COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 27 Octobre 2022
N° RG 21/00680 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GVFZ
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 10 Mars 2021, RG 18/00777
Appelants
M. [E] [Z]
né le [Date naissance 3] 1997 à [Localité 8] ([Localité 8]), demeurant [Adresse 4]
Mme [W] [Z]
née le [Date naissance 5] 1966 à [Localité 8] ([Localité 8]), demeurant [Adresse 4]
M. [P] [Z]
né le [Date naissance 6] 1964 à [Localité 8] ([Localité 8]), demeurant [Adresse 4]
Représentés par Me Christian BROCAS, avocat au barreau d'ANNECY
Intimés
M. [R] [G]
né le [Date naissance 2] 1996 à [Localité 9], demeurant [Adresse 7]
Représenté par Me Pauline BERNARD, avocat au barreau d'ANNECY
Compagnie d'assurance ALLIANZ IARD, dont le siège social est sis [Adresse 1] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL CABINET DUVOULDY BERTAGNOLIO DELECOURT&ASSOCIES, avocat au barreau d'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 13 septembre 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 28 janvier 2015, Monsieur [E] [Z], mineur âgé de 17 ans comme étant né le [Date naissance 3] 1997 et scolarisé au CFA du lycée professionnel de [Localité 10], a été blessé au coude droit par un couteau éplucheur durant un cours de travaux pratiques destiné à lui permettre d'obtenir la qualification nécessaire à l'exercice de la profession de boucher.
Par jugement définitif du 4 juillet 2016, le tribunal correctionnel d'Annecy a relaxé Monsieur [R] [G] de l'infraction de violences volontaires avec arme qui lui était reprochée et dit n'y avoir lieu à requalification en blessures involontaires en l'absence de caractérisation suffisante, au sens des articles 121-3 et R.625-2 du code pénal, d'une faute ou d'un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le réglement. Sur l'action civile, la constitution de Monsieur [Z] a alors été déclarée recevable, ce dernier étant toutefois débouté, au fond, de ses demandes.
Par ordonnance du 3 juillet 2017, le juge des référés d'Annecy a fait droit à la demande d'expertise médicale présentée par Monsieur [Z]. L'expert, désigné à cet effet, a déposé son rapport le 7 novembre suivant.
Consécutivement, par acte du 19 avril 2018, Monsieur [E] [Z] et ses parents ont fait assigner Monsieur [G] devant le tribunal de grande instance en vue d'obtenir, sur le plan civil, l'indemnisation de leurs préjudices.
Par jugement contradictoire du 10 mars 2021, le tribunal judiciaire d'Annecy a :
- déclaré irrecevable l'action de Monsieur [E] [Z], de Monsieur [P] [Z] et de Madame [W] [Z] en réparation des préjudices consécutifs aux faits survenus le 28 janvier 2015 sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil,
- débouté Monsieur [G] de ses demandes de dommages et intérêts,
- débouté les consorts [Z], Monsieur [G] et la SA Allianz Iard de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les consorts [Z] aux dépens.
Par acte du 26 mars 2021, Monsieur [E] [Z], Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [Z] ont interjeté appel de la décision.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 23 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les consorts [Z] demandent à la cour de :
- réformer le jugement déféré en ce qu'il a :
déclaré irrecevable leur action en réparation des préjudices consécutifs aux faits survenus le 28 janvier 2015 sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil,
débouté les consorts [Z], Monsieur [G] et la SA Allianz Iard de leurs demandes par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné les consorts aux dépens.
- le confirmer pour le surplus et statuant de nouveau,
- dire et juger Monsieur [G] responsable de leurs préjudices et le condamner à réparation,
- dire et juger que les préjudices de Monsieur [E] [Z] s'établissent comme suit :
tierce personne temporaire : 23 332 euros
dépenses de santé actuelles : 1 587,24 euros
déficit fonctionnel temporaire : 8 779,20 euros
souffrances endurées : 10 000 euros
préjudice esthétique temporaire : 1 000 euros
incidence professionnel : 40 000 euros
déficit fonctionnel permanent : 22 500 euros
préjudice esthétique : 3 000 euros
préjudice d'agrément : 15 000 euros
- condamner Monsieur [G] et la société Allianz Iard, in solidum, à verser à Monsieur [E] [Z] la somme de 125 198,44 euros,
- condamner Monsieur [G] et la société Allianz Iard, in solidum, à payer aux époux [Z] une somme de 5 624,10 euros au titre des frais divers par eux exposés,
- condamner Monsieur [G] et la société Allianz Iard, in solidum, à payer à Monsieur [E] [Z] et ses parents, une somme provisionnelle de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter Monsieur [G] de ses demandes reconventionnelles,
- condamner le même aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.
En réplique, dans ses conclusions adressées par voie électronique le 22 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Monsieur [G] demande à la cour de :
- débouter les consorts [Z] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- confirmer pour partie le jugement déféré en ce qu'il a :
déclaré irrecevable l'action des consorts [Z] en réparation des préjudices consécutifs aux faits survenus le 28 janvier 2015 sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil,
débouté les consorts [Z], Monsieur [G] et la SA Allianz Iard de leurs demandes par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné les consorts [Z] aux dépens,
A titre d'appel incident,
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident,
- infirmer pour partie le déféré en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de dommages et intérêts,
En conséquence, jugeant de nouveau,
- condamner les consorts [Z] à lui payer la somme de 10 000 euros pour le préjudice économique subi, lié à la perte de salaire, et la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral, le tout à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
A titre subsidiaire, si l'irrecevabilité de l'action n'était pas retenue,
- dire et juger qu'il n'est pas responsable des dommages des consorts [Z],
- débouter Monsieur [E] [Z] et ses parents de l'ensemble de leurs demandes fins et prétentions dirigées à son encontre,
A titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que Monsieur [E] [Z], par son geste volontaire et fautif, a provoqué son dommage et retenir, en conséquence sa responsabilité à hauteur de 2/3,
- le condamner a de plus justes proportions,
- dire et juger qu'il sera relevé et garanti par la compagnie Allianz Iard de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,
En tout état de cause :
- condamner les consorts [Z] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre les entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de Maître Bernard conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Enfin, par conclusions adressées par voie électronique le 9 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SA Allianz Iard demande pour sa part à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris en ce que l'action des consorts [Z] a été déclarée irrecevable,
- constater l'absence de faute non-intentionnelle,
- constater l'absence de faute intentionnelle conformément au jugement rendu le 4 juillet 2016 par le tribunal correctionnel d'Annecy et le rapport d'expertise médicale du 23 mai 2016,
- rejeter en conséquence purement et simplement les demandes formulées par les consorts [Z],
A titre subsidiaire,
- prendre en considération le comportement fautif de Monsieur [Z] à l'origine de ses propres préjudices,
- retenir en conséquence un partage de responsabilité qui ne saurait être inférieur à 50% à la charge de Monsieur [Z],
A titre infiniment subsidiaire,
- nonobstant les observations relatives au bien-fondé de la mise en jeu de l'action civile, et le partage de responsabilité qui devra s'appliquer, limiter les demandes indemnitaires des consorts [Z] comme suit :
la somme de 14 736 euros pour la tierce personne temporaire,
la somme de 1 587,24 euros pour les dépenses de santé actuelles,
la somme de 7 440 euros pour le préjudice fonctionnel temporaire,
la somme de 4 000 euros pour les souffrances endurées,
la somme de 500 euros pour le préjudice esthétique temporaire,
la somme de 14 000 euros pour le déficit fonctionnel permanent,
la somme de 3 000 euros pour le préjudice d'agrément
- débouter les consorts [Z] du surplus de leurs demandes,
- condamner solidairement les consorts [Z] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'action en responsabilité dirigée contre Monsieur [G]
Conformément aux articles 1382 et 1383 du code civil, dans leur version applicable au 28 janvier 2015, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, étant précisé que chacun est non seulement responsable du dommage qu'il a causé par son fait mais encore de celui causé par sa négligence ou son imprudence.
Aux termes de l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En ce sens, les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont, au civil, autorité absolue à l'égard de tous en ce qui concerne ce qui a été jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité de celui à qui le fait est imputé. L'autorité de la chose jugée s'impose également au juge civil lorsque des dispositions du jugement pénal ont définitivement tranché, entre les mêmes parties, la question de la responsabilité civile et de l'éventuel partage de responsabilité y afférent.
Toutefois, l'article 4-1 du code de procédure pénale rappelle que l'absence de faute pénale non-intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement des articles 1383 ou 1241 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par ces articles est établie.
En l'espèce, il échet de rappeler que, concernant les faits du 28 janvier 2015 ayant occasionné le dommage de Monsieur [E] [Z] dont il revendique l'indemnisation au titre de la présente instance, Monsieur [G] a été poursuivi pour violences volontaires aggravées devant le juge pénal. Au terme d'un jugement définitif, le tribunal correctionnel d'Annecy a relaxé ce dernier du délit susvisé puis, après avoir envisagé l'ensemble des qualifications pénales que les faits étaient susceptibles de revêtir, dit n'y avoir lieu à requalification de la prévention en blessures involontaires délictuelles ou contraventionnelles (articles 121-3 et R.625-2 du code pénal). Subséquemment, sur intérêts civils, Monsieur [Z] a été débouté de l'ensemble de ses demandes indemnitaires.
Il en résulte que, pour le présent litige, c'est à bon droit que le premier juge a retenu que les demandes indemnitaires des demandeurs s'avéraient irrecevables, sur le plan civil, en ce qu'elles étaient fondées sur l'existence d'une faute intentionnelle de violences volontaires ou, à titre subsidiaire, sur l'existence d'une faute non-intentionnelle recouvrant la définitition de celles fixées aux articles 121-3 et R.625-2 du code pénal.
Plus avant, il importe de rappeler que si la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute pénale non-intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d'imprudence ou de négligence au visa de l'article 1383 du code civil, les versions respectives de Messieurs [Z] et [G] et les témoignages des autres élèves sur les éléments de contexte, le comportement de la victime et l'enchaînement des faits ayant abouti à la blessure de celle-ci, puis le rapport médico-légal du Docteur [D] résultant de la procédure pénale, ne permettent aucunement de retenir, à charge de Monsieur [G], un comportement inadapté, maladroit ou imprudent ayant concourru au dommage.
Dès lors, compte tenu de la décision pénale susvisée ayant définitivement exclu tout geste volontaire de la part de ce dernier, et faute de démontrer l'existence d'une quelconque faute d'imprudence ou une éventuelle négligence justifiant que soit engagée, fût-ce partiellement, la responsabilité civile de Monsieur [G], les demandes indemnitaires présentées par Monsieur [E] [Z] et ses parents ne sauraient être accueillies.
Sur la demande indemnitaire reconventionnelle
A titre reconventionnel, au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile, Monsieur [G] dénonce le caractère abusif et vexatoire de la procédure civile initiée à son encontre et sollicite la condamnation des consorts [Z] à lui verser la somme de 12 000 euros en réparation de son préjudice économique et moral.
Cependant, il est communément admis que l'exercice d'une action en justice pour défendre ses droits ne dégénère en abus pouvant justifier réparation qu'en cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière.
Or, le fait que les consorts [Z] n'aient pas convaincu les juges de première instance et d'appel quant au bienfondé de leurs demandes s'avère insuffisant pour caractériser le caractère abusif ou vexatoire de leur action.
En outre, le courrier du directeur du CFA en date du 19 mai 2015 ne motivant aucunement le comportement à l'origine de la faute grave reprochée à Monsieur [G], le lien de causalité entre son exclusion et les faits ayant conduit à la blessure de Monsieur [Z] n'est pas démontré, étant en outre rappelé que cette décision résulte d'une décision de l'établissement et non d'un fait des consorts [Z] ayant directement concouru au dommage allégué.
Aussi, le jugement déféré sera encore confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [G] de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes annexes
Les consorts [Z], qui succombent à l'instance, sont condamnés à payer à Monsieur [G] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Ils sont également condamnés, in solidum, à payer la somme de 1 500 euros à la SA Allianz Iard au titre des mêmes dispositions.
Enfin, les consorts [Z] sont condamnés, in solidum, aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître [V] s'agissant des frais dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme la décision déférée,
Y ajoutant,
Déboute Monsieur [E] [Z], Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [Z] de l'ensemble de leurs demandes,
Condamne Monsieur [E] [Z], Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [Z] à payer à Monsieur [R] [G] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne, in solidum, Monsieur [E] [Z], Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [Z] à payer à la SA Allianz Iard la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne, in solidum, Monsieur [E] [Z], Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [Z] aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Bernard s'agissant des frais dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.
Ainsi prononcé publiquement le 27 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La GreffièreLa Présidente