COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 10 Novembre 2022
N° RG 22/00054 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G4LK
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 08 Février 2018, RG 15/00269 - Arrêt de la Cour d'Appel de GRENOBLE en date du 15 Juillet 2020, RG 18/01451 - Arrêt de la Cour de Cassation de PARIS en date du 17 Novembre 2021, Pourvoi N°S 20-20.381
Appelante et demanderesse à la saisine
Mme [H] [F]
née le 25 Avril 1953 à [Localité 16], demeurant [Adresse 14]
Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL AVK ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de CLERMONT-FERRAND
Intimés et Défendeurs à la saisine
Mme [C] [R], demeurant [Adresse 14]
M. [X] [L], demeurant [Adresse 14]
Mme [N] [F] épouse [L], demeurant [Adresse 14]
Représentés par la SELARL EUROPA AVOCATS, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL LEXWAY, avocat plaidant au barreau de GRENOBLE
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 20 septembre 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [H] [F] est propriétaire dans la commune [Localité 13], anciennement commune de [Localité 16], des parcelles cadastrées AD [Cadastre 8] (après donation partage du 24 août 1976 de sa mère [V] [O]), [Cadastre 5] et [Cadastre 1] (après donation par sa soeur [P] [F] du 13 mars 2009).
Sa soeur, Mme [N] [F] épouse [L], a elle-même reçu la propriété de la parcelle AD [Cadastre 9] par donation partage du 24 août 1976 de sa mère [V] [O], et a fait l'acquisition, avec son époux, de deux parcelles voisines AD [Cadastre 7] et AD [Cadastre 6] respectivement en 1980 et 1981.
Par acte authentique du 7 février 2006, M. et Mme [L] ont vendu à Mme [C] [R] les trois parcelles AD [Cadastre 9], AD [Cadastre 6] et AD [Cadastre 7].
Toutes les parcelles appartenant à Mme [H] [F] d'une part et à Mme [C] [R] d'autre part donnent sur une parcelle non bâtie, cadastrée AD [Cadastre 3], dont la propriété fait litige.
Le 21 décembre 2012, les époux [L] ont fait établir devant notaire un acte de notoriété de prescription acquisitive de la parcelle AD [Cadastre 3] qu'ils ont vendue, le même jour, à Mme [C] [R].
Par acte du 13 janvier 2015, Mme [H] [F] a fait assigner Mme [C] [R] et les époux [L] devant le tribunal de grande instance de Grenoble en annulation des actes authentiques du 21 décembre 2012 valant notoriété acquisitive et vente de la parcelle AD [Cadastre 3].
Mme [H] [F] a essentiellement soutenu que cette parcelle, initialement en indivision, n'a fait l'objet d'aucune prescription acquisitive au profit de sa soeur Mme [L] ou de Mme [R], mais que, au contraire, c'est elle-même qui pourrait en revendiquer la propriété.
Les défendeurs se sont opposés aux demandes en soutenant avoir prescrit la propriété de cette parcelle.
Par jugement contradictoire rendu le 8 février 2018, le tribunal de grande instance de Grenoble a rejeté toutes les demandes de Mme [H] [F] ainsi que la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par les défendeurs, et condamné Mme [H] [F] à verser aux époux [L] et à Mme [C] [R], ensemble, la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Mme [H] [F] a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt rendu le 15 juillet 2020, la cour d'appel de Grenoble a:
- infirmé le jugement déféré et statuant à nouveau,
- dit que la parcelle située sur la commune [Localité 13], anciennement commune de [Localité 16], lieudit le [Localité 12], cadastrée AD [Cadastre 3], appartient en indivision à [H] [F] et [C] [R],
- en conséquence, annulé l'acte authentique du 21 décembre 2012 contenant notoriété acquisitive au profit de [X], [A], [I] [L] et de [N], [B] [W], [K] [F] épouse [L] portant sur la parcelle sise commune de [Localité 16] (devenue commune [Localité 13]) (Isère), cadastrée AD n° [Cadastre 3] lieu-dit [Localité 12] pour 1 a 48 ca, publié à la conservation des hypothèques de Grenoble 3ème bureau, le 16 janvier 2013 numéro 2013 P283,
- annulé l'acte authentique de vente du [Cadastre 3] décembre 2012 passé entre [X], [A], [I] [L] et [N], [B] [W], [K] [F] épouse [L] et [C] [R] portant sur la parcelle sise commune de [Localité 16] (devenue commune [Localité 13]) (Isère), cadastrée AD n° [Cadastre 3] lieu-dit [Localité 12] pour 1 a 48 ca, publié à la conservation des hypothèques de Grenoble 3ème bureau, le 16 janvier 2013 numéro 2013 P286,
- ordonné la publication de l'arrêt au service de la publicité foncière,
- condamné in solidum les époux [L] et Mme [R] à payer à Mme [H] [F] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les époux [L] et Mme [R] aux dépens de première instance et d'appel.
M. et Mme [L] et Mme [R] ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Par arrêt rendu le 17 novembre 2021, la Cour de cassation, 3ème chambre civile, a:
cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble,
remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry,
condamné Mme [F] aux dépens,
en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par Mme [F] et l'a condamnée à payer à M. et Mme [L] et à Mme [R] la somme globale de 3.000 €.
Par déclaration du 11 janvier 2022, Mme [H] [F] a saisi la cour d'appel de Chambéry pour qu'il soit statué sur l'appel formé contre le jugement du 8 février 2018.
Par conclusions notifiées le 15 juillet 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme [H] [F] demande en dernier lieu à la cour de:
Vu les articles L 162-1 et suivants du code rural,
Vu l'article 12 du code de procédure civile,
Vu les articles 2258 et suivants du code civil,
Vu les articles 682 et suivants du code civil,
Vu l'article 1165 du code civil (ancienne rédaction)
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces,
infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble, le 8 Février 2018 (RG 15/00269), en ce qu'il a :
- rejeté toutes les demandes de Mme [H] [F],
- condamné Mme [H] [F] à verser à Mme [N] [F] épouse [L], Monsieur [X] [L] et Mme [R] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [F] aux entiers dépens de l'instance.
Partant réformer ce jugement et statuer à nouveau,
En conséquence,
A titre principal,
dire et juger que la parcelle AD [Cadastre 3] située commune [Localité 13] (anciennement commune de [Localité 16]), lieudit [Localité 12] (Isère) est l'assiette d'un chemin d'exploitation,
débouter M. et Mme [L] et Mme [R] de leurs prétentions visant à voir reconnaître leur prescription acquisitive sur cette parcelle,
A tout le moins,
dire et juger que la parcelle AD [Cadastre 3] située commune [Localité 13] (anciennement commune de [Localité 16]), lieudit [Localité 12] (Isère) est soumise à l'indivision,
débouter M. et Mme [L] et Mme [R] de leurs prétentions visant à voir reconnaître leur prescription acquisitive sur cette parcelle,
En conséquence,
prononcer:
- l'annulation, et à tout le moins l'inopposabilité à Mme [F], de l'acte authentique du 21 décembre 2012 contenant notoriété acquisitive au profit de M. et Mme [L] portant sur la parcelle sise commune de [Localité 16] (devenue commune [Localité 13]) (Isère), [Localité 12] cadastrée AD n° [Cadastre 3] lieu-dit [Localité 12] pour 1a 48 ca publié à la conservation des hypothèques de Grenoble 3ème bureau, le 16 janvier 2013 numéro 2013 P283,
- en conséquence, l'annulation, et à tout le moins l'inopposabilité à Mme [F], de l'acte authentique de vente du 21 décembre 2012 passé entre M. et de Mme [N], [B] [W], [K] [F] épouse [L] et Mme [R] portant sur la parcelle cadastrée sise commune de [Localité 16] (devenue commune [Localité 13]) (Isère), [Localité 12] cadastrée AD n° [Cadastre 3] lieu-dit [Localité 12] pour 1a 48 ca publié à la conservation des hypothèques de Grenoble 3ème bureau, le 16 janvier 2013 numéro 2013 P286,
ordonner la publication, à la conservation des hypothèques compétente, de la décision à intervenir,
A titre subsidiaire,
Si par extraordinaire la prescription acquisitive était retenue,
dire et juger que les parcelles AD [Cadastre 1], AD [Cadastre 8] et AD [Cadastre 5] situées commune de [Localité 16] (devenue commune [Localité 13]) (Isère), lieu-dit [Localité 12] sont enclavées,
dire et juger qu'une servitude de passage et de stationnement d'un véhicule, aux fins de désenclavement, grève la parcelle AD [Cadastre 3] susvisée, et ce, au profit des parcelles AD [Cadastre 1], AD [Cadastre 8] et AD [Cadastre 5],
désigner un géomètre expert, à frais partagés entre les parties, aux fins d'établir, notamment par la réalisation d'un plan côté, les conditions de cette servitude qui doit permettre le passage et le stationnement d'un véhicule,
débouter M. et Mme [L] et Mme [R] de l'ensemble de leurs conclusions, fins, demandes et prétentions,
condamner, in solidum, M. et Mme [L] et Mme [R] à verser à Mme [F] la somme de 5 000.00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner les mêmes aux entiers dépens qui comprendront notamment le coût du constat d'huissier de Me [T].
Par conclusions notifiées le 30 juin 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. et Mme [L] et Mme [R] demandent en dernier lieu à la cour de :
Vu les pièces produites,
Vu les dispositions de l'article 261 du code civil,
confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble le 08 février 2018 en ce qu'il a débouté et rejeté toutes les demandes de Mme [F],
en conséquence, débouter Mme [F] de sa demande tendant à dire et juger que la parcelle AD [Cadastre 3] située commune [Localité 13], lieu-dit [Localité 12] est l'assiette d'un chemin d'exploitation,
débouter Mme [F] de sa demande d'annulation de l'acte authentique du 21 décembre 2012 contenant notoriété acquisitive au profit de M. et Mme [L] portant sur la parcelle située commune [Localité 13], lieu-dit [Localité 12], cadastrée AD numéro [Cadastre 3],
débouter Mme [F] de sa demande d'annulation de l'acte de vente du 21 décembre 2012 passé par M. et Mme [L] et Mme [R] portant sur la parcelle située commune [Localité 13], lieu-dit [Localité 12], cadastrée AD numéro [Cadastre 3],
débouter également Mme [F] de ses demandes tendant à voir dire et juger qu'une servitude de passage et de stationnement d'un véhicule aux fins de désenclavement, grève la parcelle AD [Cadastre 3],
débouter Mme [F] de ses demandes tendant à voir dire et juger que les parcelles AD [Cadastre 1], AD [Cadastre 8] et AD [Cadastre 5] situées sur la commune de [Localité 16], lieu-dit [Localité 12] sont enclavées,
débouter Mme [F] de sa demande tendant à obtenir la désignation d'un expert géomètre,
débouter Mme [F] de toutes autres demandes,
en revanche dire et juger que Mme [R] venant aux droits de M. et Mme [L] est propriétaire de la parcelle AD [Cadastre 3] par prescription acquisitive trentenaire, tel que cela résulte de l'acte de notoriété acquisitive établi par Maître [S], notaire à [Localité 15] le 21 décembre 2012,
condamner Mme [F] à verser à M. et Mme [L] une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour abus de droit d'agir en justice,
condamner en toute hypothèse Mme [F] à verser à Mme [R] et aux époux [L] une somme de 5.000 € à chacun d'eux sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner Mme [F] aux entiers les dépens.
L'affaire a été clôturée à la date du 18 juillet 2022 et renvoyée à l'audience du 20 septembre 2022, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 10 novembre 2022.
MOTIFS ET DÉCISION
Les consorts [L]-[R] soutiennent que Mme [H] [F] ne serait pas fondée à demander l'annulation ni de l'acte de notoriété, ni de l'acte de vente du 21 décembre 2012 auxquelles elle est tiers, et invoquent à cet effet les dispositions des articles 1179, 1180, 1199 et 1200 du code civil.
Toutefois, ces textes sont issus de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui n'est entrée en vigueur qu'au 1er octobre 2016. Les actes dont il est sollicité l'annulation étant antérieurs à cette date, ce moyen est inopérant.
Par ailleurs, les clauses contenues dans l'acte de notoriété et l'acte de vente contestés ne lient que ceux qui en sont signataires et sont à l'évidence inopposables à Mme [H] [F] qui est parfaitement recevable à en contester les termes dès lors qu'elle revendique un droit de propriété concurrent.
L'acte de vente du 21 décembre 2012 rappelle qu'il est susceptible de contestation dans les termes suivants:
«l'acquéreur reconnaît que Maître [Z] [S], notaire soussigné, l'a averti de ce que l'acte de notoriété relaté ne lui procure pas une sécurité absolue quant au droit de propriété du vendeur. En effet, l'acte de notoriété reproduit les déclarations des témoins et non de faits ou acte que le notaire aurait contrôlés ou vérifiés. Bien que les témoins aient été choisis pour leur connaissance des faits à établir et leur bonne foi, il ne peut être exclu qu'une contestation survienne. L'acquéreur reconnaît avoir été parfaitement averti par le notaire soussigné de l'aléa qui résulterait pour lui de cette situation et de ne pas être à l'abri d'une éventuelle action en revendication de parcelle de terrain objet des présentes par un tiers qui justifierait d'un titre préférable et qui pourrait avoir pour résultat la dépossession totales et sans contrepartie».
Le terme «titre préférable» est simplement générique, et, outre que cette clause n'est pas opposable aux tiers à cet acte, elle ne peut avoir pour effet de limiter les possibilités de contestation à la seule production d'un titre de propriété.
Au demeurant, les intimés ne soulèvent aucune fin de non-recevoir à l'encontre de la demande de Mme [H] [F], et l'ensemble de la discussion porte sur le fond du droit.
Pour fonder sa demande de nullité des deux actes précités, Mme [H] [F] invoque à titre principal l'existence d'un chemin d'exploitation, et subsidiairement une propriété indivise de la parcelle AD [Cadastre 3].
1/ Sur l'existence d'un chemin d'exploitation
Selon l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime, les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage de ces chemins peut être interdit au public.
Mme [H] [F] soutient à titre principal que la parcelle AD [Cadastre 3] serait un chemin d'exploitation et se fonde notamment sur l'ancien cadastre selon lequel cette parcelle n'était pas cadastrée mais constituait un passage libre entre les différents bâtiments. Elle soutient que l'usage commun a perduré, pour desservir les fonds voisins.
Toutefois, le chemin d'exploitation est, par définition, un chemin de circulation, or il est ici constant que la parcelle AD [Cadastre 3] ne permet pas une circulation puisqu'elle est fermée.
En effet, il est exact que cette parcelle n'est pas délimitée sur le cadastre de 1829, et qu'un passage existait alors entre les bâtiments aujourd'hui cadastrés AD [Cadastre 8] et [Cadastre 9]. Toutefois, ce passage n'existe plus de très longue date puisque le bâtiment AD [Cadastre 9] a été agrandi en fermant le passage, tandis que la parcelle AD [Cadastre 3] a été cadastrée et ce depuis au moins 1967, date à laquelle elle figure sur le relevé de propriété comme étant en indivision entre [F] [M] et [D] [D] (pièce n° 6 de l'appelante).
À l'exception des bâtiments qui l'entourent, cette parcelle ne permet la communication avec aucun autre fonds et constitue une cour et non un chemin.
Elle ne peut donc être qualifiée de chemin d'exploitation.
2/ Sur la propriété indivise
Mme [H] [F] soutient que la parcelle AD [Cadastre 3] serait indivise entre elle et les époux [L], et aujourd'hui Mme [R] dès lors qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une attribution dans les partages successifs.
Les intimés soutiennent qu'aucun titre ne corrobore cette affirmation.
Il résulte des pièces produites aux débats, notamment des titres de propriété, que:
- selon attestation de propriété du 16 décembre 1971 (pièce n° 41 des intimés) suite au décès de [J] [F], celui-ci était propriétaire notamment des parcelles cadastrées AD [Cadastre 10], [Cadastre 4], [Cadastre 5], et [Cadastre 1].
- le 24 août 1976 (pièce n° 1 de l'appelante) [V] [O] veuve de [J] [F], a procédé à la donation-partage au profit de ses trois enfants, [N] [F] épouse [L], [P] [F] épouse [BA] et [H] [F], des biens dépendant de la succession de son mari [J] [F] situés à [Localité 16]. Il s'agit alors des parcelles cadastrées AD n° [Cadastre 1], [Cadastre 5] (bâtiment), [Cadastre 4] (maison divisée pour devenir [Cadastre 8] et [Cadastre 9]), et [Cadastre 10] (une petite parcelle avec remise, non concernée par le litige).
- selon cet acte, ces biens, à l'exception de la parcelle AD [Cadastre 10], appartenaient à [J] [F] pour les avoir acquis en 1969 de son frère [M] [F].
- le 23 avril 1980, M. et Mme [L] ont acquis de la SCI la Romanche la parcelle AD [Cadastre 7] (bâtiment en ruine), laquelle, selon cet acte, «confinant: au nord et à l'est: [F] [J], au sud et à l'ouest: un chemin communal». L'Est de la parcelle AD [Cadastre 7] est la parcelle actuelle AD [Cadastre 3]. L'acte rappelle que cette parcelle AD [Cadastre 7] appartenait précédemment à [D] [I] [D] et à son épouse.
- le 7 avril 1981, M. et Mme [L] ont acquis de M. [E] la parcelle AD [Cadastre 6] (alors non construite). Cet acte précise que cette parcelle appartenait précédemment en propre à [D] [I] [D].
Ces différents titres ne font jamais mention de la parcelle AD [Cadastre 3] qui n'a donc pas été transmise par ceux-ci.
Toutefois, l'examen des relevés de propriété successifs révèlent que cette parcelle AD [Cadastre 3], pour 01a 48ca, était inscrite au profit des propriétaires suivants:
- en 1967 au nom de [F] [M] (succession) chez [F] [J] et au nom de [D] [D] (pièce n° 6 de l'appelante),
- en 1978 au nom de [F] [M] (pièce n° 7 de l'appelante),
- en 1982 au nom de [F] [M] et [D] [I] [D], ainsi que [F] [J] (en qualité de mandataire, [F] [M] étant décédé à cette date), (pièce n° 3 des intimés),
- en 1985 au nom de [L] [X] époux [F] «et copropriétaires» (pièce n° 30 de l'appelante),
- en 1994 en propriété indivise au nom de [L] [X] époux [F] [N] (pièce n° 30 de l'appelante).
Ce n'est donc que postérieurement à l'acquisition des parcelles AD [Cadastre 6] et [Cadastre 7] que M. et Mme [L] apparaissent comme propriétaires de AD [Cadastre 3], avec une ambiguïté dans la mesure où les relevés précisent l'existence de copropriétaires et d'une indivision.
En outre, il est constant que cette parcelle non bâtie, est contigüe à l'Ouest des parcelles AD [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 9] (propriété [R]), au Nord des parcelles AD [Cadastre 8] et [Cadastre 5] (propriété [F]), à l'Est de la parcelle AD [Cadastre 1] (jardin propriété [F]) et au Sud par le domaine public.
Cette parcelle qui est une cour, dessert l'ensemble des bâtiments qui la jouxtent, ainsi que cela ressort sans ambiguïté :
- du courrier de Mme [N] [L] au conseil de Mme [H] [F] le 12 juillet 2002 (pièce n° 9 de l'appelante), dont les termes, contrairement à ce qui est soutenu par les intimés, fait nécessairement référence à la circulation sur la parcelle AD [Cadastre 3], puisque déjà à cette date Mme [H] [F] se plaignait de difficultés d'accès à sa parcelle AD [Cadastre 8] et que sa soeur s'en est alors étonnée en expliquant qu'elle était «assez bien placée pour voir les allers et venues tant pour elle que pour les voisins qui viennent régulièrement et même plusieurs fois par jour lui rendre visite, ne serait-ce que le facteur tous les jours, sans qu'il y ait la moindre gêne pour accéder à son domicile!».
- des attestations produites par Mme [H] [F], notamment celle de [W] [Y] née [F] (pièce n° 18 de l'appelante) qui indique «depuis le 19ème siècle la famille [F] utilise cette cour qui est un passage obligé pour accéder à son domicile à [Localité 12], domicile situé à l'extrémité périphérique de cette cour. A l'époque de mon père [M] [F] décédé en 1954, il était propriétaire de la cour avec Monsieur [D] [D]», ou encore celle de M. [G] [O] qui précise «la parcelle n° AD [Cadastre 3] a toujours été en indivision avec les habitations cadastrées n° [Cadastre 8]-[Cadastre 5]-[Cadastre 9]-[Cadastre 11]-[Cadastre 6] l'accès de ses habitations se faisant uniquement par cette parcelle».
Ce dernier témoin, ainsi que M. [U] (pièce n° 20) attestent tous deux de l'utilisation et de la jouissance de la parcelle AD [Cadastre 3] par les parents [J] et [V] [F], notamment à usage de parking et d'accès, mais également de l'utilisation identique qui en est faite par Mme [H] [F].
L'attestation produite en pièce n° 33 par les intimés ne contredit pas cet usage commun, mais atteste seulement de ce que M. et Mme [L] utilisent également cette cour, sans que cela ne puisse contredire une jouissance commune.
Le plan de bornage produit en pièce n° 3 par les intimés ne constitue en aucun cas une preuve de propriété de la parcelle AD [Cadastre 3]. En effet, ce bornage, qui n'est signé que par M. et Mme [L], ne concerne que l'extrémité de la parcelle AD [Cadastre 3] (côté domaine public) et ne permet donc pas d'en établir la propriété.
Il doit encore être ajouté que la parcelle AD [Cadastre 1] (jardin) appartenant à Mme [H] [F], dispose d'un portillon d'accès sur la parcelle AD [Cadastre 3], et n'est d'ailleurs accessible que par ce portillon compte tenu de la configuration des lieux et de son enclavement indiscutable, toutes les parcelles qui l'entourent appartenant à des tiers, à l'exception de AD [Cadastre 3].
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la parcelle AD [Cadastre 3] était propriété indivise de [M] [F] et [D] [I] [D]. Aucun acte produit aux débats ne permet de considérer qu'il aurait été mis fin à cette indivision au profit de l'un ou de l'autre ou de leurs ayants-droit.
Compte tenu des successions et cessions successives et du caractère nécessaire de cette cour pour la desserte de l'ensemble des parcelles concernées, il doit être considéré que c'est à la suite d'un oubli que cette parcelle a été omise dans les actes relatés ci-dessus et qu'en définitive la propriété indivise s'est transmise avec celle des parcelles AD [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 9], [Cadastre 8], [Cadastre 5] et [Cadastre 1], Mme [R] étant ayant-droit de [D] [I] [D] (pour les n° [Cadastre 6] et [Cadastre 7]) et de [M] [F] (pour le n° [Cadastre 9]), tandis que Mme [H] [F] est ayant-droit de [M] [F] (pour les n° [Cadastre 8], [Cadastre 5] et [Cadastre 1]).
3/ Sur la prescription acquisitive
M. et Mme [L] et Mme [R] soutiennent qu'en tout état de cause ils auraient prescrit la propriété de la parcelle AD [Cadastre 3] et ce depuis plus de trente ans.
L'article 2261 du code civil dispose que, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
Selon l'article 2272, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.
En l'espèce, les intimés ne disposent d'aucun titre de sorte qu'ils doivent, pour prétendre avoir prescrit la propriété de la parcelle AD [Cadastre 3], justifier de la possession trentenaire dans les conditions prévues par l'article 2261.
Or les éléments rappelés ci-dessus ne permettent pas de retenir que leur possession aurait été non équivoque.
En effet, l'usage de la parcelle dont ils justifient par les attestations produites n'est en rien incompatible avec l'usage commun dont justifie également Mme [H] [F] pendant la même durée de trente ans. Celle-ci n'a été empêchée d'y pénétrer qu'à compter de la contestation par Mme [R] de son droit d'utiliser cette cour, soit en 2013 après la vente intervenue le 21 décembre 2012.
Par ailleurs en 2002 Mme [L] a reconnu, comme précisé ci-dessus, l'usage de la cour par sa soeur pour accéder à son habitation, étant souligné que, alors qu'une difficulté semblait déjà exister entre elles, Mme [L] n'a pas revendiqué la propriété de la parcelle AD [Cadastre 3] qui était bien l'objet du courrier du conseil de Mme [H] [F] (pièces n° 8 et 9 de l'appelante).
Les aménagements réalisés par les consorts [L] dans la cour sont insuffisants pour établir qu'ils se seraient comportés comme seuls propriétaires, ces aménagements ayant pu être réalisés avec le consentement de Mme [H] [F], au moins tacite, étant souligné qu'il n'est pas démontré que ces aménagements auraient eu pour effet d'empêcher l'appelante d'utiliser la cour comme elle l'a toujours fait pour y garer son véhicule et accéder à sa maison, ce dont elle justifie par des photographies et les attestations précitées.
Ainsi, M. [O] [G] indique, à propos de la parcelle AD [Cadastre 3], que «Monsieur [F] [J] y entreposait sont matériel agricole et sa voiture. Madame [H] [F] y a toujours garé sa voiture. Un hangard était accolé au lot n° 218 il est à ce jour démoli».
Le caractère exclusif et non équivoque de la possession revendiquée par les consorts [L]-[R] n'est donc pas démontré.
Les relevés de propriété postérieurs à 1982 ne sont par ailleurs pas des justificatifs de propriété et leurs mentions sont tout à fait équivoques puisqu'il est fait état de «copropriétaires» et de propriété indivise.
Les photographies produites par les intimés révèlent qu'avant la vente à Mme [R], la cour est restée libre, même avec les aménagements et qu'elle n'a été réellement privatisée que par Mme [R] (photos 5 à 15 et 17 à 31 des intimés), soit après la vente litigieuse.
Enfin, et pour être complet, il convient de souligner que la parcelle AD [Cadastre 2], située en contrebas de l'habitation de Mme [H] [F] ([Cadastre 8] et [Cadastre 5]) ne lui appartient pas seule puisqu'elle est en indivision entre elle et ses deux soeurs (pièce n° 27 de l'appelante). Aussi les intimés ne peuvent-ils prétendre que cette parcelle constituerait l'accès à sa propriété.
Il résulte de ce qui précède que la possession revendiquée par les intimés ne remplit pas les conditions de la prescription acquisitive de l'article 2261 du code civil et qu'ainsi ils ne peuvent faire échec à la propriété indivise qui résulte de l'analyse des titres ci-dessus, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'état d'enclave invoqué.
3/ Sur la demande d'annulation des actes
Il résulte de ce qui précède que M. et Mme [L], qui n'étaient alors propriétaires qu'en indivision avec Mme [H] [F], ne pouvaient faire établir l'acte de notoriété acquisitive du 21 décembre 2012, ni vendre la parcelle AD [Cadastre 3] dont ils n'étaient pas seuls propriétaires.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions et les actes précités seront annulés. Le présent arrêt sera publié au service de la publicité foncière de Grenoble.
4/ Sur les autres demandes
Les intimés ne peuvent qu'être déboutés de leur demande de dommages et intérêts, dès lors que Mme [H] [F] a obtenu gain de cause.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [H] [F] la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les intimés supporteront les entiers dépens de première instance et d'appel.
Ces dépens ne comprendront pas les frais de constat d'huissier comme sollicité par Mme [H] [F]. En effet, il s'agit d'un élément de preuve et non d'un acte nécessaire à la procédure elle-même, et son coût ne peut être pris en compte qu'au titre de l'indemnité au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble le 8 février 2018 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que la parcelle située sur le territoire de la commune [Localité 13], anciennement commune de [Localité 16], lieudit [Localité 12], cadastrée section AD n° [Cadastre 3] pour une superficie de 01a 48ca, appartient en indivision à Mme [H] [F] et Mme [C] [R],
En conséquence,
Annule l'acte authentique reçu le 21décembre 2012 par Me [Z] [S], notaire associé à [Localité 15] (Isère) contenant notoriété acquisitive au profit de M. [X] [A] [I] [L] et de Mme [N] [B] [W] [K] [F] son épouse, portant sur la parcelle sise commune de [Localité 16] (devenue commune [Localité 13]) (Isère), cadastrée section AD n° [Cadastre 3] lieudit [Localité 12] pour 01a 48ca, publié au service de la publicité foncière de Grenoble, 3ème bureau, le 16 janvier 2013 volume 2013 P 283,
Annule l'acte authentique reçu le 21décembre 2012 par Me [Z] [S], notaire associé à [Localité 15] (Isère) contenant vente par M. [X] [A] [I] [L] et de Mme [N] [B] [W] [K] [F] son épouse, au profit de Mme [C] [R], de la parcelle sise commune de [Localité 16] (devenue commune [Localité 13]) (Isère), cadastrée section AD n° [Cadastre 3] lieudit [Localité 12] pour 01a 48ca, publié au service de la publicité foncière de Grenoble, 3ème bureau, le 16 janvier 2013 volume 2013 P 286,
Ordonne la publication du présent arrêt au service de la publicité foncière,
Déboute M. [X] [L], Mme [N] [F] épouse [L] et Mme [C] [R] de leur demande de dommages et intérêts,
Condamne in solidum M. [X] [L], Mme [N] [F] épouse [L] et Mme [C] [R] à payer à Mme [H] [F] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [X] [L], Mme [N] [F] épouse [L] et Mme [C] [R] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 10 novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente