COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 24 Janvier 2023
N° RG 20/01204 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRFY
Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON LES BAINS en date du 24 Septembre 2020
Appelante
S.A.S. SAVOIE CHAUFFAGE SANITAIRE - SCS, dont le siège social est situé [Adresse 3]
Représentée par Me Bérangère HOUMANI, avocat postulant au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELARL DENIAU AVOCATS GRENOBLE, avocats plaidants au barreau de GRENOBLE
Intimée
Société LES JARDINS SECRETS dont le siège social est situé [Adresse 1]
Représentée par la SELARL VIARD-HERISSON GARIN, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELARL PIRAS ET ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de LYON
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Date de l'ordonnance de clôture : 12 Septembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 11 octobre 2022
Date de mise à disposition : 24 janvier 2023
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Composition de la cour :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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La société Immobilier Savoie Léman (ISL) a entrepris la construction d'un ensemble immobilier comprenant 40 logements répartis dans 5 bâtiments à [Localité 2] en Haute-Savoie.
La maîtrise d''uvre a été assurée par la société ISL qui a par ailleurs créé la SCCV Les jardins secrets chargée d'assurer la maîtrise d'ouvrage de l'opération et dont elle est la gérante.
Le lot n°18 « chauffage-gaz-VMC-plomberie » a été confié à la société Savoie chauffage sanitaire (SCS) suivant marché de travaux forfaitaire pour un montant de 474 216 euros TTC en date du 20 septembre 2015.
Ce marché a fait l'objet de 7 avenants dont le dernier a été signé en date du 29 juin 2018, qui ont porté le montant total du marché à la somme de 499 537,75 euros TTC.
Les travaux ont démarré le 21 octobre 2015.
Le chantier a été retardé pour diverses raisons notamment du fait de la défaillance de la société Montmartin titulaire du lot gros-'uvre qui a fait l'objet d'un redressement judiciaire prononcé le 18 mai 2016 puis d'un jugement de liquidation judiciaire du 22 juin 2016.
Par acte en date du 28 juin 2019, la société les Jardins secrets a fait assigner la société SCS devant le tribunal de commerce de Thonon-les-bains aux fins de la voir condamner à lui verser la somme de 91 857,05 euros, montant de son décompte final établi le 18 avril 2019
Par jugement rendu le 24 septembre 2020, le tribunal de commerce de Thonon-les-bains a :
constaté l'absence d'acceptation tacite du décompte général définitif par la société les Jardins secrets,
débouté la société SCS de sa demande de règlement formulée à l'encontre de la société les Jardins secrets à hauteur de 259 629,77 euros,
constaté les manquements et les inexécutions contractuels de la société SCS,
dit et jugé bien fondées les demandes de la société les Jardins secrets,
débouté la société SCS de toutes ses demandes,
condamné la société SCS à verser à la société les Jardins secrets la somme de 24 960,48 euros outre intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2019,
ordonné l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
condamné la société SCS à verser à la société les Jardins secrets la somme réduite à 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société SCS aux entiers dépens.
Par déclaration au greffe en date du 19 octobre 2020, la société SCS a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 septembre 2022 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 11 octobre 2022.
Prétentions des parties
Par conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 3 mai 2021, et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société SCS demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
-
constaté l'absence d'acceptation tacite du décompte général définitif par la société les Jardins secrets,
-
débouté la société SCS de sa demande de règlement formulée à l'encontre de la société les Jardins secrets à hauteur de 259 629,77 euros,
-
constaté les manquements et les inexécutions contractuels de la société SCS,
-
dit et jugé bien fondées les demandes de la société les Jardins secrets en paiement la somme de 24 960,48 euros outre intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2019,
-
ordonné l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamné la société SCS à verser à la société les Jardins secrets la somme réduite à 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société SCS aux entiers dépens,
A titre principal, sur l'irrecevabilité des contestations opposées par la société les Jardins secrets,
- juger que le mémoire définitif établi le 4 décembre 2018 par la société SCS a été accepté tacitement par la société les Jardins secrets faute pour cette dernière d'avoir notifié un décompte définitif dans le délai contractuel,
- juger que le mémoire définitif de la société SCS est intangible,
- condamner la société les Jardins secrets à payer à la société SCS la somme de 253 170,07 euros TTC, outre intérêts moratoires au taux d'intérêt légal augmenté de 7 points à compter du 23 avril 2019,
- juger mal-fondé l'appel incident de la société les Jardins secrets,
- rejeter les demandes de la société les Jardins secrets, en ce compris l'appel incident de cette dernière,
A titre subsidiaire, sur le mal fondé des contestations opposées par la société les Jardins secrets,
- juger que la société les Jardins secrets a manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de la société SCS,
- juger fondée la demande d'indemnité pour prolongation du chantier sollicité par la société SCS à hauteur de 156 885 euros en ce que la société les Jardins secrets a gravement manqué à ses obligations contractuelles, causant ainsi un préjudice à la société SCS,
En conséquence,
- juger que la société SCS n'a pas abandonné le chantier,
- juger infondées les pénalités et réfactions appliquées par la société les Jardins secrets au solde dû à la société SCS, de sorte qu'aucune pénalité ni aucune réfaction ne saurait être imputé à la société SCS,
- rejeter l'intégralité des demandes formulées par la société les Jardins secrets,
Aaussi,
- condamner la société les Jardins secrets à payer à la société SCS la somme de 253 170,07 euros, outre intérêts moratoires au taux d'intérêt légal augmenté de 7 points à compter du 23 avril 2019,
- rejeter les demandes de la société les Jardins secrets, en ce compris l'appel incident de cette dernière,
A titre infiniment subsidiaire,
- constater que le tribunal de commerce de Thonon-les-bains a commis une erreur de calcul sur le compte entre les parties,
Aussi,
- condamner la société les Jardins secrets à payer à la société SCS la somme de 45 883,06 euros,
- rejeter les autres demandes de la société les Jardins secrets,
- condamner la société les Jardins secrets à payer la société SCS la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Houmani.
La société les Jardins secrets a formé un appel incident s'agissant de la condamnation de la société SCS à lui verser la somme de 24 960,48 euros.
Par conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées par voie électronique le 6 avril 2021, et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société les Jardins secrets demande à la cour de :
A titre principal, sur l'appel incident formé par la société les Jardins secrets,
- réformer le chef suivant du jugement déféré,
« condamne la société SCS à verser à la société les Jardins secrets la somme de 24 960,48 euros outre intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2019, »
Statuant à nouveau,
- condamner la société SCS à verser à la société les Jardins secrets la somme de 91 857,05 euros outre intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2019,
A titre subsidiaire, sur la confirmation du jugement entrepris,
- confirmer le jugement en ce qu'il a,
-
constaté l'absence d'acceptation tacite du décompte général définitif par la société les Jardins secrets,
-
débouté la société SCS de sa demande de règlement formulée à l'encontre de la société les Jardins secrets à hauteur de 259 629,77 euros,
-
constaté les manquements contractuels de la société SCS,
-
dit et jugé bien fondées les demandes de la société les Jardins secrets,
-
débouté la société SCS de toutes ses demandes,
En toutes hypothèses,
- condamner la société SCS à verser à la société les Jardins secrets la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est en date du 12 septembre 2022.
MOTIFS ET DECISION
Sur le respect de la norme Afnor et l'acceptation tacite du décompte définitif de la société SCS
Le cahier des clauses administratives particulières signé par les parties stipule, en son article 2.1.2 « objet du marché », qu'il complète et précise le cahier des clauses administratives générales applicable aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés, norme P 03.001 de décembre 2000.
Par ailleurs, il énonce en son article 2.15.4 intitulé « Décompte général et définitif » que les articles 19.5 et 19.6 de la norme NF P 03-001 s'appliquent en totalité.
Il en résulte que les parties ont choisi de soumettre les modalités d'établissement du décompte général et définitif aux dispositions de cette norme.
L'article 19.5.1 de la norme stipule que : « sauf dispositions contraires du cahier des clauses administratives particulières, dans le délai de 60 jours à dater de la réception ou de la résiliation, l'entrepreneur remet au maître d''uvre le mémoire définitif des sommes qu'il estime lui être dues en application du marché. »
Selon l'article 19.5.4 : « Si le mémoire définitif n'a pas été remis au maître d''uvre dans le délai fixé au paragraphe 19.1 ci-dessus le maître de l'ouvrage peut, après mise en demeure restée sans effet, le faire établir par le maître d''uvre aux frais de l'entrepreneur. »
L'article 19.6.1 énonce : « Le maître d''uvre examine le mémoire définitif et établit le décompte définitif des sommes dues en exécution du marché. Il remet ce décompte au maître de l'ouvrage. »
L'article 19.6.2 stipule que :
« Le maître de l'ouvrage notifie à l'entrepreneur ce décompte dans le délai de 45 jours à dater de la réception du mémoire définitif par le maître d''uvre. Ce délai est porté à 4 mois à dater de la réception des travaux dans le cas d'application du paragraphe 19.5.4.
Si le décompte n'est pas notifié dans ce délai, le maître de l'ouvrage est réputé avoir accepté le mémoire définitif remis au maître d''uvre après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours. »
Il résulte de ces dispositions, que l'absence de diligence de la partie dans les délais qui lui sont impartis est sanctionnée par une présomption irréfragable d'acceptation du compte de l'autre, ce qui la prive de tout droit de contestation ultérieur.
La société les Jardins soutient qu'elle ne peut être considérée comme ayant accepté le décompte de la société SCS alors que :
Elle a bien contesté le DGD de l'entreprise SCS en retour par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 janvier 2018.
Aucune copie du projet de décompte définitif n'était jointe au courrier d'envoi du 7 décembre 2018 au maître d''uvre.
Chaque bâtiment a fait l'objet d'une réception distincte et celle relative au bâtiment D s'est déroulée le 19 juin 2018 en l'absence de la société SCS qui avait abandonné le chantier. Cette dernière disposait donc d'un délai de 60 jours à compter de cette date expirant le 19 août 2018 pour notifier son décompte, délai qu'elle n'a pas respecté.
En l'espèce, il résulte des productions que si des réceptions sont intervenues pour chaque bâtiment (le 16 octobre 2017 pour le bâtiment A, le 20 novembre 2017 pour le bâtiment B, le 19 mars 2018 pour le bâtiment C, le 19 juin 2018 pour les bâtiments D et E), il s'agit à chaque fois de réceptions partielles des travaux d'entreprise et la société SCS a été convoquée par courrier du 4 octobre 2018 par le maître de l'ouvrage en vue de la réception des parties privatives et parties communes de l'ensemble de l'opération prévue le 11 octobre suivant. (Pièce 18 SCS).
La réception des travaux effectués par la société SCS, titulaire du marché lot 18 chauffage ' gaz- VMC ' plomberie, a été prononcée par la société les Jardins secrets le 11 octobre 2018 au contradictoire de l'entreprise (pièce 19 SCS).
Par lettre recommandée avec AR n°1A 151 529 6512 1 du 7 décembre 2018 à l'attention de « ISL immobilier Savoie Léman, M. [X] [H] » ayant pour objet « Mémoire définitif de travaux » et réceptionnée par cette dernière le 10 décembre suivant, la société SCS a adressé les documents suivants qu'elle a listés :
« Mémoire définitif de travaux du 4 décembre 2018 en 3 exemplaires,
Devis TMA n°2 du 30 mars 2018 validé par vos soins pour un montant de 754,85 euros HT en 3 exemplaires,
Tableau de calcul des intérêts moratoires sur les écarts de règlements et situations échues non réglées en 3 exemplaires
Calcul des indemnités suite à la prolongation de la durée du chantier en trois exemplaires. »
Le 4 janvier 2019 la société les Jardins adressait le courrier suivant à la société SCS :
« Suite à votre courrier recommandé n° 1A 151 529 6512 1 relatif à votre mémoire définitif, nous vous informons que celui-ci ne peut être traité au regard des malfaçons constatées et avérées, ainsi qu'au fait que vos travaux ne sont pas terminés. »
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 6 février 2019 la société SCS mettait en demeure la société ISL de lui adresser dans un délai de quinze jours le mémoire final de son lot.
En réponse par courrier recommandé avec AR du 18 février 2019, la société les Jardins indiquait ne pas pouvoir établir ce dernier, le lot de la société SCS n'étant pas achevé et indiquait avoir mis en place une entreprise aux frais, risques et périls de SCS, précisant que le mémoire serait traité une fois les problématiques générées par son inaction, réglées.
Par courrier recommandé avec AR en date du 3 avril 2019, le conseil de la société SCS adressait une mise en demeure à la société les Jardins secrets de procéder au règlement de la somme de 253 480,07 euros montant du décompte définitif dans un délai de quinze jours, mentionnant que faute par cette dernière d'avoir notifié le décompte final, dans le délai de quinze jours suivant la mise en demeure de la société SCS, elle était réputée avoir accepté le décompte définitif établi par ses soins.
Le 18 avril 2019, la société ISL établissait une proposition de paiement n° 22 aux termes de laquelle la société SCS était redevable de la somme de 92 762,87 euros TTC à l'égard de la société les Jardins secrets.
Ainsi, il résulte de ces éléments que :
- La société les Jardins secrets ne peut sérieusement soutenir que le mémoire définitif n'aurait pas été joint au courrier du 7 décembre 2018 alors qu'elle cite ce mémoire dans son courrier du 4 janvier 2019 en indiquant ne pas pouvoir le traiter.
- Si chaque bâtiment a fait l'objet d'une réception partielle au fur et à mesure de son achèvement, c'est bien le 11 octobre 2018 qu'est intervenue la réception définitive de l'ensemble des travaux, réception qui a fait courir le délai de 60 jours durant lequel l'entreprise devait adresser son décompte et qu'elle a respecté.
- A cet égard, il sera observé qu'il n'existe qu'un seul marché portant sur la construction de 40 logements répartis sur cinq bâtiments lesquels sont alimentés par une chaudière commune et que le CCAP stipule que la réception a lieu à l'achèvement de l'ensemble des travaux relevant des différents lots objets des marchés.
- Par ailleurs, et en tout état de cause, ainsi que le fait observer la société SCS dans ses écritures, ce délai de 60 jours n'est pas un délai de forclusion, mais le délai à partir duquel le maître de l'ouvrage peut, après mise en demeure restée sans effet, le faire établir par le maître d''uvre aux frais de l'entrepreneur. Or, aucun décompte n'a été établi ni par le maître d''uvre, ni par le maître de l'ouvrage antérieurement à celui adressé par la société SCS le 4 décembre 2018.
- Enfin, contrairement à ce qu'elle soutient, la société les Jardins n'a pas contesté le décompte définitif de l'entreprise SCS, en refusant purement et simplement de l'examiner et de le prendre en compte.
En effet, la contestation, telle qu'elle résulte des dispositions de l'article 19.6.2 de la norme, consiste pour le maître de l'ouvrage à notifier à l'entreprise le décompte établi par le maître d''uvre après que ce dernier avait examiné le mémoire de l'entreprise, le tout dans un délai de 45 jours à compter de la réception du décompte définitif par le maître d''uvre. (3e Civ., 26 octobre 2022, pourvoi n°21-21.869)
Il n'est pas contestable que cette procédure n'a pas été respectée par la société les Jardins de sorte que cette dernière est présumée de manière irréfragable avoir accepté ce mémoire définitif et que le décompte général définitif qu'elle a adressé à la société SCS le 18 avril 2019, soit plus de deux mois après la mise en demeure demeurée infructueuse, doit être écarté comme tardif, le non-respect de la procédure instituée par la norme, la privant de tout droit de contestation ultérieure et sa réclamation fondée sur les manquements qu'elle impute à la société SCS n'est pas recevable.
Il en résulte que la demande en paiement, par la société les Jardins, de la somme de 91 857,05 euros qui tend à contourner le caractère irrévocable du décompte général définitif qui lui a été adressé le 8 décembre 2018, ne peut qu'être rejetée et le jugement qui a condamné la société SCS à lui payer la somme de 24 960,48 euros au titre du marché de travaux sera infirmé.
Sur les sommes réclamées dans le décompte définitif de la société SCS
Sur les travaux supplémentaires
Lorsqu'un marché de travaux privé est à forfait, l'entrepreneur ne peut demander aucun supplément de prix au maître de l'ouvrage sans son autorisation écrite préalable. La jurisprudence admet aussi l'acceptation expresse et non équivoque du maître de l'ouvrage une fois les travaux réalisés. Mais un accord verbal de ce dernier est sans portée.
Le forfait n'interdit pas d'autres dispositions contractuelles et les parties peuvent contractuellement se référer à la norme Afnor NF P 03-001 pour le paiement des prestations réalisées.
Cependant les demandes afférentes aux travaux modificatifs ou supplémentaires d'un marché forfaitaire qui n'ont pas été autorisés ou régularisés par le maître de l'ouvrage, doivent être écartées même si ce dernier n'a pas contesté les sommes réclamées selon la procédure prévue par la norme, dès lors que les dispositions de l'article 1793 du code civil prévalent sur la norme NF P 03-001(3e Civ., 3 décembre 2020, pourvoi n° 19-25.392).
En l'espèce, le mémoire définitif de la société SCS reprend ainsi le montant du marché et ses avenants régularisés entre les parties :
Total travaux suivant marché 395 180,00
Avenant n°1 2 787,13
Avenant n°2 3 964,73
Avenant n°3 2 533,40
Avenant n°4 1 278,49
Avenant n°5 12 000,00
Avenant n°6 3 237,97
Avenant n°7 874,00
Soit un total HT (marché + avenants) de 416 281,46 euros
L'entreprise a ensuite ajouté le poste suivant : « TMA (travaux modificatifs acquéreurs) en attente d'avenant pour 754,85 euros. »
Pour justifier cette somme, elle a annexé à son mémoire deux copies d'un devis du 30 mars 2018 qu'elle a établi à l'attention de la société ISL concernant un « meuble Chêne vert simple vasque, gamme marché » pour un coût HT de 754,85 euros outre les postes suivants :
- Fabrication meuble express 120 euros HT
- Livraison meuble express 150 euros HT
Sur le premier exemplaire du devis ces deux derniers postes sont barrés et figurent les mentions manuscrites suivantes :
« Les frais de fabrication et de livraison en express chez Chêne vert ne sont pas les accords qui nous avons entre ISL et Chêne vert » mention signée par M. [X] [H] directeur de projet de la société les Jardins secrets.
« Suite à l'échange ce jour, avec Chêne vert ([T]) vous confirme si vous commandez ce jour une livraison pour le 8 mai 2018 donc rien d'express. » signé de ladite personne
Sur le deuxième exemplaire du devis figure la mention manuscrite suivante :
« Les accords entre ISL Group et Chêne vert ont été rappelés par M. [H] avec [T] [E] donc le prix est bien de 754,85 sans frais complémentaires avec une livraison prévue le 8 mai 2018. »
Suivent les initiales de M. [G] [V], OPC et directeur de l'exécution des travaux chez ISL avec le tampon de la société les Jardins secrets.
Compte tenu des accords écrits concernant ce dernier poste, il y a lieu de prendre en compte la somme de 754,85 euros HT acceptée par le maître de l'ouvrage et le maître d''uvre de sorte que le montant total du marché avec avenants s'établit à la somme de 417 036,31 euros HT telle que figurant sur le DGD de la société SCS, soit 500 443,57 euros TTC dont cette dernière a déduit les règlements effectués.
Sur les intérêts de retard
La société SCS a ensuite calculé les écarts entre les situations de travaux qu'elle avait adressées et les versements effectués par la société les Jardins secrets et appliqué conformément à l'article 2.15.3 du CCAP des intérêts moratoires au taux d'intérêt légal augmenté de 7 points représentant une somme totale de 3 168,61 euros TTC, somme qu'il convient de retenir.
Sur les dépenses supplémentaires
Selon l'article 19.5.1 de la norme Afnor, dans sa rédaction de décembre 2000, « sauf dispositions contraires du cahier des clauses administratives particulières, dans le délai de 60 jours à dater de la réception ou le résiliation, l'entrepreneur remet au maître d''uvre le mémoire définitif des sommes qu'il estime lui être dues en application du marché. »
C'est ainsi qu'il a été jugé, au visa de l'ancien article 1134 du code civil et de la norme NF P 03-001, que :
Les pénalités de retard résultant du marché s'imputant sur le prix des travaux, elles doivent être demandées dans le cadre de la procédure établie par la norme et faute par le maître de l'ouvrage d'avoir contesté le mémoire définitif et réclamé les pénalités dans les délais de contestation prévues, il s'avère forclos à solliciter ces pénalités postérieurement devant la juridiction saisie (3e Civ., 11 juillet 2001 pourvoi n° 99-20.970).
La circonstance que l'entrepreneur ait intégré, dans son mémoire, des pénalités correspondant aux dépenses supplémentaires qu'il avait dû supporter du fait du maître d'ouvrage, n'a pas pour conséquence de rendre irrégulière la notification de son mémoire, ses prétentions indemnitaires devant faire l'objet d'une vérification par le maître d''uvre, puis par le maître d'ouvrage, qui est libre de les refuser in fine (3e Civ., 15 septembre 2016, pourvoi n° 15-20.055)
Les réclamations, autres que celles portant sur des travaux supplémentaires non autorisés, ni régularisés par le maître de l'ouvrage, lorsqu'elles sont mentionnées dans le mémoire définitif et n'ont pas été contestées conformément à la procédure contractuelle de clôture des comptes mise en place par les parties, sont, en l'absence de contestation du mémoire définitif, réputées acceptées tacitement par le maître de l'ouvrage. (3e Civ., 3 décembre 2020, pourvoi n°19-25.392, 3e Civ., 18 mars 2021 pourvoi n° 20-12.596)
Ainsi dans un marché de travaux privé à forfait, le mémoire définitif et le décompte définitif peuvent contenir deux chapitres distincts ; le premier consacré au montant du marché et aux travaux supplémentaires qui doivent être acceptés par le maître de l'ouvrage, le second chapitre qui contient les frais supplémentaires pour la réalisation des travaux : immobilisation du personnel ou du matériel indemnités de retard contractuelles, les frais financiers contractuels, etc.
Pour justifier de sa réclamation à hauteur de la somme de 156 885 euros HT au titre du préjudice résultant de la prolongation du chantier, la société SCS a calculé les surcoûts engendrés par cette dernière, étant précisé que le chantier devait débuter pour elle, le 14 février 2017 pour une fin des travaux programmée au 4 décembre 2017, alors que la réception finale des travaux n'est intervenue que le 11 octobre 2018, soit une durée supplémentaire de 43 semaines.
Ainsi alors que le chantier était prévu pour durer 10 mois, il a finalement duré 20 mois soit le double de la durée initialement prévue.
La société SCS a ainsi calculé les surcoûts engendrés par ce retard qu'elle chiffre poste par poste lesquels concernent :
- les déplacements des ouvriers supplémentaires (39 560 km pour une distance aller-retour de 230 km pour 4 jours de travail par semaine),
- les déplacements supplémentaires du chargé d'affaires représentant 49 450 km à raison d'une visite par semaine,
- les paniers ouvriers supplémentaires à 12 euros sur 43 semaines pour 4 jours de travail par semaine avec deux personnes,
- les heures payées aux ouvriers sur la période de 43 semaines à raison de 35 euros de l'heure et représentant un total de 105 350 euros,
- les heures payées au chargé d'affaire sur ladite période à raison de 55 euros de l'heure représentant une somme de 21 285 euros,
- les heures administratives supplémentaires (payes, planning...) à raison de deux heures par semaine au coût de 45 euros de l'heure.
Il y a lieu de faire droit à la demande formée au titre de ces préjudices, de sorte que la société les Jardins sera condamnée à payer à la société SCS la somme totale de 253 170,07 euros outre intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2019.
Sur les demandes accessoires
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société SCS au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel.
La société les Jardins qui succombe en ses prétentions est tenue aux entiers dépens de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Déboute la SCVV les Jardins secrets de l'intégralité de ses demandes en paiement,
Condamne la SCCV les Jardins secrets à payer à la société SCS la somme de 253 170,07 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2019,
Condamne la SCCV les Jardins secrets à payer à la société SCS la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCCV les Jardins secrets aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction de ceux d'appel au profit de Me Houmani.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le
à
Me Bérangère HOUMANI
la SELARL VIARD-HERISSON GARIN
Copie exécutoire délivrée le
à
Me Bérangère HOUMANI