La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/01/2023 | FRANCE | N°20/01508

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 24 janvier 2023, 20/01508


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 24 Janvier 2023





N° RG 20/01508 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSKK



Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 26 Novembre 2020





Appelante



S.A. HELOISE PROPERTY, dont le siège social est situé [Adresse 3]



Représentée par la SAS MERMET & ASSOCIES, avocats au barreau de THONON-LES-BAINS









Intimés<

br>


Me [U] [S], demeurant [Adresse 1]



S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, demeurant [Adresse 2]



Représentés par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentés...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 24 Janvier 2023

N° RG 20/01508 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSKK

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 26 Novembre 2020

Appelante

S.A. HELOISE PROPERTY, dont le siège social est situé [Adresse 3]

Représentée par la SAS MERMET & ASSOCIES, avocats au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimés

Me [U] [S], demeurant [Adresse 1]

S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, demeurant [Adresse 2]

Représentés par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentés par la SCP BOUVARD/BOUVARD, avocats plaidants au barreau de BONNEVILLE

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 24 Octobre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 15 novembre 2022

Date de mise à disposition : 24 janvier 2023

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et Procédure

Par acte authentique reçu le 20 septembre 2013, la société Héloise Property (SA), société de droit luxembourgeois, acquérait de Mme [B] [Y] un tènement immobilier « Villa Mer et Soleil », composé d'une villa et d'une petite maison en fond de jardin sises sur un terrain de 4 269 m² à [Localité 4], moyennant le prix total de 4 200 000 euros.

Sur l'acte, il était indiqué que :

« Pour la perception des droits, le vendeur déclare :

ne pas être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée,

que le bien vendu est achevé depuis plus de cinq ans.

En conséquence, la présente mutation n'entre pas dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée et est soumise à la taxe de publicité foncière au taux de droit commun prévu par l'article 1594 D du Code général des impôts, qui est due par l'acquéreur ».

Par courrier en date du 3 avril 2017 adressé à Me [S], la société Husdent, mandataire de la société Héloïse Property, affirmait que l'acquisition aurait dû être soumise au droit fixe de 125 euros dans le cadre de l'acquisition d'un bien avec engagement de construire un immeuble neuf dans le délai de quatre ans, en lieu et place des droits d'enregistrement au taux normal d'un montant de 213 783 euros.

Le 9 octobre 2017, la société Héloïse Property mettait en demeure Me [S] de lui régler sous délai de 15 jours la somme de 213 783 euros.

Me [S] effectuait une déclaration de sinistre auprès de son assureur, la société MMA Iard assurances mutuelles.

Par actes en date du 3 et 4 septembre 2018, la société Héloise Property assignait Me [S] et la société MMA Iard assurances mutuelles devant le tribunal judiciaire (ex-TGI) de Thonon-les-Bains.

Par jugement rendu le 26 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

déboutait la société Héloise Property de sa demande indemnitaire ;

condamnait la société Héloise Property à payer à Me [U] [S] et à la société MMA Iard assurances mutuelles la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamnait la société Héloise Property aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de la Selas Agis- Me Corinne Bigre, sur son affirmation de droit.

Par déclaration au greffe en date du 14 décembre 2020, la société Héloise Property interjetait appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures en date du 18 octobre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Héloise Property sollicite l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :

infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 26 novembre 2020 et statuant à nouveau :

condamner solidairement Me [U] [S] et son assureur, la société MMA Iard assurances mutuelles, à lui payer la somme de 213 658 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 septembre 2013 et jusqu'à parfait paiement, à titre de complément de dommages et intérêts, ou, subsidiairement, à compter de l'assignation des 3 et 4 septembre 2018 ;

condamner in solidum les intimés à lui payer une indemnité de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

à titre infiniment subsidiaire, et si la cour s'estime insuffisamment informée, ordonner une expertise judiciaire afin de déterminer si les travaux de rénovation-reconstruction exécutés à l'initiative de la société Héloise Property ont été de nature à rendre l'immeuble à l'état neuf, par référence à l'annexe TVA publiée au BOI le 29 septembre 2014 à l'article 245 A de l'annexe II du CGI ;

condamner in solidum les intimés en tous les dépens de première instance et d'appel avec distraction au bénéfice de la SCP Mermet et associés, sur son affirmation d'avance.

Au soutien de ses prétentions, la société Héloise Property expose essentiellement que :

' Me [U] [S] a commis une faute lors de l'établissement de l'acte authentique du 20 septembre 2013 et a également manqué à son devoir de conseil à l'égard de la société Héloise Property Société, faute à l'origine de son préjudice, et c'est au notaire de démontrer qu'il n'a pas failli à l'obligation qui pèse sur lui ;

' les premiers juges ont dénaturé les faits de la cause en considérant qu'elle ne justifiait pas de son intention, au jour de la conclusion de l'acte, de réaliser des travaux de rénovation des éléments de second-'uvre dans les proportions fixées par les articles 257 et 254 du CGI alors que plusieurs éléments le démontraient et démontraient que le notaire en avait été informé

' l'attestation du maître d''uvre et l'expertise sollicitée auprès de M. [T] démontraient que les travaux entrepris lui permettaient de bénéficier de l'exonération des droits de mutation, travaux qui avaient été achevés dans les quatre ans.

' le non-respect des directives constituait à lui seul une faute de la part du notaire auquel il n'appartenait pas d'apprécier si l'acquéreur pouvait bénéficier de l'exonération de droits puisque les travaux ne pouvaient être réalisés que postérieurement à la vente et qu'une telle appréciation relevait donc de l'administration fiscale ;

' les travaux portant sur des éléments de second 'uvre visés à l'article 245 A de l'annexe II du CGI n'entraient pas dans le champ d'application du permis de construire exigible pour les seuls travaux de construction et d'agrandissement, et l'obtention du permis n'était pas une condition d'application du régime de faveur prévu à cet article.

Par dernières écritures en date du 10 octobre 2022 régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Me [S] et la société MMA Iard assurances mutuelles sollicitent de la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Héloïse Property de sa demande indemnitaire ;

débouter la société Héloise Property de l'ensemble de ses demandes ;

débouter la société Héloise Property de sa demande d'expertise judiciaire ;

réformer le jugement entrepris pour le surplus ;

condamner la société Héloise Property à payer à leur payer à chacun la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Héloise Property aux entiers dépens avec application au profit de Me Clarisse Dormeval, avocate, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, Me [S] et la société MMA Iard assurances mutuelles font valoir essentiellement que :

' la société Héloise Property n'établit pas qu'elle avait la qualité d'assujettie à la TVA au moment de l'acquisition puisque l'activité et la situation de la société antérieurement à son inscription au répertoire SIRET n'était pas connue, l'activité de holding n'étant pas de nature, par elle-même, à conférer une telle qualité ;

' les travaux réalisés ne peuvent pas être considérés comme ayant rendu la maison à l'état neuf au sens de l'article 257-I-2-2° du CGI dans la mesure où les planchers non porteurs et les cloisons intérieures n'avaient pas été affectés, et ou ni les fondations, ni les éléments assurant la rigidité et la résistance de l'ouvrage, ni les façades n'avaient été touchées et l'attestation de l'architecte ne suffisait pas à établir que les travaux réalisés avaient effectivement rendu l'immeuble à l'état neuf et il en était de même de l'expertise ;

' le permis n'était pas mentionné à l'acte du 20 septembre 2013, et la société Héloise Property n'avait pas déterminé de manière définitive et certaine la nature et la quotité des travaux puisque le permis avait fait l'objet de deux permis modificatifs le 9 juin 2015 et le 4 mai 2016 ;

' la promesse unilatérale de vente, le procès-verbal du conseil d'administration de la Société Héloise Property et l'acte de vente du 20 septembre 2013 avaient, implicitement ou explicitement, prévu que les droits seraient dus au taux de droit commun, excluant l'application du droit fixe. Par conséquent, la société s'était engagée en toute connaissance de cause ;

' la société Héloise Property ne justifiait pas que le défaut de souscription de l'engagement de construire dans l'acte du 20 septembre 2013 serait imputable à une faute de M. [S] ;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 24 octobre 2021 clôture l'instruction de la procédure et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries du 15 novembre 2022.

MOTIFS ET DÉCISION

I - sur l'existence d'une faute du notaire

En vertu de l'article 1382 ancien du code civil en vigueur au moment de l'acte litigieux, 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'. Pour engager la responsabilité du notaire, il faut prouver la faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux.

Le notaire est tenu à l'égard des parties d'une obligation de conseil. En effet, s'il n'est pas tenu d'une obligation de conseil et de mise en garde concernant l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher, son devoir est 'd'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur 'les risques' de l'opération réalisée'. La délivrance de ce conseil doit être effective, matériellement et intellectuellement, et il se doit non seulement de veiller, par un conseil adapté et des recherches préalables appropriées, à rédiger un acte efficace, correspondant à l'intention, voire aux mobiles, s'il les connaît, ou à l'intérêt immédiat des parties, mais aussi d'en discerner le risque d'évolution préjudiciable. Alerter des risques liés à une opération juridique implique également du notaire qu'il projette dans le temps son devoir d'information. Il doit alors anticiper sur les difficultés à naître de la situation juridique, régulière, susceptible de résulter de l'acte qu'il instrumente. Conseiller les parties sur le régime fiscal applicable ou pouvant être appliqué à l'opération projetée fait partie de ce devoir de conseil, fait qui n'est d'ailleurs pas contesté en l'espèce, seule l'administration fiscale étant ensuite en mesure d'apprécier si les conditions du régime fiscal pour lequel la partie a opté ont été remplies. Si le notaire a attiré l'attention des parties sur la nécessité de remplir certaines conditions pour bénéficier d'un régime fiscal de faveur, sa responsabilité ne saurait être engagée en cas de non respect ultérieur des dites conditions.

En l'espèce, la société Héloïse Property soutient qu'elle a acquis la propriété de Mme [Y] dans le but de la rénover entièrement et qu'étant assujettie à la TVA, elle aurait dû bénéficier des dispositions particulières de l'article 1594-0 G du code général des impôts. Me [S] soutient qu'il n'était pas informé des travaux réellement envisagés par la société Héloïse Property de sorte qu'il ne pouvait déterminer s'ils étaient de nature à permettre l'application de l'article 1594-0 G;

Sur l'existence d'un régime fiscal particulier

Selon l'article 1594-0 G A -I et II al 1 du code général des impôts, 'sous réserve de l'article 691 bis, sont exonérés de taxe de publicité foncière ou de droits d'enregistrement :

A. ' I. ' Les acquisitions d'immeubles réalisées par une personne assujettie au sens de l'article 256 A, lorsque l'acte d'acquisition contient l'engagement, pris par l'acquéreur, d'effectuer dans un délai de quatre ans les travaux conduisant à la production d'un immeuble neuf au sens du 2o du 2 du I de l'article 257, ou nécessaires pour terminer un immeuble inachevé.

II. ' Cette exonération est subordonnée à la condition que l'acquéreur justifie à l'expiration du délai de quatre ans, sauf application du IV, de l'exécution des travaux prévus au I'.

L'article 691 bis du code général des impôts énonce que 'les actes d'acquisitions visées au A de l'article 1594-0 G donnent lieu à la perception d'une taxe de publicité foncière ou d'un droit d'enregistrement de 125 euros'

Enfin, selon l'article 257-I-2-2° 2CGI : « I. ' Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent.

2. Sont considérés :

2o Comme immeubles neufs, les immeubles qui ne sont pas achevés depuis plus de cinq années, qu'ils résultent d'une construction nouvelle ou de travaux portant sur des immeubles existants qui ont consisté en une surélévation ou qui ont rendu à l'état neuf :

a) Soit la majorité des fondations ;

b) Soit la majorité des éléments hors fondations déterminant la résistance et la rigidité de l'ouvrage ;

c) Soit la majorité de la consistance des façades hors ravalement ;

d) Soit l'ensemble des éléments de second 'uvre tels qu'énumérés par décret en Conseil d'État, dans une proportion fixée par ce décret qui ne peut être inférieure à la moitié pour chacun d'entre eux ».

Ainsi, en cas de travaux de rénovation portant sur l'ensemble des éléments de second oeuvre visés par décret en Conseil d'état dans une proportion également fixée par décret, achevés dans un délai de quatre ans à compter de l'acquisition, les droits de mutation dont la société Héloïse Property devait s'acquitter s'élevaient à 125 euros et non à 213 783 euros.

Compte tenu de l'existence de ce régime fiscal particulier que le notaire ne pouvait ignorer, d'ailleurs il ne le prétend pas, il convient de déterminer quelle était l'intention de la société Héloïse Property au moment de l'acquisition de la propriété de Mme [Y] et si le notaire disposait d'éléments lui imposant d'informer la société Héloïse Property qu'il assistait des conditions d'octroi de ce régime particulier.

- sur le projet de la société Héloïse Property

La société Héloïse Property, société de droit luxembourgeois, créée le 28 juin 2012, a pour objet social, outre les opérations se rapportant directement ou indirectement à la prise de participations, l'achat, la vente, la gestion et la mise en valeur de tous biens immobiliers situés au Grand-Duché de Luxembourg ou à l'étranger. Le notaire ne saurait se retrancher derrière la méconnaissance de l'activité de sa cliente sur laquelle il lui appartenait de se renseigner.

En parfaite adéquation avec son objet de social, son conseil d'administration, réuni le 21 juin 2013, donnait l'autorisation d'acquisition de la villa 'mer et soleil' située à [Localité 4], décidait de l'affecter à l'exercice d'une activité para-hôtelière comprenant notamment la réception de la clientèle et, constatant que des travaux de mise aux normes et d'agrandissement étaient indispensables, décidait de la réalisation de travaux consistant principalement dans des travaux de rénovation, restructuration et extension de l'existant avec création d'une piscine.

Dans la continuité de cette décision, le mandataire de la société Héloïse Property, la SCI Abelard déposait une demande de permis de construire 'concernant la restructuration et l'extension de l'existant, la création d'une piscine', la demande mentionnant aussi 'la création d'une surface de plancher de 69.75 m²' et elle obtenait ce permis le 19 septembre 2013.

Le projet de la société Héloïse Property ne restait pas en l'état mais se concrétisait très rapidement par la demande de devis établis pour partie avant l'acte d'achat du 20 septembre 2013 soit entre le 10 septembre 2013 et le 1er octobre 2013, puis par la réalisation des travaux dont les premiers étaient achevés dès le 29 juillet 2015 selon certificat d'achèvement versé aux débats.

Ces éléments démontrent que le projet de la société Héloïse Property quant à la rénovation complète de la villa 'mer et soleil' n'était pas une simple idée, mais un véritable objectif qui expliquait d'ailleurs l'acquisition de la dite villa.

- sur l'assujettissement à la TVA de la société Héloïse Property

Le procès-verbal du conseil d'administration précité du 21 juin 2013 faisait très précisément référence à la TVA en indiquant que l'activité projetée entrant de plein droit dans le champ d'application de la TVA, la société était redevable de la TVA et devait solliciter l'attribution d'un numéro de TVA auprès du service des impôts. En ce sens, la société Héloïse Property faisait une déclaration de TVA pour le mois de septembre 2013, peu important que son chiffre d'affaire soit nul à cette période et elle produisait une attestation de la direction générale des finances publiques indiquant qu'elle était assujettie depuis le 1 janvier 2013. Cette information élémentaire aurait dû être sollicitée par le notaire, s'il n'en avait pas déjà connaissance.

- sur les éléments d'information dont le notaire disposait

Me [S] soutient qu'il ne disposait pas d'informations suffisantes sur les intentions de la société Héloïse Property qui auraient pu le déterminer à prévoir dans l'acte d'achat un engagement de construire dans les quatre ans, ce qui aurait permis le bénéfice du régime fiscal favorable.

Toutefois et contrairement à ce que le notaire prétend, il a été clairement et précisément informé de l'intention de la société Héloïse Property par courrier de la société de conseil de la société Héloïse Property, la société Husdent, en date du 27 août 2013. En effet, la rédactrice de ce courrier indiquait : ' afin que tu aies une information complète sur ce dossier suite à ton dernier mail du 23 août, voici en résumé le contexte et les objectifs de cette acquisition : les actionnaires et les obligataires ont approuvé l'acquisition de la villa située à [Localité 4] afin d'exercer une activité de location assortie de prestations de services para-hôtelières. Pour ce faire, compte tenu de l'état de vétusté de cette villa datant de plus de vingt ans, de gros travaux de rénovation, construction et aménagement du bâti avec construction d'une piscine sont donc programmés ce qui conduira in fine à la réalisation d'une propriété de luxe entièrement rénovée pour correspondre aux attentes d'une clientèle internationale pour ce type de bien et d'activité dans la région. En définitive, ce projet s'inscrit exactement dans le droit fil de ce lui que tu avais déjà traité par la villa 'capon'. Pour ta parfaite information, je me permets de te joindre le permis de construire qui a été déposé à la mairie de [Localité 4] au mois de juillet...... ce chantier comme tu le sais doit être une réussite exemplaire comme celui de Capon. Tu sais combien les obligataires et les actionnaires sont soucieux du bon déroulement juridique de ce type d'opérations, en particulier, quand les fonds investis sont destinés à la construction et rénovation de biens, les coûts engendrés étant alors très importants'. Il résulte de ce courrier très explicite et de la demande de permis de construire qui mentionnait comme déjà évoqué 'concernant la restructuration et l'extension de l'existant, la création d'une piscine, la demande mentionnant la création d'une surface de plancher de 69.75 m²', que la société Héloïse Property devait entreprendre des travaux de rénovation et d'agrandissement très importants qui ne pouvaient se résumer à un simple rafraîchissement de l'existant, qui à l'évidence n'aurait pas suffi pour la clientèle visée par la société Héloïse Property à [Localité 4]. Certes deux permis modificatifs ont été accordés (l'un en date du 9 juin 2015, le second du 4 mai 2016), mais ils concernaient des adaptations du projet initial (plan paysager, le changement du local technique enterré, la modification d'ouverture, pente du toit, ouverture du portail), le dépôt de demande de permis modificatif étant classique en fonction de l'avancement des travaux, dans des travaux d'ampleur.

Ces informations étaient précises pour que Me [S] sollicite plus d'éléments s'il s'estimait insuffisamment renseigné sur la nature exacte des travaux notamment sur l'ampleur des travaux de seconde oeuvre afin de soumettre à la société Héloïse Property les conditions d'application de l'article 1594-0 G du code général des impôts, d'autant que le notaire ne conteste pas avoir déjà assisté la société Héloïse Property dans un projet de même nature, la villa Capon. Quand bien même la société Héloïse Property n'avait pas la totalité des devis et des plans de travaux envisagés, le notaire devait lui expliquer quel régime fiscal elle était en droit d'obtenir en cas d'engagement de sa part d'effectuer des travaux de rénovation de second oeuvre de deux tiers dans les quatre ans de l'acquisition.

En conséquence, cette absence de conseil sur les droits de mutation, alors même qu'il savait quels étaient les droits de mutation prévus initialement dans la promesse de vente qui, au demeurant ne sont pas visés dans le procès-verbal du conseil d'administration de la société Héloïse Property du 21 juin 2013 (le notaire évoquant un procès-verbal de septembre sans le produire aux débats), et que ceux-ci pouvaient être en inadéquation avec le projet de rénovation d'ampleur de la villa acquise, constitue une faute de la part du notaire dont la société Héloïse Property avait pris soin de s'assurer de son assistance pour passer l'acte de vente, dès lors que ce dernier a incontestablement manqué à son obligation en n'assurant pas l'efficacité de son acte au plan fiscal.

II - sur l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité

Contrairement à ce qui est soutenu par le notaire et son assureur, la société Héloïse Property démontre que les travaux qu'elle a entrepris dans la villa 'mer et soleil' ressortaient du régime fiscal préférentiel qui lui aurait permis de s'acquitter de la seule taxe de 125 euros.

En effet, aux termes de l'article 245 A de l'annexe II du code général des impôts,

'I. ' Pour l'application du d du 2o du 2 du I de l'article 257 du code général des impôts, les éléments de second 'uvre à prendre en compte sont les suivants :

a. les planchers ne déterminant pas la résistance ou la rigidité de l'ouvrage ;

b. les huisseries extérieures ;

c. les cloisons intérieures ;

d. les installations sanitaires et de plomberie ;

e. les installations électriques ;

f. et, pour les opérations réalisées en métropole, le système de chauffage.

II. ' La proportion prévue au d du 2o du 2 du I de l'article 257 du code général des impôts est fixée à deux tiers pour chacun des éléments mentionnés au I'.

La société Héloïse Property fournit aux débats les devis des entrepreneurs lesquels correspondent, contrairement à ce qui est soutenu, à l'attestation de l'architecte, maître d'oeuvre chargé des travaux en date du 8 janvier 2019 de laquelle il résulte que :

- les planchers non porteurs ont été refaits en totalité, remplacés par une dalle béton (devis de la société Torchia du 10 septembre 2013) ;

- les huisseries extérieures ont été remplacées en totalité (devis Alu Store du 26 septembre 2013)

- les cloisons intérieures ont été abattues et remplacées (devis société Torchia du 10 septembre 2013) ;

- les installations sanitaires et la plomberie ont été remplacées et de nouvelles salles de bain ont été créées (devis société Apc du 24 septembre 2013 et bon de commande universal décoration du 1er octobre 2013);

- l'installation électrique a été remplacée par une installation électrique domotique aux normes (devis du 16 septembre 2013 de la société ASC Electricité) ;

- l'installation de chauffage a été remplacée par une climatisation réversible (devis société Apc du 24 septembre 2013).

Cette attestation et ces devis sont corroborés non seulement par les factures des différentes entreprises intervenues sur le chantier qui ont compté d'ailleurs un taux de TVA de 20 % et non un taux réduit, par des photographies des lieux mais aussi par le rapport d'expertise privée de M. [T], par ailleurs expert inscrit près la cour d'appel, soumis au principe du contradictoire, duquel il résulte que, pour chacun des six lots de second oeuvre, les composants correspondants ont été rendus à l'état neuf dans une proportion de 100 %.

Enfin ces travaux ont été achevés avant l'expiration du délai de quatre ans imposé puisque les certificats d'achèvement des travaux ont été établis les 29 juillet 2015 et 21 juin 2016.

En conséquence, la société Héloïse Property, société assujettie à la TVA, rapporte la preuve qu'elle aurait dû bénéficier des dispositions de l'article 1594-0-G du code général des impôts et ne régler que la taxe de 125 euros prévue à l'article 691 bis de ce code.

La faute du notaire, Me [S], qui n'a pas conseillé à la société Héloïse Property de faire figurer dans l'acte d'acquisition l'engagement d'effectuer des travaux entrant dans le champ d'application de l'article 1594-0-G dans un délai de quatre ans, est directement à l'origine du préjudice qu'elle démontre soit le paiement d'une somme indue de 213 658 euros, l'acte de vente mentionnant un montant d'impôts de mutation de 213 783 euros.

En conséquence, Me [S] sera condamné, in solidum avec son assureur, la société MMA Iard assurances mutuelles, à payer à la société Héloïse Property la somme de 213 658 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en date du 4 septembre 2018.

III - sur les demandes accessoires

Me [S] et la société MMA Iard assurances mutuelles seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de la SCP Mermet&Associés, société d'avocats, sur son affirmation de droit. Les intimés seront déboutés de leur demande d'indemnité procédurale en cause d'appel et la décision entreprise infirmée en ce qu'elle leur a alloué une indemnité procédurale en première instance.

L'équité commande de faire droit à la demande d'indemnité procédurale de la société Héloïse Property à hauteur de 5 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Condamne in solidum Me [U] [S] et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à la société Héloïse Property la somme de 213 658 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en première instance en date du 4 septembre 2018,

Condamne in solidum Me [U] [S] et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à la société Héloïse Property la somme de 5 000 euros au titre de l'indemnité procédurale,

Condamne in solidum Me [U] [S] et la société MMA Iard assurances mutuelles au paiement des dépens de première instance et d'appel au profit de la SCP Mermet&Associés, société d'avocats, sur son affirmation de droit,

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le

à

la SAS MERMET & ASSOCIES

Me Clarisse DORMEVAL

Copie exécutoire délivrée le

à

la SAS MERMET & ASSOCIES


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/01508
Date de la décision : 24/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-24;20.01508 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award