depuis au moins trente ans, cette condition figurant dans l'acte dans le paragraphe 'origine de propriété' disposant : 'qu'il soit établi une origine de propriété régulière remontant à un titre translatif d'au moins trente ans'. Or, c'est ce qu'ils ont fait en produisant quatre actes translatifs de propriété dont le plus ancien remontait à 1966 :
- acte de vente du 02/05/1966
- acte de donation hors part successorale du 10/01/1976
- acte de donation-partage du 21/08/1981
- acte de donation-partage du 30/05/2008
Le fait que le côté du passage Saint [P] de Menthon, le long de leur parcelle, indiqué sur le cadastre comme faisant partie de leur parcelle, ne leur appartienne pas, n'a aucune incidence sur le fait qu'ils ont parfaitement respecté l'obligation qui était à leur charge aux termes de la promesse de vente.
C'est donc à bon droit que le premier juge a dit que la société Socco Promotion ne pouvait exiger que les consorts [N] justifient de leur propriété sur la totalité de l'assiette de leur parcelle dans sa représentation au cadastre.
II - Sur le paiement de l'indemnité d'immobilisation
La promesse de vente prévoyait une indemnité d'immobilisation de 97 000 euros dont le versement devait intervenir en deux temps :
- 48 500 euros au plus tard le 30 novembre 2017 ;
- le solde 'au plus tard dans les huit jours de l'expiration du délai de réalisation de la promesse de vente pour le cas où le bénéficiaire , toutes les conditions suspensives ayant été réalisées ou réputées comme tel au titre de l'article 1304-3 du code civil, ne signerait pas l'acte de vente de son seul fait'.
Sans qu'il y ait lieu d'invoquer la mauvaise foi, comme le font les parties de part et d'autre, il convient de constater que les conditions suspensives ont été réalisées et que la société Socco Promotion n'a pas signé l'acte de vente.
En effet, les consorts [N] ne sont pas à l'origine du document cadastral et il appartenait à la société Socco Promotion, professionnel de l'immobilier de faire preuve de prudence sur les limites exactes du terrain si celles-ci avaient une telle importance pour son projet immobilier, d'autant qu'elle n'a pu ignorer en visitant les lieux que le passage litigieux se trouvait de l'autre côté du muret bordant la propriété des consorts [N] et qu'il desservait plusieurs propriétés jusqu'au [Adresse 5], de sorte qu'il n'était manifestement pas possible d'édifier une construction à partir de la limite cadastrale et il n'est pas établi que le permis de construire eût été accordé avec un retrait de la construction à partir du milieu du passage. Par ailleurs, la société Socco Promotion n'indique pas quelle aurait été l'importance pour elle soit d'une servitude de passage bénéficiant à la parcelle BN[Cadastre 2] comme c'est le cas, soit d'une servitude de passage accordée par la parcelle BN [Cadastre 2], soit encore d'une propriété indivise entre tous les fonds desservis par le passage. En tout état de cause, la société Socco Promotion n'ignorait pas qu'il y avait un passage et le courrier de son notaire en date du 18 septembre 2017 adressé au notaire des consorts [N] le démontre quand il écrit : 'avez-vous pu obtenir l'acte constituant l'origine de propriété aux fins d'obtenir de plus amples informations sur le droit de passage''. Enfin, il ne peut être reproché aux consorts [N] d'avoir visé dans l'acte ultérieur de vente de leur propriété à d'autres personnes la mention de la convention de servitude notariée de 1914, puisque désormais ils en avaient eu connaissance.
En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a condamné la société Socco Promotion à payer aux consorts [N] l'indemnité d'immobilisation de 97 000 euros prévue dans la promesse de vente.
III - Sur les demandes accessoires
Succombant, la société Socco Promotion sera condamnée aux dépens distraits au profit de Me Lorelli, avocate sur son affirmation de droit et au paiement d'une indemnité procédurale de 3 000 euros aux consorts [N] ensemble.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Socco Promotion aux dépens d'appel distraits au profit de Me Lorelli, avocate sur son affirmation de droit,
Condamne la société Socco Promotion à payer aux consorts [N] ensemble une indemnité procédurale de 3 000 euros.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 13 juin 2023
à
la SELARL BOLLONJEON
la SELARL CABINET ALCALEX
Copie exécutoire délivrée le 13 juin 2023
à
la SELARL CABINET ALCALEX