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06/10/2022 | FRANCE | N°20/01481

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 06 octobre 2022, 20/01481


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 06 Octobre 2022





N° RG 20/01481 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSGH



Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d'ANNECY en date du 24 Novembre 2020, RG 2019J00118



Appelant



M. [H] [X]

né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1]



Représenté par Me Caroline AVRILLON, avocat au barreau d'ANNECY



Intimée



S.A. CAISSE REGIONALE DE CRE

DIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE dont le siège social est sis [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal



Représentée par la SCP BREMANT GOJON GLESSINGER SAJOUS, avocat au barrea...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 06 Octobre 2022

N° RG 20/01481 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSGH

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d'ANNECY en date du 24 Novembre 2020, RG 2019J00118

Appelant

M. [H] [X]

né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Caroline AVRILLON, avocat au barreau d'ANNECY

Intimée

S.A. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE dont le siège social est sis [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SCP BREMANT GOJON GLESSINGER SAJOUS, avocat au barreau d'ANNECY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 28 juin 2022 par Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller, avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente,

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, qui a rendu compte des plaidoiries

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 18 octobre 2016, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie (ci-après la CRCAM) a consenti à la SARL Nautile Acoustique un prêt de 50 000 euros pour lequel M. [H] [X] s'est porté caution dans la limite de 65 000 euros et pour une durée de 84 mois.

Par jugement du 21 novembre 2018, la société Nautile Acoustique a été placée en liquidation judiciaire.

Le 19 décembre 2018, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie mettait en demeure M. [H] [X] de lui payer la somme de 32 831,46 euros outre intérêts.

Aucun paiement n'étant intervenu, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a sollicité auprès du tribunal la délivrance d'une ordonnance portant injonction de payer.

Par ordonnance du 19 mars 2019, le tribunal de commerce d'Annecy a enjoint à M. [H] [X] de payer la somme 32 831,46 euros.

Le 26 avril 2019, M. [H] [X] a formé opposition à cette injonction de payer.

Par jugement contradictoire du 24 novembre 2020, le tribunal de commerce d'Annecy a :

- dit l'opposition à injonction de payer formée par M. [H] [X] recevable mais mal fondée,

- débouté M. [H] [X] de toutes ses demandes fins et prétentions,

- condamné M. [H] [X] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 33 531,43 euros en principal avec intérêts légaux à compter du 20 juin 2019,

- rejeté toutes les autres demandes,

- condamné M. [H] [X] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [H] [X] aux entiers dépens de l'instance,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 8 décembre 2020, M. [H] [X] a interjeté appel du jugement.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 avril 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [H] [X] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 24 novembre 2020 par le tribunal de commerce d'Annecy en ce qu'il a dit que l'opposition à injonction de payer formée par Monsieur [X] était recevable,

- d'infirmer le jugement rendu le 24 novembre 2020 pour le surplus, et statuant de nouveau,

à titre principal,

- déclarer bien fondée l'opposition à injonction de payer formulée le 24 avril 2019,

- constater que l'engagement de caution souscrit le 18 octobre 2016 était manifestement disproportionné par rapport à ses revenus, à son patrimoine ainsi qu'à ses autres engagements de caution,

en conséquence,

- débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de sa demande de condamnation à lui verser la somme de 33 531,43 euros en principal avec intérêts légaux à compter du 20 juin 2019,

- débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de l'ensemble de ses autres demandes,

- constater qu'il n'était pas une caution avertie et qu'il apporte la preuve d'un risque de surendettement pesait sur lui en qualité de personne physique ainsi que sur la société Nautile acoustique, débitrice principale,

en conséquence,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à lui verser la somme de 34 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de mise en garde,

à titre subsidiaire,

- constater que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à manqué à son obligation d'information annuelle de la caution au titre des années 2016 et 2017,

en conséquence,

- prononcer la déchéance des intérêts au titre des années 2016 et 2017,

à titre encore plus subsidiaire,

- constater que sa situation personnelle et financière est dégradée mais qu'elle s'est dernièrement améliorée,

en conséquence,

- lui octroyer les plus larges délais de paiement,

en tout état de cause,

- débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de sa demande formulée au titre des dispositions contenues à l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à lui régler la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie aux entiers dépens de l'instance.

En réplique, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 24 novembre 2020 par le tribunal de commerce d'Annecy en toutes ses dispositions,

- débouter M. [H] [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner M. [H] [X] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [H] [X] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer

Il résulte des éléments du débats que l'ordonnance d'injonction de payer en date du 19 mars 2019 a été signifiée à M. [H] [X] par acte du 12 avril 2019. Il a formé opposition par déclaration du 26 avril 2019. Cette opposition a donc, comme l'a relevé le tribunal, été formée dans le délai légal d'un mois suivant la signification. Elle est donc recevable.

Sur la proportionnalité des engagements de caution

Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

Conformément aux articles 2288 et suivants du même code, celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même. Le cautionnement ne se présume point. Il doit être exprès et on ne peut l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.

L'article L.332-1 du code de la consommation, en vigueur au jour de la signature de l'acte de caution litigieux dispose toutefois qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

L'appréciation de la disproportion se fait donc à la date de la conclusion du contrat de cautionnement, à charge pour la caution de démontrer son existence. Dans l'affirmative, le créancier peut toutefois démontrer que le patrimoine de la caution est suffisant pour honorer l'engagement au jour de l'appel en garantie. A défaut, l'acte de cautionnement s'avère inopposable.

Cette disposition est mobilisable par toutes les cautions personnes physiques, qu'elles soient ou non averties.

Pour apprécier factuellement la disproportion, il convient de prendre en considération la situation patrimoniale de la caution dans sa globalité. Sont donc non seulement pris en compte les revenus et les biens propres de la caution mais également tous les éléments du patrimoine susceptibles d'être saisis. Viennent en déduction des actifs ainsi identifiés l'ensemble des prêts et des engagements souscrits par la caution à l'exception de ceux qui auraient été pris postérieurement à la souscription de la garantie litigieuse.

En l'absence d'anomalies apparentes, la fiche déclarative de patrimoine renseignée par la caution au moment de la souscription de l'engagement lui est opposable, conformément à l'article 1104 du code civil, sans que la banque ait à vérifier l'exactitude des éléments financiers déclarés.

En l'espèce, une fiche de renseignement de patrimoine a été remplie par M. [H] [X] le 14 octobre 2016. Elle indique qu'il est gérant de la SARL Nautile Acoustique, société en activité depuis novembre 2008. La fiche ne mentionne aucun encourt de crédit mais indique à la rubrique 'cautionnements et avals déjà donnés', l'existence d'un 'prêt professionnel' de 72 mois courant d'octobre 2015 à octobre 2021 avec un capital restant dû de 53 000 euros représentant 22 800 euros en charges annuelles. M. [H] [X] ne déclare aucun patrimoine immobilier mais dit avoir des revenus annuels non salariaux de 42 000 euros. Il indique enfin que ses charges annuelles (loyer, pension alimentaire et impôts) s'élèvent à 19 884 euros (pièce appelant n°6 et intimé n°3).

La cour observe que cette fiche, dont la banque se prévaut par ailleurs, est opposable à M. [H] [X], quand bien même ce dernier explique aujourd'hui que ses revenus étaient en réalité inférieurs aux 42 000 euros annuels mentionnés et ses charges supérieures aux 19 884 euros annoncés. En effet, cette fiche ne présente pas d'anomalie apparente dans la mesure où, s'agissant des revenus comme des charges, le document comporte de nombreuses rubriques qui permettaient à la caution d'être exhaustive dans ses déclarations.

Il convient toutefois de relever que M. [H] [X] indique clairement, dans la fiche, être soumis à un engagement de garantie (rubrique 'cautionnement ou avals déjà donnés') à hauteur de 53 000 euros représentant une charge annuelle de 22 800 euros, soit plus de 50 % de ses revenus annuels déclarés. En ajoutant la charge que représente le nouvel engagement de caution (à hauteur de 65 000 euros), il apparaît que, de manière manifeste, ce dernier n'est pas proportionné à ses biens et revenus. Si, en effet, M. [H] [X] est gérant d'une société à laquelle il a apporté un fonds artisanal estimé à 40 200 euros, cet élément fait désormais partie du patrimoine de la personne morale et ne peut pas être pris en compte au titre des actifs de la caution. Il en est de même du montant du chiffre d'affaires réalisé par la SARL Nautile Acoustique, duquel on ne peut pas tirer de conclusions quant aux revenus de M. [H] [X]. La cour observe par ailleurs que ceux qui se trouvent mentionnés dans la fiche proviennent manifestement de son activité de gérant de la SARL Nautile Acoustique (revenus non salariaux). En revanche, aucun élément ne permet de connaître le nombre ou la valeur des parts sociales que détient M. [H] [X] au moment de l'engagement litigieux, étant entendu qu'il y a trois associés en août 2015 au sein de la SARL Nautile Acoustique, pour un capital social de 67 000 euros (pièces intimé n°14 et 15).

Il résulte de ce qui précède qu'au temps de sa souscription, l'engagement de M. [H] [X] était manifestement disproportionné. La société CRCAM ne démontre pas, par ailleurs, que l'intéressé est en mesure de faire face à son engagement au moment où elle vient le solliciter.

En conséquence, le jugement déféré sera infirmé et la société CRCAM déboutée de ses demandes en paiement à l'encontre de M. [H] [X] au titre de son engagement de caution lequel lui est inopposable.

Sur la responsabilité de la banque pour non respect de l'obligation de mise en garde

En droit, le banquier dispensateur de crédit est tenu, envers la caution, d'un devoir de mise en garde et sa responsabilité peut être engagée pour manquement à ce devoir si l'engagement de caution n'est pas adapté soit aux capacités financières de la caution, soit au risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel s'apprécie compte tenu d'un risque caractérisé de défaillance du débiteur. Il est toutefois nécessaire que la caution ne soit pas une caution avertie, ou encore que la banque ait eu sur ses revenus, son patrimoine et ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles, en l'état du succès escompté de l'opération cautionnée, des informations que la caution ignorait. Il est constant en jurisprudence qu'il appartient à la banque qui s'en prévaut de démontrer le caractère averti de la caution. Il est tout aussi constant que ce caractère ne peut pas se déduire du seul fait que la caution est dirigeante ou associée de la société débitrice principale.

En l'espèce, le seul fait que M. [H] [X] soit gérant et associé majoritaire de la SARL Nautile Acoustique ne lui confère pas la qualité de caution avertie, quand bien même il se trouvait propriétaire de longue date du fonds artisanal apporté ensuite à la société. Cela ne contribue pas à faire de lui une personne aguerrie aux rouages bancaires liés au cautionnement accordés à l'occasion d'une activité commerciale.

Toutefois, il résulte du contrat d'apport en société en date du 24 juillet 2015 que le fonds apporté n'était grevé d'aucune inscription de privilège ou de nantissement et qu'il a généré un chiffre d'affaires compris entre 490 582,41 et 609  770,11 euros entre 2012 et 2014 pour des résultats allant de 13 869,21 à 34 627,88 euros pour la même période. En conséquence, il n'existait pas de risque caractérisé de défaillance du débiteur principal lors de l'octroi, du prêt de 50 000 euros et, par ricochet, aucun risque d'endettement excessif de la caution.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté sur ce point M. [H] [X] de sa demande en dommages et intérêts, par substitution de motifs.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société CRCAM qui succombe en principal sera tenue aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile dont elle ne remplit pas les conditions d'octroi.

Il n'est en revanche pas inéquitable de faire supporter à la société CRCAM partie des frais irrépétibles exposés par M. [H] [X] en première instance et en appel. Elle sera donc condamnée à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer du 19 mars 2019,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [H] [X] de sa demande de dommages et intérêts,

Infirme le jugement déféré pour le surplus et, statuant à nouveau,

Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de l'ensemble de ses demandes en paiement à l'encontre de M. [H] [X],

Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie aux dépens de première instance et d'appel,

Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à payer à M. [H] [X] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et à hauteur d'appel.

Ainsi prononcé publiquement le 06 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La GreffièreP/La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/01481
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;20.01481 ?
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