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06/10/2022 | FRANCE | N°21/00301

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 06 octobre 2022, 21/00301


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 06 Octobre 2022



N° RG 21/00301 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GT3A



Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de THONON LES BAINS en date du 08 Décembre 2017, RG 14/01777



Appelants



Mme [J] [O]

née le 20 Février 1942 à [Localité 6] - ITALIE, demeurant [Adresse 1]



Représentée par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL BASTID ARNAUD, avocat plai

dant au barreau de BONNEVILLE



*****



M. [C] [N], demeurant Lieudit [Adresse 5]



Représenté par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 06 Octobre 2022

N° RG 21/00301 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GT3A

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de THONON LES BAINS en date du 08 Décembre 2017, RG 14/01777

Appelants

Mme [J] [O]

née le 20 Février 1942 à [Localité 6] - ITALIE, demeurant [Adresse 1]

Représentée par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL BASTID ARNAUD, avocat plaidant au barreau de BONNEVILLE

*****

M. [C] [N], demeurant Lieudit [Adresse 5]

Représenté par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Damien MEROTTO, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimées

Mme [I] [L] [S], demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Bérangère HOUMANI, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SCP DENIAU ROBERT LOCATELLI, avocat plaidant au barreau de GRENOBLE

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS, dont le siège social est sis [Adresse 3] prise en la personne de son représentant légal

sans avocat constitué

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 28 juin 2022 par Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller, avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente,

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, qui a rendu compte des plaidoiries,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [J] [O] et Monsieur [C] [N] sont propriétaires de maisons d'habitation voisines avec terrains attenants sur la commune d'[Localité 4].

La propriété de Monsieur [N] comprenait deux maisons jumelées par les garages, ainsi qu'un bâtiment annexe séparé, ce dernier étant situé en limite de propriété avec le fonds de Madame [O].

Par arrêté du 19 juin 2009, Monsieur [N] a obtenu un permis de construire l'autorisant notamment à créer une surface habitable de toiture sur la terrasse des garages des villas puis à créer un logement d'habitation dans le bâtiment séparé. Les travaux ont été confiés à Madame [K], architecte.

Par jugement définitif du 30 mai 2013, alors que le projet avait été exécuté, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le permis de construire ayant autorisé les travaux, considérant notamment que le projet ne respectait pas l'article U7 du plan local d'urbanisme.

Consécutivement, et après un premier constat du 29 avril 2010, Madame [O] a fait constater l'état de la construction de Monsieur [N] le 8 octobre 2014 puis l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance aux fins de démolition des constructions réalisées.

Par actes des 28 janvier 2015 et 7 janvier 2016, Monsieur [N] a appelé en cause Madame [I] [L] [S] ainsi que la Mutuelle des architectes français, demandant leur condamnation à le relever et garantir de toute condamnation.

Deux ordonnances de jonction ont été rendues le 23 juin 2015 et le 22 mars 2016.

Par ordonnance du 15 novembre 2018, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Chambéry a constaté le désistement de Monsieur [N] à l'encontre de la Mutuelle des architectes français et mis cette dernière hors de cause.

Concurremment, par jugement du 7 juin 2018, confirmé par arrêt définitif du 22 mai 2019, le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains a ordonné la démolition des ouvrages.

Le dossier civil a ultérieurement fait l'objet d'un retrait du rôle le 25 février 2019.

Puis, au cours du mois de février 2021, Monsieur [N] a pris des conclusions interruptives de péremption et récapitulatives en vue de reprendre l'instance.

Par jugement contradictoire du 8 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a :

- débouté Madame [O] de sa demande de démolition des ouvrages construits par Monsieur [N],

- condamné Monsieur [N] à payer à Madame [O] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné Madame [K] à relever et garantir Monsieur [N] de cette condamnation dans la limite d'une somme de 5 000 euros,

- débouté Monsieur [N] et Madame [K] de leurs prétentions formées à l'encontre de la Mutuelle des architectes français,

- condamné in solidum Monsieur [N] et Madame [L] [S] à payer à Madame [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum Monsieur [N] et Madame [L] [S] à payer à la Mutuelle des architectes français la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum Monsieur [N] et Madame [L] [S] aux dépens de l'instance, avec droit de recouvrement direct au profit de la Selas Riera Trystram Azema et de la Selarl Favre Dubouloz Cofy.

Par actes des 24 et 25 janvier 2018, Madame [J] [O] d'une part, et Monsieur [C] [N] d'autre part, ont interjeté appel du jugement.

Ces appels ont été joints le 29 janvier 2018.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 19 novembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Madame [O] demande à la cour de :

- constater sa renonciation quant à sa demande de démolition des ouvrages construits illicitement par Monsieur [N],

- dire et juger que les jours ouvrages construits par Monsieur [N] lui causent un préjudice en termes de vue, d'intimité et d'environnement,

- condamner en conséquence Monsieur [N] à lui payer une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de ce préjudice,

- confirmer le jugement du 8 décembre 2017 en ce qu'il a condamné Monsieur [N] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel avec application pour les dépens d'appel des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Scp Bollonjeon.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Monsieur [N] demande pour sa part à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains le 8 décembre 2017 en ce qu'il a débouté Madame [O] de sa demande de démolition des ouvrages construits par Monsieur [N],

- réformer la décision pour le surplus,

Statuant à nouveau, à titre principal,

Sur la demande en dommages et intérêts de Madame [O],

- la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

À titre subsidiaire,

Sur ses demandes à l'encontre de Madame [L] [S],

- condamner Madame [L] [S] à le relever et garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de Madame [O] tant en principal, dommages-intérêts, frais, intérêts, frais irrépétibles et dépens,

En tout état de cause,

- débouter Madame [O] et Madame [L] [S] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner Madame [O] et Madame [L] [S] à lui payer chacune la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens dont distraction au profit de Maître Forquin, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Madame [L] [S] demande à la cour de :

Sur le rejet des demandes de Madame [O],

- dire et juger que Madame [O] n'administre pas la preuve du principe et du quantum du préjudice soi-disant consécutif aux travaux réalisés sur la propriété de Monsieur [N],

- rejeter les demandes de Madame [O],

- dire et juger l'appel en cause formé à son encontre est sans objet,

- la mettre hors de cause,

En toute hypothèse sur la mise hors de cause de Madame [L] [S] et à tout le moins sa responsabilité nécessairement très limitée,

- constater qu'elle a, conformément à son engagement contractuel, obtenu le permis de construire,

- constater que Monsieur [N] a pour sa part :

engagé les

travaux sans afficher le permis de construire et épuiser au préalable le recours des tiers,

négligé d'assurer la défense de son permis de construire devant le tribunal administratif,

négligé d'exercer un appel contre le jugement d'annulation de son permis de construire,

- dire et juger qu'aucune preuve d'une faute de sa part et de son lien de causalité avec les dommages allégués n'est rapportée,

- rejeter toute demande formée à son encontre,

Subsidiairement,

- dire et juger qu'une part de responsabilité d'au moins 80% doit demeurer à charge de Monsieur [N] du fait de ses propres fautes,

En toute hypothèse,

- rejeter toute demande de condamnation formée contre elle à relever et garantir Monsieur [N] des astreintes éventuellement prononcées contre lui,

Sur le moyen de défense complémentaire opposée à la demande provisionnelle de Monsieur [N],

- juger que les moyens de défense fondés sur son absence de responsabilité et à tout le moins sa responsabilité nécessairement très limitée visent tous les chefs de demande formés contre elle,

- lui donner acte que la demande principale formée contre elle par Monsieur [N] en indemnisation provisionnelle de la démolition ordonnée par le juge pénal se voit opposer un moyen de défense complémentaire,

- juger que la condamnation pénale à démolir prononcée contre Monsieur [N] est fondée exclusivement sur ses propres fautes et en particulier le non-respect par ses soins du permis de construire et du PLU,

- juger que les juridictions pénales n'ont retenu aucun manquement de sa part au soutien des condamnations prononcées contre Monsieur [N],

- juger de plus qu'aucune responsabilité ne saurait être mise à sa charge de ce chef,

En toute hypothèse,

- condamner Monsieur [N] ou qui mieux le devra à lui verser la somme de 3 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le même aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Houmani.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il importe, à titre liminaire, de mentionner que la cour n'est tenue de répondre qu'aux prétentions des parties régulièrement reprises dans le dispositif de leurs conclusions et que les demandes de constatation ou de 'dire et juger', qui ne sauraient s'analyser comme des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, ne saisissent nullement la cour qui n'a pas à y répondre.

Sur la demande de démolition

Aux termes de ses dernières conclusions, Madame [O] renonce à ses prétentions initiales quant à la démolition de l'ouvrage de sorte que la cour n'est pas saisie d'une quelconque demande de ce chef en cause d'appel, étant en outre rappelé que la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Chambéry a définitivement statué sur ce point par arrêt du 22 mai 2019.

Sur la demande indemnitaire présentée par Madame [O]

L'article L.480-13 2° du code de l'urbanisme prévoit que le constructeur ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à des dommages et intérêts que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou si son illégalité a été constatée par la juridiction administrative. L'action en responsabilité civile doit être engagée au plus tard deux ans après l'achèvement des travaux.

Il est, en l'espèce, constant que le permis de construire ayant initialement autorisé les constructions litigieuses a été annulé par décision définitive du tribunal administratif de Grenoble en date du 30 mai 2013.

Il convient toutefois d'ajouter, qu'en exécution des décisions de justice administrative et pénales rendues à son encontre, et en vue de procéder à une régularisation de la situation, Monsieur [N] a sollicité et obtenu, selon permis de construire définitif du 13 février 2020, l'autorisation de procéder à des mesures correctives lui ayant permis de terminer son projet de construction, conformément aux prescriptions administratives applicables. A ce titre, est notamment versé aux débats un procès-verbal du 28 septembre 2020, dressé par le Maire de la commune et son adjoint à l'urbanisme, constatant que Monsieur [N] avait respecté les prescriptions du nouveau permis de construire qui lui avait été accordé en :

- démolissant la toiture trois pans du bâtiment annexe situé en limite de propriété,

- démolissant l'extension de ce bâtiment,

- remettant l'extension réalisée dans sa configuration d'origine.

Il importe en tout état de cause de retenir, que l'action indemnitaire de Madame [O] soit fondée sur les dispositions de l'article L.480-13 2° du code de l'urbanisme, ou sur celles de l'article 1240 du code civil ou encore sur la notion de trouble anormal du voisinage, que l'octroi de dommages et intérêts nécessite la démonstration d'un préjudice effectif et objectivable pour celui qui revendique l'indemnisation de son dommage.

Or, Madame [O], à qui il appartient de démontrer la matérialité du préjudice allégué, ne produit au soutien de sa demande aucun témoignage, aucune photographie ni aucun constat d'huissier postérieur à l'achèvement des travaux justifiant de la matérialité d'un préjudice alors-même qu'il est acquis que sa propriété n'a pas été privée d'une vue spécifique par la construction voisine et qu'il n'existe par ailleurs aucun préjudice d'ensoleillement la concernant. Aussi, une simple impression visuelle de la création d'un volume supérieur sur la propriété voisine, par essence subjective, ne saurait ipso facto et efficacement constituer la démonstration d'un quelconque préjudice.

Enfin, l'impact majeur sur l'environnement, tel qu'allégué par Madame [O], n'est pas étayé de sorte qu'elle ne peut qu'être déboutée de sa demande indemnitaire. En ce sens, l'action en garantie diligentée contre Madame [L] [S] s'avère en conséquence sans objet.

Le jugement déféré sera donc réformé.

Sur les demandes annexes

Madame [O], qui succombe à l'instance, est condamnée à payer la somme de 2 500 euros à Monsieur [N] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. L'appel en cause de Madame [L] [S] était en outre justifié au regard de l'action principale de Madame [O] de sorte qu'il n'est pas inéquitable de la condamner à lui verser une somme de 2 500 euros au titre des mêmes dispositions, quand bien même la première n'aurait élevé aucune prétention directe contre la seconde.

Madame [O] est enfin condamnée aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Forquin et de Maître Houmani s'agissant des frais dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Réforme la décision déférée sauf en ce qu'elle a débouté Madame [J] [O] de sa demande de démolition des ouvrages construits par Monsieur [C] [N],

Statuant à nouveau,

Déboute Madame [J] [O] de sa demande indemnitaire,

Y ajoutant,

Condamne Madame [J] [O] à payer la somme de 2 500 euros à Monsieur [C] [N] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Madame [J] [O] à payer la somme de 2 500 euros à Madame [I] [L] [S] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne Madame [J] [O] aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Forquin et de Maître Houmani s'agissant des frais dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

Ainsi prononcé publiquement le 06 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La GreffièreP/La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/00301
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;21.00301 ?
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