COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 27 Octobre 2022
N° RG 20/00276 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GNL5
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal d'Instance de THONON LES BAINS en date du 22 Novembre 2019, RG 1118000492
Appelant
M. [W] [I]
né le 26 Janvier 1987 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1]
Représenté par la SELARL FRANCINA AVOCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
Intimé
M. [H] [F] demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Serge MOREL VULLIEZ, avocat au barreau d'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 13 septembre 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 15 novembre 2016, M. [W] [I] a accepté le devis proposé par M. [H] [F] concernant la réalisation de travaux de finitions sur un chantier de rénovation, pour un montant TTC de 50 600 euros.
Un désaccord concernant le règlement des factures est survenu entre les parties.
Par ordonnance du 7 août 2018, le tribunal d'instance de Thonon-les-Bains a enjoint M. [W] [I] de payer à M. [H] [F] la somme de 10 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 septembre 2017, ainsi que les dépens. Cette décision a été signifiée à M. [W] [I] par acte du 7 septembre 2018 remis à étude d'huissier.
Par déclaration en date du 17 septembre 2018, M. [W] [I] a formé opposition à cette ordonnance.
Par jugement contradictoire du 22 novembre 2019, le tribunal d'instance de Thonon-les-Bains a :
- déclaré recevable en la forme l'opposition formée par M. [W] [I] à l'ordonnance d'injonction de payer rendue par ce tribunal le 07 août 2018 (n° 21/18/000521),
statuant à nouveau,
- condamné M. [W] [I] à payer à l'entreprise individuelle [F] [H] la somme de :
10 000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 07 août 2018,
500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [W] [I] de ses demandes,
- condamné M. [W] [I] aux dépens, en ce compris le coût de la procédure d'injonction de payer.
Par déclaration du 24 février 2020, M. [W] [I] a interjeté appel du jugement.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 juillet 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [W] [I] demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré recevable en la forme l'opposition formée à l'ordonnance d'injonction de payer rendue par ce même tribunal le 7 août 2018,
statuant à nouveau,
- dire qu'il a réglé l'intégralité des factures émises dans le cadre du marché à forfait établi selon devis n°00329, en ce compris les fournitures,
- dire que M. [H] [F] ne pouvait procéder à la moindre augmentation de prix dans le cadre de ce marché à forfait,
- dire que la reconnaissance de dette, dont il conteste être le rédacteur et le signataire, est nulle car elle ne respecte pas les dispositions de l'article 1376 du code civil en l'absence de mention de la somme en chiffres et en lettres,
- débouter M. [H] [F], artisan exerçant en entreprise individuelle, de sa demande en paiement de la somme de 10 000 euros TTC,
- condamner M. [H] [F], artisan exerçant en entreprise individuelle, à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [H] [F], artisan exerçant en entreprise individuelle, aux entiers frais et dépens, en ce compris les frais et dépens de la procédure d'injonction de payer, dont distraction au profit de maître Francina, avocat au barreau de Thonon-les-Bains, sur son affirmation de droits.
Par ordonnance du 20 mai 2021, le conseiller chargé de a mise en état a rejeté la demande d'expertise graphologique présentée par M. [W] [I].
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 7 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [H] [F] demande à la cour de :
- dire et juger mal fondé l'appel du jugement du 22 novembre 2019 formé par M. [W] [I],
- débouter M. [W] [I] de l'ensemble de ses prétentions, dépourvues de tout fondement,
- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné M. [W] [I] au paiement d'une somme de 10 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 7 août 2018, mais pas en ce qui concerne le quantum de la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [W] [I] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du coût des fournitures restant à sa charge, outre intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance d'injonction de payer du 7 août 2018,
- condamner M. [W] [I] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [W] [I] aux entiers dépens tant d'instance que d'appel dont distraction au profit de maître Morel-Vulliez conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 juillet 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour observe que la recevabilité de l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer n'est pas discutée à hauteur d'appel.
Par ailleurs, la cour précise que son office consiste à trancher un différend ou homologuer un accord mais ne consiste pas à statuer sur des demandes de 'dire'. Ainsi, à de telles demandes figurant dans le dispositif des écritures de M. [H] [F], celles-ci devant être regardées comme étant des moyens soulevés à l'appui des prétentions mais non comme étant des prétentions devant faire l'objet d'une mention au dispositif du présent arrêt.
Sur le lien contractuel entre les parties
L'article 1793 du code civil dispose que : 'lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d''uvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire'.
Il est constant en jurisprudence :
- que des travaux de rénovation et de réhabilitation peuvent donner lieu à la conclusion d'un marché à forfait (cass. civ. 3, 15 décembre 1993, n°92-10.550),
- qu'un marché peut être forfaitaire pour une partie seulement des travaux convenus (cass. civ.3, 25 juin 2020, n°19-11.412).
En l'espèce, les parties se sont accordées sur un devis forfaitaire pour la finition d'un chantier de rénovation le 15 novembre 2016. Ce devis d'un montant TTC de 50 600 euros prévoyait la 'pose uniquement tous corps d'état de matériaux pour finition d'un chantier en rénovation suivant plan proposé par vos soins, peinture non comprise, plomberie non comprise'. Le devis est ensuite détaillé quant aux travaux indiquant notamment 'fin du gros oeuvre', 'fin de la toiture comprenant la pose de lambris en sous toiture et isolation sous toiture' ou encore 'lot électricité'. Le caractère forfaitaire de ce marché n'est pas douteux dans la mesure où aux différentes prestations, correspond un seul prix indiqué comme étant 'forfait HT' de 46 000 euros donnant un total TTC de 50 600 euros (pièce appelant n°1 et intimé n°3). L'indication 'pose uniquement' permet de déduire de ce devis, revêtu de la signature de M. [W] [I] qui ne conteste pas l'acceptation, que le forfait ne concerne que la main-d'oeuvre et non le matériel.
Cette indication se trouve corroborée par un courriel daté du même jour (15 novembre 2016) adressé par M. [H] [F] à M. [W] [I] (courriel joint au devis : pièce intimé n°3 mais que l'appelant n'a, pour sa part, pas produit). Ce courriel précise que M. [H] [F] envoie à M. [W] [I] un devis pour la pose des matériaux sur le chantier en cours et procède à une estimation sommaire des matériaux manquants pour un total de 11 000 euros. Ce courriel est également revêtu de la signature de M. [W] [I] accompagnée de la mention 'bon pour accord'. Ainsi, M. [W] [I] avait nécessairement connaissance de ce que le marché à forfait du devis ne s'appliquait pas aux matériaux. Cet élément est encore corroboré par le fait que M. [W] [I] s'est acquitté d'acomptes selon factures qu'il produit lui-même et dont deux mentionnent, en sus de l'acompte contractuel conforme au devis accepté, une somme au titre de 'avance fourniture' (5 000 euros HT facture du 15 janvier 2017, pièce appelant n°6 / 3 000 euros HT facture du 31 janvier 2017, pièce appelant n°7). Or, il est constant qu'il n'a jamais contesté ce point de la facturation d'acompte précisant même avoir régulièrement payé les acomptes demandés. Enfin, du montant revendiqué, M. [H] [F] déduit lui-même le versement d'autres paiements sur le matériel qui apparaissent dans les décomptes qu'il a établis, le total de tous les acomptes représentant la somme de 20 600 euros (pièce intimé 4-4). Là encore, aucun élément du dossier ne permet de dire que M. [W] [I] a constesté les sommes dues comme excédant le forfait prévu au contrat. Bien au contraire, il a réglé ces sommes en plus du règlement intégral du montant du forfait.
Il résulte de ce qui précède que M. [H] [F] sollicite un paiement non pas de travaux supplémentaires dans le cadre du forfait, mais des matériaux qu'il a dû acheter pour pouvoir effectuer les travaux prévus au contrat et ce, conformément à ce que M. [W] [I] a accepté en apposant sa signature et la mention 'bon pour accord' sur le courriel du 15 novembre 2016 accompagnant le devis.
Sur la reconnaissance de dette
M. [H] [F] prétend que le solde dû par M. [W] [I] au titre du matériel représente 12 938,95 euros (pièce intimé n°4-5). Il ne demande toutefois que 10 000 euros précisant avoir conclu un accord avec M. [W] [I] qui lui aurait remis en contre-partie une reconnaissance de dette, fournie en original (pièce intimé 9). De son côté, M. [W] [I] nie en être l'auteur, tant pour l'écriture que pour la signature.
L'article 1376 du code civil dispose que : 'L'acte sous signature privée par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s'il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres'.
En l'espèce, force est de constater que le document litigieux ne comporte que la mention de la somme en chiffres et non en lettres. Il ne peut donc pas valoir comme preuve de la créance réclamée.
L'article 1361 du code civil dispose que : 'il peut être suppléé à l'écrit par l'aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve'.
L'article 1362 du code civil prévoit pour sa part que : 'Constitue un commencement de preuve par écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu'il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué'.
En l'espèce, le document litigieux est susceptible de constituer un commencement de preuve par écrit en ce qu'il rend vraisemblable l'existence de la créance alléguée par M. [H] [F]. Toutefois, M. [W] [I] nie en être l'auteur.
Il résulte de l'article 1373 du code civil qu'une partie à laquelle on l'oppose peut désavouer son écriture ou sa signature. Dans ce cas, il y a lieu à vérification d'écriture.
L'article 287 du code de procédure civile dispose que : 'si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte'.
En l'espèce, M. [H] [F] a fait procéder à une expertise en écritures non contradictoire (pièce intimé n°7) dont M. [W] [I] conteste la recevabilité en raison de ce caractère non contradictoire. Or, il est constant en jurisprudence qu'une expertise même non contradictoire peut être reçue en preuve dans la mesure où, régulièrement versée aux débats, elle a pu faire l'objet d'observations contradictoires et où la juridiction ne se fonde pas sur cette seule pièce pour forger sa décision. Toutefois, il convient ici d'écarter cette pièce dans la mesure où sa conclusion précise que : 'Devant la pluralité de nos constatations il y a de très fortes probabilités que le graphisme signature figurant sur la pièce de question du 15.11.2016 ont bien été apposés par Monsieur [I] [W]'. Or, cette pièce de question est le devis (expertise p. 12 et 15) que M. [W] [I] ne conteste pas avoir accepté. En d'autres termes, l'expertise conclut au fait que la signature sur le devis est bien celle de l'appelant mais ne dit en aucun cas que la signature figurant sur la reconnaissance de dette est bien de lui. Cette signature est en effet étudiée comme élément de comparaison et non comme élément de question (expertise p.13).
La cour dispose, pour sa part, de l'original de la reconnaissance de dette contestée, ainsi que de plusieurs exemplaires originaux de signature de M. [W] [I] (pièces appelant n°1, et n°3 à 9). L'examen comparatif de ces pièces montre que :
- la signature de M. [W] [I] est relativement dépouillée, comportant deux traits : le premier débute par une boucle formant une sorte de demi-cercle vers le haut puis redescendant et se poursuivant sur la droite et vers le haut ; le second part de la gauche du demi-cercle qu'il ferme en son bas et se poursuit vers la droite pour englober le premier trait et revenir vers la gauche sous ce dernier,
- la signature figurant sur la reconnaissance de dette est bien plus touffue ; si elle comporte une forme de boucle ressemblant à celle de la signature de M. [W] [I], force est de constater qu'il n'y a qu'un seul trait en non deux, que le bas du demi-cercle n'est pas fermé et que le trait, est bien plus anguleux que celui de la signature de l'appelant ; en outre le milieu de la signature comporte d'autres traits, inexistants sur la signature de l'appelant.
Il en résulte que le document en question ne peut valoir commencement de preuve par écrit dès lors qu'il n'est pas établi que c'est un écrit qui émane de celui contre lequel il est opposé.
Sur la demande en paiement
Il résulte des développements précédents que la reconnaissance de dette ne peut être reçue ni à titre de preuve littérale, ni à titre de commencement de preuve par écrit.
Par ailleurs, les décomptes produits par M. [H] [F] sont des éléments qu'il a lui-même établis et selon lesquels la somme totale que M. [W] [I] aurait dû payer au titre des matériaux serait d'un montant de 30 600 euros (20 600 d'acomptes payés + 12 938,95 ramenés à 10 000 euros). Or ce montant représente une somme trois fois plus élevée que la prévision figurant dans le courriel du 15 novembre 2016. Par ailleurs, M. [H] [F] ne produit aucune facture de nature à justifier les achats de matériel dont il réclame le remboursement.
Il convient donc d'infirmer le jugement déféré et de débouter M. [H] [F] de sa demande en paiement.
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, M. [H] [F] qui succombe sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, et ce compris ceux de la procédure d'injonction de payer, avec distraction au profit de maître Florent Francina, avocat, par application des dispositions de l'article 699 du même code. Il sera par ailleurs débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.
Il n'est pas inéquitable de laisser à M. [H] [F] la charge de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens. En conséquence, il sera condamné à payer à M. [W] [I] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Infirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit recevable l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer,
Déboute M. [H] [F] de l'ensemble de ses demandes,
Condamne M. [H] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel, et ce compris ceux de la procédure d'injonction de payer, maître Florent Francina étant autorisé à recouvrer directement à son encontre, ceux dont il a fait l'avance, sans en avoir reçu provision,
Condamne M. [H] [F] à payer à M. [W] [I] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 27 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffière pour le prononcé.
La GreffièreLa Présidente