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25/04/2023 | FRANCE | N°22/00041

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Première présidence, 25 avril 2023, 22/00041


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







Première Présidence

Indemnisation des détentions provisoires



Ordonnance du Mardi 25 Avril 2023





Nous, Marie-France BAY-RENAUD, première présidente de la Cour d'Appel de CHAMBERY, assistée de Ghislaine VINCENT, greffière, avons rendu l'ordonnance suivante, après audience publique tenue le vingt et un mars deux mille vingt trois :



N° RG 22/00041 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G5U4





REQUÉRANT



M. [F] [W]

demeurant [Adresse 2]



Représenté par Me Alexandre DESSAIGNE, avocat au barreau de CHAMBERY





EN PRÉSENCE DE :



Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat, représentant l'Etat Français, Ministè...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Première Présidence

Indemnisation des détentions provisoires

Ordonnance du Mardi 25 Avril 2023

Nous, Marie-France BAY-RENAUD, première présidente de la Cour d'Appel de CHAMBERY, assistée de Ghislaine VINCENT, greffière, avons rendu l'ordonnance suivante, après audience publique tenue le vingt et un mars deux mille vingt trois :

N° RG 22/00041 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G5U4

REQUÉRANT

M. [F] [W]

demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Alexandre DESSAIGNE, avocat au barreau de CHAMBERY

EN PRÉSENCE DE :

Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat, représentant l'Etat Français, Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, [Adresse 3]

représenté par Maître Antoine GIRARD-MADOUX, avocat au barreau de Chambéry

Le Ministère Public, pris en la personne de Madame la procureure générale près la cour d'appel de Chambéry, représentée par Pierre BECQUET, avocat général domicilié en cette qualité au parquet général de la cour d'appel de Chambéry - Palais de Justice - 73018 Chambéry cedex.

DÉBATS :

Madame la première présidente a donné lecture des éléments du dossier,

Me Alexandre DESSAIGNE, avocat au barreau de CHAMBERY, avocat de M. [F] [W], a été entendu en ses observations,

Maître Antoine GIRARD-MADOUX, avocat de l'agent judiciaire de l'Etat, a été entendu en ses observations,

Monsieur Pierre BECQUET, avocat général, a été entendu en ses conclusions,

Me Alexandre DESSAIGNE, avocat au barreau de CHAMBERY, avocat de M. [F] [W], ayant eu la parole en dernier,

Madame la première présidente a déclaré que la décision serait rendue le 25 Avril 2023

'''''

Monsieur [F] [W], mis en examen du chef de viol sur une personne vulnérable, a été placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention le 9 octobre 2019. La chambre de l'instruction, le 24 octobre 2019, a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et ordonné sa remise en liberté sous contrôle judiciaire. Il a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Chambéry le 22 juin 2021. Cette décision n'a pas été frappée d'appel.

Par requête reçue à la cour d'appel de Chambéry le 5 janvier 2022, Monsieur [F] [W] né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 5], de nationalité congolaise, a sollicité la réparation du préjudice subi du fait de sa détention provisoire pendant 15 jours et réclamé les sommes de 12 000 euros au titre du préjudice moral et 14 571,26 euros au titre du préjudice matériel.

Le dossier a été retenu à l'audience du 21 mars 2023.

Monsieur [F] [W] maintient ses demandes et fait valoir au titre du préjudice moral qu'il n'avait jamais été incarcéré auparavant, qu'il a effectué 15 jours de détention au sein de la maison d'arrêt de [4] dont la surpopulation carcérale atteignait, selon les données gouvernementales issues des statistiques de la population écrouée pour l'année 2019 disponibles sur le site du ministère de la justice, 158,1% et qu'au moment de son incarcération il était père d'un enfant de 5 mois et particulièrement sensible aux syndromes d'anxiété et de stress en raison d'un état de santé fragile (diabète de type 1).

Il ajoute que l'arrêté en date du 22 juin 2020, de Monsieur le préfet de Savoie, qui a rejeté la demande de renouvellement de son titre de séjour en raison de la menace qu'il constituerait pour l'ordre public, visait expressément l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 9 octobre 2029 le plaçant en détention provisoire, que les autres éléments relevés par l'autorité préfectorale pour considérer que Monsieur [F] [W] représentait à la date du 22 juin 2020 une menace pour l'ordre public consistaient en 3 condamnations liées à son indigence passée, qui préexistaient au précédent renouvellement du titre de séjour en date du 4 décembre 2018.

Monsieur [F] [W] expose s'être toujours « démené » depuis son arrivée sur le territoire français pour trouver un emploi et donner satisfaction à ses divers employeurs et communique une attestation employeur en date du 22 octobre 2019, un contrat de travail à durée déterminée pour la période du 27 novembre 2018 au 27 mars 2019, un contrat de travail à durée déterminée d'insertion pour la période du 18 novembre 2019 au 17 mars 2020 au sein de la société [6] et 3 avenants successifs. Il ajoute que le non-renouvellement de son titre de séjour et l'expiration de son récépissé de demande le 3 décembre 2020 sont à l'origine de la perte de son emploi au sein de la société [6] le 30 novembre 2020 et que cette situation a contraint son foyer à faire face à une extrême précarité financière dans la mesure où sa compagne n'avait à cette date pas obtenu d'autorisation de travail sur le territoire français.

Il précise que son couple a également subi la perte d'un enfant à naître, la compagne de Monsieur [F] [W] ayant fait une fausse couche le 2 avril 2021 à un peu plus de 4 mois de grossesse.

Monsieur [F] [W] ajoute avoir déposé une nouvelle demande de titre de séjour, avoir obtenu un récépissé l'autorisant à travailler le 14 juin 2021 et avoir retrouvé un emploi le 10 novembre 2021. Il précise que son préjudice matériel à hauteur de 14 571,26 euros est donc constitué par la perte de salaire pour la période du 30 novembre 2020 au 10 novembre 2021, ce montant étant calculé sur la base d'une moyenne constituée par les trois derniers bulletins de salaire multiplié par les 11 mois de période sans emploi.

L'agent judiciaire de l'Etat, aux termes de ses conclusions développées à l'audience, conclut à la recevabilité de la requête et à son accueil dans la limite de 4000 euros au titre du préjudice moral, et au rejet de la demande au titre du préjudice matériel.

Il rappelle que seuls sont indemnisés les préjudices matériels et moraux résultant exclusivement de la détention provisoire.

S'agissant de la demande de réparation du préjudice matériel, il précise que celle-ci est présentée au titre de la perte de salaire pour la période du 30 novembre 2020 au 10 novembre 2021, en raison du non-renouvellement de son titre de séjour qui serait expressément motivé par la détention provisoire dont il a fait l'objet, et non pour le préjudice matériel qu'il aurait subi pendant la période de détention provisoire du 9 octobre 2019 au 24 octobre 2019.

Il ajoute que le non-renouvellement de son titre de séjour est motivé par le fait que son comportement représentait une menace pour l'ordre public compte tenu de la multiplicité des condamnations dont il a fait l'objet et que s'il est effectivement fait état dans l'arrêté préfectoral de l'ordonnance de placement en détention provisoire, il est surtout fait état des faits (viol sur personne vulnérable) ayant conduit à ce placement ainsi que du contrôle judiciaire ordonné par la suite par la chambre de l'instruction dans son arrêt de remise en liberté. L'arrêté préfectoral (22 juin 2020) est donc sans lien avec la période de détention provisoire (9 au 24 octobre 2019).

S'agissant de la demande de réparation du préjudice moral, il soutient qu'elle apparait excessive au regard de la durée de la détention (15 jours). En outre les conséquences alléguées : perte d'emploi le 30 novembre 2020 provoquant ainsi une situation financière précaire, perte de logement (assignation en expulsion pour une audience du 21 septembre 2021) et perte d'un enfant à naître (2 avril 2021) sont sans lien avec la période de détention provisoire (9 au 24 octobre 2019).

Le procureur général conclut également à l'absence de préjudice matériel et à une indemnisation du préjudice moral à hauteur de 4000 euros.

Il fait valoir qu'aucun contrat de travail n'était en cours au moment de l'incarcération, la détention provisoire ne lui a donc pas fait perdre son emploi ni une chance d'en retrouver un autre puisqu'il a été réembauché par la société [6] le 18 novembre 2019 soit 3 semaines après sa libération. Il soutient que si son titre de séjour n'a effectivement pas été renouvelé le 22 juin 2020, ce sont les motifs de l'incarcération et de la procédure criminelle qui ont été pris en compte plus que la réalité d'une incarcération et qu'il n'y a donc pas de lien direct avec la détention provisoire.

Il constate un choc carcéral faible du fait à la fois de la courte durée de l'incarcération et parce qu'il avait déjà été condamné et incarcéré auparavant, l'absence de justificatifs concernant un suivi durant la période de détention provisoire ou postérieurement en lien avec cette dernière. Le ministère public relève que l'assignation devant le juge des contentieux de la protection est intervenue 2 ans après la sortie de détention provisoire et alors que Monsieur [W] avait retravaillé. La perte de l'enfant à naître est également sans lien avec la détention provisoire.

Le conseil de Monsieur [F] [W] a eu la parole en dernier.

SUR CE,

En application des articles 149 à 150 du code de procédure pénale, une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une période terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice matériel et moral causé directement par la privation de liberté.

Sur la recevabilité de la demande :

Monsieur [F] [W] a saisi le premier président de la cour d'appel de Chambéry le 5 janvier 2022 après qu'une ordonnance de non-lieu ait été rendue par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Chambéry le 22 juin 2021. Cette décision a acquis un caractère définitif comme l'atteste le certificat de non-appel du 24 janvier 2022.

La requête est donc présentée dans les formes et délais légaux et sera déclarée recevable.

Sur la période de détention indemnisable :

Il résulte de l'article 149 du code de procédure pénale qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était dans le même temps détenue pour autre cause.

En l'espèce, Monsieur [F] [W] a été placé en détention provisoire le 9 octobre 2019 et a été libéré le 24 octobre 2019 avant de bénéficier d'une ordonnance de non-lieu le 22 juin 2021.

La période d'indemnisation est donc de 15 jours.

Sur le lien de causalité entre la détention provisoire et le préjudice :

Le préjudice allégué par le requérant doit être en lien direct, certain et exclusif avec la détention ; à tout le moins, le préjudice est indemnisable lorsque la détention en est la cause première et déterminante ; en outre, échappe à l'indemnisation de la détention provisoire la réparation du préjudice né du contrôle judiciaire, de la mise en examen et plus globalement du déroulement de la procédure judiciaire ;

Monsieur [F] [W] soutient que son titre de séjour n'a pas été renouvelé en raison de son placement en détention provisoire et il sollicite à ce titre tant un préjudice matériel qu'une aggravation de son préjudice moral ;

Il résulte de la motivation de l'arrêté du préfet de Savoie en date du 22 juin 2020 que monsieur [F] [W] a sollicité le 29 novembre 2019 le renouvellement de son titre de séjour, que les médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration ont estimé que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut de prise en charge médicale pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, que toutefois, la carte de séjour temporaire pouvait être refusée à tout étranger dont la présence constitue une menace pour l'ordre public ;aAinsi, le préfet de Savoie a considéré que le comportement de monsieur [F] [W] représentait une menace pour l'ordre public, dès lors qu'il avait été condamné par le jugement du 20 octobre 2016 par le tribunal correctionnel de Chambéry à une peine de quinze jours d'emprisonnement avec sursis pour des faits de vol et par jugement du 27 septembre 2018 par le tribunal correctionnel de Chambéry à une peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt générale de 120 heures pour des faits de voyage habituel dans un moyen de transport public, qu'il a été écrouté à la maison d'arrêt de [4] et placé en détention provisoire sous mandat de dépôt le 9 octobre 2019 par le juge des libertés et de la détention au tribunal de grande instance de Chambéry pour des faits de viol commis sur une personne vulnérable et qu'il a été mis en liberté sous contrôle judiciaire par arrêt du 24 octobre 2019 de la cour d'appel de Chambéry ;

Ainsi, il convient de constater que la détention provisoire, qui a d'ailleurs été levée très rapidement par la chambre de l'instruction, n'est pas l'unique élément, ni même l'élément déterminant ayant motivé le refus de renouvellement du titre de séjour de monsieur [F] [W] ; la mention de la qualification criminelle des faits pour lesquels monsieur [F] [W] a été mis en examen, son placement sous contrôle judiciaire et l'existence de plusieurs condamnations précédentes sont les éléments qui ont permis de caractériser la notion de menace à l'ordre public ;

Sur l'indemnisation du préjudice matériel :

Monsieur [F] [W] ne justifie pas de ce qu'il disposait d'un emploi le 9 octobre 2019 au moment de son incarcération ; en effet, les éléments communiqués permettent de constater que son dernier contrat de travail s'était terminé le 27 mars 2019 ;

Monsieur [F] [W] sollicite, en réalité, une indemnisation de son préjudice matériel sur la base d'une perte de salaires qui auraient dû être

perçus sur la période du 30 novembre 2020 au 10 novembre 2021, si sa demande de renouvellement de son titre de séjour n'avait pas été refusé ; or, il n'y a pas de lien de causalité direct entre le préjudice allégué, en ce qu'il vise une période éloignée de la détention provisoire et ladite détention provisoire.

L'ensemble de ces éléments conduit à rejeter la demande à ce titre.

Sur l'indemnisation du préjudice moral :

Monsieur [F] [W] est en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice moral résultant de sa détention pendant 15 jours ;

Le choc carcéral n'a pu être diminué s'agissant d'une première incarcération ;

En outre, il convient de prendre en considération les conditions de détention dégradées à la maison d'arrêt de [4], qui connait une situation de

surpopulation pénale chronique et sa situation de père d'un enfant âgé de 5 mois seulement.

Toutefois, les différentes conséquences alléguées de la détention provisoire : la perte de son emploi (le 30 novembre 2020), la perte de son logement (assignation en référé devant le juge des contentieux de la protection en date du 30 juin 2021 pour dettes de loyer), la perte de son enfant à naître (fausse couche de sa compagne le 2 avril 2021) sont, eu égard à la date de leur survenance, sans lien direct avec la détention provisoire.

Ces éléments conduisent à allouer à monsieur [F] [W] la somme de 5000 euros ;

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par décision contradictoire rendue en premier ressort

Déclarons recevable la requête de Monsieur [F] [W] ;

Accordons à Monsieur [F] [W] une indemnité à la charge du Trésor Public d'un montant de 5000 euros au titre de son préjudice moral ;

Déboutons monsieur [F] [W] de toutes autres demandes ;

Laissons les dépens à la charge du Trésor Public.

Ainsi prononcé le vingt cinq avril deux mille vingt trois par Marie-France BAY-RENAUD, première présidente , qui a signé la présente ordonnance avec Ghislaine VINCENT, greffière.

La greffière La première présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Première présidence
Numéro d'arrêt : 22/00041
Date de la décision : 25/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-25;22.00041 ?
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