COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 02 Février 2023
N° RG 21/00669 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GVES
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 04 Mars 2021, RG 18/00675
Appelants
Syndicat des copropriétaires des bâtiments B, L et garages compris dans l'ensemble immobilier 'MACHE 1", dénommé 'GARAGES DE MACHE B' sis [Adresse 5] représenté par son syndic en exercice, la Société SAVOISIENNE HABITAT dont le siège social est situé à [Adresse 6], représentée par son représentant légal
Syndicat des copropriétaires des bâtiments E, F1, F2, G et Vcompris dans l'ensemble immobilier 'MACHE 1" dénommé 'ESPLANADE GARAGES' sis [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice, la Société SAVOISIENNE HABITAT dont le siège social est situé à [Adresse 6], représentée par son représentant légal
Représentés par la SCP SAILLET & BOZON, avocat au barreau de CHAMBERY
Intimée
COMMUNE DE [Localité 7], représenté par son Maire demeurant [Adresse 8]
Représentée par Me Christophe LAURENT, avocat au barreau de CHAMBERY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats le 29 novembre 2022 par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller, avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, qui a rendu compte des plaidoiries
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
- Madame Elsa LAVERGNE, Conseillère
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EXPOSÉ DU LITIGE
L'ensemble immobilier «Maché 1», à [Localité 7], est constitué de plusieurs copropriétés, dont :
- la copropriété des bâtiments B et L ainsi que des garages dite «Garages de Maché B»,
- la copropriété des bâtiments E, F1, F2, G et V dite «Esplanade Garages».
Elles comportent l'une et l'autre des garages en sous-sol édifiés sur les parcelles cadastrées section CL, numéros [Cadastre 4], [Cadastre 3], [Cadastre 2] et [Cadastre 1].
Selon deux règlements de copropriété des 8 mars 1969 et 12 août 1975, la partie supérieure de la dalle formant couverture des garages a été grevée en totalité d'une servitude perpétuelle d'usage la plus étendue au profit de la ville de [Localité 7], «notamment de passage public au profit de toutes personnes ou véhicules à qui l'autorité municipale accordera ce droit». La ville a ainsi aménagé sur la dalle le square André Tercinet.
Des désordres d'infiltrations sont apparus, à tout le moins à compter de l'année 2007 et une expertise a été réalisée à la demande de la commune qui a, dès lors, exclu toute responsabilité de sa part.
En 2016, les syndicats, souhaitant procéder aux travaux nécessaires pour résoudre les problèmes d'infiltration dans les sous-sols (structure et étanchéité de la dalle) ont sollicité la prise en charge par la ville du coût de la dépose et de la repose de la protection couvrant l'étanchéité de la toiture-terrasse des garages, ce que la commune de [Localité 7] a refusé.
C'est dans ces conditions que, par acte d'huissier du 24 avril 2018, le syndicat des copropriétaires des bâtiments B, L et garages compris dans l'ensemble immobilier «Maché 1» à [Localité 7], dénommé «Garages de Maché B» et le syndicat des copropriétaires des bâtiments E, F1, F2, G et V compris dans l'ensemble immobilier «Maché 1» à [Localité 7], dénommé «Esplanade Garages», pris en la personne de leur syndic en exercice la société Savoisienne Habitat, ont fait assigner la commune de [Localité 7] devant le tribunal judiciaire de Chambéry, aux fins notamment de voir constater que la servitude consentie au profit de la commune comporte l'obligation pour celle-ci, à ses seuls frais, d'assurer la conservation et l'entretien de l'ouvrage objet de la servitude. Ils ont ainsi sollicité la condamnation de la commune à leur payer la somme de 57.380,82 euros TTC au titre des travaux de protection, dépose et remise en place du revêtement de la dalle, outre une indemnité procédurale.
La commune de [Localité 7] s'est opposée aux demandes en soutenant que ces travaux ne peuvent lui être imputés dès lors qu'elle n'est pas responsable des infiltrations et qu'elle n'est tenue que de l'entretien et de la conservation des ouvrages nécessaires à la servitude.
Par jugement contradictoire rendu le 4 mars 2021, le tribunal judiciaire de Chambéry a :
débouté les syndicats des copropriétaires demandeurs de leur demande en paiement de la somme de 57.380,82 euros TTC au titre des travaux de protection, dépose et remise en place du revêtement de la dalle objet de la servitude conventionnelle,
condamné in solidum les syndicats des copropriétaires demandeurs à verser à la commune de [Localité 7] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum les mêmes aux entiers dépens, et ce avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Laurent,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 25 mars 2021, le syndicat des copropriétaires des bâtiments B, L et garages compris dans l'ensemble immobilier «Maché 1» à [Localité 7] dénommé «Garages de Maché B» et le syndicat des copropriétaires «Esplanade Garages» ont interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 18 octobre 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, les syndicats de copropriétaires appelants demandent en dernier lieu à la cour de :
Vu les articles 697 et 698 du code civil,
Vu l'article 702 du code civil,
réformer le jugement entrepris,
dire et juger qu'il appartient à la commune de [Localité 7] de supporter seule les frais de conservation et d'entretien de l'ouvrage objet de la servitude,
dire et juger qu'il appartient à la commune de [Localité 7] de supporter les conséquences de l'aggravation de la condition du fonds servant du fait des travaux qu'elle a réalisés au titre de l'aménagement du square André Tercinet,
en conséquence,
dire et juger que dans le cadre des travaux envisagés par les copropriétés de la réfection et de l'étanchéité des dalles, la commune de [Localité 7] doit supporter le surcoût lié à la protection du système d'évacuation des eaux pluviales, la dépose, et à la remise en place des revêtements installés par elle, permettant l'exercice de la servitude,
condamner la commune de [Localité 7] à réaliser les travaux de protection du système d'évacuation des eaux pluviales, de dépose et de remise en place des revêtements de la dalle dans le délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine de condamnation au paiement de la somme de 61.589,10 euros TTC correspondant au coût desdits travaux,
condamner la commune de [Localité 7] à payer au syndicat des copropriétaires des bâtiments B, L et garages compris dans l'ensemble immobilier «Maché 1» à [Localité 7] dénommé «Garages de Maché B» et le syndicat des copropriétaires «Esplanade Garages» la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la commune de [Localité 7] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Saillet et Bozon.
Par conclusions notifiées le 22 septembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la commune de [Localité 7] demande en dernier lieu à la cour de :
Vu les articles 697 et 698 du code civil,
Vu l'article 701 du code civil,
confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
constater que les travaux envisagés par les syndicats des copropriétaires consistent en une réfection totale de la dalle et de l'étanchéité,
constater que la dalle supérieure avec son revêtement étanche constitue une chose commune et relève à ce titre de la seule responsabilité des syndicats des copropriétaires concernés,
constater que la commune de [Localité 7] bénéficie d'une servitude perpétuelle d'usage la plus étendue,
constater que les syndicats des copropriétaires n'administrent pas la preuve qui leur incombe d'une prétendue aggravation de la condition du fonds servant,
constater que la commune de [Localité 7] n'a commis aucun manquement à ses obligations légales ou conventionnelles,
constater que la ville de [Localité 7] ne saurait être tenue d'une quelconque obligation,
En conséquence,
débouter purement et simplement les syndicats des copropriétaires de l'intégralité de leurs fins et prétentions,
condamner in solidum le syndicat des copropriétaires des bâtiments B, L et garages compris dans l'ensemble immobilier «Maché 1» à [Localité 7] dénommé «Garages de Maché B» et le syndicat des copropriétaires «Esplanade Garages» à verser à la commune de [Localité 7] la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner in solidum les mêmes aux entiers dépens, de première instance et d'appel, avec distraction pour ces derniers, au profit de maître Laurent, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'affaire a été clôturée à la date du 31 octobre 2022 et renvoyée à l'audience du 29 novembre 2022, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 2 février 2023.
MOTIFS ET DÉCISION
En application de l'article 697 du code civil, celui auquel est due une servitude, a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver.
L'article 698 dispose que ces ouvrages sont à ses frais, et non à ceux du propriétaire du fonds assujetti, à moins que le titre d'établissement de la servitude ne dise le contraire.
L'article 701 précise que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode. Ainsi, il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée. Mais cependant, si cette assignation primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêchait d'y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser.
Enfin, l'article 702 dispose que, de son côté, celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier.
En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que les deux syndicats des copropriétaires ont décidé d'entreprendre des travaux de réfection de la structure et de l'étanchéité de la dalle sur laquelle s'exerce la servitude. Ils soutiennent que la commune de [Localité 7], bénéficiaire de la servitude, devrait prendre en charge la partie des travaux relative à la dépose / repose de l'ensemble des aménagements qu'elle a réalisés sur la dalle, ce qui relèverait des travaux incombant au fonds dominant conformément aux dispositions des articles 697 et 698 du code civil.
Ils font grief au jugement d'avoir recherché si la commune est responsable des infiltrations alors que le fondement de la demande n'est pas celui de la faute, mais celui des obligations incombant au fonds dominant.
La commune soutient, pour sa part, qu'elle n'est pas tenue de supporter le coût de ces travaux dès lors qu'elle n'a aucune responsabilité dans l'apparition des infiltrations d'eau en sous-sol et que le fonds servant ne peut lui imposer des obligations autres que celles nécessaires à la conservation et à l'entretien de l'ouvrage objet de la servitude, ce que ne sont pas les travaux litigieux qui ne sont rendus nécessaires que par le fait du fonds servant.
Il résulte des pièces produites aux débats que les deux règlements de copropriété contiennent la même clause créant une servitude au profit de la commune dans les conditions suivantes:
«La partie supérieure de la dalle formant couverture des garages sera grevée dans sa totalité au profit de la ville de [Localité 7], d'une servitude perpétuelle d'usage la plus étendue, notamment de passage public au profit de toutes personnes ou véhicules à qui l'autorité municipale accordera ce droit.
Etant toutefois stipulé que si la libre circulation des personnes est autorisée sur toute la surface de ladite dalle, celle des véhicules de toute nature publics ou privés, ainsi que leur stationnement, n'est consenti que sur les voies spécialement délimitées à cet effet (...)
En outre, ladite servitude consentie au profit de la ville de [Localité 7], comportera obligation pour cette dernière d'assurer à ses seuls frais, la conservation et l'entretien de l'ouvrage objet de la servitude.
La ville de [Localité 7], devra également assurer à ses frais, les dépenses de nettoyage de l'ensemble de l'ouvrage, de même elle supportera seule la dépense de l'entretien des espaces verts, massifs, jeux d'enfants, etc... et autres ouvrages d'agréments se trouvant sur ladite dalle.
Il sera interdit à la ville de [Localité 7], d'user de la dalle autrement que selon les dispositions ci-dessus; elle ne pourra notamment apporter aucun changement dans l'état des lieux.»
Ainsi, les actes créant la servitude n'ont mis à la charge de la commune que les travaux nécessaires à la conservation et à l'usage de la servitude.
Or, les travaux de reprise de l'étanchéité et de la structure même de la dalle ne sont pas de ceux incombant à la commune.
La commune, dont la responsabilité dans l'existence des infiltrations n'est ni soutenue ni démontrée, ne peut donc se voir imposer la prise en charge du coût des travaux de dépose et de repose de ses propres ouvrages posés sur la dalle litigieuse, ces travaux excédant les obligations pesant sur elle en application des clauses de servitude et des textes précités.
En effet, la dépose et la repose de ces ouvrages sont rendues nécessaires par les travaux qui incombent aux syndicats des copropriétaires seuls, et ne peuvent donc être supportées par la commune, conformément aux dispositions de l'article 701 du code civil précité.
Enfin, les syndicats ne démontrent pas que la commune ait procédé à une modification de l'état des lieux aggravant la condition du fonds servant qui justifierait, sur le fondement de l'article 702 du code civil, qu'elle participe à ces travaux.
En effet, l'aménagement de la dalle est prévu dans le titre constitutif de servitude et il ne peut être soutenu que la réalisation de cet aménagement, déjà ancienne de plus de vingt ans, serait en elle-même constitutive d'une aggravation de la condition du fonds servant, puisque cet aménagement et son utilisation par le public sont, précisément, l'objet même de la servitude.
Aussi, c'est à juste titre que le premier juge a rejeté la demande des syndicats des copropriétaires et le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la commune de [Localité 7] la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les appelants supporteront les entiers dépens de l'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Laurent.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry le 4 mars 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne in solidum le syndicat des copropriétaires des bâtiments B, L et garages compris dans l'ensemble immobilier «Maché 1» à [Localité 7], dénommé «Garages de Maché B» et le syndicat des copropriétaires des bâtiments E, F1, F2, G et V compris dans l'ensemble immobilier «Maché 1» à [Localité 7], dénommé «Esplanade Garages», à payer à la commune de [Localité 7] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum le syndicat des copropriétaires des bâtiments B, L et garages compris dans l'ensemble immobilier «Maché 1» à [Localité 7], dénommé «Garages de Maché B» et le syndicat des copropriétaires des bâtiments E, F1, F2, G et V compris dans l'ensemble immobilier «Maché 1» à [Localité 7], dénommé «Esplanade Garages» aux entiers dépens de l'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Laurent, avocat.
Ainsi prononcé publiquement le 02 février 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente