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29/11/2022 | FRANCE | N°21/00145

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Première présidence, 29 novembre 2022, 21/00145


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







Première Présidence

Indemnisation des détentions provisoires



Ordonnance du Mardi 29 Novembre 2022





Nous, Marie-France BAY-RENAUD, première présidente de la Cour d'Appel de CHAMBERY, assistée de Ghislaine VINCENT, greffière, avons rendu l'ordonnance suivante, après audience publique tenue le quatre octobre deux mille vingt deux :



N° RG 21/00145 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GYJ5





REQUÉRANT :



M. [K] [P]

Demeurant [Adresse 2]
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Présent, assisté de Me Ahmed RANDI, avocat au barreau de CHAMBERY





EN PRÉSENCE DE :



Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat, représentant l'Etat Français, Ministè...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Première Présidence

Indemnisation des détentions provisoires

Ordonnance du Mardi 29 Novembre 2022

Nous, Marie-France BAY-RENAUD, première présidente de la Cour d'Appel de CHAMBERY, assistée de Ghislaine VINCENT, greffière, avons rendu l'ordonnance suivante, après audience publique tenue le quatre octobre deux mille vingt deux :

N° RG 21/00145 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GYJ5

REQUÉRANT :

M. [K] [P]

Demeurant [Adresse 2]

Présent, assisté de Me Ahmed RANDI, avocat au barreau de CHAMBERY

EN PRÉSENCE DE :

Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat, représentant l'Etat Français, Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, [Adresse 4]

représenté par Maître Antoine GIRARD-MADOUX, avocat associé de la SCP GIRARD-MADOUX & associés, avocats au barreau de Chambéry

Le Ministère Public, pris en la personne de Madame la procureure générale près la cour d'appel de Chambéry, représentée par Madame Nathalie PAROT, substitute générale domiciliée en cette qualité au parquet général de la cour d'appel de Chambéry - Palais de Justice - 73018 Chambéry cedex

DÉBATS :

Madame la première présidente a donné lecture des éléments du dossier,

Me Ahmed RANDI, avocat au barreau de CHAMBERY, avocat de M. [K] [P], a été entendu en ses observations,

Maître Antoine GIRARD-MADOUX, avocat de l'agent judiciaire de l'Etat, a été entendu en ses observations,

Madame Nathalie PAROT, substitute générale, a été entendue en ses conclusions,

Me Ahmed RANDI, avocat au barreau de CHAMBERY, avocat de M. [K] [P], ayant eu la parole en dernier ;

Madame la première présidente a déclaré que la décision serait rendue le 08 Novembre 2022. Le délibéré a été prorogé au 29 novembre 2022.

'''''

M.[K] [P], mis en examen du chef de tentative d'assassinat, d'association de malfaiteurs et destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux, a été placé en détention provisoire le 12 février 2019, après avoir été incarcéré provisoirement le 7 février 2019, puis a été libéré sous contrôle judiciaire le 2 décembre 2020 avant de bénéficier d'une ordonnance de non lieu rendue par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Chambéry le 29 janvier 2021.

Par requête parvenue au greffe de la cour d'appel de Chambéry le 20 juillet 2021, M.[K] [P] a sollicité la réparation du préjudice par lui subi du fait de cette détention et réclamé les sommes de 217 650 euros au titre du préjudice moral, 17 680 euros au titre du préjudice matériel, outre celle de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le dossier a été retenu à l'audience du 4 octobre 2022.

M.[K] [P] fait valoir qu'il a été placé en détention provisoire le 7 février 2019 à la maison d'arrêt de [Localité 5] avant d'être transféré vers la maison d'arrêt de Chambéry le 1er octobre 2019 puis vers le centre pénitentiaire de [Localité 6] le 28 juillet 2020 et qu'ainsi il a subi une détention injustifiée d'une durée de 664 jours.

Il expose qu'au moment de son incarcération, il était inscrit à la mission locale de [Localité 13], qu'il prétendait au dispositif « garantie jeunes » dont le montant était fixé à 492,57 euros en février 2019 et que la détention l'a empêché de percevoir cette allocation entre le mois de février 2019 et le mois de janvier 2020, soit 12 mois ( 492x12=5 910,84 euros).

Il ajoute que la perte de chance de percevoir des salaires est indemnisable dès lors que cette chance est sérieuse, qu'il communique une lettre d'engagement régularisée par la société [8] en date du 20 janvier 2020 pour un poste de plongeur à [Localité 10] pour une rémunération annuelle de 19 775,86 euros, qu'il avait une chance sérieuse d'accéder à cet emploi, le caractère sérieux de cette place s'appréciant notamment par la volonté claire et non équivoque de l'employeur de le recruter, de surcroît en contrat à durée indéterminée, sans période d'essai et qu'il pouvait être logé chez monsieur [U]. Il sollicite ainsi une perte de chance à hauteur des 2/3 des salaires auxquels il aurait pu prétendre entre février 2020 et novembre 2020, treizième mois compris, soit 11 408,81 euros.

A l'audience, il précise que lors de sa remise en liberté, il n'a pas pris le poste en raison des restrictions liées au Covid, le restaurant étant fermé et qu'ensuite, ses parents ont subvenu à ses besoins. Il précise que depuis juin 2022 il est livreur pour [14] et qu'il habite encore chez ses parents.

Il actualise sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 2 360 euros.

S'agissant du préjudice moral, il expose qu'il a subi un choc carcéral résultant de son jeune âge, 21 ans au moment de son placement en détention provisoire, du fait qu'il s'agissait d'une première incarcération et que les faits reprochés étaient de nature criminelle, du fait que ses diverses demandes de remise en liberté ont été longtemps rejetées, du fait de l'éloignement d'avec sa famille domiciliée à [Localité 11] et de la crise de Covid 19 qui l'a empêché de les voir. Il ajoute que les conditions de détention au sein de la maison d'arrêt de [Localité 7] étaient particulièrement difficiles en raison de la surpopulation carcérale.

Aux termes de ses conclusions développées oralement à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat conclut à la recevabilité de la requête et à son accueil dans la limite de 40 000 euros au titre du préjudice moral.

Il rappelle que seuls sont indemnisés les préjudicies matériels et moraux résultant exclusivement de la détention provisoire, que la fiche pénale démontre que M.[K] [P] était détenu pour autre cause durant une partie de la période de détention provisoire, soit du 1er septembre au 23 septembre 2020, qu'ainsi le droit à indemnisation couvre la période du 7 février 2019 au 31 août 2020, puis du 24 septembre 2020 au 2 décembre 2020, soit 642 jours.

Il fait valoir que M.[K] [P] ne justifie pas avoir bénéficié du dispositif « garantie jeunes » avant son placement en détention provisoire, que l'attestation d'inscription à la Mission locale de [Localité 13] produite est datée du 21 mai 2021 et ne fait nullement état du bénéfice du dispositif précité, qu'il ne produit pas le contrat d'accompagnement vers l'emploi permettant de percevoir la « garantie jeunes ».

Il ajoute que pour bénéficier d'une indemnisation au titre de la perte de revenus liés à la promesse d'embauche produite, il doit justifier qu'il percevait des revenus au moment de son incarcération et qu'en outre rien n'indique qu'il a effectivement occupé cet emploi après sa libération.

Il s'en rapporte sur la demande actualisée par M.[K] [P] à la somme de 2360 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que la souffrance évoquée par M.[K] [P] résulte de sa mise en examen et de la nature des faits reprochés et non de la détention provisoire, qu'il ne justifie pas avoir été suivi pendant sa durée de détention par un psychologue, qu'ainsi, il est proposé une indemnisation à concurrence de 40 000 euros.

Le ministère public conclut à l'absence de préjudice matériel et propose d'indemniser le préjudice moral subi par M.[K] [P] à hauteur de 40 000 euros. Il fait valoir que la période d'incarcération indemnisable est de 641 jours dès lors qu'il convient de déduire la période où M.[K] [P] était détenu pour autre cause du 1er au 23 septembre 2020.

M.[K] [P] et son conseil ont eu la parole en dernier et ont précisé que la détention du 1er au 23 septembre 2020 était illégale puisque la peine prononcée était de un mois, en violation des nouvelles dispositions de la Loi de Programmation sur la Justice.

SUR CE,

En application des articles 149 à 150 du code de procédure pénale, une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudicie personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté.

Sur la recevabilité de la demande :

M.[K] [P] a saisi le premier président de la cour d'appel de Chambéry par requête reçue au greffe le 20 juillet 2021 après une ordonnance de non lieu partiel rendue par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Chambéry le 29 janvier 2021 à l'égard de M.[K] [P], ayant acquis un caractère définitif comme l'atteste le certificat de non recours établi le 11 mars 2021.

La requête est donc présentée dans les délais et formes légaux.

Sur la période de détention indemnisable :

Il résulte de l'article 149 du code de procédure pénale qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était dans le même temps détenue pour autre cause.

En l'espèce, M.[K] [P] a été placé en détention provisoire le 7 février 2019 puis remis en liberté sous contrôle judiciaire le 2 décembre 2020.

Il ressort de sa fiche pénale qu'après son placement en détention, il a exécuté du 1er septembre au 23 septembre 2020 une peine d'un mois d'emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel de Sens le 24 avril 2020 pour usage illicite de stupéfiants.

Il n'appartient pas à la présente juridiction de statuer sur la légalité de la peine prononcée par le tribunal correctionnel de Sens dont M.[K] [P] n'a pas interjeté appel et qui est à ce jour définitive.

La période indemnisable s'étend donc du 7 février 2019 au 31 août 2020 puis du 24 septembre 2020 au 2 décembre 2020, soit 642 jours.

Sur l'indemnisation du préjudice moral :

Le choc carcéral subi par M.[K] [P] n'a pu être atténué s'agissant d'une première incarcération, d'autant plus qu'il n'était âgé que de 21 ans à ce moment et qu'il n'avait fait l'objet d'aucune poursuite pénale jusqu'à cette date.

Il résulte de l'ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel en date du 29 janvier 2021 que M.[K] [P] déclarait lors de la procédure qu'il était resté sur [Localité 3] de février à juin 2018, qu'ainsi, si lors de son incarcération, il se disait domicilié chez ses parents, il n'en reste pas moins qu'il avait déjà quitté le domicile familial pendant une longue période, ce qui relativise le préjudice lié à la séparation et la distance d'avec ses parents générées par l'incarcération.

M.[K] [P] ne justifie d'aucune considération médicale de nature à avoir rendu la détention plus difficile.

M.[K] [P] communique un article de presse en date du 4 août 2020 se faisant l'écho de la surpopulation carcérale au sein de la maison d'arrêt de [Localité 7], à savoir 175% au 28 juillet 2020.

Aussi, il convient de prendre en considération les conditions de détention dégradées à la maison d'arrêt de [Localité 7], liées à la surpopulation carcérale.

Ces éléments conduisent à allouer à M.[K] [P] la somme de 50 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice moral qu'il a subi du fait de son incarcération.

Sur l'indemnisation du préjudice matériel :

Au moment de l'incarcération, M.[K] [P] n'exerçait aucune activité professionnelle de sorte qu'il ne peut se prévaloir d'aucune perte de salaire pendant la période de détention indemnisable.

La seule communication d'une attestation de la mission locale et PLIE du [Localité 12] en date du 21 mai 2021 sur le fait que M.[K] [P] est inscrit à la Mission locale de [Localité 13] ne permet pas d'établir d'une part que M.[K] [P] y était inscrit lors de son incarcération en février 2019 et encore moins qu'il percevait l'indemnité résultant du dispositif « garantie jeunes ».

En conséquence, il convient de rejeter la demande formée à ce titre.

M.[K] [P] communique un courrier à l'entête de [8], signée de [R] [J], responsable des ressources humaines, en date du 20 janvier 2020 confirmant leur intention de l'engager, sous contrat à durée indéterminée, en qualité de plongeur au sein du RIE situé [Adresse 1] ; il produit également une attestation d'hébergement en date du 6 juillet 2020 auprès de monsieur [F] [U] à [Localité 9].

Il convient de souligner qu'à la date de son incarcération, M.[K] [P] n'avait jamais travaillé.

La promesse d'embauche communiquée manque de réalisme comme l'avait relevé la chambre de l'instruction dans son arrêt du 13 février 2020 dès lors que le lieu de travail se situait à plus de deux heures du domicile de ses parents où il souhaitait se voir domicilier sous le bénéfice d'un dispositif de surveillance électronique;Si par la suite, M.[K] [P] a communiqué une attestation d'hébergement dans la région parisienne, il ne justifie pas qu'à cette date, c'est à dire le 6 juillet 2020, la société [8] maintenait la promesse d'embauche faite cinq mois plus tôt.

Ainsi, la seule production d'une promesse d'embauche en qualité de plongeur, destinée à documenter sa demande de mise en liberté, ne saurait dans ce contexte suffire à établir l'existence d'une perte de chance sérieuse de percevoir des revenus salariaux ; il convient en outre de constater que suite à sa remise en liberté, M.[K] [P] n'a pas été embauchée par cette entreprise, ni par aucune autre ; en effet, il justifie uniquement s'être inscrit au registre du commerce et des sociétés à compter du 2 juin 2022, soit 18 mois après sa remise en liberté.

Il y a lieu, en conséquence, de rejeter ces chefs de recours.

Il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'il a dû engager pour faire valoir ses droits et il lui sera alloué à ce titre la somme de 1500 euros, mise la charge du Trésor Public, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement par décision contradictoire rendue en premier ressort :

Déclarons recevable la requête de M.[K] [P] ;

Accordons à M.[K] [P] une indemnité à la charge du Trésor Public d'un montant de 50 000 euros au titre de son préjudice moral ;

Lui allouons une somme de 1500 euros à la charge du Trésor Public sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laissons les dépens à la charge du Trésor Public.

Ainsi prononcé publiquement, le 29 novembre 2022 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Marie-France BAY-RENAUD, première présidente et Ghislaine VINCENT, greffière.

La greffière La première présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Première présidence
Numéro d'arrêt : 21/00145
Date de la décision : 29/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-29;21.00145 ?
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