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07/03/2023 | FRANCE | N°21/00051

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 07 mars 2023, 21/00051


HP/SL





COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 07 Mars 2023





N° RG 21/00051 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GS4F



Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 03 Décembre 2020





Appelants



M. [C] [N]

né le 03 Décembre 1942 à BARCELLONA (ITALIE), demeurant [Adresse 3]



Mme [F] [B] [H] [N] épouse [Y]

née le 28 Avril 1969 à [Localité 6], dem

eurant [Adresse 5]



Mme [O] [J] [N]

née le 08 Juin 1971 à [Localité 6], demeurant [Adresse 1]



Représentés par Me Clarisse DORMEVAL, avocat au barreau de CHAMBERY









Intimés



M. [M]...

HP/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 07 Mars 2023

N° RG 21/00051 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GS4F

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 03 Décembre 2020

Appelants

M. [C] [N]

né le 03 Décembre 1942 à BARCELLONA (ITALIE), demeurant [Adresse 3]

Mme [F] [B] [H] [N] épouse [Y]

née le 28 Avril 1969 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]

Mme [O] [J] [N]

née le 08 Juin 1971 à [Localité 6], demeurant [Adresse 1]

Représentés par Me Clarisse DORMEVAL, avocat au barreau de CHAMBERY

Intimés

M. [M] [P]

né le 08 Novembre 1951 à [Localité 9], demeurant [Adresse 7]

M. [R] [D]

né le 11 Juillet 1969 à [Localité 8], demeurant [Adresse 4]

SARL LORENT JADE, dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentés par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentés par la SELAS RTA AVOCATS, avocats plaidants au barreau de THONON-LES-BAINS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 05 Décembre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 janvier 2023

Date de mise à disposition : 07 mars 2023

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseillère,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et Procédure :

Par acte authentique en date du 7 décembre 2009, les consorts [N] (M. [C] [N], Mme [F] [N] épouse [Y] et Mme [O] [N] ), en situation d'indivision, donnaient à bail à la société Lôrent Jâde (sarl) un bâtiment à usage commercial à compter du 1er décembre 2009. M.'[R] [D] et M. [M] [P] se portant caution du paiement des loyers.

Durant la nuit du 25 janvier 2016, un incendie se déclarait dans lesdits locaux contraignant la société preneuse à interrompre son exploitation et un litige naissait du fait du non paiement des loyers par cette dernière.

Par acte en date du 29 mars 2017, M. [C] [N], Mme [F] [N] épouse [Y] et Mme [O] [N] délivraient un commandement de payer les loyers à hauteur de 64'989,60'euros visant la clause résolutoire. Cet acte était dénoncé à M.'[R] [D] et M.'[M] [P] en leur qualité de caution.

Par acte du 28 avril 2017, la société Lôrent Jâde, M.'[M] [P] et M.'[R] [D] assignaient les consorts [N] devant le tribunal judiciaire de Thonon-les-bains (ex-TGI), sur le fondement des articles 1719 et 1134 du code civil, aux fins notamment de voir déclarer nul le commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 29 mars 2017 et de voir suspendre l'obligation de paiement des loyers jusqu'à réalisation des travaux de réfection du local donné à bail.

Par acte en date du 31 mai 2018, les consorts [N] délivraient à la société preneuse un congé avec refus de renouvellement du bail pour motif grave et légitime et ce, à effet du 30 novembre 2018.

Par acte en date du 18 octobre 2018, la société Lôrent Jâde, M.'[M] [P] et M.'[R] [D] assignaient les consorts [N] devant le tribunal judiciaire de Thonon-les-bains, aux fins notamment de voir déclarer nul le congé délivré le 31 mai 2018 et dire que le bail avait été renouvelé pour 9 années à compter du 30 novembre 2018.

Une jonction des deux instances était ordonnée.

Par jugement en date du 3 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Thonon-les-bains, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- disait que l'obligation de payer les loyers du preneur était suspendue à compter du 1er février 2016 jusqu'à la réalisation des travaux de remise en état lui assurant la jouissance des locaux objets du bail signé le 7 décembre 2009,

- prononçait la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 29 mars 2017,

- disait que le congé délivré le 31 mai 2018 était valable,

- disait que le preneur pouvait prétendre au versement d'une indemnité d'éviction,

- ordonnait une expertise aux fins de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction,

- constatait que la société Lôrent Jâde, M.'[M] [P] et M. [R] [D] avaient quitté les locaux le 10 décembre 2018,

- déboutait la société Lôrent Jâde, M. [M] [P] et M. [R] [D] de leur demande de maintien dans les lieux,

- disait que les locaux avaient été rendus impropres en l'état à leur exploitation,

- condamnait solidairement la société Lôrent Jâde, M. [M] [P] et M.'[R] [D] à payer aux consorts [N] la somme de 25'548,36'euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision,

- déboutait les consorts [N] de leur demande en expulsion, de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,

- déboutait les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservait les dépens.

Par déclaration au greffe en date du 11 janvier 2021, les consorts [N] interjetaient appel de ce jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il avait condamné solidairement la société Lôrent Jâde, M.'[M] [P] et M.'[R] [D] à leur payer la somme de 25'548,36'euros au titre des loyers dus.

Prétentions des parties

Par dernières écritures en date du 27 septembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, les consorts [N] sollicitaient l'infirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il avait condamné solidairement la société Lôrent Jâde, M.'[M] [P] et M.'[R] [D] à payer à M.'[C] [N], Mme'[F] [N] épouse [Y] et Mme'[O] [N] la somme de 25'548,36'euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision et demandaient à la cour de':

A titre principal,

- dire et juger que l'impossibilité d'exploiter le fonds de commerce par le preneur n'était pas due à l'inexécution du bailleur d'une de ses obligations contractuelles ou légales,

- dire et juger que la société Lôrent Jâde était donc tenue de régler les loyers aux appelants malgré la non exploitation du fonds de commerce,

- dire et juger que le commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 29 mars 2017 était valable,

- dire et juger que le commandement de payer du 29 mars 2017 était demeuré infructueux plus d'un mois à compter de sa délivrance,

- dire et juger que le congé délivré le 31 mai 2018 pour motif grave et légitime était valable,

- dire et juger que la société Lôrent Jâde ne réunissait pas les conditions pour réclamer une indemnité d'éviction du fait de l'inexécution de ses obligations, à savoir le règlement des loyers,

- condamner solidairement la société Lôrent Jâde et ses cautions, M.'[M] [P] et M.'[R] [D], à verser la somme de 139'200'eurosTTC, en denier ou en quittance, à M.'[C] [N], Mme [F] [N] épouse [Y] et Mme [O] [N] au titre des loyers impayés entre le 1er février 2016 et le 30 juin 2018,

A titre subsidiaire,

- dire et juger que l'incendie du 25 janvier 2016 avait détruit partiellement le fonds de commerce et rendu ce dernier impropre à l'usage prévu par le contrat de bail,

- prononcer la résiliation de plein droit, à effet rétroactif à compter du 26 janvier 2016 du contrat de bail signé le 7 décembre 2009,

- dire et juger qu'aucune indemnité ne sera due par les parties,

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que la société Lôrent Jâde n'avait pas exploité le fonds de commerce entre le 1er juillet 2018 et le 10 décembre 2018,

- dire et juger que la société Lôrent Jâde n'avait pas exécuté son obligation contractuelle, à savoir le règlement des loyers entre le 1er juillet 2018 et le 10 décembre 2018,

- dire et juger que la société Lôrent Jâde ne remplissait pas les conditions pour prétendre à une indemnité d'éviction,

- infirmer en conséquence le jugement entrepris le 3 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Thonon-les-bains en ce qu'il avait dit que le preneur pouvait prétendre au versement d'une indemnité d'éviction, ordonné une expertise aux fins de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction »,

- débouter la société Lôrent Jâde de sa demande d'indemnité d'éviction,

En tout état de cause,

- débouter la société Lôrent Jâde et les cautions M.'[P] et M. [D] de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,

- condamner solidairement la société Lôrent Jâde et ses cautions, M.'[M] [P] et M.'[R] [D], à verser la somme de 3 000'euros aux consorts [N] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement la société Lôrent Jâde et ses cautions, M.'[M] [P] et M.'[R] [D] aux entiers dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Clarisse Dormeval, avocate.

Au soutien de ses prétentions, l'indivision [N] faisait valoir notamment que :

' la société Lôrent Jâde avait cessé de régler ses loyers sans indiquer qu'elle le faisait en raison de la non délivrance des locaux loués, alors que le contrat de bail ne lui permettait pas ni de ne pas régler ses loyers du fait de la destruction, ni même de solliciter la diminution du loyer, les dispositions de l'article 1722 du code civil n'étant pas d'ordre public ;

' la société Lôrent Jâde devait démontrer que l'impossibilité d'exploiter les locaux provenait de l'inexécution par le bailleur de ses obligations, or les locaux avaient été détruits du fait d'un incendie criminel et elle avait accompli toutes les démarches pour remettre en état les lieux ;

' en cas de destruction partielle rendant l'exploitation impossible, la résolution du bail avait lieu de plein droit sans qu'il soit nécessaire de procéder à un commandement préalable ;

' la société Lôrent Jâde avait l'obligation d'exploiter de manière effective les locaux à la fin des travaux, motif postérieur au second congé dont elle pouvait se prévaloir.

Par dernières écritures en date du 9 juillet 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Lôrent Jâde, M.'[M] [P] et M. [R] [D] sollicitaient de la cour de :

- réformer partiellement le jugement dont appel, et statuant à nouveau sur le tout,

- dire et juger que la société Lôrent Jâde avait restitué à l'indivision [N] son local le 10 décembre 2018,

S'agissant du commandement de payer du 29 mars 2017

- dire et juger nul et de nul effet le commandement de payer la somme de 64'989,60'euros et visant la clause résolutoire que les bailleurs, en l'occurrence l'indivision [N], avait délivré le 29 mars 2017 ;

- débouter l'indivision [N] de toute demande de loyer ou indemnité d'occupation due à compter du 1er décembre 2018,

A titre subsidiaire et en toute hypothèse,

- dire et juger la société Lôrent Jâde recevable et bien fondée à solliciter que le loyer du contrat de bail que lui avait consenti l'indivision [N] fût diminué et ramené à la somme de 1'euro par mois et ce, à compter du 1er février 2016 et jusqu'au 30 juin 2018,

- dire et juger nul et de nul effet le commandement de payer les loyers des mois de février 2016 à février 2017 qui lui avait été délivré le 29 mars 2017,

En toute hypothèse et à titre infiniment subsidiaire,

- accorder à la société Lôrent Jâde les plus larges délais de paiement pour s'acquitter des loyers dus depuis le 1er février 2016,

- suspendre les effets de la clause résolutoire,

- débouter les consorts [N] de l'ensemble de leurs fins demandes et conclusions,

S'agissant du congé du 31 mai 2018

- dire et juger que la société Lôrent Jâde n'était tenue de verser aucun loyer à l'indivision [N] au titre de la période du 1er février 2016 au 30 juin 2018 durant laquelle elle n'avait pu exploiter son fonds de commerce dans les locaux partiellement détruits par un incendie,

- dire et juger que la société Lôrent Jâde s'était acquittée des loyers dus à l'indivision [N] pour la période du 1er juillet 2018 au 10 décembre 2018,

- réformer le jugement du 3 décembre 2020 en ce qu'il avait condamné ladite société au paiement de la somme de 25'548,36'euros à ce titre,

- dire et juger que le congé avec refus de renouvellement délivré par l'indivision [N] à la société Lôrent Jâde était dépourvu de tout motif grave et légitime,

- dire et juger nul et de nul effet ledit congé,

- dire et juger que l'absence de motivation du congé avec refus de renouvellement pour motif grave et légitime sans offre d'indemnité d'éviction délivré à la société Lôrent Jâde laissait subsister son droit à prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction,

- ordonner, avant dire droit, une expertise judiciaire à l'effet de déterminer l'indemnité d'éviction à laquelle pouvait prétendre la société Lôrent Jâde,

- débouter l'indivision [N] de l'intégralité de ses fins, demandes et conclusions,

En toute hypothèse et si la résiliation du bail devait être prononcée,

- condamner in solidum les consorts [N] à payer à la société Lôrent Jâde la somme de 25'548,36'euros à titre de restitution des loyers pour la période du 1er juillet au 10 décembre 2018,

- débouter les consorts [N] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner in solidum les consorts [N] à payer, à chacun, à la société Lôrent Jâde ainsi qu'à Mrs [P] et [D] une indemnité de 5 000'euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes sous la même solidarité aux entiers frais et dépens de l'instance avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, avocats associés.

Au soutien de leurs prétentions, la société Lôrent Jâde, M.'[M] [P] et M. [R] [D] faisaient valoir essentiellement que :

' à la suite de l'incendie survenu le 25 janvier 2016, les locaux donnés à bail par l'indivision [N] à la sociétéLôrent Jâde avaient été partiellement endommagés et entre le 1er février 2016 et le 30 juin 2018, la sociétéLôrent Jâde n'avait pas eu accès aux locaux qui avaient été donnés à bail par l'indivision [N] ; elle avait repris le paiement des loyers dus à l'indivision [N] depuis le 1er juillet 2018 et avait quitté les lieux au 1er décembre 2018.

' les travaux de remise en état des locaux avaient été retardés en raison de l'attitude de l'indivision [N] qui se refusait à respecter ses obligations relatives aux travaux de désamiantage ;

' l'indivision [N] sera indemnisée du préjudice par elle subi au titre de la perte de loyers entre le 1er février 2016 et le 30 juin 2018 par sa compagnie d'assurances Matmut

' l'indivision [N] démontrait une particulière mauvaise foi en délivrant à la société Lôrent Jâde un commandement de payer les loyers des mois de février 2016 à février 2017 et visant la clause résolutoire ;

Une ordonnance en date du 5 décembre 2022 clôturait l'instruction de la procédure. L'affaire était plaidée à l'audience du 3 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

MOTIFS ET DÉCISION

Les consorts [N] ont consenti un bail commercial de 9 ans à compter du 1er décembre 2009 et prenant fin au 30 novembre 2018 à la société Lôrent Jâde sur un local à usage de restaurant pizzéria. Ce local a été en partie incendié le 25 janvier 2016, sinistre qui a nécessité une réfection importante à laquelle se sont ajoutés des travaux de désamiantage des locaux et du matériel, locaux qui ont de nouveau été disponibles le 1er juillet 2018.

Les consorts [N], pendant cette période, ont adressé à leur preneuse deux commandements :

- le premier le 29 mars 2017 avec clause résolutoire pour non paiement des loyers entre le 1er février 2016 et le 28 février 2018 pour un montant de 64 989,60 euros ;

- le second le 31 mai 2018 à effet au 30 novembre 2018 portant congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction pour motif grave et légitime pour non paiement de l'arriéré du loyer et le loyer courant.

I - Sur la validité du commandement en date du 29 mars 2017

- sur l'absence de résiliation du bail malgré le sinistre

Aux termes de l'article 1722 du code de civil, 'Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement'.

Par ailleurs, le contrat de bail contient la clause suivante 'si les locaux loués viennent à être détruits en totalité ou en partie par cas fortuit, le présent bail sera résilié de plein droit sans indemnité'.

Il résulte des échanges entre les parties à partir du sinistre que le bail n'a pas été résilié même si à une période, la société Lôrent Jâde avait pu se poser la question de l'opportunité d'une résiliation. En effet, le représentant de l'indivision [N] avait pu écrire dans un courrier à son assureur en date du 14 janvier 2017 : 'les locataires, quant à eux, ... faisant référence à un courrier de juillet 2016 dans lequel ils évoquent la résiliation du bail, alors que nous leur avons clairement indiqué à plusieurs reprises que nous ne souhaitions pas résilier ce bail....' ou encore dans un courrier du 16 août 2017 adressé également à son assureur : 'en ce qui concerne le bail, il n'a pas été résilié'.

Les consorts [N], sur le fondement de la clause du contrat de bail précité relative à la destruction des locaux, sollicitent désormais le prononcé de la résiliation.

Cependant, en vertu de l'article 1134 alinéa 3 ancien du code civil 'Elles (les conventions) doivent être exécutées de bonne foi' et aux termes d'une jurisprudence constante, notamment en matière de bail commercial, la clause résolutoire stipulée dans un contrat ne peut s'appliquer en cas de mauvaise foi du bailleur (voir notamment cass civile 3ème du 25/11/2009 pourvoi N°0821384 ; 15/9/2009 pourvoi N°0817472 ; 4/11/2003 pourvoi n°0214105).

Cette clause résolutoire de plein droit, même s'il est exact que dans le cas qu'elle vise, il est admis qu'aucun commandement ne soit nécessaire préalablement pour sa mise en oeuvre, ne permet pas au bailleur de l'invoquer de manière opportuniste, comme l'a justement souligné le premier juge, pour se dispenser du paiement d'une éventuelle indemnité d'éviction, alors qu'entre le 1er février 2016 et la remise des clefs par sa preneuse le 10 décembre 2018, l'indivision [N] par son représentant a toujours affirmé que le bail n'était pas résilié.

En outre, il n'existait pas en l'espèce d'impossibilité absolue et définitive d'user de la chose louée conformément à sa destination, puisque le local n'avait pas été entièrement détruit, mais des travaux de réfection étaient nécessaires pour que l'activité de restauration de la preneuse puisse reprendre dans de bonnes conditions.

En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge n'a pas prononcé la résiliation judiciaire du bail.

- sur la nécessité, en l'absence de résiliation du bail, pour les parties, de respecter leurs obligations

Aux termes de l'article 1728 du code civil, 'Le preneur est tenu de deux obligations principales :

1° D'user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d'après les circonstances, à défaut de convention ;

2° De payer le prix du bail aux termes convenus'.

Aux termes de l'article 1720 du même code, 'Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.

Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives'.

La société Lôrent Jâde ne s'est pas acquittée des loyers entre le 1er février 2016 et le 30 juin 2018. Cependant, pendant toute cette durée, les consorts [N] ne lui ont pas assuré la jouissance du local. Comme motivé par le premier juge, l'exception d'inexécution peut être soulevée dans l'hypothèse où l'autre contractant n'exécute pas son obligation et si cette inexécution est suffisamment grave. Le fait de ne pas pouvoir, pendant de nombreux mois, jouir du local dans sa totalité (murs du restaurant noircis par les fumées qui se sont dégagées de l'incendie pris dans le sous-sol) en raison des travaux de réfection nécessaires mais aussi des travaux de désamiantage qui ont été réalisés à l'occasion de cette réfection, sans que le retard dans l'exécution des dits travaux ne soit imputable à l'une ou à l'autre des parties, tel que l'a justement indiqué le premier juge, justifiait le non paiement des loyers durant cette période.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré nul le commandement en date du 29 mars 2017 dès lors que sa cause était le non paiement des loyers entre le 1er février 2016 et le 28 février 2017.

II - Sur la validité du congé délivré par commandement du 31 mai 2018

- sur le délai de délivrance du congé

En application de l'article L 145-9 alinéa 1 du code de commerce, 'par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre (baux commerciaux) ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement'.

Par des motifs que la cour adopte, le premier juge a justement considéré que le congé a été délivré dans le délai visé à cet article.

- sur la motivation du congé et le refus de l'indemnité d'éviction

En vertu de l'article L145-14 du code de commerce, 'Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre'.

En vertu de l'article L 145- 17 du même code et plus particulièrement de ses dispositions figurant au I 1° : 'I-Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement ° d'aucune indemnité : 1° S'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. Toutefois, s'il s'agit soit de l'inexécution d'une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l'article L. 145-8, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du présent alinéa'.

Le congé en date du 31 mai 2018 visait le motif grave et légitime suivant 'vous avez été mis en demeure de procéder au règlement des loyers de février 2016 à février 2017 suivant acte signifié par exploit de notre ministère en date du 29 mars 2017. Malgré la signification de cet acte, vous n'avez pas procédé au règlement de l'arriéré de loyer et des loyers courants, vous ne vous êtes donc pas conformés à vos obligations de locataire dans le délai d'un mois qui vous était imparti'.

Cependant, comme déjà motivé, la société Lôrent Jâde pouvait légitimement refuser d'exécuter son obligation de régler les loyers du fait de l'absence d'exécution du bailleur d'assurer la jouissance des locaux à sa preneuse.

Par ailleurs, si le bailleur peut effectivement invoquer en cours d'instance des motifs postérieurs au congé, il est nécessaire que les motifs invoqués dans le congé soient valables et il ne peut modifier les motifs invoqués dans le congé. Or d'une part, le motif invoqué en l'espèce est le non paiement des loyers entre le 1er février 2016 et le 28 février 2017 et le loyer courant au moment de la délivrance du commandement soit en mai 2018, alors que la société Lôrent Jâde n'a réintégré ses locaux que le 1er juillet 2018 ; d'autre part, si les consorts [N] alléguent du non paiement des loyers après le 1er juillet 2018, ils ne justifient pas d'un commandement d'avoir à payer ces loyers, commandement qui serait demeuré infructueux plus d'un mois.

En conséquence, c'est bon droit que le premier juge a estimé qu'une indemnité d'éviction était due par les consorts [N] à la société Lôrent Jâde et qu'il a ordonné une expertise pour la déterminer.

III - Sur la demande en paiement des loyers entre le 1er juillet 2018 et le 10 décembre 2018

Cette demande est légitime dès lors que la société Lôrent Jâde avait la jouissance des locaux loués. Le montant sollicité par les consorts [N] s'élève à la somme de 25 548,36 euros à laquelle a fait droit le premier juge, en l'absence de preuve du paiement des loyers, même si la société Lôrent Jâde affirmait avoir réglé.

En cause d'appel, la société Lôrent Jâde démontre par la copie de ses relevés de compte et un courrier de son avocat à l'avocat des parties adverses que les loyers de juillet, août, septembre et octobre ont été réglés à hauteur de 4 999,20 euros mensuels.

En revanche, la société Lôrent Jâde ne démontre pas avoir réglé le loyer entre le 1er novembre 2018 et le 10 décembre 2018 de sorte qu'elle reste devoir aux consorts [N] la somme de 5 551,56 euros soit 25 548, 36 euros, somme calculée par le premier juge et non contestée par les bailleurs de laquelle il doit être défalquéela somme de 19 996.80 euros (4 x 4999,20).

IV - Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris sera confirmé sur l'indemnité procédurale mais infirmé s'agissant des dépens, qui seront mis à la charge des consorts [N], ainsi que les dépens d'appel distraits pour ces derniers au profit de la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, société d'avocats.

L'équité commande de faire droit en appel à la demande d'indemnité procédurale de la société Lôrent Jâde et de Mrs [P] et [D] et de condamner in solidum les consorts [N] à leur payer à ce titre, ensemble, la somme de 2 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions dont appel sauf en qu'il a condamné solidairement la société Lôrent Jâde, M. [M] [P] et M. [R] [D] à payer à M. [C] [N], Mme [F] [N] et à Mme [O] [N] la somme de 25 548,36 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement et en ce qu'il a réservé les dépens de l'instance,

Condamne solidairement la société Lôrent Jâde, M. [M] [P] et M. [R] [D] à payer à M. [C] [N], Mme [F] [N] et à Mme [O] [N] la somme de 5 551,56 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement, représentant les loyers impayés entre le 1er novembre 2018 et le 10 décembre 2018,

Condamne in solidum M. [C] [N], Mme [F] [N] et à Mme [O] [N] aux dépens de première instance,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. [C] [N], Mme [F] [N] et à Mme [O] [N] aux dépens d'appel, distraits au profit de la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, société d'avocats, sur son affirmation de droit,

Condamne in solidum M. [C] [N], Mme [F] [N] et à Mme [O] [N] à payer à la société Lôrent Jâde, Mrs [P] et [D], ensemble, la somme de 2 500 euros au titre de l'indemnité procédurale.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 07 mars 2023

à

Me Clarisse DORMEVAL

la SELARL BOLLONJEON

Copie exécutoire délivrée le 07 mars 2023

à

la SELARL BOLLONJEON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/00051
Date de la décision : 07/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-07;21.00051 ?
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