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24/11/2022 | FRANCE | N°21/00332

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 24 novembre 2022, 21/00332


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 24 Novembre 2022



N° RG 21/00332 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GT67



Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON LES BAINS en date du 21 Janvier 2021, RG 2020J00003



Appelants



M. [B] [M]

né le [Date naissance 3] 1974 à [Localité 4] (BELGIQUE),

et

Mme [S] [E] épouse [M]

née le [Date naissance 1] 1963 à MAROC,

demeurant ensemble [Adresse 2]



Représent

és par Me Florent FRANCINA, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS



Intimée



S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE DE RHÔNE ALPES, dont le siège social est sis [Adresse 5] prise en la pe...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 24 Novembre 2022

N° RG 21/00332 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GT67

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON LES BAINS en date du 21 Janvier 2021, RG 2020J00003

Appelants

M. [B] [M]

né le [Date naissance 3] 1974 à [Localité 4] (BELGIQUE),

et

Mme [S] [E] épouse [M]

née le [Date naissance 1] 1963 à MAROC,

demeurant ensemble [Adresse 2]

Représentés par Me Florent FRANCINA, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimée

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE DE RHÔNE ALPES, dont le siège social est sis [Adresse 5] prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Céline JULIAND, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 04 octobre 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 11 janvier 2012, la Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes a consenti à la société [M] and Co un prêt professionnel d'un montant initial de 470.000 euros destiné à financer l'acquisition d'un fonds de commerce de bar, brasserie, restaurant, à l'enseigne Café de la Comédie, et à des travaux d'aménagement.

Le prêt était remboursable en 84 mensualités au taux de 3,88 % l'an.

Ce prêt était garanti par :

- le nantissement du fonds de commerce,

- l'engagement de caution solidaire de M. [B] [M], président de la société [M] and Co, dans la limite de 152.750 euros pendant une durée de 117 mois,

- l'engagement de caution solidaire de Mme [S] [E] épouse [M], son épouse, directrice générale et associée, dans la limite de 152.750 euros pendant une durée de 117 mois.

Par avenant du 4 juillet 2013, les parties ont convenu d'un différé d'amortissement de 12 mois.

Par jugement du 1er avril 2016, le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [M] and Co, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 9 octobre 2018. Me [N] [W] a été désigné en qualité de mandataire judiciaire dans ces deux procédures.

La Caisse d'épargne a déclaré sa créance au passif de la société [M] and Co le 27 avril 2016 pour un montant de 342.818,70 euros et a informé les cautions de la défaillance de l'entreprise par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 mai 2016.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 janvier 2019, la Caisse d'épargne a mis en demeure M. [M] et Mme [E] épouse [M] d'avoir à lui payer la somme de 152.750 euros chacun en exécution de leurs engagements de caution.

Cette mise en demeure étant restée sans effet, par actes délivrés le 27 décembre 2019, la Caisse d'épargne a fait assigner M. [M] et Mme [E] épouse [M] devant le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains pour obtenir leur condamnation au paiement de la somme de 152.750 euros chacun, en leur qualité de cautions du prêt n° 8977053, outre intérêts au taux de 3,88 % à compter du 4 janvier 2019, ainsi qu'une indemnité procédurale et les dépens.

M. [M] et Mme [E] épouse [M] se sont opposés aux demandes en soutenant que leurs engagements de caution sont manifestement disproportionnés à leurs revenus et patrimoines, que la banque a manqué à son obligation d'information et de mise en garde. Ils ont formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire rendu le 21 janvier 2021, le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains a :

jugé la demande de la Caisse d'épargne recevable,

débouté M. [M] et Mme [E] épouse [M] de leurs contestations, fins et conclusions,

condamné solidairement M. [M] et Mme [E] épouse [M] à payer à la Caisse d'épargne chacun la somme de 152.750 euros chacun au titre du prêt outre intérêts à compter du 4 janvier 2019 au taux de 3,88 % jusqu'à parfait paiement,

prononcé la capitalisation des intérêts échus pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil,

dit qu'il n'y a pas lieu à l'article 700 du code de procédure civile,

dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire,

condamné M. [M] et Mme [E] épouse [M] aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration du 15 février 2021 M. [M] et Mme [E] épouse [M] ont interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées le 15 mai 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [B] [M] et Mme [S] [E] épouse [M] demandent en dernier lieu à la cour de :

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil (dans leur version en vigueur au moment de la souscription du contrat de prêt),

Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation (dans sa version en vigueur au moment de la souscription du contrat de prêt),

déclarer recevable la déclaration d'appel de M. et Mme [M],

infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- déclaré recevable la demande de la Caisse d'épargne,

- débouté M. et Mme [M] de l'ensemble de leurs contestation, fins et conclusions ,

- condamné M. et Mme [M] à payer à la Caisse d'épargne chacun la somme de 152.750 euros au titre du prêt outre intérêts à compter du 4 janvier 2019 au taux de 3,88 % jusqu'à parfait paiement,

- ordonné la capitalisation des intérêts échus,

- dit qu'il n'y a pas lieu à l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme [M] aux entiers dépens de l'instance,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

dire et juger que les cautionnements solidaires consentis le 11 janvier 2012 par M. et Mme [M] pour un montant chacun de 152.750 euros, sont manifestement disproportionnés à leurs revenus au jour de la souscription desdits engagements, notamment en tenant en compte du ratio d'endettement de ces derniers,

dire et juger que la Caisse d'épargne n'a pas respecté son obligation de vérification de l'état patrimonial des cautions solidaires, ainsi qu'il ressort de l'absence d'établissement de fiche sur la situation financière et patrimoniale de M. et Mme [M] ;

dire et juger que la Caisse d'épargne a manqué à son devoir de proportion, à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde,

dire et juger qu'en conséquence la Caisse d'épargne ne peut se prévaloir des cautionnements imposés à M. et Mme [M],

condamner en conséquence la Caisse d'épargne à verser la somme de 10.000 euros à M. et Mme [M] au titre de l'indemnisation du préjudice subi par ces derniers en raison des manquements du prêteur,

A titre subsidiaire,

octroyer des délais de paiement à M. et Mme [M] de vingt-quatre mois pour les sommes dues, outre un intérêt légal à taux réduit, qui ne saurait être supérieur au taux légal en vigueur,

En tout état de cause,

condamner la Caisse d'épargne à verser la somme de 5.000 euros à M. et Mme [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la même aux entiers dépens de premier instance et d'appel dont distraction au profit de Me Francina, avocat au barreau de Thonon-les-Bains.

Par conclusions notifiées le 3 août 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes demande en dernier lieu à la cour de :

Vu les articles 1134, 1147 et 1153 du code civil dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit des obligations s'agissant de contrats en cours lors de l'entrée en vigueur de la réforme,

Vu l'article 1343-2 et 1343-5 du code civil,

Vu les articles 9 et 515 du code de procédure civile,

Vu l'article L.110-4 du code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- jugé la demande de la Caisse d'épargne recevable,

- débouté M. et Mme [M] de leurs contestations, fins et conclusions,

- condamné solidairement M. et Mme [M] à payer à la Caisse d'épargne la somme de 152.750 euros chacun au titre du prêt outre intérêts à compter du 4 janvier 2019 au taux de 3,88 % jusqu'à parfait paiement,

- prononcé la capitalisation des intérêts échus pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil,

- condamné M. et Mme [M] aux entiers dépens de première instance,

Statuant à nouveau,

juger que la demande de dommages-intérêts formée par les époux [M] est prescrite et la déclarer irrecevable,

débouter purement et simplement M. et Mme [M] de l'intégralité de leurs contestations, fins et conclusions,

juger que les époux [M] ne justifient pas de leur situation financière actuelle et qu'ils ont d'ores et déjà bénéficié de larges délais,

débouter M. et Mme [M] de leur demande de délais de paiement,

à titre subsidiaire, pour le cas où la cour allouerait tout de même des délais de paiement aux débiteurs,

les assortir de la clause de déchéance habituelle en telle matière ;

En tout état de cause :

condamner M. et Mme [M] in solidum à payer à la Caisse d'épargne la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,

condamner M. et Mme [M] in solidum aux entiers dépens d'appel.

L'affaire a été clôturée à la date du 5 septembre 2022 et renvoyée à l'audience du 4 octobre 2022, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 24 novembre 2022.

MOTIFS ET DÉCISION

1/ Sur la disproportion des engagements de caution

Les engagements de caution objet du présent litige ont été signés par M. et Mme [M] le 11 janvier 2012, de sorte que sont applicables les articles du code civil dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

En application de l'article 1134 ancien du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Conformément aux articles 2288 et suivants du même code, celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même. Le cautionnement ne se présume point. Il doit être exprès et on ne peut l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.

L'article L.341-4 du code de la consommation, en vigueur au jour de la signature des actes de caution litigieux (devenu l'article L.332-1), dispose toutefois qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

L'appréciation de la disproportion se fait à la date de la conclusion de l'engagement de caution, à charge pour la caution qui l'invoque de démontrer son existence. Si la disproportion est démontrée, le créancier peut toutefois rapporter la preuve que le patrimoine de la caution est suffisant pour honorer l'engagement au jour de l'appel en garantie. A défaut, l'acte de cautionnement est inopposable à la caution.

Cette disposition est mobilisable par toutes les cautions personnes physiques, qu'elles soient ou non averties.

En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que, lors de la signature des engagements de caution des époux [M], ceux-ci ont renseigné chacun une fiche patrimoniale distincte datée du 29 avril 2011. En effet, outre qu'ils sont mariés sous le régime de la séparation de biens, les deux actes de caution sont distincts et se cumulent. La disproportion doit donc s'apprécier distinctement pour chacun des deux époux, et non de manière globale, contrairement à ce qui est conclut tant par les appelants que par la banque.

Par ailleurs, la disproportion s'appréciant à la date de souscription de l'engagement, il ne peut être tenu compte de la situation déclarée par les appelants à l'occasion de la souscription d'un nouvel engagement de caution en mai 2012 (leur pièce n° 3).

L'examen des fiches de renseignements datées du 29 avril 2011 (pièces n° 16 et 17 de l'intimée) révèle que :

- Mme [M] a déclaré être propriétaire de trois biens immobiliers dans les Yvelines (78), à savoir une maison (valeur 300.000 euros), et deux appartements (chacun d'une valeur de 150.000 euros), ainsi que de la SARL Agence de la Longère. Elle a également déclaré avoir trois prêts immobiliers en cours relatifs aux biens immobiliers pour un montant total de capital dû de 426.813 euros (177.000 + 101.813 + 148.000).

- M. [M] a déclaré être propriétaire d'un appartement d'une valeur de 150.000 euros pour lequel il rembourse un emprunt dont le capital dû est de 148.000 euros.

Il convient de relever qu'aucun des deux époux n'a renseigné sa profession et ses revenus, mais qu'ils indiquent que leurs revenus annuels à la même période s'élevaient pour le foyer à 37.091 euros, ce que la banque ne conteste pas.

A ces éléments de patrimoine doivent être ajoutées les parts détenues dans diverses sociétés, à savoir :

- la SARL Agence de la Longère (pièce n° 18 de l'intimée), soit 5.775 euros (77 parts de 75 euros) pour Mme [M], et 975 euros pour M. [M] (13 parts de 75 euros),

- la société débitrice principale [M] and Co (pièce n° 14 de l'intimée) pour 1.000 euros chacun,

- la SARL [X] (pièce n° 19 de l'intimée), pour 17.500 euros chacun.

Concernant les biens immobiliers, il ressort de la lecture attentive des fiches de renseignements et des autres éléments produits que l'un d'entre eux est détenu conjointement par les deux époux, soit en indivision compte tenu de leur régime matrimonial, bien que la proportion pour chacun ne soit pas précisée. Il apparaît que le bien en question est un appartement d'une valeur de 150.000 euros, pour lequel ils remboursent alors un emprunt dont le capital dû est de 148.000 euros (mensualités de 800,02 euros). En l'absence de tout autre élément il convient de retenir que chacun détenait la moitié de ce bien soit 75.000 euros chacun, et la même proportion pour le prêt.

Le patrimoine net de chacun des deux époux s'élevait donc, au 11 janvier 2012, selon les éléments déclarés et ceux dont disposait la banque, à :

- pour Mme [M] :

patrimoine immobilier 525.000 euros

parts sociales 24.275 euros

emprunts en cours - 352.813 euros

patrimoine net 196.462 euros

- pour M. [M] :

patrimoine immobilier 75.000 euros

parts sociales 19.475 euros

emprunts en cours - 74.000 euros

patrimoine net 20.475 euros

A la date de la souscription des engagements de caution litigieux, le 11 janvier 2012, les époux [M] étaient déjà engagés auprès de la Caisse d'épargne, en qualité de cautions de la société [X], en garantie d'un prêt de 400.000 euros d'une durée de 84 mois, à concurrence de 156.000 euros chacun, selon actes du 16 mai 2011 (pièce n° 1 des appelants), ce que reconnaît la banque.

Cet engagement doit donc s'ajouter à celui consenti le 11 janvier 2012 au profit de la société [M] and Co, objet du présent litige, à concurrence de 152.750 euros chacun.

Ainsi, Mme [M], au jour de l'engagement de caution du 11 janvier 2012, était engagée pour un total de 308.750 euros au profit de la Caisse d'épargne, pour un patrimoine net de 196.462 euros. M. [M] était quant à lui engagé pour le même montant avec un patrimoine net de 20.475 euros.

Ils n'étaient donc ni l'un ni l'autre en mesure de faire face à ces engagements manifestement disproportionnés au regard de leurs biens et revenus à la date à laquelle ils ont été consentis.

La Caisse d'épargne soutient que à tout le moins Mme [M] serait revenue à meilleure fortune et que la disproportion éventuelle aurait disparu, en arguant de la détention de la totalité des parts sociales de la société Blue Léman d'un capital de 325.000 euros.

Les appelants n'ont pas répondu sur ce point.

Or il résulte de la pièce n° 26 produite par la banque (statuts de la société Blue Léman mis à jour au 4 juin 2019) que Mme [M] est l'associée unique de la SARL Blue Léman dont le capital social est de 325.000 euros après apport qu'elle y a fait des parts détenues dans deux autres sociétés. Aussi, et en considération du patrimoine immobilier déjà déclaré, dont il n'est pas prétendu qu'il aurait été vendu, il apparaît que la disproportion de l'engagement de caution de Mme [M] a disparu au jour où la banque l'a appelée.

La Caisse d'épargne est donc bien fondée à obtenir de Mme [M] le paiement des sommes pour lesquelles elle s'est portée caution.

A l'encontre de M. [M], faute pour la banque de rapporter la preuve que la disproportion aurait disparu au jour où son engagement de caution a été mis en oeuvre, il convient de dire que cet engagement lui est inopposable et la Caisse d'épargne sera déboutée de toute demande à son encontre.

Mme [M] sera donc seule condamnée à payer à la Caisse d'épargne la somme de 152.750 euros, outre intérêts au taux légal, à défaut de mention du taux contractuel dans l'engagement de caution, à compter de la mise en demeure du 4 janvier 2019, avec capitalisation des intérêts dus par année entière, conformément aux dispositions de l'article 1154 ancien du code civil.

2/ Sur les obligations de la banque

M. et Mme [M] soutiennent que la Caisse d'épargne a manqué à leur égard à son obligation de conseil et d'information et à son devoir de mise en garde. A cet effet ils font valoir que la Caisse d'épargne a multiplié les concours consentis aux diverses sociétés détenues par eux, le montant global des prêts consentis s'élevant à 870.000 euros en 2014, garantis par des engagements de caution de 328.737,50 euros pour chacun des deux époux. Ils réclament en conséquence des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'ils soutiennent avoir subi, évalué à 10.000 euros.

La Caisse d'épargne soutient que cette demande est prescrite et, sur le fond, que les cautions étant averties, la banque n'était pas tenue de ces obligations à leur égard.

Le banquier dispensateur de crédit est tenu, envers la caution d'un devoir de mise en garde et sa responsabilité peut être engagée pour manquement à ce devoir si l'engagement de caution n'est pas adapté soit aux capacités financières de la caution, soit au risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel s'apprécie compte tenu d'un risque caractérisé de défaillance du débiteur.

Pour que l'engagement de la responsabilité du prêteur puisse être retenu sur ce fondement, il est toutefois nécessaire que la caution ne soit pas une caution avertie. De sorte que la prescription invoquée n'a lieu d'être examinée que si les appelants ne sont considérés comme des profanes.

Or en l'espèce, il résulte des éléments produits (pièce n° 20 de la banque) que Mme [M] ne peut qu'être qualifiée de caution avertie puisqu'il est établi qu'elle était déjà gérante et associée d'une société Agence de la Longère, dans les Yvelines depuis 2005 (agence immobilière), avant de venir s'installer en Haute-Savoie, où elle a créé pas moins de trois sociétés, dont deux avec son époux ([M] and Co et [X]) et une dont elle est seule associée (Blue Léman) issue de deux autres dont elle était également associée, exerçant vraisemblablement une activité d'agent immobilier.

Concernant M. [M], il ressort des pièces produites, qu'il a créé avec son épouse deux sociétés pour ouvrir deux établissements de restauration distincts, en engageant des fonds importants, et disposait déjà d'une expérience dans ce domaine depuis 2004 (pièce n° 21 de la banque), de sorte qu'il est également une caution avertie.

Aussi, la banque n'était-elle pas tenue du devoir de mise en garde à leur égard et aucune responsabilité ne peut être recherchée de ce chef, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la prescription invoquée.

Concernant la prétendue responsabilité de la banque pour octroi de crédit excessif, la cour ne peut que constater que les appelants confondent les emprunts consentis à des sociétés différentes, de sorte qu'ils ne peuvent être cumulés. Les éléments produits ne mettent en évidence aucun crédit abusif de la part de la Caisse d'épargne à l'égard de la société [M] and Co, étant souligné que le sort actuel de la société [X] n'est même pas précisé.

En conséquence la demande reconventionnelle de Mme [M] en dommages et intérêts à l'encontre de la banque ne peut qu'être rejetée.

3/ Sur les autres demandes

Mme [M] sollicite des délais de paiement pour s'acquitter de sa dette.

Toutefois, elle ne justifie pas de sa situation actuelle, notamment quant aux revenus qui sont complètement ignorés, et elle ne précise pas de quelle manière elle pourrait payer la somme mise à sa charge dans le délai de deux ans prévu par l'article 1343-5 du code civil.

Cette demande sera donc rejetée.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties.

Mme [M], qui succombe à titre principal, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains le 21 janvier 2021 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare inopposable à M. [B] [M] l'engagement de caution signé par lui le 11 janvier 2012 au profit de la Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes, en garantie d'un prêt consenti à la société [M] and Co, en raison de la disproportion de cet engagement à ses revenus et son patrimoine,

En conséquence, déboute la Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes des demandes en paiement formées contre M. [B] [M],

Condamne Mme [S] [E] épouse [M] à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes la somme de 152.750 euros outre intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2019, en sa qualité de caution de la société [M] and Co (engagement de caution du 11 janvier 2012),

Dit que les intérêts dûs pour une année entière porteront eux-mêmes intérêts,

Déboute M. [B] [M] et Mme [S] [E] épouse [M] de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

Déboute Mme [S] [E] épouse [M] de sa demande de délais de paiement,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties,

Condamne Mme [S] [E] épouse [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Ainsi prononcé publiquement le 24 novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/00332
Date de la décision : 24/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-24;21.00332 ?
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