COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 27 Avril 2023
N° RG 21/00932 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GWB5
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 18 Mars 2021, RG 18/00701
Appelante
S.A.S. FRANCE BOISSONS RHONE-ALPES, dont le siège social est sis [Adresse 6] - prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Fabien PERRIER, avocat postulantau barreau de CHAMBERY et Me Marion HUBERT, avocat plaidant au barreau de MONTPELLIER
Intimés
Mme [M] [K] épouse [I]
née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 8],
et
M. [J] [I], né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 9], demeurant ensemble [Adresse 5]
Représentés par la SELARL JOLY BOUVIER AVOCATS, avocat au barreau d'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 24 janvier 2023 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 17 janvier 2014, la SA Banque CIC Est a consenti à la SARL MML un prêt d'un montant de 110 550 euros au taux de 0% amortissable entre le 31 décembre 2014 et le 31 décembre 2019.
Ce prêt était garanti par le nantissement d'un fonds de commerce (café - bar - brasserie avec licence IV) et par un cautionnement solidaire de la SAS France Boissons Rhône Alpes en sa qualité de distributeur.
Par conventions du 30 janvier 2014, Monsieur [J] [I] et Madame [M] [K] son épouse se sont l'un et l'autre portés cautions solidaires de la société MML envers la SAS France Boissons Rhône Alpes dans la limite de la somme de 132 660 euros.
La SARL MML n'ayant pas honoré ses engagements, la SAS France Boisson Rhône Alpes, appelée en garantie, a alors réglé à la SA Banque CIC Est les échéances impayées ainsi que le capital restant dû après déchéance.
Par jugement du 5 août 2016, le tribunal de commerce d'Annecy a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société MML, laquelle a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 23 juin 2017.
La SAS France Boissons Rhône Alpes a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire le 13 octobre 2016, laquelle a été admise à titre chirographaire pour un montant de 91 205,02 euros.
Le 31 janvier 2017, la SA Banque CIC Est a établi une quittance subrogative au profit de la SAS France Boissons Rhône Alpes. Par courrier recommandé du 7 août 2017, la SAS France Boissons Rhône Alpes a mis en demeure les époux [I] de lui régler l'intégralité du montant versé auprès de CIC Est.
Faute de règlement spontané, la SAS France Boisson Rhône Alpes a alors fait assigner Monsieur les époux [I] en paiement par actes du 27 mars 2018.
Par jugement du 18 mars 2021, le tribunal judiciaire d'Annecy a :
- débouté la SAS France Boisson Rhône Alpes de ses demandes,
- condamné la SAS France Boisson Rhône Alpes à payer aux époux [I] la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS France Boisson Rhône Alpes aux dépens.
Par acte du 29 avril 2021, la Sas France boisson Rhône Alpes a interjeté appel du jugement.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 janvier 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société France Boisson Rhône Alpes demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel,
Au fond,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
En conséquence,
- condamner solidairement Monsieur et Madame [I] à lui payer la somme de 61 651,33 euros au titre du contrat de prêt du 17 janvier 2014, majorée des intérêts au taux légal depuis le 7 août 2017, en leur qualité de caution solidaire de la SARL MML,
- condamner solidairement Monsieur et Madame [I] à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner in solidum aux entiers dépens.
En réplique, dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 15 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les époux [I] demandent à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris,
- dire et juger qu'ils sont déchargés de leurs engagements de caution à l'égard de la SAS France Boisson Rhône Alpes,
En conséquence,
- débouter la SAS France Boisson Rhône Alpes de l'intégralité de ses demandes,
À titre subsidiaire,
- dire et juger qu'ils ne peuvent être condamnés à payer à la SAS France Boisson Rhône Alpes une somme qui serait supérieure à 61 651,33 euros.
En tout état de cause,
- condamner la SAS France Boisson Rhône Alpes à leur payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SAS France Boisson Rhône Alpes au paiement des entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 2314 du code civil dispose que la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.
En l'espèce, la SAS France Boissons Rhône Alpes revendique le paiement d'une somme de 61 651,33 euros en principal (déduction faite de la somme de 28 299,09 euros perçue dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire), en se prévalant d'une quittance subrogative délivrée à son profit le 31 janvier 2017 par la SA Banque CIC Est suite au fait qu'elle ait honoré, pour le compte de la SARL MML, la créance revendiquée par la banque.
Les époux [I], qui ne contestent pas s'être engagés le 30 janvier 2014 en qualité de cautions solidaires de la SARL MML au profit de la SAS France Boissons Rhône Alpes dans la limite de 132 660 euros, excipent de la décharge de leur engagement compte tenu de la perte de chance du créancier d'être désintéressé de tout ou partie de sa créance faute d'admission de celle-ci, à titre privilégié, au passif de la procédure collective de la société MML.
Il est d'une part constant :
que le nantissement visé au contrat de prêt du 17 janvier 2014, signé par les époux [I] en leur qualité de co-gérants de la SARL MML, porte sur 'un fonds de commerce de débit de boisson - licence IV à l'enseigne 'Le Jean Marie' sis [Adresse 3]',
que ce nantissement (article 6 du contrat de prêt) précède l'engagement de caution de la SAS France Boissons Rhône Alpes (article 7 du même contrat),
qu'il précède encore les engagements de caution solidaire des époux [I] régularisés le 30 janvier 2014 au profit de la SAS France Boissons Rhône Alpes,
que les époux [I] pouvaient dès lors objectivement et légitimement penser que la SA Banque CIC Est, ou tout autre créancier subrogé, ferait inscrire puis conserverait ce privilège jusqu'au terme du concours consenti à la SARL MML.
Il est d'autre part acquis aux débats :
que le nantissement inscrit par la SA Banque CIC Est le 10 mars 2014, sous les références 2014N0000174, vise le fonds de commerce précité,
que ce fonds de commerce correspond à celui que la SARL MML a acquis de la SARL MSL consécutivement au compromis de vente du 8 novembre 2013,
qu'à la date d'inscription du nantissement (10 mars 2014), il est justifié par les intimés que le fonds exploité par la société MML avait été renommé sous l'appellation commerciale 'l'entre 2' et localisé au [Adresse 4], soit à une adresse factuellement identique en ce que l'établissement exploité par cette société se trouve, sur la commune de [Localité 7], à l'intersection du [Adresse 3] et du [Adresse 4],
que motif pris que le nantissement du 10 mars 2014 ne porte pas sur le fonds de commerce exploité par la SARL MML, le mandataire judiciaire désigné dans le cadre de la procédure collective a avisé la SAS France Boissons Rhône Alpes, selon courrier du 8 février 2017, du fait qu'il envisageait de n'admettre sa créance qu'à titre chirographaire,
que l'état des créances, subséquemment publié au Bodacc le 3 septembre 2017, n'a pas été contesté par la SAS France Boissons Rhône Alpes dans le délai légal, alors-même qu'elle justifie s'être opposée à l'analyse du mandataire judiciaire selon courrier recommandé du 3 mars 2017,
que par ordonnance du 21 mars 2019, le juge commissaire du tribunal de commerce d'Annecy saisi à l'initiative du mandataire a confirmé, compte tenu du caractère tardif de la contestation, que la créance déclarée par la SAS France Boissons Rhône Alpes ne pouvait qu'être admise à titre chirographaire,
que cette décision n'a pas été davantage été contestée par la SAS France Boissons Rhône Alpes,
qu'à l'issue des opérations de liquidation, un solde de 63 891,72 euros a été distribué entre les créanciers chirographaires selon décompte individuel du 12 octobre 2021 adressé par le liquidateur judiciaire au tribunal de commerce d'Annecy, étant précisé que l'appelante a perçu à ce titre la somme de 28 299,09 euros.
Il en résulte qu'en s'abstenant de contester l'état des créances tel qu'admis par le liquidateur judiciaire alors-même qu'elle s'était initialement opposée à une admission de sa créance à titre chirographaire conformément au délai imparti à l'article L.622-27 du code de commerce, quel qu'ait pu être le résultat de cette démarche, puis, de façon alternative et surabondante, en omettant (pour la SA Banque CIC Est) de vérifier la consistance du fonds de commerce donné en garantie au jour de l'inscription du nantissement, le créancier a perdu ou laissé perdre, de son propre fait, un droit préférentiel qui aurait pu lui procurer, a minima, le bénéfice de la somme de 63 891,72 euros. Il n'est en revanche pas démontré, compte tenu des super privilèges et autres privilèges listés au décompte individuel du 12 octobre 2021 précité, que le nantissement aurait permis au créancier de recueillir une somme plus importante s'il avait été valablement actionné par le créancier.
Dans ces conditions, l'action en paiement de la SAS France Boissons Rhône Alpes s'avère justifiée, mais dans la seule limite de la somme de 26 058,70 euros ((61 651,33 + 28 299,09) - 63 891,72).
En conséquence, les époux [I] sont solidairement condamnés, en leurs qualités de cautions de la SARL MML, à payer à la SAS France Boissons Rhône Alpes la somme de 26 058,70 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 août 2017.
Monsieur et Madame [I], qui succombent à l'instance, sont condamnés in solidum aux dépens et à payer la somme de 2 500 euros à la SAS France Boissons Rhône Alpes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Réforme la décision déférée,
Statuant à nouveau,
Condamne solidairement Monsieur [J] [I] et Madame [M] [K] épouse [I] à payer la somme de 26 058,70 euros à la SAS France Boissons Rhône Alpes avec intérêts au taux légal à compter du 7 août 2017,
Condamne in solidum Monsieur [J] [I] et Madame [M] [K] épouse [I] aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne in solidum Monsieur [J] [I] et Madame [M] [K] épouse [I] à payer la somme de 2 500 euros à la SAS France Boissons Rhône Alpes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi prononcé publiquement le 27 avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente