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03/01/2023 | FRANCE | N°20/01350

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 03 janvier 2023, 20/01350


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 03 Janvier 2023





N° RG 20/01350 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRW2

CS/SL



Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce d'ANNECY en date du 04 Novembre 2020





Appelant



M. [E] [Y] [A]

né le 28 Août 1955 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1]



Représenté par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représenté par la SAS LEGALPS AVOCATS-HER

LEMONT ET ASSOCIES, avocats plaidants au barreau d'ANNECY









Intimée



S.A.R.L. ALCYONE CORPORATE FINANCE, dont le siège social est situé [Adresse 2]



Représentée par Me Chr...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 03 Janvier 2023

N° RG 20/01350 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRW2

CS/SL

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce d'ANNECY en date du 04 Novembre 2020

Appelant

M. [E] [Y] [A]

né le 28 Août 1955 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1]

Représenté par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représenté par la SAS LEGALPS AVOCATS-HERLEMONT ET ASSOCIES, avocats plaidants au barreau d'ANNECY

Intimée

S.A.R.L. ALCYONE CORPORATE FINANCE, dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par Me Antonio MARTINEZ MATALOBOS, avocat plaidant au barreau de METZ

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 19 Septembre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 18 octobre 2022

Date de mise à disposition : 03 janvier 2023

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour lors des débats et du délibéré :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et procédure

M. [E] [A], cousin [P] de M. [S] [M], a fait appel à ses services ainsi qu'à ceux de son fils [N], en confiant le 20 avril 2015 à la SAS Alcyone Family Office une mission d'analyse patrimoniale permettant d'en identifier les forces et faiblesses et recevoir les propositions de stratégies patrimoniales conforme à ses intérêts. M. [S] [M] est le dirigeant de cette société.

Il est également dirigeant de la société Alcyone Corporate Finance, qui a pour objet social, la « prestation de conseil en vue de permettre la cession, l'acquisition ou la transmission d'entreprises fonds de commerce actifs d'entreprises. Acquisition détention gestion et transmission de participation dans des sociétés françaises ou étrangères ».

Parallèlement à la mission de gestion patrimoniale, M. [E] [A] a également demandé aux consorts [M] de travailler sur la cession des titres sociaux qu'il détenait dans la société Aravis Enrobage via la société Arafinance, compte tenu des difficultés qu'il rencontrait avec son ancien associé, M. [U].

Aucune lettre de mission ou avenant n'a été établi s'agissant de ce volet de leur intervention.

Par mail du 19 novembre 2015, M. [E] [A] a fait connaître à [N] [M] et à [S] [M] son insatisfaction, notamment sur les conditions bancaires proposées.

Deux factures ont été adressées par la SAS Alcyone Family Office à M. [E] [A] :

- une de 9 000 euros TTC le 30 octobre 2015 « Mission 1 »,

- une de 27 019,20 euros TTC le 31 décembre 2015 « Mission 1 solde final ».

Le 10 mars 2016, une facture a été adressée par la SAS Alcyone Corporate Finance à M. [E] [A], pour un montant de 29.400 euros TTC, correspondant à une « Mission de conseil en gestion, négociation avec succès ».

Par jugement du 1er mars 2018, le tribunal de grande instance d'Annecy a condamné M. [E] [A] à payer à la SAS Alcyone Family Office la somme de 19.080 euros en règlement des deux factures de la SAS Alcyone Family Office.

Cette décision a été partiellement infirmée par la cour d'appel de Chambéry, laquelle a, par arrêt du 7 juillet 2020, condamné M. [E] [A] à payer à la SAS Alcyone Family Office la somme de 13.063,20 euros en règlement des deux factures.

Par acte en date du 5 avril 2017, la SAS Alcyone Corporate Finance a assigné M. [E] [A] devant le tribunal de commerce d'Annecy aux fins de le voir condamner au versement de la somme de 29.400 euros en principal au titre de la facture restée impayée.

Par jugement du 6 juin 2018, le tribunal de commerce d'Annecy s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de cette ville, décision infirmée par la cour d'appel de Chambéry par arrêt du 15 janvier 2019.

Par jugement rendu le 4 novembre 2020, le tribunal de commerce d'Annecy :

condamné M. [E] [A] à payer à la SAS Alcyone Corporate Finance la somme de 7 200 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2017,

condamné M. [E] [A] à payer à la SAS Alcyone Corporate Finance la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

condamné M. [E] [A] aux dépens,

ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration au Greffe en date du 16 novembre 2020, M. [E] [A] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Prétentions des parties

Par dernières conclusions en date du 1er février 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [E] [A] demande à la cour de :

- le dire recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer le jugement rendu le 4 novembre 2020 par le tribunal de commerce d'Annecy en ses dispositions ayant :

- condamné M. [E] [A] à payer à la SAS Alcyone Corporate Finance la somme de 7 200 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2017,

- condamné M. [E] [A] à payer à la SAS Alcyone Corporate Finance la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné M. [E] [A] aux dépens,

A titre principal,

- déclarer irrecevable la société Alcyone Corporate Finance en ses demandes formulées à l'encontre de M. [E] [A],

- rejeter purement et simplement l'ensemble des demandes formulées par la société Alcyone Corporate Finance à l'encontre de M. [E] [A],

A titre subsidiaire,

- débouter la SAS Alcyone Corporate Finance de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de M. [E] [A],

A titre infiniment subsidiaire,

- débouter la SAS Alcyone Corporate Finance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En toutes hypothèses,

- débouter la SAS Alcyone Corporate Finance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Alcyone Corporate Finance à payer à M. [E] [A] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Alcyone Corporate Finance à payer à M. [E] [A] la somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner enfin la même aux entiers dépens de l'instance avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, avocat associé.

M.[E] [A] soutient que :

- il n'a pas la qualité de commerçant,

- la société Alcyone Corporate Finance est irrecevable dans son action, n'ayant pas d'intérêt à agir, puisqu'il n'existe aucune preuve de la relation contractuelle entre lui-même et cette société,

- c'est à la société Alcyone Family Office qu'il avait confié la négociation de la cession des titres sociaux qu'il détenait dans la société Aravis Enrobage, et il avait été convenu qu'une nouvelle lettre de mission, ou à tout le moins un avenant, serait établi, ce qui n'a en réalité jamais été fait,

- le principe d'indépendance et d'autonomie des personnes morales a été méconnu par le tribunal de commerce en considérant que dans la mesure où une relation contractuelle avait été nouée avec une société du groupe, elle avait aussi été nouée avec une autre société du groupe, et ce en raison du fait que MM. [M] appartenaient aux deux sociétés en question,

- c'est à la société Alcyone Corporate Finance de prouver qu'elle est bien titulaire d'un mandat écrit de la part de M. [E] [A], en rappelant que ce dernier n'a pas la qualité de commerçant, si bien que la règle de la liberté de la preuve ne s'applique pas à lui,

- il n'existe aucun lien de droit entre M. [E] [A] et la société Alcyone Corporate Finance, cette société n'apparaissant nulle part dans les échanges entre M. [E] [A] et MM. [M],

- le courrier et la facture objets des pièces 15 et 16 ne lui ont jamais été transmis, la seule production de ces pièces ne suffisant par ailleurs pas à prouver l'existence de relations contractuelles entre les parties, selon le principe que nul ne peut se constituer une preuve à soi-même,

- aucune lettre de mission n'a été signée avec la société Alcyone Corporate Finance, dont il ignorait totalement l'existence,

- la signature d'une lettre de mission constitue une obligation déontologique incombant aux sociétés exerçant une activité de conseil en investissements financiers, à laquelle la société Alcyone Corporate Finance est bien soumise, contrairement à ses affirmations,

- la société Alcyone Corporate Finance n'établit pas en quoi les liens de famille existant entre lui-même et M. [M] empêchait la signature d'une lettre de mission, ce d'autant qu'une telle lettre de mission avait bien été établie avec la société Alcyone Family,

- aucun honoraire n'a été fixé, aucun écrit réalisé, si bien qu'il est fondé à se prévaloir de la présomption de gratuité du mandat en vertu de l'article 1986 du code civil,

- la somme sollicitée par la société Alcyone Corporate Finance correspond à des honoraires de succès, ce alors que les négociations menées ont été infructueuses, à telle enseigne qu'il a dû faire intervenir son avocat conseil pour reprendre les négociations, qui ont ensuite rapidement abouti à la signature d'un acte de cession des actions,

- il appartenait à la société Alcyone Corporate Finance de démontrer le caractère effectif des prestations menées, et leur juste prix,

- en réalité, le rôle des consorts [M] s'est cantonné à l'envoi de quelques mails au conseil du futur acheteur des parts, ainsi que la participation à une ou deux réunions en présence des parties.

La société Alcyone Corporate Finance a formé un appel incident en ce que le jugement déféré a réduit à 7 200 euros les sommes dues par M. [E] [A].

Par dernières conclusions en date du 8 juin 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Alcyone Corporate Finance demande à la cour de :

- déclarer M. [E] [A] irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes, et l'en débouter,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré recevable l'action en paiement formée par la société Alcyone Corporate Finance,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné M. [E] [A] à payer 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclarer la société Alcyone Corporate Finance recevable et bien fondée en son appel incident,

- infirmer la décision déférée en ce qu'elle a réduit à 7 200 euros les sommes dues par M. [E] [A],

Et statuant à nouveau,

- condamner M. [E] [A] à payer à la société Alcyone Corporate Finance la somme de 29 400 euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2017,

En tout état de cause,

- condamner M. [E] [A] à payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [E] [A] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société Alcyone Corporate Finance soutient que :

- la cession de titres étant un acte de commerce, la liberté de la preuve s'applique à ce type d'actes,

- M. [E] [A] a donné mandat à ses interlocuteurs, à savoir MM. [M], lesquels agissaient, dans le cadre du projet de cession de titres, pour le compte de la société Alcyone Corporate Finance,

- les nombreux échanges de mails démontrent que M. [E] [A] a bien donné mandat aux consorts [M] pour négocier le rachat des actions d'Aravis Enrobage,

- les liens de famille unissant les parties permettent de revendiquer les dispositions de l'article 1348 alinéa 1 du code civil, à savoir l'impossibilité morale de se procurer une preuve littérale de l'acte juridique, la jurisprudence ayant par ailleurs une admission large de la notion d'impossibilité morale,

- l'absence de formalisation d'un contrat écrit résulte également de l'urgence de la situation,

- c'est l'activité de conseil en investissement financier qui est réglementée, et non la fonction en elle-même de conseiller, dès lors, si un conseiller exerce une activité qui ne relève pas du conseil en investissement financier, ainsi que cela était le cas dans la valorisation et la négociation de la cession de titres, il ne relève pas de cette réglementation,

- compte tenu de l'intuitu personae de la relation entre M. [M] et M. [E] [A], cela était indifférent à ce dernier de savoir au nom de quelle entreprise M. [M] agissait, et c'est uniquement par opportunisme que M. [E] [A] prétend désormais qu'il avait contracté avec la société Alcyone Family Office,

- la convention signée avec cette dernière société n'avait toutefois aucun lien avec la cession des actions d'Aravis Enrobage, et n'en fait pas état,

- aucune présomption de gratuité ne peut être appliquée à un acte de commerce, dont la nature est par définition onéreuse, la jurisprudence écartant la présomption de gratuité pour les mandataires qui font profession de s'occuper des affaires d'autrui,

- elle a parfaitement exécuté son mandat, en témoigne la promesse synallagmatique de cessions de parts signée le 29 septembre 2015,

- elle a effectué un travail de valorisation des parts, et de négociation entre deux parties ( M. [E] [A] et son associé M. [U]) qui ne communiquaient plus entre eux, travail qu'elle a réalisé avec diligence,

- M. [E] [A] a refusé de signer la promesse synallagmatique de cession de parts en ajoutant des conditions dont il savait qu'elles rendraient la négociation très compliquée, et a ensuite, quelques jours à peine après avoir choisi un nouveau mandataire, signé une nouvelle promesse synallagmatique de cession avec le même acheteur, ce qui démontre qu'il a profité du travail mené pendant plusieurs mois par les consorts [M],

- M. [E] [A] refuse de s'expliquer sur les difficultés qui ont été levées entre la première et la seconde promesse synallagmatique, et refuse de fournir le prix de la cession de titres, et le formulaire CERFA relatif à cette cession.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 19 septembre 2022 a clôturé l'instruction de la procédure.

MOTIFS et DECISION

1 ' Sur l'irrecevabilité de la demande en paiement de la société Alcyone Corporate Finance

Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Alcyone Corporate Finance a émis une facture d'honoraires à l'encontre de M. [E] [A], facture non honorée de la part de ce dernier, qui conteste l'existence d'un mandat le liant à cette société.

Il ressort de ces éléments que, dans ces conditions, la société Alcyone Corporate Finance a qualité à agir, et présente un intérêt à intenter une action en paiement à l'encontre de ce dernier. La question de savoir si un contrat liait la société Alcyone Corporate Finance et M. [E] [A] doit être examinée au fond, et non au stade de la recevabilité de l'action.

La société Alcyone Corporate Finance sera donc déclarée recevable en son action.

2 ' Sur l'existence d'un contrat de mandat liant la société Alcyone Corporate Finance à M. [E] [A]

Aux termes de l'article L110-3 du code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit disposé autrement par la loi.

Aux termes de l'article 1341 du code civil, dans sa version applicable au litige, il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret (1 500 euros), même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre.

Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce.

Aux termes de l'article 1347 du code civil, dans sa version applicable au litige, les règles ci-dessus reçoivent exception lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit.

On appelle ainsi tout acte par écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu'il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué.

Peuvent être considérées par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

Aux termes de l'article 1985 du code civil, le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, même par lettre. Il peut aussi être donné verbalement, mais la preuve testimoniale n'en est reçue que conformément au titre " Des contrats ou des obligations conventionnelles en général".

L'acceptation du mandat peut n'être que tacite et résulter de l'exécution qui lui a été donnée par le mandataire.

En l'espèce, et dans la mesure où M. [E] [A] conteste l'existence d'un contrat de mandat le liant à la société Alcyone Corporate Finance, il convient en premier lieu de se poser la question des règles de preuve applicables au litige.

La société Alcyone Corporate Finance soutient que ce contrat est régi par la liberté de la preuve attachée aux actes de commerce, M. [E] [A] soutenant de son côté que ce contrat doit respecter les prescriptions du code civil en la matière.

A ce titre, il doit être relevé que le mandat portant sur la négociation de cession de parts constitue un acte de commerce par accessoire, ainsi que l'a jugé la cour d'appel de Chambéry dans le présent litige le 15 janvier 2019, entraînant de ce fait la compétence du tribunal de commerce.

Il n'en reste pas moins que le principe de la liberté de la preuve est soumis à deux conditions cumulatives, à savoir la qualité de commerçant des deux parties, et la qualité d'acte de commerce de l'acte litigieux.

En l'espèce, l'une de ces conditions n'est pas remplie, puisqu'il n'est pas contesté que M. [E] [A] n'a pas la qualité de commerçant.

Dans ces conditions, la société Alcyone Corporate Finance ne peut se prévaloir de l'application de l'article L110-3 du code de commerce, et elle reste soumise aux dispositions du code civil s'agissant des moyens par lesquels elle peut prouver qu'elle a bien contracté avec M. [E] [A] un contrat de mandat.

A ce sujet, il doit par ailleurs être relevé que si l'article 1985 du code civil dispose que le mandat peut être donné verbalement, il ressort de la lecture du texte même, mais également de la jurisprudence constante que la preuve d'un mandat, même tacite, ne peut être reçue que conformément aux règles générales de la preuve des conventions. (3ème chambre civile, 29 octobre 1970)

En l'espèce, il doit être relevé à titre liminaire que :

' aucun mandat écrit n'a été signé entre les parties au sujet de la négociation de la cession des parts sociales détenues par M. [E] [A] dans la société Aravis Enrobage, via la société Arafinance,

' courant 2010 et courant 2015, M. [E] [A] avait mandaté son cousin [P], M. [S] [M], et le fils de ce dernier, M. [N] [M], pour réaliser un audit patrimonial approfondi, ces mandats ayant été matérialisés par une première lettre de mission conclue entre M. [E] [A] et la société Prim'Invest en 2010, et par une seconde lettre de mission conclue entre M. [E] [A] et la société Alcyone Family Office,

' M. [S] [M] et M. [N] [M] avaient, en 2015, une activité tant dans la société Alcyone Corporate Finance que dans la société Alcyone Family Office.

Si M. [E] [A] prétend qu'il relevait des obligations déontologiques de la société Alcyone Corporate Finance d'établir un mandat écrit, il n'apporte aucun élément de preuve à ce sujet. Par ailleurs, les obligations déontologiques s'imposant à une profession ne se substituent pas aux règles de droit commun, notamment en matière de preuve.

Il doit ensuite être relevé que les parties apportent aux débats de nombreux échanges de mails attestant que MM. [M] ont pris part de manière active, dans le courant de l'année 2015, à des négociations destinées à aboutir à la cession des parts sociales détenues par M. [E] [A] à son associé, M. [U], avec lequel il était alors en très mauvais termes.

L'ensemble des mails échangés témoigne bien de l'existence d'un mandat donné par M. [E] [A] aux consorts [M], ces mails constituant des commencements de preuve par écrit de l'existence de ce mandat.

En tout état de cause, M. [E] [A] ne conteste pas avoir fourni aux consorts [M] un mandat, expliquant que ce mandat avait toutefois été confié à ces derniers en leur qualité de membres de la société Alcyone Family Office et non de la société Alcyone Corporate Finance.

A ce titre, il doit être relevé que :

' tant le tribunal judiciaire d'Annecy que la cour d'appel de Chambéry ont retenu, dans le litige qui opposait la société Alcyone Family Office à M. [E] [A] concernant les honoraires facturés par cette dernière, que le mandat signé par M. [E] [A] avec celle-ci n'incluait pas la négociation de la cession des parts sociales,

' il ne ressort pas des mails entre les parties qu'on puisse distinguer en quelle qualité MM. [M] agissaient dans le cadre de cette négociation, puisque les mails envoyés dans ce cadre l'ont été sous le logo « Alcyone Capital »,

' c'est avant tout à raison de ses liens familiaux et de sa proximité avec les consorts [M] que M. [E] [A] a fait appel à ces derniers, en témoignent la teneur très familière de leurs échanges, qui se terminent par « bises », « je t'embrasse »,

' les précédents mandats conclus entre M. [E] [A] et les sociétés que dirigeaient les consorts [M] viennent appuyer cet élément, puisque M. [E] [A] a indifféremment contracté avec les sociétés Prim'Invest et Alcyone Family Office,

' l'objet social de la société Alcyone Corporate Finance est précisément de fournir « des prestations de conseil en vue de permettre la cession, la détention, la gestion et la transmission de participations dans des sociétés françaises ou étrangères ».

Au regard de l'ensemble de ces éléments, du fait que M. [E] [A] a entendu avant tout mandater les consorts [M], la question de l'entité de la société avec laquelle il contractait étant secondaire, du fait que la société Alcyone Corporate Finance est spécialisée précisément dans la cession de parts sociales, et du fait qu'il ressort des décisions, désormais définitives, rendues dans le cadre du litige opposant M. [E] [A] à la société Alcyone Family Office que ce n'est pas cette dernière qui a réalisé les prestations objet du présent litige, il doit être considéré, ainsi que l'a justement fait le tribunal de commerce, que le mandat tacite ayant pour objet la négociation de la cession de parts sociales a été conclu entre M. [E] [A] et la société Alcyone Corporate Finance.

La décision sera donc confirmée sur ce point.

3 ' Sur la gratuité du mandat et la rémunération de la société Alcyone Corporate Finance

' sur la gratuité du mandat

Aux termes de l'article 1986 du code civil, le mandat est gratuit, s'il n'y a convention contraire.

Il est toutefois de principe que le mandat est présumé salarié en faveur des personnes qui font profession de s'occuper des affaires d'autrui. (1ère chambre civile, 16 juin 1998)

En l'espèce, M. [E] [A] a donné mandat à la société Alcyone Corporate Finance de valoriser et négocier la cession des parts sociales qu'il détenait dans la société Aravis Enrobage.

L'objet social de la société Alcyone Corporate Finance est de fournir « des prestations de conseil en vue de permettre la cession, la détention, la gestion et la transmission de participations dans des sociétés françaises ou étrangères ».

Cette société est donc habituellement en charge des affaires d'autrui, si bien que la présomption de salariat doit lui être appliquée.

M. [E] [A] se prévaut de ses liens de famille avec les consorts [M] pour venir soutenir la gratuité du mandat.

Or, ce simple lien de famille ne suffit pas à inverser la présomption de salariat du mandat, ce d'autant qu'il ressort des échanges de mails, mais également des décisions rendues tant par le tribunal judiciaire d'Annecy que par la cour d'appel de Chambéry que le mandat liant la société Alcyone Family Office à M. [E] [A] n'était pas gratuit, et ce malgré les liens de famille existant entre ce dernier et les consorts [M].

Dès lors, M. [E] [A] ne pouvait sérieusement penser que le mandat donné à la société Alcyone Corporate Finance n'appellerait aucune rémunération, et il échoue à démontrer la nature gratuite de ce mandat.

' sur la rémunération de la société Alcyone Corporate Finance

En l'espèce, la société Alcyone Corporate Finance produit une facture d'honoraires du 10 mars 2016, d'un montant de 29 400 euros TTC, mentionnant une « négociation avec succès des conditions de transmission directe/indirecte de votre participation dans Aravis Enrobage à votre associé ». La facture n'apporte aucun détail sur la méthode de calcul ayant présidé à cette facturation.

M. [E] [A] prétend n'avoir jamais été destinataire de cette facture, et la société Alcyone Corporate Finance n'apporte pas la preuve de la transmission de cette dernière. En tout état de cause, M. [E] [A] conteste le montant de cette facture, et met en cause la qualité du travail accompli par la société Alcyone Corporate Finance.

Il sera relevé en exergue que l'absence de mise en demeure est indifférente en l'espèce, en l'absence de spécifications contractuelles sur le sujet.

Il ressort de la lecture des pièces que la société Alcyone Corporate Finance, en la personne de leurs salariés MM. [M], a réalisé un travail consistant dans le cadre de la cession des parts sociales.

Les échanges de mails, pour certains envoyés le dimanche, démontrent que la société a dans un premier temps réalisé un travail de valorisation des titres, et a dégagé une stratégie de négociation dans le cadre de la cession. Ont ensuite été organisées deux réunions, en juin et septembre 2015, entre M. [E] [A] et son associé, un gros travail de reprise du dialogue ayant été réalisé. Ensuite, et en lien avec l'avocat de M. [E] [A], Me [W], un projet de cession a été établi, la société Alcyone Corporate Finance veillant à ce que les exigences de M. [E] [A] soient entendues et respectées.

Ce travail a abouti à la signature le 29 septembre 2015 par l'associé de M. [E] [A] de la promesse synallagmatique de cession, que M. [E] [A] a de son côté refusé de signer.

Si ce dernier met désormais en avant la médiocrité et l'indigence des prestations accomplies par la société Alcyone Corporate Finance, il doit être souligné que ces récriminations n'apparaissent que tardivement sous sa plume, soit en novembre 2015, alors que dans un mail du 25 septembre 2015, il ne remet aucunement en cause le travail effectué par les consorts [M] au nom de la société, semblant en revanche émettre des doutes sur la qualité du travail réalisé par son avocat d'alors.

Par ailleurs, il doit être relevé que M. [E] [A] a lui-même reconnu dans ce mail du 25 septembre 2015 que les conditions qu'il posait pour la réalisation de la cession pourraient remettre en question cette dernière, indiquant notamment « je suis conscient que cela ne va pas dans le sens de l'apaisement, c'est en même une bonne thérapie pour moi », si bien qu'il doit être considéré que la rupture des relations contractuelles entre les parties est imputable à M. [E] [A] et non à la qualité des prestations réalisées par la société Alcyone Corporate Finance.

Toutefois, cette dernière ne peut soutenir avoir réalisé avec succès sa prestation, dans la mesure où la cession des titres n'a pas été réalisée sous son égide, mais postérieurement, même si l'on doit relever que M. [E] [A] ne fournit aucun élément sur cette cession postérieure.

Par ailleurs, il doit être relevé que la société Alcyone Corporate Finance, en ne faisant pas signer à M. [E] [A] une lettre de mission définissant les contours de la mission et le montant de sa rémunération, a fait preuve de légèreté.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le volume de l'activité réalisée par la société Alcyone Corporate Finance sera évalué à 7 jours de travail, à raison de 8 heures par jour, pour un montant de 150 euros HT de l'heure, ce montant correspondant au montant horaire facturé par la société Alcyone Family Office à M. [E] [A], si bien qu'il doit être retenu comme étant le montant horaire régissant usuellement les relations entre les parties.

La décision sera donc infirmée sur ce point, et M. [E] [A] sera condamné à régler à la société Alcyone Corporate Finance la somme de 8.400 euros HT, soit 10.080 euros TTC, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, soit du 5 avril 2017.

Enfin, la décision sera confirmée en ce qu'elle a débouté M. [E] [A] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, au regard du fait que la société Alcyone Corporate Finance a légitimement engagé une action en paiement à l'encontre de ce dernier.

4 - Sur les dépens et sur la demande d'indemnité procédurale

La décision de première instance sera confirmée quant aux dépens.

M. [E] [A] qui succombe sera condamné aux dépens de l'instance d'appel.

La décision de première instance sera confirmée s'agissant de l'indemnité procédurale.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Alcyone Corporate Finance l'ensemble de ses frais irrépétibles ; l'équité commande de faire droit à sa demande à hauteur de la somme de 2 000 euros.

En conséquence, M. [E] [A] sera condamné à payer à la société Alcyone Corporate Finance la somme de 2 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné M. [E] [A] à payer à la SAS Alcyone Corporate Finance la somme de 7.200 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2017,

Et statuant à nouveau de ce seul chef,

Condamne M. [E] [A] à payer à la société Alcyone Corporate Finance SARL la somme de 10.080 euros TTC ( dix mille quatre vingts euros), outre intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2017,

Y ajoutant,

Déboute M. [E] [A] de sa demande d'indemnité procédurale,

Condamne M. [E] [A] aux dépens de l'instance d'appel,

Condamne M. [E] [A] à payer à la société Alcyone Corporate Finance SARL la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le

à

la SELARL BOLLONJEON

Me Christian FORQUIN

Copie exécutoire délivrée le

à

Me Christian FORQUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/01350
Date de la décision : 03/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-03;20.01350 ?
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