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27/10/2022 | FRANCE | N°16/02524

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 27 octobre 2022, 16/02524


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 27 Octobre 2022



N° RG 16/02524 - N° Portalis DBVY-V-B7A-FR7O



Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ANNECY en date du 10 Novembre 2016, RG 14/02012



Appelante



Société à Responsabilité BP DE LANGE BV, dont le siège social est sis [Adresse 2] (NH) / PAYS-BAS prise en la personne de son représentant légal



Représentée par Me Marguerite TRZASKA, avocat au barreau de PARIS




Intimé



Monsieur Le Directeur Régional des DOUANES ET DES DROITS INDIRECTS DU LEMAN, demeurant en cette qualité Direction Régionale des Douanes et des Droits In...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 27 Octobre 2022

N° RG 16/02524 - N° Portalis DBVY-V-B7A-FR7O

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ANNECY en date du 10 Novembre 2016, RG 14/02012

Appelante

Société à Responsabilité BP DE LANGE BV, dont le siège social est sis [Adresse 2] (NH) / PAYS-BAS prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Marguerite TRZASKA, avocat au barreau de PARIS

Intimé

Monsieur Le Directeur Régional des DOUANES ET DES DROITS INDIRECTS DU LEMAN, demeurant en cette qualité Direction Régionale des Douanes et des Droits Indirects du LEMAN, [Adresse 1]

Représenté par Me Dan HAZAN de la SELARL ASTORIA - CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Sandrine PAVET, avocat au barreau de CHAMBERY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 13 septembre 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

La société BP De Lange BV est une société de droit hollandais, spécialisée dans l'import-export de produits agricoles.

En juillet 2010, le service régional d'enquête de la direction des douanes d'Annecy a ouvert une enquête sur les opérations de dédouanement de la société CBC Preleco, spécialisée dans le commerce d'aulx, oignons et échalotes en provenance de France ou d'Amérique du Sud.

A la suite de ce contrôle, la direction des douanes a sanctionné diverses transactions opérées entre la société française CBC Preleco et la société hollandaise BP De Lange BV de janvier à mars 2010 et de février à mars 2011, portant sur des importations d'ail, produit en Amérique du Sud, qui sont en principe soumises à un droit de douane de 9,6 % sur leur valeur et à un droit spécifique de 1.200 € par tonne.

Une exonération de ce droit spécifique est possible grâce à des certificats d'importation, alors non transmissibles, délivrés à des importateurs nationaux par les états membres de l'UE pour des quantités définies par ces certificats lorsqu'il s'agit d'importation dans le cadre d'un contingent tarifaire.

La société CBC Preleco ayant épuisé ses propres certificats pour les périodes concernées par le contrôle précité, a mis en place un mécanisme de revente de ses produits sous douane, avant dédouanement, à différentes entités du groupe hollandais De Lange, disposant de leurs propres certificats, pour les racheter immédiatement, à un prix de 5 à 7 % plus élevé, après dédouanement à ces mêmes sociétés avant d'en assurer la commercialisation pour son propre compte.

C'est ainsi que les agents du service régional d'enquête d'Annecy ont relevé plusieurs infractions douanières, tant à l'encontre de la société CBC Preleco, qu'à l'encontre de la société BP De Lange BV, et les deux sociétés ont été destinataires d'un avis de mise en recouvrement, du 23 décembre 2013, pour un montant de 381.228 € de droits et taxes éludés.

Des poursuites pénales ont été parallèlement engagées pour des infractions douanières devant le tribunal correctionnel de Mâcon, à l'encontre des deux sociétés et de leurs dirigeants.

La société CBC Preleco a fait assigner la direction des douanes devant le tribunal de grande instance d'Annecy pour contester cet avis de mise en recouvrement et obtenir l'annulation de tous les actes de la procédure douanière.

De son côté, la société BP De Lange BV a également fait assigner l'administration des douanes devant le même tribunal pour obtenir la décharge totale des droits mis en recouvrement.

Le tribunal de grande instance d'Annecy a joint les deux affaires, et par un jugement contradictoire rendu le 10 novembre 2016, il a :

rejeté les exceptions de nullité et de prescription soulevées par la société CBC Preleco et la société BP De Lange BV,

dit n'y avoir lieu à saisir la CJUE de questions préjudicielles,

débouté en totalité la société BP De Lange BV de sa contestation contre l'avis de mise en recouvrement n°202/2013 du 23 décembre 2013 de 381.228 €,

reçu partiellement la société CBC Preleco en sa contestation contre l'avis de mise en recouvrement n° 200/2013 du 23 décembre 2013 de 381.228 € à concurrence des sommes de 29.258 € et 1.479 € seulement,

débouté la société CBC Preleco pour le surplus de sa contestation de cet avis de mise en recouvrement,

condamné la société CBC Preleco à verser à la direction régionale des douanes du Léman la somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société CBC Preleco et la société BP De Lange BV aux dépens,

déclaré le jugement exécutoire par provision,

débouté les parties pour le surplus de leurs demandes.

La société CBC Preleco, d'une part, et la société BP De Lange BV, d'autre part, ont chacune interjeté appel de cette décision. Les deux appels n'ont pas été joints pour être jugés distinctement.

La procédure d'appel de la société CBC Preleco :

Par un arrêt rendu le 30 novembre 2017 (R.G. 16/02603), la cour d'appel de Chambéry, statuant sur l'appel formé par la société CBC Preleco, a :

- dit n'y avoir lieu à invalider la procédure au regard de l'articles 67 A du code des douanes, pour manquement au contradictoire, ou 221-1 du code des douanes, pour non prise en compte préalable de l'avis de mise en recouvrement,

- sursis à statuer sur les autres demandes, dans l'attente de la décision pénale qui sera prononcée devant le tribunal correctionnel de Mâcon,

- réservé les autres demandes.

Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi formé par la société CBC Preleco, et, par décision du 2 octobre 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 novembre 2017 et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Grenoble.

Par arrêt rendu le 11 juin 2020, la cour d'appel de Grenoble, chambre commerciale, statuant après renvoi, a essentiellement :

- infirmé le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité et de prescription de la société CBC Preleco et l'a déboutée de sa contestation de l'avis de mise en recouvrement concernant le droit spécifique additionnel,

- confirmé le jugement déféré en ses autres dispositions,

- statuant à nouveau,

- annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement n° 200/2013 du 23 décembre 2013,

- constaté que le directeur régional des douanes du Léman est prescrit pour délivrer un nouvel avis de mise en recouvrement,

- y ajoutant, condamné le directeur régional des douanes du Léman à payer à la société CBC Preleco la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à dépens.

La procédure d'appel de la société BP De Lange BV (la présente procédure) :

Par arrêt contradictoire rendu le 30 novembre 2017 (R.G. 16/02524), la cour d'appel de Chambéry a :

dit n'y avoir lieu à invalider la procédure au regard de l'article 67 A du code des douanes, pour manquement au contradictoire,

rejeté en conséquence la demande d'annulation de l'AMR 202/2013,

sursis à statuer sur le fond, dans l'attente de la décision pénale qui sera prononcée devant le tribunal correctionnel de Mâcon,

réservé les autres demandes.

La société BP De Lange BV a formé un pourvoi à l'encontre de cette décision, et, par arrêt rendu le 2 octobre 2019, la Cour de cassation a rejeté ce pourvoi.

La procédure pénale :

Le tribunal correctionnel de Mâcon, par un jugement du 18 juillet 2018, a rejeté les exceptions de nullité soulevées par les prévenus et a déclaré, notamment, les sociétés BP De Lange BV et CBC Preleco coupables des infractions douanières poursuivies et les a condamnées, solidairement avec l'ensemble des prévenus, au paiement d'amendes douanières.

Sur appel de l'ensemble des prévenus, par arrêt rendu le 16 septembre 2021, la cour d'appel de Dijon a essentiellement :

- débouté les prévenus de l'ensemble des exceptions de nullité et de l'exception de prescription invoquées,

- confirmé le jugement déféré sur la culpabilité,

- déclaré les sociétés CBC Preleco et BP De Lange BV solidairement responsables avec [Z] [F] et [H] [O] des amendes douanières encourues,

- débouté les prévenus de toutes leurs autres demandes,

- réformant sur les peines,

- condamné solidairement les quatre prévenus au paiement :

' d'une amende douanière de 250.000 € pour l'infraction d'opération d'achat-revente constitutif de manoeuvres au sens de l'article 426-4 du code des douanes, et de l'article 414 du même code,

' d'une amende douanière de 200.000 € pour l'infraction de non-respect des dispositions de l'article 262 ter I du code général des impôts,

' d'une amende douanière de 1.500 € pour l'infraction de fausse déclaration de valeur prévue et réprimée par les articles 406, 407 et 412 du code des douanes.

Ensuite de cette décision, la procédure concernant l'appel formé par la société BP De Lange BV (R.G. 16/02524) a été rappelée devant la cour d'appel de Chambéry, c'est la présente instance.

Par conclusions récapitulatives n° 3 du 8 septembre 2022, la société BP De Lange BV demande en dernier lieu à la cour de :

Vu l'article 379 du code de procédure civile,

Vu l'article 221 du code des douanes communautaire,

Vu l'article 67 A et suivants, 345, 354 du code des douanes,

Vu la jurisprudence tant nationale que communautaire,

annuler l'avis de mise en recouvrement du 23 décembre 2013,

débouter la direction régionale des douanes de toutes ses demandes,

condamner la direction régionale des douanes à payer à la société BP De Lange BV la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions d'intimé du 29 juin 2022, le directeur régional des douanes et droits indirects du Léman, demande en dernier lieu à la cour de :

Vu le règlement CE n° 341/2007 du 29 mars 2007,

Vu le règlement CE n° 376/2008 du 23 avril 2008,

Vu les articles 38 à 41, 177, 201 et 202§3 du code des douanes communautaire,

Vu les articles 412-2, 414 et 426-4 du code des douanes,

Vu l'article 262 ter-l du code général des impôts,

Vu les articles 378 et 700 du code de procédure civile,

juger que les demandes de la société BP De Lange BV tendant à l'annulation de l'AMR sont irrecevables en raison du caractère définitif de l'arrêt du 30 novembre 2017,

confirmer le jugement du 10 novembre 2016 du tribunal de grande instance d'Annecy en ce qu'il a :

- rejeté les exceptions de nullité et de prescription soulevées par la société BP De Lange BV,

- dit n'y avoir lieu à saisie la CJUE de questions préjudicielles,

- débouté en totalité la société BP De Lange BV de sa contestation contre l'avis de mise en recouvrement n° 202/2013 du 23 décembre 2013 de 381.228 €,

Y ajoutant,

condamner la société BP De Lange BV à verser au directeur de la DRDDI du Léman la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,

condamner la société BP De Lange BV aux dépens.

MOTIFS ET DÉCISION

1/ Sur la régularité formelle de la procédure

La société BP De Lange BV demande à titre principal l'annulation de l'avis de mise en recouvrement n° 202/2013 en raison de l'irrégularité de la procédure suivie à son encontre par l'administration des douanes qui a procédé à une requalification du fondement juridique de son procès-verbal d'infraction dans le cadre de l'examen de la réclamation formée par l'appelante, ce qui entache l'AMR d'une nullité comme ne répondant pas aux exigences de l'article 345 du code des douanes.

Elle soutient que la nullité est également encourue en ce que le montant des droits ne lui a pas été régulièrement communiqué, en contravention des dispositions de l'article 221 du code des douanes communautaire.

La société BP De Lange BV soutient encore que l'arrêt rendu le 30 novembre 2017 par la cour d'appel de Chambéry, qui a dit n'y avoir lieu à invalider la procédure, ne s'est prononcé que sur la question du manquement au principe du contradictoire au regard de l'article 67 A du code des douanes, de sorte que la cour resterait saisie de l'irrégularité formelle de l'AMR fondée sur les moyens ci-dessus rappelés.

L'administration des douanes soutient pour sa part que l'arrêt du 30 novembre 2017 est définitif en ce qu'il a statué sur la régularité de la procédure et qu'il ne peut être à nouveau invoqué un moyen de nullité de celle-ci.

Les parties ne se fondent sur aucun texte en particulier pour conclure comme elles l'ont fait sur la recevabilité de la demande de l'appelante tendant à voir annuler l'AMR litigieux pour irrégularité de la procédure. La question posée est ici incontestablement celle de l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt définitif du 30 novembre 2017.

En application de l'article 1355 du code civil (ancien article 1351), l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

L'article 480 du code de procédure civile dispose que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4.

Il est de jurisprudence constante qu'il incombe au demandeur de présenter, dès l'instance relative à la première demande, l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci.

En l'espèce, l'arrêt de cette cour du 30 novembre 2017 a définitivement jugé qu'il n'y a pas «lieu à invalider la procédure au regard de l'article 67 A du code des douanes, pour manquement au contradictoire». C'est la portée de cette disposition qu'il convient d'apprécier.

Il est constant que les moyens nouveaux développés par la société BP De Lange BV aux fins d'annulation de l'AMR n'ont pas été soumis au premier juge, ni à la cour d'appel avant son arrêt du 30 novembre 2017. Or ils tendent aux mêmes fins que ceux qui ont d'ores et déjà été définitivement rejetés par cette décision.

Aussi, et quand bien même ces moyens n'auraient pas été examinés précédemment, la société BP De Lange BV n'est pas recevable à solliciter, à nouveau, qu'il soit statué sur la régularité formelle de la procédure douanière antérieure à l'émission de l'AMR, faute pour elle d'avoir invoqué dès les débats ayant eu lieu devant la cour avant l'arrêt du 30 novembre 2017, les moyens nouveaux qu'elle développe.

Il n'y a donc pas lieu d'examiner les griefs émis par la société BP De Lange BV relatifs à la régularité formelle de l'AMR et fondés sur :

- le non respect des dispositions de l'article 345 du code des douanes,

- la communication irrégulière du montant des droits, en contravention des dispositions de l'article 221 du code des douanes communautaire.

2/ Sur le fond

La qualité de co-débiteur de la société BP De Lange BV

L'appelante soutient qu'elle n'a pas la qualité de co-débiteur de la dette douanière en ce que :

- l'article 399 du code des douanes invoqué par l'administration ne serait applicable qu'en matière pénale,

- qu'elle n'est pas le déclarant et ne peut donc être recherchée sur le fondement de l'article 201 du code des douanes communautaire,

- qu'il n'est pas démontré que la marchandise ait été introduite irrégulièrement de sorte que la dette douanière ne pourrait lui être imputée sur le fondement de l'article 202 du code des douanes communautaire,

- qu'enfin les sociétés importatrices, membres du groupe De Lange, sont des entités distinctes, de sorte qu'on ne peut imputer à la seule société BP De Lange BV l'ensemble des droits sur les transactions litigieuses.

L'administration des douanes soutient pour sa part que :

- l'article 201 du code des douanes communautaire n'a jamais été le fondement de la dette douanière, mais bien l'article 202 § 3, seul visé dans le procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013 et dans le rejet de la contestation de l'AMR,

- que dans ce cas, dès lors que l'infraction est jugée caractérisée, l'opération est réputée irrégulière au sens de l'article 202 § 3, ce qui est bien le cas en l'espèce (infraction de l'article 426-4 du code des douanes),

- que si les mandats de représentation en douane litigieux ont été émis au nom de huit sociétés différentes appartenant au groupe De Lange, chacun d'eux a été signé avec le tampon de la société BP De Lange BV par le représentant de celle-ci, que toutes ces sociétés ont la même adresse postale, le même numéro de téléphone et de télécopie et la même adresse de messagerie, et qu'il n'est pas justifié de l'existence d'entités juridiquement indépendantes de l'appelante, de sorte que c'est bien elle qui est redevable de la dette douanière.

La lecture du procès-verbal de constat du 10 décembre 2013 révèle que l'article 201 du code des douanes communautaire n'est pas visé, mais seulement l'article 202, de sorte que le moyen tiré de ce que la société BP De Lange BV ne serait pas le déclarant au sens de l'article 201 est inopérant pour l'exonérer de la dette douanière.

Concernant l'identité des sociétés ayant procédé aux opérations litigieuses, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte expressément que le tribunal a relevé que si les mandats de représentation en douane donnés à la société DHL l'ont été au nom de plusieurs entités du groupe De Lange, ces mandats, qui portent tous la même date, ont été signés par la même personne avec le tampon de la société BP De Lange BV qui en est donc la seule signataire.

L'erreur de secrétariat invoquée par l'appelante n'est pas sérieuse puisque, ainsi que cela ressort des pièces produites, ces sociétés ont toutes la même adresse postale, le même numéro de téléphone et de télécopie et la même adresse électronique. Les documents produits en pièces n° 7 à 17 par l'appelante sont insuffisants pour établir l'existence d'entités juridiquement indépendantes de la société BP De Lange BV. En effet, ces pièces, qui seraient l'équivalent hollandais de l'extrait Kbis, n'ont pas été traduites et sont donc inexploitables. Aucun autre élément n'est produit pour établir l'indépendance de ces différentes structures à l'égard de la société BP De Lange BV, alors qu'elles ont toutes contracté le même jour, sous la même signature, avec la même société Preleco, pour en définitive revendre immédiatement à celle-ci la marchandise qu'elle a elle-même importée.

L'administration des douanes souligne à juste titre que l'appelante n'explique pas pourquoi chacune des sociétés du groupe a besoin de la signature de la société BP De Lange BV pour s'engager.

Par ailleurs, c'est en vain que l'appelante produit une attestation selon laquelle les sociétés du groupe De Lange seraient des importateurs réputés et actifs depuis 60 ans (pièce n° 30). Cette activité n'est en effet nullement incompatible avec la commission de l'infraction qui leur est reprochée, et ce document, très succinct, n'établit aucunement l'autonomie des différentes sociétés à l'égard de la société BP De Lange BV.

Concernant la régularité des opérations litigieuses, l'article 202 du code des douanes communautaire, applicable au litige (aujourd'hui remplacé par le code des douanes de l'Union) dispose que :

«1. Fait naître une dette douanière à l'importation :

a) l'introduction irrégulière dans le territoire douanier de la Communauté d'une marchandise passible de droits à l'importation

ou

b) s'agissant d'une telle marchandise se trouvant dans une zone franche ou en entrepôt franc, son introduction irrégulière dans une autre partie de ce territoire.

Au sens du présent article, on entend par introduction irrégulière, toute introduction en violation des articles 38 à 41 et article 177 deuxième tiret.

2. La dette douanière naît au moment de l'introduction irrégulière.

3. Les débiteurs sont :

- la personne qui a procédé à cette introduction irrégulière,

- les personnes qui ont participé à cette introduction en sachant ou en devant raisonnablement savoir qu'elle était irrégulière,

- ainsi que celles qui ont acquis ou détenu la marchandise en cause et qui savaient ou devaient raisonnablement savoir au moment où elles ont acquis ou reçu cette marchandise qu'il s'agissait d'une marchandise introduite irrégulièrement.»

Il est de jurisprudence constante que, dès lors que l'opération d'importation en cause est constitutive d'une infraction douanière, l'introduction de la marchandise concernée est réputée irrégulière. L'introduction irrégulière ne se réduit ainsi pas à la seule absence de présentation en douane comme le prétend l'appelante.

Or en l'espèce, ainsi que l'a justement relevé le tribunal, le mécanisme décrit plus haut, entre la société Preleco et le groupe De Lange, a été observé sur 35 opérations en moins de 4 mois, et génère au profit de ce dernier un profit immédiat, sans frais ni risque. Le véritable importateur est ici la société Preleco, et non l'une des entités du groupe De Lange, et le mécanisme a été mis en oeuvre pour permettre à la société Preleco d'échapper au droit spécifique.

L'intérêt de la société BP De Lange BV à la réalisation de cette opération est double :

- d'une part, elle réalise une légère marge, sans aucun risque commercial,

- d'autre part, elle conserve ses certificats d'importation pour pouvoir continuer à bénéficier de l'exonération du droit spécifique, alors même qu'elle n'aurait pas elle-même réalisé des transactions lui permettant de les conserver.

Sur ce dernier point la société BP De Lange BV soutient que depuis lors les certificats sont devenus cessibles.

Toutefois cet argument est inopérant dès lors qu'à la date des faits ces certificats n'étaient pas cessibles et qu'en outre, ainsi que cela a été amplement caractérisé par le premier juge, mais aussi par l'arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Dijon, la pratique est ici constitutive d'un abus manifeste puisque ayant permis d'éluder un montant important de droits de douanes pour des quantités importantes comme représentant une part très significative du tonnage importé par la société Preleco (plus de 42 % pour les années 2010 et 2011.)

Au demeurant, la société BP De Lange BV a été déclarée coupable des infractions douanières pour lesquelles elle était poursuivie.

Ces éléments justifient donc que la société BP De Lange BV soit tenue comme co-débiteur des droits de douanes éludés.

Sur l'exonération indue de TVA française (régime 42) :

La société BP De Lange BV soutient qu'elle ne peut être tenue responsable de l'absence de paiement de la TVA, dès lors qu'elle n'était pas intéressée à la fraude.

Toutefois, l'infraction correspondante a bien été retenue à l'encontre de la société BP De Lange BV qui, participant pleinement à l'opération, ne pouvait ignorer que les marchandises n'étaient pas destinées à quitter le territoire français puisque le mécanisme même permettait de le comprendre.

Ainsi, l'exonération de TVA ne pouvait à l'évidence pas être applicable. Elle a d'ailleurs été sanctionnée pénalement pour cette infraction.

Sur les manoeuvres constitutives d'un abus de droit :

La société BP De Lange BV soutient que les opérations réalisées ne seraient pas constitutives d'un abus de droit.

Toutefois, ces manoeuvres résultent amplement des développements ci-dessus et ont été également développées par l'arrêt pénal précité.

L'appelante invoque l'arrêt rendu par la CJUE le 13 mars 2014 (affaire 155/13), selon lequel la pratique litigieuse aurait été déclarée licite.

Toutefois, selon cet arrêt, rendu sur question préjudicielle, la Cour a jugé que «l'article 6, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 341/2007 de la Commission, du 29 mars 2007, portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires et instaurant un régime de certificats d'importation et de certificats d'origine pour l'ail et certains autres produits agricoles importés des payés tiers, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union européenne auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel au sens de l'article 4, paragraphe 2, de ce règlement mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union. Toutefois, de telles opérations sont constitutives d'un abus de droit lorsqu'elles ont été conçues artificiellement dans le but essentiel de bénéficier du tarif préférentiel. La vérification de l'existence d'une pratique abusive exige de la juridiction de renvoi qu'elle prenne en compte tous les faits et les circonstances de l'espèce, y compris les opérations commerciales précédant et suivant l'importation en cause.»

L'abus de droit est ici bien établi selon ces critères, puisque les importations réalisées, portant sur 35 transactions en moins de quatre mois, sont parfaitement artificielles et ont permis à la société Preleco d'échapper à une taxation pour des volumes de marchandises importants en considération du volume total de son activité, faussant ainsi le jeu de la concurrence en la faisant bénéficier d'un tarif préférentiel, avec la complicité de la société BP De Lange BV.

En procédant comme indiqué ci-dessus, la société BP De Lange BV, quant à elle, ne prend aucun risque commercial, puisqu'elle achète et revend la marchandise le même jour et pour des quantités identiques à la même société Preleco.

Par ailleurs, la marge réalisée équivaut uniquement au paiement, par la société Preleco, du service qui lui est rendu par la société BP De Lange BV, et n'est d'ailleurs la contrepartie d'aucune autre prestation que celle de lui permettre de contourner les droits de douanes normalement dus.

La société BP De Lange BV invoque encore un prétendu défaut de consultation des autorités compétentes, à savoir France Agrimer. Toutefois l'appelante n'invoque aucun texte à l'appui de cet argument qui ne repose sur aucune considération juridique. Il est donc inopérant.

Enfin, l'appelante soutient que les douanes néerlandaises auraient validé les opérations litigieuses.

Toutefois cet argument est là encore dénué de toute portée dès lors que la lecture de la pièce n° 29 produite à l'appui par l'appelante, révèle que la citation qui en est faite dans ses conclusions est tronquée et qu'en réalité les douanes néerlandaises n'ont donné aucun avis sur les transactions litigieuses et que c'est la société BP De Lange BV elle-même qui a prétendu, auprès des douanes néerlandaises, que «la méthode utilisée et l'utilisation des certificats sont habituelles».

Il résulte de tout ce qui précède que la société BP De Lange BV est redevable de l'ensemble des taxes et droits pour lesquels l'AMR a été émis et le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.

3/ Sur les autres demandes

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'administration des douanes la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société BP De Lange BV, qui succombe en son appel, supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la Loi,

Déclare irrecevable la demande de la société BP De Lange BV en annulation de l'avis de mise en recouvrement n° 202/2013 du 23 décembre 2013, sur le fondement de l'irrégularité formelle de celui-ci,

Au fond, confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Annecy le 10 novembre 2016 en toutes ses dispositions critiquées,

Y ajoutant,

Condamne la société BP De Lange BV à payer à M. le directeur régional des douanes et droits indirects du Léman la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société BP De Lange BV aux entiers dépens de l'appel.

Ainsi prononcé publiquement le 27 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 16/02524
Date de la décision : 27/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-27;16.02524 ?
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