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06/10/2022 | FRANCE | N°20/01553

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 06 octobre 2022, 20/01553


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 06 Octobre 2022



N° RG 20/01553 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSO6



Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 12 Novembre 2020, RG 12/01002



Appelants



M. [A] [K]

né le 13 Mai 1950 à [Localité 21] [Localité 21] (RFA),

et

Mme [W] [HU] épouse [K]

née le 28 Février 1953 à [Localité 20],

demeurant ensemble [Adresse 3]



ReprÃ

©sentés par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERYet la SELARL C. & D. PELLOUX, avocat plaidant au barreau d'ANNECY



Intimés



Mme [X] [R] épouse [U]

née le 26 Août 1...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 06 Octobre 2022

N° RG 20/01553 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSO6

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 12 Novembre 2020, RG 12/01002

Appelants

M. [A] [K]

né le 13 Mai 1950 à [Localité 21] [Localité 21] (RFA),

et

Mme [W] [HU] épouse [K]

née le 28 Février 1953 à [Localité 20],

demeurant ensemble [Adresse 3]

Représentés par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERYet la SELARL C. & D. PELLOUX, avocat plaidant au barreau d'ANNECY

Intimés

Mme [X] [R] épouse [U]

née le 26 Août 1974 à [Localité 20], demeurant [Adresse 1]

M. [G]-[M] [R]

né le 17 Avril 1942 à [Localité 26], demeurant [Adresse 2]

Représentés par la SELARL AVOCALP DUFOUR MUGNIER LYONNAZ PUY, avocat au barreau d'ANNECY

M. [O] [R]

né le 26 Juin 1970 à [Localité 20], demeurant [Adresse 25] - BENIN -

M. [G]-[J] [R]

né le 30 Mars 1972 à [Localité 20], demeurant [Adresse 27] -ALLEMAGNE -

Représentés par Me Isabelle BRESSIEUX, avocat au barreau d'ANNECY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 28 juin 2022 par Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller, avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente,

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, qui a rendu compte des plaidoiries,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Par actes du 4 août 1967, M. [L] [Y] [I] a cédé à ses trois nièces deux parcelles cadastrées section A n° [Cadastre 7] et [Cadastre 9] lieudit '[Localité 24]' à Duingt qu'il a divisées en quatre parcelles selon plan établi par M. [V] [D] et ainsi transmis :

- à Mme [N] [S], la parcelle [Cadastre 8] de 2529 m² figurant sous teinte jaune au plan annexé dans l'acte,

- à Mme [E] [S], les parcelles [Cadastre 8] de 1531m² et 588p de 1441m² figurant sous teinte rose au plan,

- à Mme [Z] [S] épouse [WW], la parcelle [Cadastre 10] d'une contenance de 2536m² figurant sous teinte verte au plan.

Les trois actes de vente font référence à un acte du même jour de constitution de servitude instituant sur les parcelles [Cadastre 8] et [Cadastre 10] vendues à [E] [S] un droit de passage rejoignant le [Adresse 22] à pied et à voiture de 4 mètres de largeur sur le flanc Ouest des parcelles vendues au profit de la parcelle [Cadastre 8] à [N] [S] et de la parcelle [Cadastre 10] vendue à Mme [C] [S] épouse [WW].

Par acte du 21 août 1974, Madame [E] [S] a vendu ses terrains, fonds servants, à M. [H] [B] qui les a divisés, obtenu l'autorisation de lotir et les a revendus. Du fait des cessions, divisions et révisions cadastrales intervenues, sont actuellement propriétaires du fonds servant :

- M. [A] [K] et Mme [W] [HU] son épouse (ci-après les époux [K]), pour les parcelles actuellement cadastrées section AO n° [Cadastre 11]-[Cadastre 4]-[Cadastre 6] qui sont celles situées en bordure de la route de Fregy selon acte du 10 août 1981,

- la Sci Fergy [Localité 23], pour les parcelles [Cadastre 5] et [Cadastre 19] selon acte du 13 septembre 2004,

- M. [P] [F] et Mme [EA] [T], pour la parcelle A [Cadastre 18] selon acte du 30 mars 2015.

Par acte de donation partage du 31 juillet 2012, les époux [N] [S] et [G]-[M] [R] ont divisé en trois leur parcelle [Cadastre 8] d'une contenance de 2529m², devenue section AO n°[Cadastre 13], bénéficiaire de la servitude en tant que fonds dominant, pour les transmettre à leurs trois enfants de la manière suivante :

- Mme [X] [R] épouse [U] s'est vue attribuer la nue-propriété de la parcelle bâtie AO [Cadastre 15], les époux [G]-[M] et [N] [R] ayant adopté le régime de la communauté universelle depuis le 21 mars 2012 demeurant usufruitiers de leur maison d'habitation implantée sur cette parcelle [Cadastre 15],

- M. [O] [R] s'est vu attribuer la pleine propriété de la parcelle AO [Cadastre 16] de 585 m² non construite,

- M. [G]-[J] [R] s'est vu attribuer la pleine propriété de la parcelle AO [Cadastre 17] de 551 m² non construite.

Par délibération du 28 septembre 2011, la commune de [Localité 23] a décidé la création d'une nouvelle voie communale ouverte au public desservant par le Nord le lotissement des vergers. Un contentieux concernant l'utilité actuelle de la servitude conventionnelle au regard de cette nouvelle voie communale est survenu entre les époux [K] et les époux [R]. Ces derniers, alors que les époux [K] leur demandaient s'ils renonçaient à leur servitude, ont en effet refusé de le faire.

Par acte du 11 juin 2012, les époux [K] et la SCI Fergy [Localité 23] ont alors assigné Mme [N] [S] épouse [R] aux fins de faire juger l'extinction de la servitude conventionnelle grevant leurs parcelles du fait du désenclavement obtenu par la construction de la nouvelle voie communale. Ils ont ensuite assigné, par acte du 10 mars 2014, Mme [X] [R] épouse [U].

Par ordonnance du 25 avril 2014, le juge de la mise en état a joint cette dernière procédure à l'instance principale.

Une première clôture de l'instance est intervenue le 14 octobre 2016 et par jugement du 30 mars 2017, le tribunal de grande instance d'Annecy a ordonné la réouverture des débats et invité à appeler en cause MM. [O] et [G]-[J] [R], propriétaires depuis le 31 juillet 2012 des parcelles [Cadastre 16] et [Cadastre 17] bénéficiant aussi de la servitude, ce que les époux [K] ont fait par actes des 3 et 4 octobre 2017, invitant aussi dans la cause M. [G]-[M] [R], procédure également jointe à l'instance principale par ordonnance du 6 décembre 2017.

Dans l'intervalle, Mme [N] [S] épouse [R] est décédée laissant pour lui succéder son époux et ses trois enfants lesquels sont dans la procédure.

Par jugement contradictoire du 12 novembre 2020, le tribunal judiciaire d'Annecy a :

- constaté que l'état d'enclave des parcelles cadastrées section AO n° [Cadastre 16] et [Cadastre 17] commune de [Localité 23] a cessé,

- prononcé pour ce qui les concerne l'extinction de la servitude de passage dont elles bénéficiaient sur les propriétés de M. et Mme [K] désormais cadastrées [Cadastre 4]-[Cadastre 6]-[Cadastre 11]-[Cadastre 12] en vertu d'un acte authentique du 4 août 1967,

- fait défense à MM. [O] et [G]-[J] [R] d'utiliser cette servitude pour accéder à leurs fonds,

- débouté M. et Mme [K] de leur demande tendant à faire constater l'extinction de la servitude grevant leur fonds au profit de la parcelle n°[Cadastre 15] en vertu de l'acte authentique du 04 août 1967,

- débouté Mme [N] [S] épouse [R], M. [G] [R] et Mme [X] [R] épouse [U] de leur demande reconventionnelle aux fins de déplacement sous astreinte de végétaux et d'ouvrages sur le tracé de cette servitude,

- débouté Mme [N] [S] épouse [R], M. [G] [R] et Mme [X] [R] épouse [U] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné solidairement M. [A] [K] et Mme [W] [HU] épouse [K] à verser à Mme [N] [S] épouse [R], M. [G] [R] et Madame [X] [R] épouse [U] pris indivisément la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté MM [O] et [G]-[J] [R] de leurs demandes par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [O] [R] et M. [G]-[J] [R] à verser à M. [A] [K] et Mme [W] [HU] épouse [K] pris indivisément la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamné M. [A] [K] et Mme [W] [HU] épouse [K], d'une part, et M. [O] [R] et M. [G]-[J] [R], d'autre part, chacun pour moitié aux dépens de la présente instance, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Selarl Avocalp Dufour Mugnier Lyonnaz Puy et de la selarl C.&D. Pelloux et Letoublon,

- déclaré le présent jugement exécutoire par provision,

- débouté les parties pour le surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 17 décembre 2020, les époux [K] ont interjeté appel du jugement.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 20 juillet 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les époux [K] demandent à la cour de :

- dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté,

- infirmer le jugement en ce qu'il a les a déboutés de leur demande tendant à faire constater l'extinction de la servitude grevant leur fonds au profit des parcelles 'n°[Cadastre 15] et [Cadastre 14]' en vertu de l'acte authentique du 4 août 1967,

statuant à nouveau,

- juger que la servitude de passage instituée par acte authentique du 4 août 1967 leur est inopposable à défaut de publication du titre constitutif de la servitude auprès des services de la publicité foncière, de mention de la servitude dans leur acte de propriété et de connaissance, au moment de leur acquisition, de l'existence de cette servitude de passage,

- constater que la parcelle A [Cadastre 13] alors propriété de Mme [N] [S] épouse [R] dont sont issues les parcelles 'n° [Cadastre 15] et [Cadastre 14]' ont été désenclavées par l'effet de la création de la route des vergers le 28 juillet 2011 et sa mise en service le 31 mai 2012 antérieurement à sa division par l'effet de la donation / partage du 31 juillet 2012,

- constater l'extinction de la servitude conventionnelle de passage du 4 août 1967 à cette date s'agissant de l'ensemble des parcelles issues de la division de la parcelle A [Cadastre 13], en ce compris les parcelles 'AO [Cadastre 15] et [Cadastre 14]',

- constater que s'agissant d'un fait d'enclave volontaire, les propriétaires des parcelles 'AO [Cadastre 15] et [Cadastre 14]' ne sont plus fondés à solliciter un quelconque passage sur leur fonds,

- constater que par application des dispositions de l'article 684 du code civil les propriétaires des parcelles 'AO [Cadastre 15] et [Cadastre 14]' ne démontrent pas qu'ils ne disposeraient pas d'un passage suffisant sur les fonds issus de la division du tènement originaire constitué par l'ancienne parcelle A [Cadastre 13],

- prendre acte de leur accord pour laisser à la parcelle AO [Cadastre 15] le bénéfice de la servitude en tréfonds sur l'assiette de la servitude de passage conventionnelle du 4 août 1967 pour le passage des diverses canalisations et réseaux souterrains existants,

- faire défense à M. [G] [R] et à Mme [X] [R] épouse [U] et à tout propriétaire des parcelles 'AO [Cadastre 15] et [Cadastre 14]" d'utiliser cette servitude pour accéder à leur fonds,

- débouter M. [G]-[M] [R] et Mme [X] [R] de leur demande de condamnation solidaire des époux [K] d'avoir à leur payer la somme provisionnelle de 82 607 euros, en retenant le caractère infondé et injustifié de cette demande,

- débouter M. [G]-[M] [R], Mme [X] [R], M. [O] [R] et M. [G]-[J] [R] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions contraires,

- réformer le jugement en ce qu'il les a condamnés solidairement à verser à Mme [N] [S] épouse [R], M. [G] [R] dit [G]-[M] et Mme [X] [R] épouse [U] pris indivisément la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné Messieurs [O] et [G]-[J] [R] à leur verser, pris indivisément, la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

- condamner solidairement M. [G] [R], Mme [X] [R] épouse [U], M. [G] [R], Mme [X] [R] épouse [U], MM. [O] et [G]-[J] [R] à leur verser la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles exposés par eux au cours de la procédure de première instance et de la procédure d'appel,

- réformer le jugement en ce qu'il les a condamnés ainsi que M. [G] [R], Mme [X] [R] épouse [U], MM [O] et [G]-[J] [R] pour moitié aux dépens de l'instance avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Selarl Avocalp Mugnier Lyonnaz Puy et de la Selarl C.&D. Pelloux et Letoublon,

statuant à nouveau,

- condamner solidairement M. [G] [R], Mme [X] [R] épouse [U], MM [O] et [G]-[J] [R] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec pour ces derniers application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la scp Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon.

En réplique, dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 7 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [O] [R] et M. [G]-[J] [R] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les époux [K] de leur demande tendant à faire constater l'extinction de la servitude grevant leur fonds au profit de la parcelle n° [Cadastre 15] en vertu de l'acte authentique du 4 août 1967,

- réformer le jugement en ce qu'il les a condamnés à payer la somme de 1 500 euros aux époux [K] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre la moitié des dépens,

statuant à nouveau,

- condamner solidairement les époux [K] à leur payer la somme de 2 500 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens d'instance et d'appel avec application pour ces derniers des dispositions de l'article 699 du code de procédure civil au profit de maître Bressieux.

En réplique également, dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 25 mai 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [G]-[M] [R] et Mme [X] [R] épouse [U] demandent à la cour de :

à titre principal,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

y ajoutant,

- condamner solidairement les époux [K] à leur payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner solidairement les époux [K] à payer leur payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en complément de celle déjà allouée,

à titre subsidiaire,

- condamner solidairement les époux [K] à leur payer la somme provisionnelle de 82 607 euros,

- condamner solidairement les époux [K] à leur payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner solidairement les époux [K] à leur payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en complément de celle déjà allouée,

en tout état de cause,

- condamner encore solidairement les époux [K] et à la société Fergy [Localité 23] aux entiers dépens, sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, avec distraction au profit de la Selarl Avocalp Dufour Mugnier Lyonnaz Puy.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour observe qu'elle n'est pas saisie, à hauteur d'appel, du dispositif du jugement déféré ayant prononcé, pour ce qui les concerne, l'extinction de la servitude de passage dont bénéficiaient les parcelles A[Cadastre 16] et A[Cadastre 17] sur les parcelles appartenant aux époux [K]. MM. [O] [R] et [G]-[J] [R], propriétaires des parcelles en question, ne demandent en effet à la cour que de confirmer le jugement en qu'il a débouté les époux [K] de leur demande tendant à faire constater l'extinction de la servitude au profit de la parcelle [Cadastre 15] laquelle, d'ailleurs, ne leur appartient pas. Leurs autres demandes concernent les dépens et les frais irrépétibles. De même, la décision sur le déplacement sous astreinte de végétaux et d'ouvrages sur le tracé de cette servitude n'est pas critiquée en appel.

Sur l'opposabilité époux [K] de la servitude de passage au profit de la parcelle [Cadastre 15]

En application des articles 28 et 30-1 du décret du 4 janvier 1955, une servitude est opposable à l'acquéreur de l'immeuble grevé si elle a été publiée ou si son acte d'acquisition en fait mention (cass. civ. 3, 27 octobre 1993, pourvoi n° 91-19.874). Il est toutefois constant en jurisprudence que la publication n'est pas le seul mode légal de publicité d'une servitude, celle-ci pouvant également être opposable à l'acquéreur de l'immeuble grevé si, au moment de la vente, il en connaissait l'existence autrement que par la mention qu'en faisait son titre (cass. civ. 3, 16 septembre 2009, pourvoi n° 08-16.499).

En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats (pièces [R] n°1 et 2) que seuls les actes de vente de 1967 ont été publiés à la conservation des hypothèques. Même s'ils contiennent une clause portant création de la servitude litigieuse, il n'est pas démontré que la servitude en elle-même a fait l'objet d'une publication. D'ailleurs, aucun acte de publication de servitude n'est produit par les consorts [R].

En outre, la simple lecture de l'acte d'acquisition des époux [K] en 1981 permet de constater que l'existence de la servitude litigieuse n'est pas mentionnée. Si les consorts [R] affirment que la servitude litigieuse était bien mentionnée dans l'acte de vente précédent, celui par lequel M. [H] [B] avait lui-même acquis ces biens, force est de constater que cet acte n'est pas produit.

Enfin, les consorts [R] n'apportent pas la preuve de ce que les époux [K], au temps de l'acquisition de leur parcelle, avaient bien connaissance de cette servitude. En effet, la seule affirmation du fait que la maison située sur l'actuelle parcelle A[Cadastre 15] était alors parfaitement visible ne suffit pas à permettre de tenir pour établi ce fait contesté. A ce sujet, l'ensemble des photographies versées aux débats n'ont pas date certaine et ne permettent pas de démontrer quelle était la configuration des lieux au temps de l'achat de leurs parcelles par les époux [K].

Il convient encore de relever que, si l'acte d'acquisition des époux [K] comporte la clause selon laquelle ils s'obligent notamment 'à souffrir les servitudes passives, apparentes ou occultes, continues ou discontinues, qui peuvent grever l'immeuble vendu, sauf à s'en défendre et à profiter de celles actives, le tout s'il existe à leurs risques et périls, sans recours contre les vendeurs' cela n'emporte pas d'effet quant à la servitude litigieuse. Les acquéreurs s'engagent en effet nécessairement à supporter, par cette clause, les seules servitudes qui peuvent leur être opposables comme cela découle des termes 'sauf à s'en défendre'.

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la servitude litigieuse n'est pas opposable aux époux [K]. Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté la demande des époux [K] tendant à faire constater l'extinction de la servitude au profit de la parcelle [Cadastre 15]. La cour précise que 'inopposabilité' ne signifie pas 'extinction' de ladite servitude.

Sur la demande de provision formée par Mme [X] et M. [G]-[M] [R]

Les consorts [R] réclament la condamnation des époux [K] à leur payer une somme provisionnelle de 82 607 euros. Cette somme est expliquée par le coût des travaux qu'ils devront réaliser pour changer la configuration des lieux afin de pouvoir rejoindre la voie publique par le chemin des vergers s'ils ne sont plus en mesure d'utiliser le passage actuel. Ils précisent en effet que la maison d'habitation construite sur la parcelle [Cadastre 15] a été entièrement imaginée et organisée en fonction de l'accès accordé depuis 1967 permettant de déboucher de l'autre côté sur la voie communale de Fergy.

La cour observe que les consorts [R] n'exposent pas le fondement juridique de leur demande. L'unique fondement a priori envisageable est celui d'une responsabilité délictuelle. Mais les consorts [R] ne démontrent pas l'existence d'une faute qui pourrait être à l'origine d'un préjudice. En effet, si les époux [K] se trouvent potentiellement à l'origine de la nécessité pour les consorts [R] de trouver un autre débouché sur la voie publique, ce n'est que par l'exercice de leur droit à faire déclarer inopposable un droit de passage, qui aurait dû faire l'objet de la part du notaire concerné d'une publication en 1967.

Sur les demandes de constat relatives à l'extinction de la servitude

Les époux [K] demandent à la cour de constater :

- le désenclavement de la parcelle [Cadastre 13] par la création de la route des vergers,

- l'extinction de la servitude de passage consentie le 4 août 1967,

- le fait que les consorts [R] ne sont plus fondés à solliciter un quelconque passage sur leur fonds,

- le fait que les époux [R] ne démontrent pas qu'ils ne disposent pas d'un passage suffisant sur les fonds issus de la division de la parcelle [Cadastre 13].

La cour rappelle qu'il n'entre pas dans son office de faire des constats autres que ceux prévus par la loi. Les éléments ci-dessus visés doivent ainsi être regardés comme étant des moyens soulevés à l'appui des prétentions mais ne peuvent être considérés comme étant eux-mêmes des prétentions devant faire l'objet d'une mention au dispositif du présent arrêt.

Il appartiendra ainsi aux consorts [R], s'ils estiment être enclavés, de solliciter la mise en place d'une servitude de passage selon les règles posées par les articles 682 à 684 du code civil, étant entendu que, dans leurs écritures, les époux [K] donnent déjà leur accord pour que la parcelle [Cadastre 15] bénéficie d'une servitude, au moins en tréfonds sur le tracé de la servitude conventionnelle définie en 1967, pour le passage des différents réseaux et canalisations souterrains existants et desservant la parcelle [Cadastre 15]. En conséquence l'inopposabilité de la servitude litigieuse ne s'entendra pas au passage en tréfonds.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Il convient de rappeler que l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière. Or, en l'espèce les consorts [R] ne démontrent pas l'existence de tels éléments à l'encontre des époux [K]. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, les consorts [R] qui succombent en leurs demandes seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel avec distraction, pour les dépens d'appel, au profit de la Selurl Bollonjeon conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Ne remplissant pas les conditions d'octroi prévues par l'article 700 du code de procédure civile, les consorts [R] seront déboutés de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au regard de la nature particulière du litige de voisinage dont il est question dans l'espèce, il n'est pas inéquitable de laisser aux époux [K] la charge des frais irrépétibles non compris dans les dépens qu'ils ont exposés en première instance et en appel. Ils seront donc déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Réforme partiellement le jugement déféré sur les points critiqués à hauteur d'appel et, statuant à nouveau sur le tout pour plus de clarté,

Dit inopposable aux fonds cadastrés section AO n° [Cadastre 11]-[Cadastre 4]-[Cadastre 6] sis sur la commune de [Localité 23], appartenant à M. [A] [K] et Mme [W] [HU] la servitude de passage conventionnelle accordée par acte du 4 août 1967 aux fonds aujourd'hui cadastrés AO [Cadastre 15], [Cadastre 16] et [Cadastre 17], sauf la servitude en tréfonds au profit de la parcelle AO [Cadastre 15],

Fait interdiction à M. [G]-[M] [R] et Mme [X] [R] d'emprunter le tracé de servitude en surface sur les fonds appartenant M. [A] [K] et Mme [W] [HU],

Déboute M. [G]-[M] [R] et Mme [X] [R] de leur demande provision,

Déboute M. [G]-[M] [R] et Mme [X] [R] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne in solidum MM. [G]-[M] [R], [O] [R], [G]-[J] [R] et Mme [X] [R], aux dépens de première instance et d'appel, la Selurl Bollonjeon étant autorisée à recouvrer directement auprès d'eux les dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,

Déboute MM. [G]-[M] [R], [O] [R], [G]-[J] [R], [A] [K] et Mmes [X] [R] et [W] [HU] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 06 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La GreffièreP/La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/01553
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;20.01553 ?
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