COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 07 Février 2023
N° RG 20/01576 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSRH
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ALBERTVILLE en date du 04 Septembre 2020
Appelante
S.C.I. KARINE, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Représentée par Me Philippe MURAT, avocat postulant au barreau d'ALBERTVILLE
Représentée par Me Géraldine GAUVIN, avocat plaidant au barreau de PARIS
Intimée
S.A.S. SPORT BOUTIQUE [Adresse 4], dont le siège social est situé [Adresse 4], [Localité 3] - [Localité 2]
Représentée par la SCP ARMAND - CHAT ET ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY
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Date de l'ordonnance de clôture : 24 Octobre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 29 novembre 2022
Date de mise à disposition : 07 février 2023
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Composition de la cour :
Audience publique des débats, tenue en rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, avec l'assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,
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Faits et Procédure :
Par acte notarié du 19 octobre 1999, la SCI Mathieu, aux droits de laquelle se trouve désormais la SCI Karine donnait à bail à la société Sport Boutique [Adresse 4], les lots numéro 209 et 287 d'un immeuble sis, [Adresse 5] à [Localité 2], station [Localité 3], pour une durée de neuf années, moyennant un loyer annuel de 18 293 euros HT. Le bail était ensuite renouvelé à compter du 18 octobre 2008. Au 19 octobre 2017, le loyer annuel selon indexation se chiffrait à la somme de 28 182,26 euros HT et au 1er juillet 2018 à 28 604 euros HT.
Le 8 novembre 2017, la SCI Karine faisait délivrer un congé avec offre de renouvellement de bail commercial à la société Sport Boutique [Adresse 4], à effet au 30 juin 2018, moyennant le paiement d'un loyer annuel d'un montant de 36 000 euros HT.
Par jugement en date du 4 septembre 2020, sur assignation de la SCI Karine en date du 24 février 2020, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Albertville :
- rejetait l'ensemble des demandes formées par la SCI Karine ;
- fixait le montant du loyer du bail renouvelé au 1er juillet 2008 à la somme annuelle de 28 604 euros HT et HC pour les locaux commerciaux correspondant aux lots n°287 (local commercial) et n°209 (réserve) de l'ensemble immobilier dénommé '[Adresse 5], commune de [Localité 2], station [Localité 3] ;
- condamnait la SCI Karine à payer à la société Sport Boutique [Adresse 4] la somme de 1 500 euros au titre de l'indemnité procédurale ;
- condamnait la SCI Karine aux dépens,
estimant que la SCI Karine ne rapportait pas la preuve d'une modification des facteurs locaux de commercialité.
Par déclaration au Greffe en date du 21 décembre 2020, la SCI Karine interjetait appel de cette décision en toutes ses dispositions.
Prétentions des parties
Par dernières écritures en date du 31 août 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la SCI Karine sollicitait l'infirmation de la décision entreprise et demandait à la cour, statuant à nouveau, de :
A titre principal,
- fixer le prix du bail renouvelé au 1er juillet 2018 à la somme annuelle de 36 000 euros hors charges et hors taxes, toutes les autres clauses, charges et conditions du bail expiré restant inchangées ;
- juger que le dépôt de garantie sera réajusté en conséquence ;
- condamner la société Sport Boutique [Adresse 4] au paiement des intérêts légaux, à compter de la date de délivrance de l'assignation, sur les loyers arriérés à compter de chaque date d'exigibilité en application de l'article 1231-6 du code civi, les intérêts dûs pour plus d'une année entière étant eux-mêmes capitalisés par application des dispositions de l'article1342-2 du code civil,
A titre subsidiaire,
- désigner un expert aux fins notamment de rechercher la valeur locative des lieux loués à la date du 1er juillet 2018 au regard des caractéristiques du local, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité, des prix couramment pratiqués dans le voisinage, en retenant tant les valeurs de marché que les valeurs fixées judiciairement ;
- dans ce cas, fixer le loyer provisionnel pour la durée de l'instance à la somme annuelle de 36 000 euros à compter du 1er juillet 2018 ;
- ordonner le partage par moitié de la consignation des frais d'expertise ;
En tout état de cause,
- condamner la société Sport Boutique [Adresse 4] à lui payer une indemnité procédurale de 3 000 euros et les dépens.
Au soutien de ses prétentions, la SCI Karine faisait notamment valoir que :
' les facteurs locaux de commercialité justifiaient le déplafonnement du loyer (augmentation de la fréquentation de la station avec l'augmentation des hébergements) ;
' compte tenu du déplafonnement à opérer, le loyer du bail renouvelé devait être fixé par rapport à la valeur locative et à la surface des locaux ;
' selon l'expertise privée, le loyer annuel par M² était de 435 euros HT et HC et la surface pondérée était de 84,6m²
Par dernières écritures en date du 11 juin 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Sport Boutique [Adresse 4] sollicitait de la cour de confirmer le jugement à titre principal et :
Subsidiairement,
- ordonner une mesure d'instruction confiée à tel Expert qu'il plaira avec mission habituelle en la matière et notamment celle de déterminer la valeur locative des locaux loués au 1 er juillet 2018 ;
- fixer le loyer provisionnel à la somme de 28.604 euros HT par an, durant la mesure d'instruction et pendant toute la durée de l'instance,
En tout état de cause,
- condamner la SCI Karine à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCI Karine aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société Sport Boutique [Adresse 4] faisait valoir notamment que :
' alors que le principe posé par l'article L145-34 du code de commerce était le plafonnement du loyer renouvelé, le déplafonnement et la fixation du loyer à une valeur locative qui serait supérieure au loyer plafonné ne pouvait se justifier que pour autant que fût démontrée une modification notable : - de la destination des lieux ; - des caractéristiques du local ; - des obligations respectives des parties ; - des facteurs locaux de commercialité.
' aucune modification matérielle des facteurs locaux de commercialité favorable à son commerce ne pouvait être alléguée ;
' en première instance, la SCI Karine sollicitait 350 euros pour une surface de 110 m² et désormais elle sollicite 435 euros le m² pour une surface de 85 m² ;
' la surface pondérée ne saurait excéder 80 m².
Une ordonnance en date du 24 octobre 2022 clôturait l'instruction de la procédure et l'affaire était appelée à l'audience du 29 novembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
MOTIFS ET DÉCISION
Aux termes de l'article L145-34 du code de commerce, 'A moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.
En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.
Les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.
En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente'.
Le bail commercial d'une durée de neuf ans dont jouissait la société Sport Boutique [Adresse 4] sur les lots 287 et 209, immeuble '[Adresse 5], station [Localité 3], commune de [Localité 2] (73), depuis le 19 octobre 1999, renouvelé pour la même durée le 19 octobre 2008, s'achevait le 18 octobre 2017. La nouvelle bailleresse, la SCI Karine, adressait le 8 novembre 2017 à sa preneuse un congé au 30 juin 2008 avec offre de renouvellement moyennant un loyer déplafonné, loyer que la preneuse refusait, souhaitant voir appliquer au loyer du bail renouvelé la variation en fonction de l'indice du coût de la construction publié trimestriellement par l'INSEE conformément à la clause prévue par le bail pour la révision du loyer.
Pour que le loyer du bail renouvelé soit déplafonné, il est nécessaire que le bailleur démontre, conformément à l'article L 145-14 précité, une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 du code de commerce.
L'article L 145-33 du code de commerce prévoit que : 'Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1 Les caractéristiques du local considéré ;
2 La destination des lieux ;
3 Les obligations respectives des parties ;
4 Les facteurs locaux de commercialité ;
5 Les prix couramment pratiqués dans le voisinage';
Ainsi, le bailleur doit démontrer l'évolution notable des caractéristiques du local considéré, et/ou la destination des lieux et/ou des obligations respectives des parties et /ou des facteurs locaux de commercialité.
En l'espèce, la SCI Karine soutient que les facteurs locaux de commercialité de la station [Localité 3] se sont modifiés positivement de façon notable en raison :
- de l'existence d'une capacité d'hébergement accrue entrainant une augmentation de la fréquentation de la station depuis 2009 avec une hausse de 12,1% entre 2009 et 2019 du nombre de lits de la station et une augmentation des nuitées de 10 % en 2019 par rapport à 2018 ;
- de l'existence d'une capacité d'hébergement supérieure aux trois autres sites [Localité 3] ;
- de l'existence d'activités variées et nombreuses aussi bien en été qu'en hiver ;
- du bon emplacement du magasin de la société Sport Boutique [Adresse 4] situé dans un centre relié à deux quartiers.
Cependant au soutien de son allégation, la SCI Karine produit un extrait de l'observatoire de l'activité touristique reprenant des données sur le nombre de lits, de lits chauds et une analyse du nombre de nuitées [Localité 3], qui comprend quatre sites dont celui [Localité 3], deux articles de Wikipédia, une page recto-verso d'un dossier presse hiver 2018-2019 et un dépliant publicitaire sur la station de 2021, lesquels sont insuffisants à démontrer l'évolution notable des facteurs locaux de commercialité spécifiquement sur [Localité 3] et sur le centre commercial dans lequel se trouve le local donné à bail.
La SCI Karine a également produit un rapport d'expertise qu'elle a sollicité à titre privé du cabinet d'expert en immobilier Frérault Expertise, mais si ce rapport fait mention d'une situation favorable (secteur commerçant, au pied des pistes de la station Arc 1800), il n'aborde pas l'élément relatif à l'évolution des facteurs locaux de commercialité.
Ainsi, à défaut de démontrer une modification notable d'un des éléments visés à l'article L145-33 alinéa 1, 1° à° 4, la SCI Karine sera déboutée de sa demande de déplafonnement du loyer du bail consenti à la société Sport Boutique [Adresse 4] et le jugement entrepris, parfaitement motivé, sera entièrement confirmé et notamment sur la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 28 604 euros HT et HC, correspondant à l'application de la variation du loyer telle que prévue dans le contrat de bail.
Par ailleurs, la demande subsidiaire d'expertise formée par la SCI Karine sera rejetée, dès lors qu'il n'y a pas lieu de suppléer sa carence dans l'administration de la preuve qui lui incombe.
Succombant, la SCI Karine sera condamnée aux entiers dépens d'appel et déboutée de sa demande d'indemnité procédurale. Par ailleurs, l'équité commande de faire droit à la demande d'indemnité procédurale formée par la société Sport Boutique [Adresse 4], indemnité qui sera fixée à la somme de 2 500 euros en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la SCI Karine de sa demande d'indemnité procédurale,
Condamne la SCI Karine aux dépens de l'instance d'appel,
Condamne la SCI Karine à payer à la société Sport Boutique [Adresse 4] la somme de 2 500 euros au titre de l'indemnité procédurale,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le
à
Me Philippe MURAT
la SCP ARMAND - CHAT ET ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée le
à
la SCP ARMAND - CHAT ET ASSOCIES