COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 03 Janvier 2023
N° RG 22/00663 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G66D
Décision attaquée : Ordonnance du Juge de la mise en état de [Localité 4] en date du 29 Mars 2022
Appelante
S.A.S. COBALP INGENIERIE, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Représentée par la SELARL CHAMBET NICOLAS, avocats au barreau d'ANNECY
Intimée
S.A. AXA FRANCE IARD, dont le siège social est situé [Adresse 2]
Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELARL HINGREZ - MICHEL - BAYON, avocats plaidants au barreau d'ANNECY
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Date de l'ordonnance de clôture : 19 Septembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 18 octobre 2022
Date de mise à disposition : 03 janvier 2023
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Composition de la cour lors des débats et du délibéré :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et Procédure :
La société Cobalp Ingénierie est intervenue en qualité de maître d''uvre d'exécution dans le cadre d'une opération de construction d'une résidence collective d'habitation comprenant 3 bâtiments, située à [Localité 3].
Par acte du 22 mai 2014, le syndicat des copropriétaires de la résidence a fait assigner la société Cobalp Ingénierie et d'autres intervenants en référé-expertise.
Par acte du 20 mai 2020, le syndicat des copropriétaires de la résidence a fait assigner la société Cobalp Ingénierie et d'autres intervenants devant le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains.
Par acte du 22 septembre 2020, la société Cobalp Ingénierie a appelé en cause son assureur, la compagnie Axa France Iard, aux fins d'obtenir sa condamnation à la garantir des éventuelles condamnations qui seraient prononcées à son encontre.
La jonction entre les instances a été prononcée le 26 octobre 2020.
Par conclusions d'incident, la société Axa France Iard a sollicité que la demande en garantie formée par la société Cobalp Ingénierie à son encontre soit déclarée irrecevable comme prescrite.
Par ordonnance rendue le 29 mars 2022 le juge de la mise en état de [Localité 4] a :
rejeté les fins de non-recevoir opposées par la société anonyme Allianz Iard, la société par actions simplifiée STGO et la société par actions simplifiée SMAC aux prétentions formées par le syndicat de copropriétaires,
rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société anonyme Allianz Iard, la société d'assurance mutuelle SMABTP et la société anonyme Axa France Iard dans le cadre des recours entre constructeurs,
déclaré irrecevables les demandes formées par la société par actions simplifiée unipersonnelle Cobalp Ingénierie à l'encontre de la société anonyme Axa France Iard,
rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
réservé les dépens,
renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 21 juin 2022 pour les conclusions au fond de la société Axa France Iard, de la société d'assurance mutuelle SMABTP, de la société par actions simplifiées SMAC et de la société par actions simplifiées STGO,
dit que les dépens de la procédure d'incident seront intégrés aux dépens de l'instance principale.
Par déclaration au greffe en date du 15 avril 2022, la SAS Cobalp Ingénierie a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a déclaré irrecevable les demandes formées par elle à l'encontre de la SA Axa France Iard, rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et réservé les dépens.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures en date du 14 septembre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la SAS Cobalp Ingénierie sollicite l'infirmation du jugement déférée et demande à la cour de :
Vu les articles L 114-1, L 114-2, L 114-3 et R 112-1 du code des assurances,
Vu les articles 2240 et suivants du code civil,
Vu les articles 30 et 53 de code de procédure civile,
- infirmer partiellement l'ordonnance de mise en état rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 29 mars 2022 en ce qu'elle a : « déclaré irrecevable les demandes formées par la société par actions simplifiée unipersonnelle Cobalp Ingénierie à l'encontre de la société anonyme Axa France Iard ; rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; réservé les dépens »,
- confirmer l'ordonnance de mise en état du 29 mars 2022 dans toutes ses autres dispositions.
- rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Axa France Iard,
- déclarer recevable les demandes formées par la société Cobalp Ingénierie à l'encontre de la société Axa France Iard,
- débouter la société Axa France Iard de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Axa France Iard en paiement au profit de la société Cobalp Ingénierie de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Axa France Iard aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses prétentions, la société Cobalp Ingénierie expose essentiellement que :
- le contrat d'assurance n'énumère pas toutes les causes d'interruption de la prescription, par conséquent la prescription biennale ne peut être opposée à la société Cobalp Ingénierie puisque l'information complète relative à la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance n'a pas été donnée dès le moment de la souscription,
- la demande de référé-expertise n'a que des fins probatoires et ne peut constituer une action en justice visée par l'article L 114-1 du code des assurances, par conséquent, la société Cobalp Ingénierie n'a été assignée aux fins de condamnation que par acte du 20 mai 2020 et son action n'est pas prescrite.
Par dernières écritures en date du 22 juin 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Axa France Iard sollicite de la cour de :
- déclarer cet appel mal fondé,
Par conséquent et statuant à nouveau,
Vu les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article L 114-1 du code des assurances,
- débouter la SASU Cobalp Ingénierie de son appel,
- confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes formées par la SASU Colbalp Ingénierie à l'encontre de la société Axa France Iard,
- débouter la SASU Cobalp Ingénierie de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la SASU Coblap Ingénierie à payer à la société Axa France Iard une somme de 3 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SASU Cobalp Ingénierie aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société Axa France Iard fait valoir que :
- l'assignation en référé en vue de la nomination d'un expert constitue une action en justice qui fixe le point de départ de la prescription biennale. Par conséquent, l'action de la société Cobalp Ingénierie à son encontre est prescrite,
- les conditions de l'article R 112-1 du code des assurances faisant obligation à l'assureur de rappeler les règles de prescription des actions dérivant du contrat d'assurance ont bien été respectées.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 19 septembre 2022 a clôturé l'instruction de la procédure.
MOTIFS ET DECISION
1 ' Sur la fin de non-recevoir
' sur le point de départ de la prescription
Aux termes de l'article L 114-1 du code des assurances, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance. Par exception, les actions dérivant d'un contrat d'assurance relatives à des dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols, reconnus comme une catastrophe naturelle dans les conditions prévues à l'article L. 125-1, sont prescrites par cinq ans à compter de l'événement qui y donne naissance.
Toutefois, ce délai ne court : 1° En cas de réticence, omission, déclaration fausse ou inexacte sur le risque couru, que du jour où l'assureur en a eu connaissance ; 2° En cas de sinistre, que du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s'ils prouvent qu'ils l'ont ignoré jusque-là.
Quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.
Il est de principe que l'action en référé constitue une action en justice au sens de l'article L114-1 du code des assurances, et constitue donc le point de départ de la prescription biennale (3ème civile, 19 mars 2020).
En l'espèce c'est par des motifs pertinents que la cour adopte expressément que le premier juge a retenu que le point de départ de la prescription se situe à la date de l'assignation en référé, et non de l'assignation au fond, s'appuyant sur une jurisprudence constante, et relevant que la simple assignation en référé suffit à matérialiser la réalisation du risque couvert par l'assureur de responsabilité.
' sur l'opposabilité de la prescription
Aux termes de l'article R 112-1 du code des assurances : « Les polices d'assurance relevant des branches 1 à 17 de l'article R. 321-1, à l'exception des polices d'assurance relevant du titre VII du présent code, doivent indiquer :
-la durée des engagements réciproques des parties ;
-les conditions de la tacite reconduction, si elle est stipulée ;
-les cas et conditions de prorogation ou de résiliation du contrat ou de cessation de ses effets ;
-les obligations de l'assuré, à la souscription du contrat et éventuellement en cours de contrat, en ce qui concerne la déclaration du risque et la déclaration des autres assurances couvrant les mêmes risques ;
-les conditions et modalités de la déclaration à faire en cas de sinistre ;
-le délai dans lequel les indemnités sont payées ;
-pour les assurances autres que les assurances contre les risques de responsabilité, la procédure et les principes relatifs à l'estimation des dommages en vue de la détermination du montant de l'indemnité.
Elles doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II du livre Ier de la partie législative du présent code concernant la règle proportionnelle, lorsque celle-ci n'est pas inapplicable de plein droit ou écartée par une stipulation expresse, et la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance.
Il est de principe que la police doit prévoir les causes tant ordinaires que particulières d'interruption de la prescription, et que la sanction du non-respect de ce formalisme est l'inopposabilité par l'assureur à l'assuré de la prescription.
Les causes ordinaires interruptives de prescription sont prévues par les articles 2240, 2241 et 2244 du code civil et sont les suivantes :
- reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit,
- demande en justice, même en référé,
- mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou acte d'exécution forcée.
En l'espèce, la page 10 du contrat d'assurance, relative à la prescription, énonce les cause ordinaires d'interruption de la prescription de la manière suivante :
' toute demande en justice, même en référé, tout acte d'exécution forcée,
' toute reconnaissance par l'assureur du droit à garantie de l'assuré, ou toute reconnaissance de dette de l'assuré envers l'assureur.
On doit relever :
- que le contrat vise bien la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit, sous la formulation « toute reconnaissance par l'assureur du droit à garantie de l'assuré, ou toute reconnaissance de dette de l'assuré envers l'assureur »,
- que les dispositions des articles 2241 alinéa 2, 2242 et 2243 du code civil n'ont pas à être reproduites, en ce qu'elles ne constituent pas des causes d'interruption de la prescription,
- qu'en revanche, le contrat ne mentionne pas l'une des causes d'interruption, à savoir la mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution, seule l'hypothèse d'un acte d'exécution forcée étant envisagée.
Dans ces conditions, le contrat ne mentionne pas la totalité des causes interruptives de prescription et la prescription biennale ne peut donc pas être opposée à la société Cobalp Ingénierie. La décision sera donc infirmée sur ce point, et la fin de non-recevoir soulevée par la compagnie Axa France Iard sera rejetée.
2 - Sur les dépens et sur la demande d'indemnité procédurale
La décision de première instance sera confirmée sur les dépens et l'absence d'indemnité procédurale.
La compagnie Axa France Iard qui succombe sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Cobalp Ingénierie l'ensemble de ses frais irrépétibles ; l'équité commande de faire droit à sa demande à hauteur de la somme de 2 000 euros.
En conséquence, la compagnie Axa France Iard sera condamnée à payer à la société Cobalp Ingénierie la somme de 2 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
La compagnie Axa France Iard sera déboutée de sa demande d'indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme l'ordonnance s'agissant des dépens et du rejet des demandes au titre de l'indemnité procédurale,
Infirme l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes formées par la société Cobalp Ingénierie SASU à l'encontre de la compagnie Axa France Iard SA,
Statuant à nouveau,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la compagnie Axa France Iard SA à l'encontre de la société Cobalp Ingénierie SASU,
Y ajoutant,
Déboute la compagnie Axa France Iard SA de sa demande d'indemnité procédurale,
Condamne la compagnie Axa France Iard SA aux dépens de l'instance d'appel,
Condamne la compagnie Axa France Iard SA à payer à la société Cobalp Ingénierie SASU la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le
à
la SELARL CHAMBET NICOLAS
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY
Copie exécutoire délivrée le
à
la SELARL CHAMBET NICOLAS