La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/01/2023 | FRANCE | N°21/00598

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 19 janvier 2023, 21/00598


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 19 Janvier 2023



N° RG 21/00598 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GU3Y



Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON LES BAINS en date du 04 Février 2021, RG 2019J02573



Appelante et Intimée



CIC LYONNAISE DE BANQUE, dont le siège social est sis [Adresse 3] - prise en la personne de son représentant légal



Représentée par la SELAS AGIS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS



I

ntimés et Appelants



M. [S] [Z]

né le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 6] (SENEGAL), demeurant [Adresse 4]



Mme [D] [H] épouse [Z],

née le [Date naissance 1] 1981...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 19 Janvier 2023

N° RG 21/00598 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GU3Y

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON LES BAINS en date du 04 Février 2021, RG 2019J02573

Appelante et Intimée

CIC LYONNAISE DE BANQUE, dont le siège social est sis [Adresse 3] - prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELAS AGIS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimés et Appelants

M. [S] [Z]

né le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 6] (SENEGAL), demeurant [Adresse 4]

Mme [D] [H] épouse [Z],

née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 5] - SUISSE demeurant [Adresse 4]

Représentés par la SELARL LAMOTTE & AVOCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 22 novembre 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [S] [Z] et Mme [D] [H] [Z] ont créé en 2018 la SAS Boulanger Pâtissier BS, dont ils ont été respectivement désignés directeur général et présidente. Cette société a créé un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie à [Localité 7] (Haute-Savoie).

Par acte du 4 mai 2018, la société CIC Lyonnaise de banque (la banque) a consenti à la société Boulanger Pâtissier BS un prêt professionnel d'un montant de 210.000 euros au taux fixe de 1,45 % l'an, remboursable en 84 mensualités, destiné à financer les travaux d'aménagement du local commercial et l'achat du matériel professionnel nécessaire à l'exploitation du fonds.

Les garanties suivantes étaient prévues :

- l'engagement de caution solidaire de M. et Mme [Z], dans la limite de 120.000 euros,

- la garantie BPI France au seul profit du prêteur,

- le nantissement du fonds de commerce à hauteur de 210.000 euros.

L'activité de la société Boulanger Pâtissier BS a très rapidement rencontré des difficultés, et, par jugement du 14 février 2019, le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains l'a placée en redressement judiciaire et désigné Me [N] en qualité de mandataire judiciaire. La procédure a été ultérieurement convertie en liquidation judiciaire (le 18 juillet 2019).

La banque a déclaré sa créance au passif le 18 juillet 2019 au titre du prêt professionnel. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2019, la banque a informé les cautions de la procédure collective et leur a rappelé leurs engagements.

Ensuite de la liquidation judiciaire de la société et en l'absence de réponse des cautions, par actes délivrés le 2 août 2019, la banque a fait assigner M. et Mme [Z] devant le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains pour obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 120.000 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 avril 2019.

Les époux [Z] ont comparu et se sont opposés aux demandes en arguant de la faute commise par la banque qui n'a pas procédé à l'inscription du nantissement sur le fonds de commerce pourtant prévu à titre de garantie, et ont invoqué le manquement de la banque à son devoir de mise en garde.

Par jugement contradictoire rendu le 4 février 2021, le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains a :

condamné solidairement M. et Mme [Z] à payer à la CIC Lyonnaise de banque la somme de 120.000 euros au titre de leur engagement de caution avec intérêts au taux légal à compter du 2 août 2019,

condamné la CIC Lyonnaise de banque à payer à M. et Mme [Z] la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du défaut de mise en garde des cautions,

ordonné la compensation des condamnations,

débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes,

laissé à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles,

fait masse des dépens qui seront supportés par moitié par chacune des parties,

dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire.

Par déclaration du 16 mars 2021, la société CIC Lyonnaise de banque a interjeté appel de ce jugement. Par déclaration du 8 avril 2021, M. et Mme [Z] ont également interjeté appel de ce jugement. Les deux appels ont été joints.

Par conclusions notifiées le 16 septembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société CIC Lyonnaise de banque demande en dernier lieu à la cour de :

Vu les articles 1103 et suivants du Code civil, les articles 1231-1 et 2288 et suivants du même code,

Vu la jurisprudence et les pièces versées aux débats,

infirmer le jugement déféré, mais seulement en ce qu'il a :

- condamné la Lyonnaise de banque à payer aux époux [Z] la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde,

- ordonné la compensation de cette somme avec le montant des condamnations prononcées à l'encontre des cautions,

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes,

- laissé à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles,

- fait masse des dépens et condamné chacune des parties à les prendre en charge à hauteur de la moitié,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

le confirmer pour le surplus,

condamner in solidum M. et Mme [Z] à payer à la Lyonnaise de banque la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner les mêmes aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 9 juillet 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. et Mme [Z] demandent en dernier lieu à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé la créance de la caution de la société CIC Lyonnaise de banque à la somme de 120.000,00 euros mais avec intérêts au taux légal à compter du 2 août 2019, date de l'assignation,

vu l'article 2314 du code civil,

vu l'absence d'inscription par la société CIC Lyonnaise de banque du nantissement sur le fonds de commerce de la SAS Boulanger Pâtissier BS ;

à titre principal, dire et juger que Monsieur et Madame [H] [Z] ne pourront en conséquence qu'être déchargés de leur engagement de caution ;

à titre subsidiaire, condamner la société CIC Lyonnaise de banque au paiement de la somme de 65.935,00 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la valeur des droits dont les époux [H] [Z] ont été privés suite à la perte du bénéfice de la subrogation ;

statuant sur la demande au titre du manquement de la société CIC Lyonnaise de banque à son devoir de conseil et de mise en garde ;

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en ce qu'il a condamné la société CIC Lyonnaise de banque au paiement d'une somme de 50.000,00 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre avec compensation ;

condamner la société CIC Lyonnaise de banque au paiement :

- d'une somme de 3.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- aux entiers dépens.

L'affaire a été clôturée à la date du 24 octobre 2022 et renvoyée à l'audience du 22 novembre 2022, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 19 janvier 2023.

MOTIFS ET DÉCISION

La cour entend préciser à titre liminaire que ni la banque ni les époux [Z] ne critiquent le jugement en ce qu'il a condamné solidairement ces derniers à payer à la banque la somme de 120.000 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, de sorte que les développements figurant sur ce point dans les conclusions des cautions sont inutiles.

Sur l'inscription du nantissement :

M. et Mme [Z] demandent à être déchargés de leur engagement de caution sur le fondement de l'article 2314 du code civil, faute pour la banque d'avoir inscrit le nantissement sur le fonds de commerce qui était prévu au contrat.

L'article 2314 du code civil dispose que la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.

En l'espèce, s'il est exact que la banque a reconnu n'avoir jamais inscrit le nantissement sur le fonds de commerce prévu au contrat, pour autant, c'est à juste titre et par des motifs que la cour approuve que le tribunal a retenu que M. et Mme [Z] ne rapportent pas la preuve de la valeur des droits dont ils auraient été privés du fait de cette carence.

En effet, s'il est justifié par M. et Mme [Z] de l'ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé la vente aux enchères du fonds de commerce sur la mise à prix de 45.000 euros, il n'est pas produit de procès-verbal d'adjudication permettant de justifier le prix qui aurait effectivement été recueilli par le liquidateur de cette vente, dont on ignore si elle a été fructueuse (l'ordonnance prévoyant au demeurant une baisse de mise à prix en cas d'absence d'enchères).

Le jugement déféré ne peut donc qu'être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande des époux [Z] sur le fondement de l'article 2314 du code civil.

Sur le devoir de mise en garde :

La banque fait grief au jugement d'avoir retenu sa responsabilité et de l'avoir condamnée à payer 50.000 euros aux cautions pour manquement au devoir de mise en garde, alors, selon elle, que les époux [Z] doivent être considérés comme des cautions averties et qu'en tout état de cause il n'existait aucun risque d'endettement excessif.

Il est de jurisprudence constante que le banquier dispensateur de crédit est tenu, envers la caution, d'un devoir de mise en garde et sa responsabilité peut être engagée pour manquement à ce devoir si l'engagement de caution n'est pas adapté soit aux capacités financières de la caution, soit au risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel s'apprécie compte tenu d'un risque caractérisé de défaillance du débiteur.

En l'espèce, c'est à juste titre et par des motifs que la cour adopte expressément que le tribunal a retenu que M. et Mme [Z] ne sont pas des cautions averties, ceux-ci n'ayant aucune expérience commerciale antérieure, M. [Z] étant précédemment pâtissier salarié et Mme [Z] exerçant alors la profession d'infirmière.

La banque était donc tenue à leur égard d'un devoir de mise en garde.

Le tribunal a retenu à juste titre que la banque n'a pas satisfait à ce devoir alors que :

- le prêt consenti de 210.000 euros n'était complété que par un apport de 30.000 euros (en réalité 25.000 euros selon le prévisionnel d'activité) des époux [Z] pour la société,

- ceux-ci se sont portés caution pour un montant de 120.000 euros alors que, si leurs revenus antérieurs étaient confortables (159.900 francs suisses annuels, dont on ignore si c'est avant ou après charges sociales), la banque avait connaissance du fait qu'ils entendaient tous les deux se consacrer à l'exploitation du fonds de commerce, de sorte que leurs revenus ne seraient alors issus que de celle-ci. En cas de défaillance de la société, ces revenus étaient amenés à disparaître.

Si en appel la banque produit la fiche de renseignements établie par les époux [Z] au moment de la souscription du prêt, et se prévaut de la propriété d'un bien immobilier acquis 440.000 euros en 2016, la cour note que la valeur nette de ce bien n'est pas justifiée, alors que les époux [Z] ont indiqué qu'ils supportaient le remboursement d'un prêt immobilier jusqu'en 2041 pour plus de 23.500 francs suisses par année, outre un crédit à la consommation en cours jusqu'en 2021.

Forte des informations fournies, au demeurant incomplètes et difficilement exploitables, la banque n'a toutefois pas cherché, à la date de l'octroi du prêt et des engagements de caution, à s'assurer plus avant des garanties financières réelles des époux [Z], et ne les a pas mis en garde contre le risque d'endettement excessif résultant de l'accumulation de charges, avec une reconversion professionnelle simultanée des deux époux, opération risquée par nature, et alors qu'ils n'avaient aucune expérience de la gestion d'une société et d'un commerce.

Le tribunal a souligné à juste titre que, s'agissant d'une création de société et de fonds de commerce, la banque ne disposait d'aucune référence financière antérieure permettant de valider la viabilité du projet et la capacité de remboursement réelle de la société.

S'il n'apparaît pas que le projet aurait été, dès l'origine, voué à l'échec, comme soutenu par les époux [Z], il comportait toutefois un aléa important qui devait conduire la banque à plus de sérieux dans l'examen du projet et à attirer l'attention des cautions sur le risque d'endettement excessif encourus.

Il résulte de ce qui précède que la banque a manqué à son devoir de mise en garde à l'égard des cautions quant à un risque d'endettement excessif résultant de leur engagement de caution, et le tribunal a justement évalué le préjudice subi par M. et Mme [Z] du fait de ce manquement à la somme de 50.000 euros.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la banque au paiement de cette somme et ordonné la compensation entre les créances respectives des parties.

Sur les autres demandes :

Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties.

Chacune des parties succombant en son appel, il convient de dire qu'elles conserveront la charge des dépens qu'elles ont supportés.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains le 4 février 2021 en toutes ses dispositions critiquées,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties,

Dit que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a engagés.

Ainsi prononcé publiquement le 19 janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/00598
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;21.00598 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award