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16/03/2023 | FRANCE | N°23/00025

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Première présidence, 16 mars 2023, 23/00025


COUR D'APPEL DE CHAMBERY

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Première Présidence







ORDONNANCE



STATUANT SUR L'APPEL D'UNE ORDONNANCE DU JUGE DES LIBERTÉS ET DE LA DÉTENTION EN MATIERE DE SOINS PSYCHIATRIQUES





du Jeudi 16 Mars 2023





RG : N° RG 23/00025 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HGCJ





Appelant

M. LE PREFET DE LA HAUTE SAVOIE

Agence Régionale de Santé Rhône-Alpes

[Adresse 2]

[Localité 3]

Non comparant ni représenté



Tiers demandeur Ã

  l'admission

Etablissement EPSM 74

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Non comparant ni représenté



M. [U] [D]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Non comparant - Non auditionnable

représe...

COUR D'APPEL DE CHAMBERY

----------------

Première Présidence

ORDONNANCE

STATUANT SUR L'APPEL D'UNE ORDONNANCE DU JUGE DES LIBERTÉS ET DE LA DÉTENTION EN MATIERE DE SOINS PSYCHIATRIQUES

du Jeudi 16 Mars 2023

RG : N° RG 23/00025 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HGCJ

Appelant

M. LE PREFET DE LA HAUTE SAVOIE

Agence Régionale de Santé Rhône-Alpes

[Adresse 2]

[Localité 3]

Non comparant ni représenté

Tiers demandeur à l'admission

Etablissement EPSM 74

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Non comparant ni représenté

M. [U] [D]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Non comparant - Non auditionnable

représenté par Me Laure FRANCOIS, avocat au barreau de CHAMBERY

En présence de Mme [P] [W], interprète traductrice en langue portugaise

Partie Jointe :

Le Procureur Général - Cour d'Appel de CHAMBERY - Palais de Justice - 73018 CHAMBERY CEDEX - dossier communiqué et réquisitions écrites en date du 7 mars 2023

*********

DEBATS :

L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 15 mars 2023 à 10 heures devant Madame Myriam REAIDY, conseillère à la cour d'appel de Chambéry, déléguée par ordonnance de Madame la première présidente, pour prendre les mesures prévues aux dispositions de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de prise en charge, assistée de Madame Sylvie DURAND, greffière

L'affaire a été mise en délibéré au 16 mars 2023 à 14 h.

***

EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE, DES PRETENTIONS ET MOYENS

M. [U] [D], né le 19 janvier 1987, a été admis dans l'établissement public de santé mentale de la Vallée de l'Arve (EPSM 74) en soins psychiatriques sans consentement sur décision du préfet de la Haute-Savoie en date du 22 février 2023.

Par arrêté du 27 février 2023, le Préfet de la Haute-Savoie a décidé que la prise en charge de M. [D] eu égard à l'évolution de ses troubles mentaux, s'effectuerait sous forme d'hospitalisation complète.

L'EPSM 74 a saisi le juge des libertés et de la détention par courrier du 27 février 2023. L'audience s'est tenue le 1er mars 2023, en l'absence de M. [D], en incapacité de comparaître.

Par ordonnance du 3 mars 2023, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bonneville a ordonné la mainlevée de l'hospitalisation complète de M. [D], considérant que la procédure était irrégulière pour défaut de traduction de la notification de ses droits au patient dans une langue qu'il comprend, celui-ci ne parlant pas le français.

Par déclaration d'appel du 7 mars 2023, M. le Préfet de la Haute-Savoie a interjeté appel de cette décision, au motif que 'le psychiatre décrit un comportement imprévisible et impulsif, avec un risque de passage à l'acte hétéro-agressif important. Un autre psychiatre de l'établissement indique que le patient se montre menaçant et insultant. Il frappe par ailleurs la psychiatre durant l'entretien. En raison de l'état de dangerosité du patient, et du risque de répétition d'un passage à l'acte hétéroagressif, il est demandé à la cour d'appel d'infirmer la décision du juge des libertés et de la détention de Bonneville.'

Les parties ont été convoquées à l'audience du 15 mars 2023 à 10h.

L'avis motivé rédigé par le Docteur [T] en date du 13 mars 2023 développe : « Patient d'origine angolaise connu du CPA pour une psychose chronique, ayant déjà séjourné à l'USIP à 2 reprises antérieurement du fait de difficultés de prise en charge en lien avec son agressivité, sa désorganisation et son agitation psychomotrice et la résistance de son état clinique aux différents traitements.

M. [D] a été hospitalisé à la faveur d'un voyage pathologique et devant des troubles majeurs du comportement, en lien avec une décompensation psychotique aigue, sous tendue par une mauvaise observance thérapeutique.

A ce jour et en dépit des traitements mis en place, l'état clinique reste stationnaire avec de nombreux épisodes d'agitation, d'agressivité, d'insultes.

Ces derniers jours, on note encore plusieurs passages à l'acte sur les soignants, soustendus par un vécu délirant (a pu rapporter des hallucinations acoustico-verbales et un vécu de persécution) et une intolérance à la frustration, teintée d'opposition et de provocation.

Le contact reste mauvais, hostile, la tension psychique majeure et l'insomnie quasi-totale. Le déni des troubles est complet.

M. [D] n'est à ce jour pas en état de consentir aux soins.

En conséquence, les soins psychiatriques sur décision du Directeur restent justifiés et doivent être maintenus à temps complet.»

Lors de l'audience du 15 mars 2023, M. [U] [D], n'a pas comparu, bien que régulièrement convoqué. L'avis motivé précise encore que 'l'état du patient ne lui permet pas de se rendre à la cour d'appel de Chambéry le 15-03-2023.'

Son conseil a été entendu en ses observations.

Le ministère public n'a pas comparu, mais ses réquisitions écrites du 7 mars 2023 ont été mises à la disposition des parties avant l'audience.

Le représentant de l'Etat n'a pas comparu, bien que régulièrement avisé.

L'affaire a été mise en délibéré au 16 mars 2023 à 14 heures.

MOTIFS DE LA DECISION

M. Le Préfet a fait appel de la décision du Juge des Libertés et de la Détention de Bonneville du 7 mars 2023 dans les délais et les formes prescrites par les articles R.3211-18 et R.3211-19 du code de la santé publique. Son appel est donc recevable.

Même s'il s'agit d'une procédure orale, il n'est pas possible, en cas d'absence du requérant régulièrement convoqué à l'audience, de considérer que son appel n'est pas soutenu, du fait du caractère obligatoire de l'assistance ou de la représentation du patient par un avocat, et du caractère, en revanche, facultatif de la comparution des parties et des personnes avisées (article R.3211-21).

Saisi par la déclaration motivée prévue par l'article R. 3211-19 du code de la santé publique, il incombe au Premier Président de répondre aux moyens qui figurent dans cette déclaration d'appel, même en l'absence de l'appelant et de son représentant (1ère Civ. 16 décembre 2015, pourvoi n°15-12.400 Bull. 2015, I, n° 331).

Il résulte des articles L. 3211-2 et L. 3213-1 du code de la santé publique que :

- une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins psychiatriques sur décision du préfet, représentant de l'Etat dans le département, que si ses troubles nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public,

- les soins psychiatriques libres doivent être privilégiés dès lors que l'état de la personne le permet.

L'office du juge des libertés et de la détention (et du premier président de la cour d'appel ou son délégué) consiste, alors, à opérer un contrôle de la régularité de la mesure de soins psychiatriques sans consentement, puis de son bien-fondé. La mesure est en l'espèce contestée uniquement sur la régularité de la notification des droits au patient.

Selon l'article L.3211-3 du code de la santé publique :

'Lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux fait l'objet de soins psychiatriques en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre ou est transportée en vue de ces soins, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en 'uvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée.

Avant chaque décision prononçant le maintien des soins en application des articles L. 3212-4, L. 3212-7 et L. 3213-4 ou définissant la forme de la prise en charge en application des articles L. 3211-12-5, L. 3212-4, L. 3213-1 et L. 3213-3, la personne faisant l'objet de soins psychiatriques est, dans la mesure où son état le permet, informée de ce projet de décision et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à cet état.

En outre, toute personne faisant l'objet de soins psychiatriques en application des chapitres II et III du présent titre ou de l'article 706-135 du code de procédure pénale est informée :

a) Le plus rapidement possible et d'une manière appropriée à son état, de la décision d'admission et de chacune des décisions mentionnées au deuxième alinéa du présent article, ainsi que des raisons qui les motivent ;

b) Dès l'admission ou aussitôt que son état le permet et, par la suite, à sa demande et après chacune des décisions mentionnées au même deuxième alinéa, de sa situation juridique, de ses droits, des voies de recours qui lui sont ouvertes et des garanties qui lui sont offertes en application de l'article L. 3211-12-1.

L'avis de cette personne sur les modalités des soins doit être recherché et pris en considération dans toute la mesure du possible.

En tout état de cause, elle dispose du droit :

1° De communiquer avec les autorités mentionnées à l'article L. 3222-4 ;

2° De saisir la commission prévue à l'article L. 3222-5 et, lorsqu'elle est hospitalisée, la commission mentionnée à l'article L. 1112-3 ;

3° De porter à la connaissance du Contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence ;

4° De prendre conseil d'un médecin ou d'un avocat de son choix ;

5° D'émettre ou de recevoir des courriers ;

6° De consulter le règlement intérieur de l'établissement et de recevoir les explications qui s'y rapportent ;

7° D'exercer son droit de vote ;

8° De se livrer aux activités religieuses ou philosophiques de son choix.

Ces droits, à l'exception de ceux mentionnés aux 5°, 7° et 8°, peuvent être exercés à leur demande par les parents ou les personnes susceptibles d'agir dans l'intérêt du malade.'

En l'espèce, force est de constater que les éléments recueillis dans le cadre de l'hospitalisation de Monsieur [D], de nationalité angolaise, établissent que celui-ci s'exprime dans sa langue maternelle, soit un mélange de dialecte angolais/portugais. S'il résulte d'un procès-verbal d'audition en garde à vue du 18 février 2023, versé aux débats, que M. [D] 'comprend la langue française et est en mesure de s'exprimer dans cette langue sans le truchement d'un interprète', il n'est pas certain que ce dernier ait une maîtrise suffisante du français, qui n'est pas sa langue maternelle, pour appréhender des notions juridiques abstraites et complexes, sa compréhension pouvant en outre être minorée sous l'influence de la décompensation aiguë de sa pathologie psychotique qui envahit actuellement le patient.

S'il est évident que le contexte d'urgence accompagnant l'admission du patient a généré pour l'établissement de santé psychiatrique d'indéniables difficultés à assurer un échange linguistique satisfaisant, il n'en demeure pas moins qu'un délai de trois jours s'est écoulé entre l'arrêté pris par le préfet le 22 février 2023 dans l'après-midi, et la notification de l'arrêté et des droits qui a pu se faire oralement le 25 février 2023, par l'intermédiaire de M. [S], personnel soignant ayant pu assurer la traduction. Ainsi, cette notification dans le respect des droits fondamentaux de M. [D] est tardive, dans la mesure également où le contenu du certificat médical de 24 heures du docteur [R], du 22 février 2023, et les éléments médicaux suivants établissent que 'le patient est imprévisible et impulsif. Le risque de passage à l'acte hétéroagressif est important', avec impossibilité de signer le recépissé, mais non que celui-ci n'était pas en mesure de recevoir notification de ses droits (1ère civ. 15 octobre 2020, pourvoi n°20-14.271).

Dès lors, il s'en déduit que Monsieur [U] [D] n'a pas été valablement informé des conditions de son hospitalisation, et n'a pas été en mesure de pouvoir bénéficier des droits prévus par l'article L.3211-3 du code de la santé publique de sorte que cette atteinte aux libertés individuelles a causé grief.

En conséquence, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bonneville du 3 mars 2023 sera confirmée.

En outre, cette décision, à défaut d'appel suspensif du parquet, ayant eu pour effet, de facto, de mettre fin à la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte de M. [D], la Cour se trouve dans l'impossibilité, à ce stade, d'en ordonner le maintien ou d'imposer la mise en oeuvre d'un programme de soins, ainsi que sollicité par le préfet de la Haute-Savoie, dès lors qu'une telle mesure de soins psychiatriques ne s'exerce plus.

A cet égard, il est regrettable, au vu des éléments du dossier et des besoins présentés par M. [D], qu'aucun programme de soins ou délai de mise en oeuvre n'ait accompagné sa sortie de l'EPSM74, ce qui aurait permis à l'intéressé, ainsi qu'à la société, de disposer de certaines garanties, en veillant à l'existence d'une prise en charge médicale adaptée aux troubles manifestés, de nature à limiter un éventuel risque de rechute.

PAR CES MOTIFS

Nous, Myriam Reaidy, conseillère à la cour d'appel de Chambéry, déléguée par ordonnance de Mme la Première Présidente du 30 janvier 2023, statuant le 16 mars 2023, après débats en audience publique, par ordonnance contradictoire au siège de ladite cour d'appel,

Déclarons recevable l'appel de M.le préfet de la Haute-Savoie.

Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bonneville du 3 mars 2023.

Constatons, cependant, que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bonneville du 3 mars 2023, à défaut d'appel suspensif, a mis fin à la mesure d'hospitalisation complète sans consentement de M. [U] [D], sorti de l'EPSM 74 prononcée par arrêté du préfet le 22 février 2023 et non-comparant à l'audience.

Disons, dans ces conditions, ne pouvoir ordonner la poursuite d'une mesure de soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, qui ne s'exerce plus dans le cadre de l'admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat.

Laissons les dépens à la charge du Trésor Public.

Disons que la notification de la présente ordonnance sera faite sans délai, par tout moyen permettant d'établir la réception, conformément aux dispositions de l'article R.3211-22 du code de la santé publique.

Ainsi prononcé le 16 mars 2023 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Mme Myriam REAIDY, à la cour d'appel de Chambéry, déléguée par Madame la première présidente et Madame Sylvie DURAND, greffière.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Première présidence
Numéro d'arrêt : 23/00025
Date de la décision : 16/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-16;23.00025 ?
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