La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/11/2022 | FRANCE | N°21/00544

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 17 novembre 2022, 21/00544


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 17 Novembre 2022





N° RG 21/00544 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GUX6



Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge des contentieux de la protection de THONON LES BAINS en date du 09 Février 2021, RG 20/00736



Appelants



M. [G] [J]

né le 20 Mars 1957 à [Localité 4] - ALGERIE,

et

Mme [E] [P] épouse [J]

née le 23 Octobre 1954 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 3]



Représ

entés par Me Isabelle RATEL, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS



Intimé



OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DE LA HAUTE-SAVOIE - HAUTE-SAVOIE HABITAT dont le siège social est sis [Adresse 1] prise en...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 17 Novembre 2022

N° RG 21/00544 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GUX6

Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge des contentieux de la protection de THONON LES BAINS en date du 09 Février 2021, RG 20/00736

Appelants

M. [G] [J]

né le 20 Mars 1957 à [Localité 4] - ALGERIE,

et

Mme [E] [P] épouse [J]

née le 23 Octobre 1954 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 3]

Représentés par Me Isabelle RATEL, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimé

OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DE LA HAUTE-SAVOIE - HAUTE-SAVOIE HABITAT dont le siège social est sis [Adresse 1] prise en la personne de son représentant légal

Représenté par la SELARL CABINET ALCALEX, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELAS LEGA-CITE, avocat plaidant au barreau de LYON

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 27 septembre 2022 par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Fabrice GAUVIN Conseiller, avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, qui a rendu compte des plaidoiries

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [G] [J] et Mme [P] [E] sont au bénéfice d'un contrat de bail conclu avec l'Office Public Habitat de la Haute-Savoie (ci-après l'OPH de la Haute-Savoie) le 28 février 1995 portant sur un appartement situé dans le quartier des '[Adresse 2] contre un loyer mensuel initialement fixé à la somme de 1 345,15 FF, outre les charges.

En 2018, les habitants du quartier se sont plaints de la multiplication d'incivilités, dégradations et nuisances pouvant impliquer les enfants de M. [G] [J] et Mme [P] [E].

Par acte du 17 décembre 2019, l'OPH de la Haute-Savoie a assigné M. [G] [J] et Mme [P] [E] devant le tribunal d'instance de Thonon-Les-Bains en résiliation judiciaire du contrat, expulsion et paiement d'indemnité d'occupation.

Par jugement contradictoire du 9 février 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Thonon-Les-Bains a notamment :

- prononcé la résiliation du bail liant les parties,

- dit qu'à défaut pour M. [G] [J] et Mme [P] [E] d'avoir libéré les lieux dans les deux mois de la signification du commandement de quitter les lieux, il pourra être procédé à leur expulsion ainsi qu'à celle de tout habitant de leur chef avec l'assistance de la force publique si besoin est,

- condamné solidairement M. [G] [J] et Mme [P] [E] à payer à l'OPH de la Haute-Savoie une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des charges qui aurait été dû en cas de non résiliation du bail, à compter de la signification du jugement,

- condamné in solidum M. [G] [J] et Mme [P] [E] à payer à l'OPH de la Haute-Savoie la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [G] [J] et Mme [P] [E] aux dépens.

Par déclaration du 12 mars 202,1 M. [G] [J] et Mme [P] [E] ont interjeté appel du jugement.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 3 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [G] [J] et Mme [P] [E] demandent à la cour de :

- les recevoir en leurs demandes fins et prétentions d'appelant,

- les y déclarer bien fondés,

en conséquence,

- infirmer la décision du juge du contentieux et de la protection du 9 février 2021,

statuant à nouveau,

- dire et juger qu'il n'existe aucun manquement à leurs obligations contractuelles,

- dire et juger qu'il n'y a lieu à prononcer la résiliation du bail aux torts des preneurs et l'expulsion du logement pris à bail,

- condamner l'Office Public de l'Habitat à leur payer la somme de 1 800 euros au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'Office Public de l'Habitat aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Isabelle Ratel, avocat au Barreau de Thonon les Bains, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

En réplique, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, l'OPH de la Haute-Savoie demande à la cour de :

- rejeter l'ensemble des demandes et prétentions formulées par M. [G] [J] et Mme [P] [E] dans leurs conclusions en appel,

En conséquence,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- condamner M. [G] [J] et Mme [P] [E] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la résiliation du bail

L'article 1728 du code civil dispose que, dans un contrat de bail, le preneur est tenu, au titre de l'un de ses deux obligations principales, d'user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d'après les circonstances, à défaut de convention.

L'article 7 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 précise pour sa part que le locataire est obligé d'user paisiblement des lieux loués suivant la destination qui leur en a été donné par le contrat de bail.

Il résulte de ces textes que le locataire doit s'abstenir de tout comportement pouvant nuire au logement donné à bail et à la tranquillité des lieux dans lesquels ce contrat s'exécute.

Il est constant que l'article 1728 du code civil doit se combiner avec l'article 1735 du code civil disposant que le preneur est tenu des dégradations et des pertes qui arrivent par le fait des personnes de sa maison ou de ses sous-locataires. Cette obligation inclut toutes les personnes que le preneur accueille volontairement dans les lieux et qu'il est, de ce point de vue et notamment, responsable des enfants, même majeurs, vivant sous son toit (cass. civ. 3, 10 novembre 2009, n°09-11.021).

S'agissant des troubles prenant la forme de violences, agressions ou intimidations, la jurisprudence distingue les faits s'exerçant contre les autres locataires de ceux s'exerçant contre le bailleur ou ses agents. S'agissant de ce dernier cas, elle est moins restrictive que pour le premier en admettant que les violences justifient la résiliation du bail quel que soit le lieu de commission (cass. civ. 3, 17 décembre 2020, n°18-24.823).

En revanche, s'agissant du premier cas, les actes doivent avoir été commis dans les lieux loués ou dans leurs abords immédiats comme, par exemple, les parties communes d'un immeuble. Ainsi, en présence de troubles causés par les enfants majeurs du locataire se traduisant par des atteintes à la tranquillité du voisinage et par des pétitions signées par les voisins du quartier, il est nécessaire de caractériser le fait que les troubles se sont déroulés dans les lieux donnés à bail (cass. civ. 3, 14 octobre 2009 n°08-12.744).

En l'espèce, le bailleur évoque des troubles causés par les enfants de M. [G] [J] et Mme [P] [E] commis dans le quartier [Adresse 2], étant entendu que les lieux loués se situent au deuxième étage du bâtiment B2. Il produit :

- plusieurs dépôts de plainte (pièces n°2, 7) :

- le 12 mars 2018 des dégradations sur la porte d'une cave réservée à la femme de ménage dans l'immeuble B3,

- le 15 avril 2018 pour des portes et vitres cassées, ainsi que des tags au bâtiment B2,

- le 28 mai 2018 pour des tags sur plusieurs bâtiments,

- le 8 juin 2018 pour des dégradations commises sur les portes de la cave du bâtiment B3,

- le 21 novembre 2018 pour des dégradations sur les vitres des bâtiments B2, B3 et C1, des boîtes aux lettres aux bâtiments B2 et B3, le panneau d'affichage du bâtiment B2 et le grillage du sous-sol du bâtiment B3 ; il convient de constater que ces plaintes ne rapportent pas de violences contre le bailleur ou ses agents, ne visent en aucun cas les enfants des preneurs et ne concernent pas que le bâtiment B2.

- une plainte d'une habitante du bâtiment B2 en date du 10 octobre 2018 (pièces n°3 et 4) ainsi qu'une lettre de demande de logement relatant qu'elle est sans cesse importunée par un groupe de jeunes habitant le quartier ou son immeuble et dénonçant des dégradation et des insultes ; cette plainte ne vise pas les enfants des locataires ;

- un texte non signé, daté du 28 septembre 2018, relatant divers incidents se déroulant 'sur la [Adresse 2]' (pièce n°5), visant, pour certains faits, [N] [J] mais précisant qu'il réside au bâtiment D1 chez ses grands parents ou son frère [K] mais toujours pour le bâtiment D1 ;

- un texte non signé, daté du 17 août 2018 sur des incivilités ne nommant pas les enfants des locataires (pièce n°6) ;

- un courrier du 18 mai 2019, adressé par le bailleur aux locataires, d'invitation à une réunion en mairie et un autre en date du 24 avril 2019 déplorant leur absence à cette réunion (pièces 8 et 9) ;

- une pétition non datée dénonçant des incivilités commises par 'un petit noyau de jeunes [Adresse 2] et extérieurs' (pièce 10) ;

- une main courante du 15 avril 2019 où une personne du pavillon 110 se plaint de la disparition de chaises de jardin et d'un banc ce dernier ayant été retrouvé dans le sous-sol du bâtiment B2 ; le déclarant soupçonne [H] [Y] et [W] [J] (pièce 11) ; la cour observe qu'il ne s'agit que de soupçons pour des faits non commis dans les lieux loués ;

- une attestation de la même personne visant [W] [J] mais pour des faits commis en dehors de l'immeuble de ses parents et disant avoir toujours eu des problèmes avec les 3 enfants [J] sans toutefois leur imputer des faits précis (pièce 12),

- des éléments de procédure pénale pour des violences commises le 1er septembre 2019 par l'un des fils [J] (pour lesquelles il a été pénalement condamné) contre des passants et loin des lieux loués (au niveau du terrain de foot, pièces 13 à 15),

- une lettre évoquant le fait que [N] [J] squatte l'appartement de ses grands-parents (pièce 24),

- une attestation en date du 27 novembre 2020 de la même habitante du pavillon 110 qui dit avoir reçu de nombreuses plaintes de la part d'une grande partie des habitants du quartier 'par rapport aux enfants de la famille [J]' (pièce 20) ; il n'y a aucune précision quant aux faits ou aux lieux concernés ;

- un constat d'huissier du 19 août 2021 relatant deux attestations des 26 novembre 2020 et 15 mars 2021 ; la première vise [W] [J] pour un bris de vitre dans un lieu non précisé, la seconde parle d'incivilités 'dans le quartier' impliquant les fils [J] (pièce 21) ;

- un constat d'huissier du 23 août 2021 relatant une attestation du 19 août 2021 précisant que les locataires ne veulent plus témoigner par peur de représailles de la famille [J] (pièce 22).

Il en résulte que, s'il est établi que des jeunes gens ont rendu la vie du quartier [Adresse 2] très difficile en multipliant des incivilités intolérables et des violences inadmissibles, rien ne permet d'établir une faute au sens de la jurisprudence ci-dessus rappelée à l'encontre des enfants des locataires pouvant justifier une résiliation du bail de leurs parents.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de débouter l'OPH de la Haute-Savoie de l'ensemble de ses demandes.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Par application de l'article 696 du code de procédure civile, l'OPH de la Haute-Savoie qui succombe sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ceux d'appel distraction au profit du conseil de M. [G] [J] et Mme [P] [E], conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. L'OPH de la Haute-Savoie sera également débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.

Au regard des circonstances très particulières de l'espèce, aucune considération d'équité ne permet de faire supporter à l'OPH de la Haute-Savoie tout ou partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par M. [G] [J] et Mme [P] [E]. Ils seront donc déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Infirme en toute ses dispositions le jugement déféré,

Déboute l'Office Public Habitat de la Haute-Savoie de ses demandes,

Y ajoutant,

Condamne l'Office Public Habitat de la Haute-Savoie aux dépens de première instance et d'appel, maître Isabelle Ratel étant autorisée à recouvrer directement contre lui ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,

Déboute l'Office Public Habitat de la Haute-Savoie ainsi que M. [G] [J] et Mme [P] [E] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 17 novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/00544
Date de la décision : 17/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-17;21.00544 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award