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29/11/2022 | FRANCE | N°20/01299

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 29 novembre 2022, 20/01299


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 29 Novembre 2022





N° RG 20/01299 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRQB



Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 24 Septembre 2020





Appelante



S.A.R.L. PROGIMO, dont le siège social est situé [Adresse 1]



Représentée par Me Isabelle RATEL, avocat postulant au barreau de THONON-LES-BAINS

Représentée par la SELARL ACTIVE AVOCATS

, avocats plaidants au barreau de LYON









Intimé



Me [T] [M], demeurant [Adresse 4]



Représenté par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocats postulants...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 29 Novembre 2022

N° RG 20/01299 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRQB

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 24 Septembre 2020

Appelante

S.A.R.L. PROGIMO, dont le siège social est situé [Adresse 1]

Représentée par Me Isabelle RATEL, avocat postulant au barreau de THONON-LES-BAINS

Représentée par la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON

Intimé

Me [T] [M], demeurant [Adresse 4]

Représenté par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représenté par la SELARL FAVRE-DUBOULOZ-COFFY, avocats plaidants au barreau de THONON-LES-BAINS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 29 Août 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 27 septembre 2022

Date de mise à disposition : 29 novembre 2022

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour lors des débats et du délibéré :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et Procédure :

La société Progimo (SARL), créée en 2008, a pour activité déclarée « l'acquisition de tous biens et droits immobiliers y compris les droits à construire, la construction sur ces biens et droits immobiliers de tous immeubles à toutes destinations et usages, la mise en valeur, l'aménagement, la vente, le conseil, la location dans le domaine immobilier, tous travaux de second oeuvre ».

Suivant acte authentique reçu le 28 janvier 2015 par Me [T] [M], notaire associé à [Localité 5], cette société acquérait des consorts [I] un tènement immobilier sis [Adresse 2] (01), cadastré AC [Cadastre 3], composé d'un ancien corps de ferme gessienne, d'une grange et d'un terrain d'assiette, moyennant le prix total de 1'300'000'euros.

Cette mutation n'était pas soumise à la taxe sur la valeur ajoutée mais aux droits d'enregistrement réduits de l'article 1020 du code général des impôts.

La société Progimo, après avoir procédé à des opérations de division parcellaire du terrain et de mise en copropriété du bâti préexistant, revendait l'ensemble du bien acquis comme suit :

- vente d'une parcelle de terrain à bâtir le 4 novembre 2015 pour un montant de 220'390,40'euros HT,

- vente d'une parcelle de terrain à bâtir le 6 novembre 2015 pour un montant de 206'815,20'euros HT,

- vente d'une parcelle de terrain à bâtir le 18 novembre 2015 pour un montant de 182'641,07'euros'HT,

- vente d'une parcelle de terrain à bâtir le 18 décembre 2015 pour un montant de 184'445,90'euros'HT,

- vente du grenier de la ferme le 23 décembre 2015 pour un montant de 135'000'euros HT,

- vente de la ferme, à l'exclusion du grenier, le 23 décembre 2015 pour un montant de 480'000'euros'HT,

- vente de la grange le 6 avril 2016 pour un montant de 237'500'euros HT.

Pour l'ensemble de ces ventes, la SARL Progimo appliquait la TVA sur la marge prévue par l'article 268 du code général des impôts.

Début 2017, l'administration fiscale procédait à une vérification de comptabilité de la société Progimo portant sur ses exercices comptables de 2014 et 2015, puis par courrier du 11 mai 2017, elle procédait à un rappel de TVA pour les 6 reventes réalisées sur la période contrôlée, d'un montant de 159'292'euros, outre pénalités de retard de 10'832'euros, au motif qu'en l'absence de parfaite adéquation entre les biens vendus et les biens achetés, la TVA aurait dû être calculée sur le prix total et non sur la marge. Elle maintenait sa position dans un courrier du 27 juin 2017, après avoir reçu les observations de la société.

Par acte du 25 juillet 2018, la société Progimo assignait Me [T] [M] devant le tribunal judiciaire (de grande instance) de Thonon-les-bains aux fins notamment de le voir condamner à lui payer la somme de 164'708'euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation d'information et de conseil, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

Par jugement rendu le 24 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Thonon-les-bains, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- déboutait la société Progimo de sa demande indemnitaire,

- condamnait la la société Progimo à payer à Me [T] [M] la somme de 3'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamnait la la société Progimo aux entiers dépens de l'instance,

aux motifs essentiels suivants :

' la seule condition imposée par le code général des impôts pour que la TVA fût assise sur la marge était que le bien revendu n'eût pas ouvert droit à déduction de la TVA lors de son acquisition, mais l'administration fiscale avait ensuite fondée sa décision de rappel de TVA sur le double critère d'identité juridique et physique des biens imposé dans les réponses ministérielles de 2016, de sorte que le notaire, lors de la vente en 2015 ne pouvait connaître cette position doctrinale non contraignante ;

' il ne saurait donc être reproché à Me [M] de ne pas avoir informé la société Progimo de la position doctrinale non-contraignante de l'administration fiscale et de ne pas l'avoir incitée à faire procéder à une division parcellaire préalablement à la vente, et ce à plus forte raison au regard de l'objet social de cette société, qui ne pouvait être considérée comme profane.

Par déclaration au Greffe du 5 novembre 2020, la société Progimo interjetait appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Prétentions des parties :

Par dernières conclusions récapitulatives en date du 21 avril 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Progimo demandait à la cour de réformer entièrement le jugement entrepris et de :

' condamner Me [T] [M] à lui payer la somme de 164'708'euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation d'information et de conseil, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

' condamner Me [T] [M] à lui payer la somme de 5'000'euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner Me [T] [M] aux entiers dépens de la procédure, dont distraction au profit de Me Isabelle Ratel, avocat sur son affirmation de droit.

Au soutien de ses prétentions, la société Progimo exposait essentiellement que :

' le notaire avait commis un manquement à son devoir de conseil sur le régime fiscal de l'opération et ce manquement était la cause de son préjudice constitué de la perte de chance ne pas avoir un redressement fiscal à hauteur de 164 208 euros ;

' dès décembre 2010, l'administration fiscale exigeait, pour l'application du régime de TVA à la marge, une identité juridique des biens achetés et revendus et préconisait une division parcellaire des biens vendus et de procéder à une ventilation du prix dans l'acte d'achat. Or le notaire connaissait le projet de la société Progimo lors de la rédaction de l'acte et il lui appartenait de prendre les précautions nécessaires (ventilation du prix dans l'acte) et de préconiser une division parcellaire préalable.

' l'administration fiscale exigeait une identité physique et une identité juridique des biens, objets des transactions mais il suffisait qu'une des identités n'existât pas pour que le régime de la TVA à la marge ne fût plus applicable, sachant qu'en l'espèce, les deux identités n'étaient pas réunies.

Par dernières conclusions récapitulatives e date du 5 février 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Me [T] [M] demandait à la cour de :

- déclarer irrecevable et mal fondé l'appel interjeté par la société Progimo à l'encontre du jugement entrepris ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- condamner la société Progimo à lui payer la somme de 5'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Progimo aux entiers dépens distraits au profit de Me Juliette Cochet-Barbuat, avocat au barreau de Chambéry.

Au soutien de ses prétentions, Me [M] exposait essentiellement que :

' l'identité physique correspondait pour l'immeuble bâti mais pas pour les terrains revendus en décembre 2015 qui constituaient le terrain de l'assiette de l'immeuble vendu en janvier 2015 ;

' le redressement fiscal était contestable car le texte de l'article 268 du code des impôts ne prévoyait pas l'existence du critère d'identité physique et il estime que ce redressement était fondé uniquement sur l'absence d'identité physique ;

' il ne pouvait lui être reproché ne pas avoir anticipé dans l'acte de vente de janvier 2015 la condition de l'identité des caractéristiques physiques imposée par l'administration fiscale de 2016.

L'ordonnance de clôture était prononcée le 29 août 2022 et l'affaire était renvoyée à l'audience du 27 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

MOTIFS ET DÉCISION :

I - sur la demande principale tendant à la condamnation du notaire :

- sur la faute de Me [M], notaire rédacteur et le lien de causalité avec le préjudice invoqué :

Aux termes de l'article 1240 du code civil, 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer' et aux termes de l'article 1241 du même code, 'chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence'.

La société Progimo est en raison de son activité économique assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée (tva). En janvier 2015, elle a fait l'acquisition d'un immeuble construit depuis plus de cinq ans et son terrain, sans division parcellaire préalable, et les cédants n'étant pas eux-mêmes assujettis à la tva, cette opération immobilière n'a pas ouvert droit à la déduction de la dite taxe. Fin 2015, la société Progimo a revendu le bien, après division parcellaire, en quatre terrains à bâtir au sens de l'article 257-1 du code général des impôts soit des terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées selon les règles de l'urbanisme en vigueur et en trois biens bâtis achevés depuis plus de cinq ans, la vente de terrain à bâtir étant assujettie à la TVA et la vente d'un bien bâti achevé depuis plus de cinq ans étant soumis à la TVA sur option (article 261 5 2° et article 260 5° du code précité).

Ces opérations de vente immobilière ont été assujetties dans un premier temps à la taxe sur la valeur ajoutée à la marge par application de l'article 268 du code général des impôts.

L'article 268 al 1 précité énonce : 'S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir, ou d'une opération mentionnée au 2° du 5 de l'article 261 pour laquelle a été formulée l'option prévue au 5° bis de l'article 260, si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre :

1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ;

2° D'autre part, selon le cas :

a) soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain ou de l'immeuble ;

b) soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués'.

Depuis 2010, en application de cet article, l'administration fiscale exige pour que l'opération immobilière relève de la tva à la marge que la condition de l'identité de qualification juridique (terrain non bâti ou immeuble bâti) soit remplie entre le bien initialement acquis et le bien revendu, comme l'instruction du 29 décembre 2010 BOI3A-9-10 du 30 décembre 2010 n°68 le précise extrait ' la distinction entre terrain à bâtir et immeuble bâti trouve toute sa portée lorsque l'un et l'autre sont réunis dans une même mutation réalisée par un assujetti........ dans une telle situation, il convient que l'acte reflète clairement la qualification respective de chaque élément en sorte que le régime approprié soit distinctement et régulièrement appliqué, d'une part, au terrain à bâtir, et, d'autre part, à l'immeuble bâti. En règle générale, une division parcellaire devra intervenir préalablement à la mutation, permettant de distinguer la part de l'emprise libre de constructions utilisable comme telle dont la cession sera taxée comme terrain à bâtir, et la part déjà bâtie utilisable comme telle dont la qualification fiscale dépendra des caractéristiques propres'.

Cette condition, malgré une résistance de certaines juridictions administratives de première instance, a été validée par le conseil d'Etat dans des arrêts de 2020 notamment du 1er juillet 2020 et il convient de souligner qu'elle figurait déjà dans les commentaires d'origine de l'article 16 de la loi 2010-237 du 9 mars 2010 avant d'être reprise au bulletin officiel en 2012 (voir réponse du ministre de l'économie et des finances publiée au JO Sénat du 17 mai 2018 en réponse à la question 04171 sénateur [X]).

En 2016, l'administration fiscale, par différentes réponses ministérielles dont la réponse Savary du 20 septembre 2016, a également exigé que le bien revendu ait aussi les mêmes caractéristiques physiques que le bien acheté : extrait : 'la mise en oeuvre de ce régime dérogatoire (TVA à la marge) au principe selon lequel la TVA est calculée sur le prix total suppose nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique', abandonnant ensuite cette exigence dans une réponse au sénateur [X] en date du 17 mai 2018 indiquant que la TVA à la marge était applicable si la condition de l'identité juridique était satisfaite.

Ainsi, lors de l'achat du bien immobilier par la société Progimo à Mmes [I] le 25 janvier 2015, seule l'exigence de l'identité juridique des biens entre l'achat et la revente était imposée par l'administration fiscale et il appartenait au notaire de renseigner la société Progimo sur cette exigence.

En effet, Me [M] avait été informé que la société Progimo acquérait ce bien en vue d'une opération immobilière puisque son acte authentique mentionnait, notamment dans le paragraphe 'Urbanisme', l'existence d'un permis autorisant la réalisation d'un lotissement par arrêté du maire de la commune et d'une demande de permis d'aménagement, documents annexés à l'acte. D'ailleurs, la société Progimo, dans un courriel qu'elle avait adressé à l'étude en date du 25 juin 2014, précisait avec clarté son projet de construction d'un lotissement et sa demande de permis d'aménagement et posait la question suivante au notaire : 'pensez-vous que nous pouvons dès à présent ventiler le prix entre le bâti et le non bâti'.

Cependant, l'acte authentique de vente ne comportait aucune distinction entre l'immeuble bâti et le terrain non bâti, indiquant simplement que la vente portait sur un 'tènement bâti et non bâti comprenant une maison d'habitation, une grange, un verger et un pré d'une contenance de 44 a 97 ca' et le notaire n'avait pas conseillé à la société Progimo de procéder à une division parcellaire avant la rédaction de l'acte, comme le suggérait l'administration fiscale qui préconisait également une ventilation du prix de vente, alors même que l'acte mentionnait que l'acheteur était assujetti à la TVA, qu'il s'engageait à revendre le bien dans les 5 ans et qu'en conséquence, la mutation n'entrait pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, la fiscalité étant manifestement un élément important pour la société Progimo.

Le notaire n'a pas à s'interroger sur le fondement légal sur lequel s'appuie l'administration fiscale pour assujettir un contribuable à tel ou tel impôt, il se doit de renseigner son client sur la pratique en cours de l'administration fiscale, la société Progimo étant un professionnel de l'immobilier et non un professionnel du droit, et il lui aurait appartenu après avoir été renseignée de prendre des décisions au vu de ces informations.

En effet, son devoir est d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur 'les risques' de l'opération réalisée. La délivrance de ce conseil doit être effective, matériellement et intellectuellement, et il se doit non seulement de veiller, par un conseil adapté et des recherches préalables appropriées, à rédiger un acte efficace, correspondant à l'intention, voire aux mobiles, s'il les connaît, ou à l'intérêt immédiat des parties, mais aussi d'en discerner le risque d'évolution préjudiciable. Alerter des risques liés à une opération juridique implique également du notaire qu'il projette dans le temps son devoir d'information. Il doit alors anticiper sur les difficultés à naître de la situation juridique, régulière, susceptible de résulter de l'acte qu'il instrumente.

En l'espèce, au moment de l'acte en 2015, la position de l'administration fiscale sur l'opération immobilière projetée par la société Progimo, opération dont le notaire avait été dûment informé, à savoir l'exigence pour l'application de l'article 268 du code général des impôts de l'identité juridique des biens était appliquée depuis 5 ans et Me [M] aurait dû en aviser la société Progimo afin que celle-ci puisse faire procéder à une division préalable des lots et qu'a minima, l'acte notarié contienne une description des biens et une ventilation du prix de vente. Ainsi, les quatre ventes de lots de terrain à bâtir auraient pu bénéficier d'une TVA à la marge par identité juridique des biens achetés et revendus, la division des lots aurait de fait entraîner l'identité physique.

En revanche, le notaire ne pouvait pas savoir voire même anticiper qu'en 2016, soit postérieurement à la vente, l'administration fiscale allait durcir sa position en exigeant également une identité physique des biens, de sorte que la revente du bâti, si elle répondait à l'exigence de l'identité juridique, ne répondait pas à l'exigence de l'identité physique à la suite de sa division entre trois lots.

Le redressement fiscal visait d'une part le fait que 'l'acte d'achat se rapportait à un seul bien et celui-ci a fait l'objet de plusieurs actes de revente après division cadastrale du bien initial', d'autre part, 'l'acte d'achat ne mentionnait pas la division qui a été pratiquée sur le bien bâti. En effet, le bien bâti a été revendu en trois parties'. Dans la réponse à observations, l'administration fiscale précisait 'il ressort une dissemblance dans la nature des biens entre celui acquis et les biens revendus, quant aux caractéristiques physiques et à la qualification juridique, le bien initial étant un bien immobilier bâti et celui revendu consistant en biens bâtis et non bâtis. D'autre part, le bien bâti acquis a été divisé en trois parties alors que seules deux parties étaient mentionnées dans l'acte d'achat... la dissemblance s'applique aussi au prix'. Ce redressement s'appuie sur la doctrine fiscale en cours depuis 2010 et sur la doctrine fiscale en cours depuis 2016, mais s'agissant des biens non bâtis, la doctrine fiscale de 2016 aurait été sans conséquence puisque d'une part, la doctrine de 2010 avait vocation à s'appliquer et la seule division des lots non bâtis pour se conformer à cette doctrine aurait permis de remplir les deux conditions exigées ultérieurement, ce qui était différent pour le bâti qui conservait la même nature juridique, mais qui a fait l'objet du redressement par absence d'identité physique résultant de la seule doctrine fiscale de 2016.

En conséquence, le manquement du notaire, Me [M], à son devoir d'information et de conseil est caractérisé s'agissant de l'achat de la partie non bâtie de la propriété de Mmes [I] par la société Progimo en date du 28 janvier 2015, ce manquement n'ayant pas permis à la société Progimo de prendre des décisions pour éviter le redressement fiscal, et est en lien direct avec ce redressement fiscal subi.

- sur le préjudice :

Le notaire, comme sus-rappelé, est tenu d'une obligation de conseil en vertu de laquelle il doit fournir à son client les informations utiles et efficaces pour lui permettre de faire, en connaissance de cause, les choix appropriés à l'objectif affiché de l'opération à laquelle le professionnel prête son concours mais le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'un redressement fiscal ne constitue pas un dommage indemnisable et il est de principe que le préjudice ne peut découler du seul paiement auquel un contribuable est légalement tenu.(1re Civ., 29 mai 1996, pourvoi no 94-16.505 ; 4 novembre 2003, pourvoi no 00-21.044 ; 1er mars 2005, pourvoi no 03-19.775 ; 15 mars 2005, pourvoi no 03-19.989).

Cependant, il en va différemment lorsqu'il est établi que, dûment informé par son conseil, le client contribuable n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre.

En l'espèce, si la société Progimo, dûment avertie, avait poursuivi l'opération immobilière, elle aurait fait procéder à une division parcellaire préalable et à la ventilation du prix d'achat, ventilation qu'elle suggérait déjà dans un courriel adressé au notaire en 2014. Dans un tel cas, elle aurait bénéficié sur les quatre ventes de biens non bâtis de la tva à la marge.

Le notaire, Me [M] soutient que la société Progimo aurait pu faire une réclamation voire une action devant le tribunal administratif pour contester le redressement. Cependant, cet argument est inopérant dès lors que la victime n'a pas à minimiser ou à limiter son dommage.

Le préjudice lié au rappel de TVA sur les quatre ventes de biens non bâtis sera calculé comme suit au vu de la proposition de rectification du 11 mai 2017 : vente [S] : 20 390.40 euros ; vente Mouchriq : 19 315,20 euros ; vente Quarroz : 15 974,40 euros ; vente Cosset ; 17 779,23 euros, soit la somme de 73 459,23 euros, outre les pénalités de retard, qui s'élèvent, compte tenu de l'obtention d'une remise de 50 %, à 2 497,61 euros (taux de 6.8 % divisé par deux) soit un total de 75 956,84 euros, somme qui sera assortie du taux d'intérêt légal à compter de la présente décision.

Le jugement entrepris sera dès lors infirmé en ce qu'il a débouté la société Progimo de l'ensemble de ses demandes et M. [T] [M] sera condamné à payer à la société Progimo la somme de 75 956,84 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision, la société Progimo étant déboutée du surplus de sa demande de condamnation avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

II - Sur les demandes accessoires :

M. [M], succombant, sera tenu des dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Me Ratel, avocate, sur son affirmation de droit.

M. [M] sera débouté de sa demande d'indemnité procédurale.

L'équité commande de faire droit à la demande d'indemnité procédurale de la société Progimo à hauteur de 4 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

Condamne M. [T] [M] à payer à la société Progimo la somme de 75 956,84 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Déboute la société Progimo du surplus de sa demande de condamnation avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

Déboute M. [T] [M] de sa demande d'indemnité procédurale,

Condamne M. [T] [M] aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Me Isabelle Ratel, avocate, sur son affirmation de droit,

Condamne M. [T] [M] à payer à la société Progimo une indemnité procédurale de 4 000 euros.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le

à

Me Isabelle RATEL

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

Copie exécutoire délivrée le

à

Me Isabelle RATEL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/01299
Date de la décision : 29/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-29;20.01299 ?
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