COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 03 Janvier 2023
N° RG 20/01229 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRIK
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 21 Septembre 2020
Appelantes
SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE MISS WASH, dont le siège social est situé [Adresse 3]
SARL LES SAPINS BLEUS, dont le siège social est situé [Adresse 2]
Représentées par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentées par la SARL JUDIXA, avocats plaidants au barreau d'ANNECY
Intimé
Me [I] [J] [U]
né le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 7], demeurant [Adresse 4]
Représenté par la SCP VISIER PHILIPPE - OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY
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Date de l'ordonnance de clôture : 29 Août 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 27 septembre 2022
Date de mise à disposition : 03 janvier 2023
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Composition de la cour :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et procédure
Par acte du 28 mars 2013, Mme [Z] [Y] a signé un contrat préliminaire de réservation de locaux à construire par la société Marignan résidences dans la commune de [Localité 5] dans un immeuble en copropriété dénommé [Adresse 6], soit un local à usage de commerce situé au rez de chaussée et formant le lot n°1 de la copropriété pour un prix de 130 000 euros.
Cet acte de réservation mentionnait que Mme [Y] serait assistée, à l'occasion de cette opération, de Me [U], notaire à [Localité 5].
Par courrier recommandé avec AR du 11 juin 2013, Me [O], notaire du réservant chargé de la rédaction des actes, a adressé à Mme [Y] divers documents relatifs à la future acquisition, dont le projet d'acte de vente et la copie de l'état descriptif de division ' règlement de copropriété.
Par avenant en date du 11 juillet 2013, la société Miss wash, créée pour l'occasion, s'est substituée à Mme [Y], cette dernière en étant la gérante.
Par acte reçu par Me [O] le 25 octobre 2013, avec la participation de Me [U], la société Marignan résidences a vendu en l'état futur d'achèvement ledit lot à la société Miss wash.
La société Miss wash a donné le bien à bail à la société les Sapins bleus, ayant pour gérante Mme [Y], aux fins d'exploitation d'une activité de laverie automatique.
Par courrier recommandé avec AR du 6 février 2015, le syndic de copropriété de l'immeuble le Patio verde a mis en demeure la société Miss wash de cesser cette exploitation, au motif pris que le règlement de copropriété interdisait les activités de pressing et laverie automatique.
Le 18 novembre 2015, l'assemblée générale des copropriétaires de l'immeuble le Patio Verde a pris la résolution d'engager une action en justice afin de faire cesser l'activité de laverie automatique passé un délai de huit mois accordé à la société Miss Wash pour libérer les lieux du matériel d'exploitation, soit jusqu'au 18 juillet 2016.
Par acte d'huissier en date du 19 juillet 2017, les sociétés Miss wash et Sapins bleus ont fait assigner Me [U] devant le tribunal de grande instance de Chambéry afin notamment d'engager sa responsabilité professionnelle et de voir leurs préjudices indemnisés.
Par jugement du 21 septembre 2020, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Chambéry a :
Rejeté la demande des sociétés Miss wash et les Sapins bleus tendant à voir juger que Me [U] a failli à ses obligations de conseil et d'information,
Rejeté la demande des sociétés Miss wash et les Sapins bleus tendant à voir condamner Me [U] à payer :
- à la société Miss wash la somme de 54 154,51 euros en réparation de son préjudice,
- à la société les Sapins bleus la somme de 136 362 euros en réparation de son préjudice,
Condamné in solidum les sociétés Miss wash et les Sapins bleus à payer à Me [U] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné in solidum les sociétés Miss wash et les Sapins bleus aux dépens avec distraction de ces derniers au profit de la société Visier Philippe-Ollagnon-Delroise, avocats.
Les sociétés Miss wash et les Sapins bleus ont interjeté appel de cette décision.
Prétentions des parties
Aux termes de leurs dernières conclusions régulièrement notifiées par voie électronique le 5 mai 2021, et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, les sociétés Miss wash et les Sapins bleus demandent à la cour de :
Vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,
' Réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
' Déclarer la société Miss wash et la société les Sapins bleus recevables et bien fondées à rechercher la responsabilité professionnelle de Me [U], notaire,
En conséquence,
' Condamner Me [U] à payer :
- à la SCI Miss wash un montant total de 54 154,51 euros en réparation de son préjudice,
-
à la société les Sapins bleus la somme 136 362 euros en réparation de son préjudice.
' Condamner également Me [U] à payer aux concluantes une somme de 6 000 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits pour ceux d'appel au profit de la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, avocats associés en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions régulièrement notifiées par voie électronique le 15 mars 2021, et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, Me [U] demande à la cour de :
Vu les dispositions de l'article 1240 du code civil'
' Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Chambéry en date du 21 septembre 2020,
' Y ajoutant, condamner in solidum la société Miss wash et la société Les Sapins Bleus à payer à Me [U] la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' Subsidiairement, fixer le préjudice subi par la société Les Sapins Bleus à la somme de 10 000 euros,
' Dans tous les cas, condamner in solidum la société Miss wash et la société Les Sapins Bleus aux entiers dépens d'appel distraits au profit de la société civile professionnelle Visier-Philippe-Ollagnon-Delroise, avocat, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est en date du 29 août 2022.
Motifs et décision
Conformément au droit commun de la responsabilité civile, trois conditions sont nécessaires pour mettre en 'uvre la responsabilité notariale : une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux.
Par ailleurs, lorsqu'un acte est reçu par deux notaires en concours, le deuxième notaire instrumente au même titre que le notaire en premier, de sorte qu'il encourt une responsabilité identique.
Il est, en effet de jurisprudence constante que les notaires tenus de veiller à l'efficacité des actes qu'ils établissent et d'éclairer les parties sur leurs conséquences, ne sont pas dispensés de leur devoir de conseil par la présence d'un autre conseiller, fût-il lui-même notaire, aux côtés du client.
1) Sur la faute commise
La faute notariale réside dans la méconnaissance, par le notaire, d'une obligation professionnelle : obligation faisant partie, soit du devoir d'authentification, soit du devoir de conseil.
La SCI Miss Wash fait valoir un manquement par Me [U] à son devoir de conseil et son obligation d'assurer l'efficacité des actes juridiques dressés par lui, lors de la signature de l'acte de vente du 25 octobre 2013, au motif qu'il aurait dû la mettre en garde sur la teneur du règlement de copropriété interdisant l'activité de pressing et laverie, alors que le local était destiné à être loué à la société les Sapins bleus, en vue d'exercer une activité de laverie automatique.
Si par des motifs pertinents que la cour adopte expressément, le premier juge a retenu que la SCI Miss Wash ne rapportait pas la preuve de la connaissance par Me [U] du projet visé par Mme [Y] dans l'achat du 25 octobre 2013, il n'en demeure pas moins que le notaire, d'une part connaissait l'objet social de la SCI Wash soit l'achat, location, vente de murs et plus particulièrement du local sis Le patio verde, d'autre part que le local acheté était à vocation commerciale.
En présence d'un règlement de copropriété comportant des restrictions relatives aux activités pouvant être exercées dans le local acheté, il se devait d'interroger Mme [Y] sur son projet commercial afin de vérifier que l'activité projetée était bien autorisée par ce dernier.
Par ailleurs, il résulte des productions, que s'agissant d'une vente en l'état futur d'achèvement et conformément à l'article R 261-30 du code de la construction et de l'habitation, Me [U] a été destinataire de la copie de la notification adressée à Mme [Y] ainsi que du projet d'acte de vente et des divers documents annexés, dont le règlement de copropriété, pièces qui lui ont été adressées par son confrère Me [O], en sa qualité de notaire du réservant, par courrier du 11 juin 2013.
Le règlement de copropriété joint à l'envoi et consistant en une copie non signée, stipulait une interdiction stricte de l'exploitation des commerces suivants : Les discothèques, les sex-shops, les activités théâtrales et musicales, les salles de jeux, les activités de transformation de denrées alimentaires, les animaleries, les centres de tatouage, les manufactures, les radiologues, les activités de restauration dite chaude, les débits de boisson.
Le projet d'acte de vente mentionnait que l'immeuble avait fait l'objet d'un règlement de copropriété contenant l'état descriptif de division, établi suivant acte reçu par Me [O] notaire à [Localité 8] le 12 novembre 2012 dont une copie authentique avait été publiée au premier bureau des hypothèques de [Localité 5] le 30 novembre 2012 repris pour ordre le 31 janvier 2013, volume 2012 P n°17503.
Aucun extrait du règlement de copropriété ne figurait dans ce projet d'acte de vente.
Or, l'acte authentique de vente en date du 25 octobre 2013, régularisé par les parties, diffère de ce projet en ce que, notamment, sont repris des extraits du règlement de copropriété qui n'y figuraient pas et en particulier la liste des activités commerciales interdites, laquelle ne correspond pas à celle figurant dans la copie non signée du règlement de copropriété adressée par le notaire du réservant à Mme [Y] et Me [U] le 11 juin 2013.
En effet, il est précisé dans l'acte authentique de vente que les activités commerciales interdites sont les suivantes :
Les discothèques, les sex-shops, les activités théâtrales et musicales, les salles de jeux, les activités de transformation de denrées alimentaires, les animaleries, les centres de tatouages, les écoles sauf auto-écoles, les pressings et laveries automatiques, les manufactures, les radiologues, les activités de restauration dite chaude, les débits de boisson.
Cette dernière liste correspond à celle figurant dans le règlement de copropriété signé et publié aux services de la publicité foncière dont la cour, à l'audience de plaidoirie, a demandé la communication en délibéré par les parties.
En ne relevant pas ces modifications lors de la lecture et la signature de l'acte de vente, modifications qu'il aurait dû signaler à sa cliente, même dans l'hypothèse où il aurait ignoré les projets de Mme [Y], Me [U] a commis manifestement une faute, fait preuve de légèreté et failli dans ses missions d'authentification et de conseil.
C'est à tort que, pour exonérer le notaire, le premier juge a considéré que Mme [Y], présente lors de la signature de l'acte authentique, était elle-même en mesure de lire l'acte avant de le signer alors que cette dernière a précisément choisi son propre notaire en concours avec le notaire du réservant afin d'être assistée et conseillée.
Le jugement qui a débouté la société Miss wash et la société les Sapins de leur demande tendant à voir juger que Me [U] avait failli à ses obligations sera infirmé.
2) Sur les préjudices
2.1. Le préjudice invoqué par la société Miss wash
Sur les coûts inutilement exposés
La société Miss Wash fait valoir l'existence d'un préjudice direct et certain correspondant à l'ensemble des coûts qu'elle a inutilement supportés du fait de l'acquisition puis de la revente du bien immobilier.
Elle justifie avoir fait l'acquisition des murs commerciaux pour un prix total de 108 695,65 euros HT (pièce Wash n°7), avec des droits de publicité foncière qui se sont montés à la somme de 777 euros et des frais d'acquisition d'un montant de 4 144 euros (pièces Wash 7 et 5) soit un montant total de 113 616,65 euros.
Elle a revendu ce dernier suivant acte authentique du 19 décembre 2017 pour un montant de 119 500 euros réalisant ainsi une plus-value d'un montant de 5 883,35 euros auquel il convient d'ajouter les loyers perçus de la société les Sapins bleus d'un montant mensuel de 1 000 euros HT, selon bail signé mais non daté (pièce 25 Wash).
Il résulte des comptes de la société les Sapins bleus que cette dernière a versé sur l'exercice allant du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015 à la société Miss wash une somme totale de 10 000 euros au titre des loyers, et sur l'exercice allant du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2016 une somme de 3 000 euros (pièce 27 Wash), la société les Sapins bleus ayant déménagé le matériel début 2016 (facture du 3 février 2016, pièce 28 Wash), soit 13 000 euros en tout.
La société Miss wash a ainsi bénéficié d'une somme totale de 18 883,35 euros.
De cette somme il convient de déduire les intérêts de l'emprunt immobilier contracté auprès de la BNP Paribas, pour l'acquisition du bien.
La lecture des bilans de la société Miss Wash (pièces 15 et 20) montre que les échéances du prêt ont été réglées jusqu'à la revente du bien en décembre 2017.
Le montant des frais financiers s'établit ainsi :
2013 : 289,66 euros
2014 : 2 936,96 euros
2015 : 3 986,91 euros
2016 : 3 793,01 euros
2017 : 3 328,00 euros
soit une somme totale de 14 334,54 euros.
Il convient également d'ajouter le coût de l'assurance obligatoire afférente au prêt, qu'elle a souscrite auprès de la société Cardif, et qui a représenté sur la même période une somme totale de 1 525,44 euros (350,64 + 127,44 + 350,40 + 356,16 + 340,80) (pièce Wash n°15).
Enfin, la société Miss wash sollicite une indemnité contractuelle de remboursement anticipé d'un montant de 5 462,05 euros.
Or, si elle produit un courrier de la BNP en date du 9 septembre 2016 l'informant, à sa demande, du montant à débourser pour un remboursement anticipé, incluant à cette date une indemnité contractuelle de 5 462,05 euros (pièce 15), force est de constater qu'elle ne produit pas le contrat de prêt prévoyant cette pénalité en cas de vente du bien et qu'elle ne justifie pas de son règlement, de sorte que cette somme ne peut être retenue.
Le montant des frais inutiles exposés pour cette acquisition se monte ainsi à la somme de 15 859,98 euros (14 334,54 + 1525,44), soit une somme inférieure à celle dont elle a bénéficié dans cette opération, de sorte qu'elle n'a pas subi de préjudice de ce chef et que sa demande ne peut qu'être rejetée.
Sur la perte de chance
La société Miss Wash fait encore valoir qu'elle a subi un préjudice consécutif à la perte de chance de pouvoir développer une activité rentable de location d'un bien immobilier et elle évalue son préjudice de ce chef à la somme de 35 952 euros correspondant au « prévisionnel de création d'activité » qu'elle a établi avec son expert-comptable.
Or ce prévisionnel a été établi sur la base d'un loyer de 1 200 euros HT par mois, alors que celui-ci a été de fait fixé à la somme de 1 000 euros HT, correspondant peu ou prou au montant des échéances de crédit d'un montant mensuel de 922,94 euros hors assurance outre les versements au titre de l'assurance sur les trois premières années représentant une moyenne mensuelle de 30,54 euros.
Par ailleurs et en tout état de cause, pour qu'il y ait perte de chance, la victime ne doit plus pouvoir remédier adéquatement à l'impossibilité de survenance de l'évènement.
La perte de chance ne peut dépendre que d'un événement futur et incertain dont la réalisation ne peut résulter de l'attitude de la victime et seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.
En l'espèce, la société Miss wash a pour objet social l'achat, la location et la vente de murs.
Elle avait donc parfaitement la possibilité de donner le local en location pour une activité non interdite par le règlement de copropriété.
Or force est de constater qu'elle ne justifie d'aucune diligence en vue de trouver un locataire, en lieu et place de la société les Sapins bleus.
Il en résulte que le préjudice allégué n'est pas la conséquence de l'interdiction d'exercer l'activité de laverie mais de la décision par la société Miss wash de ne pas remplacer le premier locataire par un nouveau et de vendre le local libre d'occupation.
La demande ne peut qu'être rejetée.
2.2. Sur le préjudice de la société les Sapins bleus
Sur la perte de chance
Cette dernière fait tout d'abord valoir qu'elle a perdu la chance de pouvoir constituer un fonds de commerce, exposant qu'une laverie située à proximité avait fermé et qu'elle comptait sur cette fermeture pour récupérer la clientèle.
Elle soutient qu'un fonds de commerce de laverie peut être valorisé à un prix équivalent à 100% de son chiffre d'affaires et estime que son préjudice s'établit à la somme de 45 000 euros, montant retenu par le plan prévisionnel, outre un résultat annuel de 4 000 euros, soit pour la période allant de 2015 à 2018 une perte de bénéfice de 12 000 euros et un préjudice total de 60 000 euros.
Il est constant que toute perte de chance ouvre droit à réparation (2e Civ., 20 mai 2020, n° 18-25.440) même faible (1re Civ., 16 janvier 2013, n° 12-14.439) ou minime (1re Civ., 12 octobre 2016, n° 15-26.147, 15-23.230), le préjudice résultant d'une perte de chance devant être mesuré à la chance perdue et ne pouvant être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée (1ère Civ. 14 février 2018, no 16-27.160 et 17-10.389).
En l'espèce, contrairement à ce qu'elle affirme, et ainsi qu'il résulte des bilans produits, la société les Sapins bleus a bien exploité le fonds de commerce à compter de fin 2014 jusqu'au 2 février 2016, date à laquelle elle a déménagé le matériel.
Il résulte du compte de résultat détaillé de la société les Sapins bleus que le chiffre d'affaires réalisé par la laverie de [Localité 5] (la société exploite plusieurs laveries en Savoie et Haute-Savoie) a été pour l'exercice allant du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015, de 18 929,92 euros et pour l'exercice allant du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2016 de 4 557,09, ce dernier chiffre s'expliquant par la cessation d'activité de cette laverie à compter de février 2016 (pièce 16 Wash).
Ce chiffre d'affaires de 18 929,92 euros est très éloigné du montant fixé par le plan prévisionnel pour le premier exercice soit une somme de 45 000 euros puisqu'il ne représente que 42% de ce dernier.
S'agissant des bénéfices effectivement réalisés par cette laverie, il est, au vu des éléments fournis, indéterminable dans la mesure où la société les Sapins bleus qui exploite plusieurs laveries tient une comptabilité concernant l'ensemble de ces dernières, certaines dépenses étant communes (Achats lessive, marchandises, honoraires comptables, juridiques, téléphone, téléphone mobile et internet, salaire gérance majoritaire, frais de déplacement etc.').
La prise en compte des seuls postes de charges spécifiques à la laverie de [Localité 5] sur l'exercice 2014-2015 représente, déjà, un total de 16 509 euros :
Loyers 10 000 euros
Assurance 721 euros
Eau 1 018 euros
Electricité 4 518 euros
Intérêts emprunt 252 euros
Après imputation de la quote-part des charges communes, revenant à l'établissement de [Localité 5] ce dernier avait de toute évidence une activité déficitaire.
Rien n'établit ainsi que l'activité de cette laverie, si elle s'était poursuivie, aurait été pérenne alors même qu'il est produit le justificatif de la création d'une laverie concurrente qui s'est installée sur la même avenue à quelques centaines de mètres de celle de la société les Sapins bleus et ce à la même époque puisque cet établissement a été créé le 1er janvier 2015.
Au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer que la perte de chance de développer un fonds de commerce rentable était minime et de le fixer à 10% du chiffre d'affaire.
La société les Sapins bleus a calculé cette perte de chance sur trois années de chiffre d'affaire (2015 à 2018).
Il lui sera alloué la somme de : 10% x 18 930 euros x 3ans soit 5 679 euros.
Sur les pertes éprouvées
La société les Sapins bleus fait valoir encore qu'elle a droit d'être indemnisée des investissements réalisés à perte dans son fonds de commerce, qu'elle récapitule ainsi :
Moins-value sur agencements 43 633 euros
Moins-value sur matériels 14 507 euros
Loyers 2014/2015 10 000 euros
Loyers 2015/2016 3 000 euros
Intérêts emprunt, assurance, frais 3 896 euros
Coût de la fermeture 1 326 euros
Me [U], sans contester le principe de ce droit à indemnisation, fait valoir que la société les Sapins bleus ne fournit aucune pièce justificative hormis quelques documents illisibles et manifestement hors contexte.
Or, à l'appui de sa réclamation, la société les Sapins bleus produit d'une part l'intégralité de son bilan relatif à l'exercice 2015-2016 (pièce 16) d'autre part une attestation de son expert-comptable en date du 27 avril 2018 (pièce 18), et enfin une liste simplifiée des immobilisations par laverie au 30 septembre 2016 (pièce 26).
Il en résulte que les agencements de la laverie de [Localité 5] (placo, travaux branchement, carrelage, matériaux, menuiserie, électricité, plomberie) ont été comptabilisés pour une valeur d'achat de 52 773,89 euros et qu'après amortissement leur valeur comptable nette au 30 septembre 2016 était de 43 632,74 euros, montant qu'il convient de retenir dans la mesure où la société les Sapins bleus ne pouvait récupérer ces derniers.
Il sera également fait droit à la demande relative aux intérêts d'emprunt, frais d'assurance et accessoires, pour un montant de 3 896 euros, cet emprunt ayant été contracté pour l'aménagement du local.
Par ailleurs, la société les Sapins bleus produit la facture du 3 février 2016 relative au déménagement des matériels de la laverie pour un montant de 1 326 euros HT.
En revanche, s'agissant des matériels, il résulte du bilan arrêté au 30 septembre 2016, et plus particulièrement du détail du compte de résultat, qu'ils ont fait l'objet d'une vente pour un montant de 25 002 euros, montant supérieur à leur valeur comptable nette de 14 507 euros, de sorte que ce poste de préjudice ne peut être retenu.
Il en est de même des loyers payés sur les exercices 2014/2015 et 2015/2016 pour un total de 13 000 euros qui correspondent à la période durant laquelle le fonds de commerce a été exploité et a généré du chiffre d'affaires.
Au final, les pertes éprouvées seront indemnisées à hauteur de la somme de 48 854,74 euros (43 632,74 + 3 896 + 1 326), que Me [U] sera condamné à verser à la société les Sapins bleus.
3) Sur les demandes accessoires
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des appelantes.
Me [U] qui succombe en ses prétentions est tenu aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la SCI Wash de sa demande tendant à voir condamner Me [U] à lui payer la somme de 54 154,51 euros en indemnisation de son préjudice,
Le confirme de ce chef et statuant à nouveau pour le surplus,
Juge que Me [U] a commis des fautes engageant sa responsabilité à l'égard de la SCI Wash et de la société les Sapins bleus,
Condamne Me [U] à payer à la société les Sapins bleus :
- la somme de 48 854,74 euros au titre des pertes éprouvées,
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la somme de 5 679 euros au titre de la perte de chance de développer son fonds de commerce de laverie,
Condamne Me [U] à payer à la société les Sapins bleus et la SCI Wash la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés par ces dernières en première instance et en appel.
Condamne Me [U] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction de ceux exposés en appel au profit de la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, avocat.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le
à
la SELARL BOLLONJEON
la SCP VISIER PHILIPPE - OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée le
à
la SELARL BOLLONJEON