COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 02 Février 2023
N° RG 20/00868 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GPV7
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 30 Juin 2020, RG 15/00562
Appelantes
Mme [U] [N] épouse [J] agissant tant en qualité personnelle qu'en qualité d'héritière de Monsieur [K] [J]
née le 14 Mars 1944 à [Localité 20], demeurant [Adresse 2]
Mme [R] [J] agissant tant en qualité personnelle qu'en qualité d'héritière de Monsieur [K] [J]
née le 09 Janvier 1966 à [Localité 20], demeurant [Adresse 7]
Représentées par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SCP BALLALOUD & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau d'ANNECY
Intimés
M. [M] [O]
né le 04 Juillet 1951 à ST JULIEN EN GENEVOIS (74160), demeurant [Adresse 3]
Mme [R] [O] épouse [T]
née le 22 Mai 1952 à ST JULIEN EN GENEVOIS (74160), demeurant [Adresse 6]
Représentés par la SELARL MARENDAZ AVOCATS, avocat au barreau d'ANNECY
* * * * *
S.A. ORANGE anciennement dénommée France TELECOM dont le siège social est sis [Adresse 11] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL ADVOCATEM, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
COMMUNE DE [Localité 15], sise [Adresse 17] - [Localité 15] prise en la personne de son représentant légal
sans avocat constitué
-=-=-=-=-=-=-=-=-
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 29 novembre 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Président, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente,
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [K] [J] et Mme [U] [N] son épouse ont acquis la propriété de la parcelle cadastrée [Cadastre 14] sur la commune de [Localité 15].
Courant 2010, la société France Télécom, aux droits de laquelle intervient aujourd'hui la société Orange a procédé à des travaux sur le chemin de Ribiollets, afin de raccorder la maison située sur la parcelle [Cadastre 9] appartenant à feue Mme [V] veuve [O] et contiguë à la parcelle appartenant aux consorts [J].
Par acte du 27 février 2013, estimant que les travaux avaient été réalisés sur leur propre parcelle, les consorts [J] ont assigné Mme [V] veuve [O] aux fins de la voir condamner à retirer les installations de raccordement.
Par jugement réputé contradictoire du 14 juin 2013, Mme [V], veuve [O] a été condamnée à procéder à cet enlèvement. Toutefois, les consorts [J] apprenaient que celle-ci était décédée avant la délivrance de l'assignation de 2013.
Par actes des 11 et 20 février 2015, les consorts [J] ont assigné M. [M] [O] et Mme [R] [O] épouse [T] héritiers de Mme [V], nouveaux propriétaires indivis de la parcelle [Cadastre 9].
Par acte du 11 juin 2015, ces derniers assignaient en intervention forcée la société Orange afin d'être relevés et garantis de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre eux.
Par acte du 14 juin 2017, ils assignaient, à son tour, la commune de [Localité 15].
La jonction des trois procédures était ordonnée par décisions des 7 octobre 2015 et 6 septembre 2017.
Par jugement réputé contradictoire du 30 juin 2020, le tribunal judiciaire d'Annecy a :
- annulé l'assignation délivrée le 27 février 2017 et la procédure subséquente dont le jugement du 14 juin 2013,
- dit que le [Adresse 16] est un chemin d'exploitation traversant la parcelle [Cadastre 14],
- débouté les consorts [J] de leur demande tendant à la suppression des aménagements,
- débouté les consorts [J] de leur demande d'indemnisation,
- débouté les consorts [J] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les consorts [J] à payer aux consorts [O] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les consorts [J] à payer à la société Orange la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les consorts [J] aux dépens dont distraction pour la moitié au profit de maître Marendaz,
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 31 juillet 2020, les consorts [J] ont interjeté appel du jugement.
M. [K] [J] est décédé et les consorts [O] ont assigné sa veuve, déjà partie à la procédure en son nom personnel, ès-qualité d'héritière de son époux, par acte du 10 octobre 2022. Mme [R] [J] quant à elle, faisait délivrer, le 21 octobre 2021, des conclusions d'intervention volontaire et de reprise d'instance, ès-qualité d'héritière de son père [K] [J].
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 octobre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [R] [J] et Mme [U] [N] demandent à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondée l'intervention volontaire de Mme [R] [J] venant aux droits de feu M. [K] [J],
- confirmer le jugement du 30 juin 2020 en ce qu'il reconnaît que la parcelle [Cadastre 14] appartient aux consorts [J],
- infirmer le jugement du 30 juin 2020 en ce qu'il reconnaît l'existence d'un chemin d'exploitation sur la parcelle [Cadastre 14] appartenant aux consorts [J],
- infirmer le jugement du 30 juin 2020 en ce qu'il a débouté les consorts [J] de leurs demandes,
- infirmer le jugement du 30 juin 2020 en ce qu'il les a condamné à verser la somme de 3.000 euros aux consorts [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement du 30 juin 2020 en ce qu'il les a condamnés à verser la somme de 500 euros à la société Orange au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- infirmer le jugement du 30 juin 2020 en ce qu'il les a condamnés à supporter les entiers dépens,
Et statuant à nouveau,
- dire et juger recevables et bien fondées leurs demandes,
- dire et juger que les aménagements (pose d'une chambre et de câbles souterrains...) ont été réalisés sur la parcelle [Cadastre 14] qui leur appartient,
- constater que le «chemin» situé sur la parcelle [Cadastre 14] ne sert pas «exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation» mais a pour objet essentiel d'assurer la desserte de fonds à partir de la voie publique,
- dire et juger en conséquence qu'il n'existe pas de chemin d'exploitation sur la parcelle [Cadastre 14] leur appartenant au sens de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime,
- constater l'absence de servitude conventionnelle sur la parcelle [Cadastre 14] au bénéfice de la parcelle [Cadastre 9],
- constater que l'état d'enclave n'est pas justifié, pas plus qu'est justifié que le chemin le plus court et le moins dommageable pour le passage de réseau serait la parcelle [Cadastre 14] au sens des articles 682 à 685-1 du code civil,
- constater que n'est pas non plus justifié d'une prescription trentenaire de l'assiette de passage sur la parcelle [Cadastre 14],
En conséquence,
- condamner M. [M] [O] et Mme [R] [O] à supprimer l'aménagement (notamment la pose d'une chambre et de câbles souterrains...) mis en place sans droit, sans autorisation sur leur propriété, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à venir,
- condamner M. [M] [O] et Mme [R] [O] à payer la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la violation de leur droit de propriété,
- condamner solidairement M. [M] [O] et Mme [R] [O] ou qui mieux le devra, à leur payer la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux d'appel au profit de la Selurl Bollonjeon, avocat associée, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 12 janvier 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les consorts [O] demandent à la cour de :
Sur les demandes des consorts [J] :
- accueillir leur appel incident et le déclarer bien fondé,
- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a retenu que le [Adresse 16] était inclus, en sa partie privative, sur la parcelle [Cadastre 14],
- dire et juger que les consorts [J] ne justifient pas de leur droit de propriété sur ce chemin,
- débouter les consorts [J] de l'ensemble de leurs demandes,
subsidiairement,
- les mettre hors de cause,
à titre infiniment subsidiaire,
- condamner la société Orange à les relever et garantir de toutes condamnations qui seraient mises à leur charge,
Sur leurs demandes reconventionnelles
- confirmer le jugement en ce qu'il a qualifié le chemin litigieux de chemin d'exploitation et débouté en conséquence les consorts [J] de leurs demandes,
- dire et juger qu'ils bénéficient d'un droit d'usage y compris en tréfonds
subsidiairement,
- constater l'état d'enclave de leur parcelle,
- fixer l'assiette de desservitude sur la partie du [Adresse 16] dont les consorts [J] seraient reconnus propriétaires,
à titre infiniment subsidiaire,
- désigner un géomètre-expert à l'effet de donner son avis sur les possibilité de desserte,
En toutes hypothèses,
- dire et juger que la décision à intervenir est opposable à la commune de [Localité 15],
- condamner les consorts [J] à leur payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les consorts [J], ou 'qui mieux' aux entiers dépens dont distraction au profit de maître Marendaz, avocat.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 4 novembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Orange demande à la cour de :
A titre principal,
- infirmer la décision en ce qu'elle a retenu que le [Adresse 16] était inclus dans l'assiette de la parcelle [Cadastre 14], propriété des consorts [J],
- confirmer la décision du 30 juin 2020 en ce qu'elle a dit que le [Adresse 16] était un chemin d'exploitation et en conséquence débouter les consorts [J] de leurs demandes,
- confirmer la décision du 30 juin 2020 en ce qu'elle a condamné les consorts [J] à lui payer la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de première instance,
Y ajouter :
- condamner solidairement les consorts [J] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 en cause d'appel ainsi que les entiers dépens d'appel,
A titre subsidiaire,
- constater l'irrecevabilité de la demande des consorts [O] concernant leur mise hors de cause,
- constater l'irrecevabilité de l'action en garantie contre elle et en conséquence débouter les consorts [J] et les consorts [O] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à son égard,
A titre infiniment subsidiaire,
- débouter les consorts [J] de l'ensemble de leurs demandes,
- ramener les demandes indemnitaires formulées à de plus justes proportions et débouter de toutes demandes formulées sous astreinte,
- condamner M. [M] [O] et Mme [R] [O] et solidairement Mme [R] [J] et Mme [U] [N] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel, - condamner les consorts [J] au paiement des entiers dépens de l'instance.
La commune de [Localité 15] s'est vu signifier la déclaration d'appel par acte délivré à étude d'huissier le 24 septembre 2020 et les conclusions n°2 des consorts [J] par acte délivré à étude d'huissier le 28 avril 2021. Elle n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur l'intervention volontaire de Mme [R] [J] venant aux droits M. [K] [J]
L'article 554 du code de procédure civile dispose que peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elle y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
En l'espèce, Mme [R] [J] intervient en raison du décès, en cours d'instance en appel, de son père M. [K] [J], partie en première instance, dont elle est l'ayant droit. Elle a donc intérêt à intervenir volontairement en cause d'appel.
En conséquence, il convient de dire recevable l'intervention volontaire de Mme [R] [J] venant aux droit de son père M. [K] [J].
2. Sur la propriété du chemin litigieux
Les consorts [O] prétendent que le chemin litigieux n'était pas compris dans la vente de la parcelle alors cadastrée [Cadastre 1] (aujourd'hui [Cadastre 14]) intervenue le 26 juillet 1968 entre M. [L] [S] et M. [A] [I], laquelle a ensuite été cédée le 16 mars 1973 aux consorts [W] qui l'ont, à leur tour, cédée le 29 juillet 2000 aux consorts [J]. Ils s'appuient, notamment, en ce sens, sur le plan annexé à cet acte de vente de 1968, délimitant par un liseré jaune la propriété vendue et duquel il ressort que le chemin, indiqué comme 'servitude de passage', est en dehors des limites ainsi dessinées. Ils ajoutent que les plans cadastraux versés au dossier ne valent pas titre de propriété. Ils estiment en conséquence que c'est à tort que le tribunal a considéré que l'assiette de ce chemin faisait partie de la propriété des consorts [J].
Les consorts [J], pour leur part, sollicitent la confirmation du jugement sur ce point en se fondant sur un jugement rendu en 1977 délimitant une servitude de passage sur leur parcelle au profit de la parcelle [Cadastre 8], contiguë au Nord de la parcelle [Cadastre 9]. Ils ajoutent que les plans cadastraux font bien apparaître que les parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 14] sont contiguës sans être séparées par un chemin.
La cour relève que, le tribunal de grande instance d'Annecy a rendu, le 2 février 1977, un jugement par lequel il précise (pièce [J] n°1) :
- que la propriété [B] (parcelle [Cadastre 8]) peut être desservie 'par une servitude de passage à caractère agricole de 2,50 m de largeur prise sur la propriété [W]' (parcelle [Cadastre 14]) ;
- que le tracé de cette servitude s'exercera désormais selon la destination de la parcelle [B] devenue à usage d'habitation ;
- que Madame [B] pourra accéder à sa villa avec sa voiture automobile en utilisant cette servitude ;
- que le tracé de cette servitude 'figure au plan des lieux annexé au rapport d'expertise sous le n°8 entre les points AEJK'.
L'examen de ce plan (pièce [J] n°7) permet de constater que la ligne entre les points 'A' et 'E' constitue la limite de la parcelle [Cadastre 9]. Il est d'ailleurs notable que ces points 'A' et 'E' correspondent aux points '2" et '3" relevés comme 'anciennes bornes' sur le plan de bornage établi le 18 juin 2001 (pièce [J] n°2). La ligne entre les points 'K' et 'J' délimite, pour sa part, l'autre côté du chemin assiette de la servitude sur la parcelle [Cadastre 14].
Il est constant que l'assiette de la servitude ainsi jugée en 1977 et qualifiée comme étant prise sur la parcelle appartenant alors aux consorts [W], correspond en tous points au chemin litigieux. Il est en effet délimité du Sud/Ouest au Nord/Ouest par la limite de la parcelle [Cadastre 9] et du Sud/Est au Nord/Est par un tracé sur la parcelle [Cadastre 14]. Cet élément se trouve en outre corroboré par les plans cadastraux versés (notamment pièce [J] n°6) et qui montrent que la voie publique court jusqu'à une ligne pouvant être tracée entre les points 'A' et 'K'.
Ainsi, c'est à bon droit que le tribunal a considéré que le chemin litigieux était bien partie de la parcelle [Cadastre 14] ainsi que cela se déduit d'un jugement dont la date est postérieure à l'acte de vente [S]/[I]. Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
3. Sur la nature du chemin litigieux
Les consorts [O] sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que le chemin litigieux était un chemin d'exploitation. Ils exposent que le [Adresse 16] dessert, depuis des temps immémoriaux, l'ensemble des habitations du hameau des Ribiollets et qu'il présente donc un intérêt pour l'ensemble des fonds concernés. Ils indiquent que ce chemin avait également une utilité pour l'exploitation des parcelles situées plus au Nord, notamment les parcelles [Cadastre 19] (pré), [Cadastre 4] et [Cadastre 5] (bois), [Cadastre 10] et [Cadastre 12] (bois) ces deux dernières leur appartenant. Ils disent encore que le tracé complet du chemin apparaît sur le plan annexé dans l'acte notarié par lequel ils ont fait l'acquisition des bois en parcelles n°[Cadastre 10] et[Cadastre 12] et que le fait que l'assiette du chemin n'appartienne qu'à l'un des riverains est indifférent quant à la qualification de chemin d'exploitation.
Les consorts [J] exposent, quant à eux, que le chemin litigieux ne peut pas recevoir la qualification de chemin d'exploitation dans la mesure où la seule fonction de desserte des parcelles n'est pas un critère de reconnaissance d'une telle qualification. Ils rappellent que le chemin n'a été créé que pour la desservitude de la parcelle qu'ils qualifient par erreur de n°430, dès lors qu'il s'agit en réalité de la parcelle [Cadastre 8]. Ils ajoutent que, en se référant à l'histoire de ce chemin, il convient de constater qu'il n'a jamais été à l'usage exclusif de l'exploitation ou de la communication entre les fonds riverains mais qu'il avait une utilité pour des fonds non riverains ou à titre de simple passage de la population pour se rendre d'un hameau à l'autre ou jusqu'au bourg et à son église.
L'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que : 'les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage de ces chemins peut être interdit au public'.
Il est constant en jurisprudence que le droit d'usage conféré par la qualification de chemin d'exploitation d'une voie d'accès n'est pas lié à la propriété du sol et que l'existence d'un titre de propriété conférant au profit d'un riverain la propriété de la parcelle sur laquelle se trouve le chemin d'exploitation n'est pas incompatible avec cette qualification (cass. civ. 3, 5 février 1997, n°95-12.106 ; cass. civ. 3, 24 novembre 2010, n°09-70.917). A ce titre, le fait qu'il a été jugé plus haut que l'assiette du chemin litigieux se trouve sur la parcelle [Cadastre 14] n'est donc pas incompatible avec sa qualification de chemin d'exploitation.
Il est également constant en jurisprudence que l'existence d'une servitude de passage sur l'assiette du chemin n'est pas exclusif de sa qualification de chemin d'exploitation (cass. civ. 3, 14 juin 2018, n°17-20.567). Ainsi la reconnaissance au profit de la parcelle [Cadastre 8] d'une servitude de passage sur le chemin litigieux ne s'oppose pas au fait qu'il puisse être qualifié de chemin d'exploitation.
La loi ne définit pas la manière dont se crée un chemin d'exploitation mais part d'un fait, celui de son usage. Il en découle que le chemin d'exploitation peut être défini comme un chemin privé soumis à l'usage commun des propriétaires riverains et qui sert à la communication entre les fonds ou à leur exploitation. Il appartient aux juges du fond de rechercher si le chemin objet d'un litige sert exclusivement à la communication entre les fonds ou à leur exploitation. Il est ainsi jugé que n'est pas un chemin d'exploitation celui qui ne fait qu'assurer la desserte des parcelles riveraines depuis la voie publique (cass. civ. 3, 27 septembre 2011, n°10-21.514).
En l'espèce, les consorts [O] soutiennent que le chemin se poursuit au delà de la propriété [J] et dessert d'autres parcelles, notamment des parcelles leur appartenant situées bien plus au Nord. Toutefois force est de constater que la photographie aérienne qui figure dans leurs écritures (p. 35) montre un tracé ajouté par eux et qui ne figure pas sur la même photographie produite en page 37 de leurs conclusions. Sur la première image, il est notable que le prétendu chemin traverse une voie ferrée sans que ne soit indiqué à cet endroit un pont ou un passage à niveau ce qui rend douteux l'existence d'un chemin qui partirait des parcelles en questions, traverserait la voie ferrée formerait un tout avec le [Adresse 16]. Sur la seconde image aucun chemin n'est visible au-delà de la parcelle [Cadastre 8].
L'acte notarié en date du 22 juillet 2011 (pièce [O] n°8.2) par lequel les consorts [O] ont acquis leurs parcelles de bois n°[Cadastre 12] et [Cadastre 13] indique en page 9 que le vendeur a déclaré que l'accès 'à la parcelle présentement vendu se fait par un tracé figurant approximativement sous teinte orange sur le plan cadastral ci-annexé ; que ce droit de passage existe de manière continue depuis plus de trente ans et qu'à sa connaissance, il n'a jamais été constaté par acte notarié'. La cour observe qu'il ne s'agit là que des déclarations du vendeur reprises par le notaire et que l'intéressé évoque un 'droit de passage' et non un chemin d'exploitation. En outre le seul tracé figurant sur le plan annexé est manifestement ajouté par les intéressés au surligneur orange et traverse, là encore la voie ferrée. Le tracé en question ne peut donc avoir aucune espèce de valeur probante, d'autant que le même plan montre qu'un accès aux parcelles [Cadastre 12] et [Cadastre 13] peut très bien se faire par le Nord où se trouve un lotissement 'le domaine de Ferramant' rappelé à l'acte dans les créations de servitudes également à la même page 9.
La cour observe encore que si les consorts [O] affirment que le chemin litigieux sert à la parcelle [Cadastre 19] à usage de pré pour faire pâturer des vaches, ils ne démontrent pas la réalité de cette affirmation pas plus que l'inexistence potentielle d'autres accès à ce pré, lequel, selon les consorts [J] est relié à la parcelle [Cadastre 18] appartenant au même exploitant. Or cette parcelle pourrait être elle-même reliée par ailleurs à la voie publique, notamment du côté Est.
De même, les consorts [O] rappellent eux-mêmes dans leurs écritures (p.30) la délibération du conseil municipal de [Localité 15] du 25 février 1837 évoqué au rapport d'expertise de 1976 précisant qu'un chemin reliant le hameau du Ribiollets au chef lieu de [Localité 15] est utilisé pour laver et abreuver les bestiaux, surtout en temps de sécheresse, démontrant ainsi que le chemin litigieux est bien, et depuis fort longtemps, à usage d'exploitation. Pour autant ce même document précise également que le chemin permet de se rendre à l'église et qu'il sert non seulement au public mais encore aux particuliers pour les propriétés n'ayant jamais eu d'autre passage pour leur investiture ou leur dévestiture. Force est donc de constater que le chemin en question n'était en aucun cas affecté exclusivement à la communication entre les fonds ou à leur exploitation.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il n'est pas démontré que le chemin litigieux peut se voir revêtu de la qualification de chemin d'exploitation dans la mesure où le seul usage qui peut lui être donné est celui de la desserte des parcelles riveraines soit, au regard de la photographie figurant dans les conclusions des intimés en page 37, les parcelle [Cadastre 14], [Cadastre 9] et [Cadastre 8].
Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.
4. Sur l'état d'enclave de la parcelle [Cadastre 9]
Les consorts [O] estiment, à titre subsidiaire, pour le cas où la qualification de chemin d'exploitation ne serait pas retenue, que leur parcelle est enclavée et que l'assiette de la servitude doit être fixée sur le chemin existant passant sur la parcelle [Cadastre 14]. Ils ajoutent que la servitude de passage confère en accessoire une servitude en tréfonds, impliquant le droit d'installer des canalisations souterraines et qu'il convient donc à ce titre de débouter les consorts [J] de leurs demandes.
Les consorts [J] rétorquent qu'il n'existe aucune servitude conventionnelle au profit de la parcelle [Cadastre 9] et que l'état d'enclave n'est pas justifié, pas plus que l'acquisition d'une prescription trentenaire sur l'assiette du chemin litigieux.
L'article 682 du code civil dispose que : 'le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasion'.
Il est constant que la caractérisation de l'état d'enclave relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. En l'espèce les photographies et autres plans produits aux débats par les parties montrent que la parcelle [Cadastre 9] appartenant aux consorts [O] est délimité à l'Ouest par une voie ferrée sans aucun accès, au Nord par la parcelle [Cadastre 8] laquelle ne dispose d'aucun accès à la voie publique et à l'Est par le chemin litigieux donc par la parcelle des consorts [J]. Le seul accès à la voie publique, située au Sud du chemin litigieux est donc ce chemin. Au demeurant, les consorts [J] n'exposent pas en quoi la parcelle de leurs voisins ne serait pas enclavée et la photographie aérienne montre que l'accès à la maison des consorts [O] se fait déjà par le biais du chemin en litige. Ce dernier est manifestement aménagé pour que des véhicules puissent y circuler sur toute sa longueur jusqu'à la parcelle [Cadastre 8]. Il constitue donc le passage le plus court et le moins dommageable vers la voie publique. Aucune autre solution n'est en effet envisageable.
Il convient donc de dire que la parcelle [Cadastre 9] est au bénéfice d'une servitude légale de passage du fait de son état d'enclave et que ce passage se fait sur la parcelle [Cadastre 14] sur le chemin litigieux se situant dans la continuité du [Adresse 16] et jusqu'à un mètre au Nord au delà du chemin d'accès à la maison d'habitation construite sur la parcelle [Cadastre 9]. Le passage est en effet suffisamment assuré jusqu'à ce point sans qu'il soit besoin de prolonger la servitude sur toute la longueur du chemin litigieux vers le Nord. La cour observe que les consorts [J] n'ont formulé aucune demande d'indemnisation.
La servitude de passage ainsi reconnue devra faire l'objet, par et aux frais des consorts [O], d'une publication à la conservation des hypothèques.
5. Sur les demandes des consorts [J] relatives aux travaux litigieux
Les consorts [J] sollicitent la condamnation des consorts [O] à la suppression de l'aménagement consistant en la pose d'une chambre et de câbles souterrains sous astreinte outre une condamnation à des dommages et intérêts pour violation du droit de propriété.
Il est constant en jurisprudence que l'assiette du chemin sur lequel s'exerce le droit de passage peut être utilisé par le propriétaire du fonds dominant pour la pose de canalisations nécessaires à la satisfaction des besoins de la construction édifiée sur sa propriété (cass. civ. 3, 14 décembre 1977, n°76-11.254).
La cour observe que des travaux de raccordement de l'habitation sise sur la parcelle [Cadastre 9] aux installations de téléphonie ou d'internet répondent nécessairement à la satisfaction des besoins de la construction. Il résulte du procès-verbal de constat d'huissier en date du 23 mars 2010 (pièce [J] n°3) que les travaux litigieux ont été effectués au Sud du chemin d'accès à la maison des consorts [O]. Ils ont donc été réalisés sur l'assiette de la servitude telle que définie plus haut et ne sont par conséquent frappés d'aucune irrégularité.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [J] de leurs demandes de suppression des installations litigieuses et de dommages et intérêts pour violation du droit de propriété.
Ainsi, la demande des consorts [O] tendant à être mis hors de cause se trouve sans objet et il n'est donc pas nécessaire de statuer sur sa recevabilité contestée par ailleurs, à titre subsidiaire par la société Orange. Il en est de même de la demande tendant à condamner la société Orange à les relever et garantir des condamnation qui pourraient être prononcées contre eux. Quant à la demande tendant à dire l'arrêt à intervenir opposable à la commune de [Localité 15], la cour observe que celle-ci, régulièrement assignée et n'ayant pas constitué avocat, se trouve dans la cause. A ce titre l'arrêt lui est nécessairement opposable.
6. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les consorts [J] qui succombent seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit du conseil des consorts [O] par application de l'article 699 du code de procédure civile. Ils seront par ailleurs déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.
Il n'est pas inéquitable par ailleurs de faire supporter par les consorts [J] partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par les consorts [O] et la société Orange en première instance et en appel. En conséquence, il seront condamnés in solidum à payer aux consorts [O] la somme globale de 6 000 euros et à la société Orange la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par défaut,
Dit recevable l'intervention volontaire de Mme [R] [J],
Réforme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour plus de clarté,
Dit que le chemin dénommé '[Adresse 16]' dans sa partie traversant la parcelle cadastrée [Cadastre 14] appartient à cette parcelle,
Dit que le chemin dénommé '[Adresse 16]' dans sa partie sise sur la parcelle cadastrée [Cadastre 14] n'est pas un chemin d'exploitation,
Dit que la parcelle [Cadastre 9] sise sur la commune de [Localité 15], [Adresse 16] est enclavée,
Dit en conséquence que cette parcelle est au bénéfice d'un droit de passage tous usages sur la parcelle [Cadastre 14] et sur toute la largeur du chemin existant,
Dit que l'assiette de la servitude se trouve sur la parcelle [Cadastre 14], sur le chemin se situant dans la continuité du chemin public des Ribiollets et jusqu'à un mètre au Nord au delà du chemin d'accès à la maison d'habitation construite sur la parcelle [Cadastre 9],
Dit que cette servitude fera l'objet d'une publication à la conservation des hypothèques par et aux frais de M. [O] [M] et de Mme [R] [T],
Déboute Mme [R] [J] et Mme [U] [N] de leur demande de suppression de travaux et de dommages et intérêts,
Condamne in solidum Mme [R] [J] et Mme [U] [N] aux dépens de première instance et d'appel, maître Johan Marendaz, avocat, étant autorisé à recouvrer directement contre elles ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision,
Déboute Mme [R] [J] et Mme [U] [N] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme [R] [J] et Mme [U] [N] à payer à M. [O] [M] et de Mme [R] [T] la somme globale de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en première instance et en appel,
Condamne in solidum Mme [R] [J] et Mme [U] [N] à payer à la société orange la somme globale de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en première instance et en appel.
Ainsi prononcé publiquement le 02 février 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Président et Madame Sylvie DURAND, Greffier.
La Greffière La Présidente,