COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 22 Septembre 2022
N° RG 21/02298 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G3LD
Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge de l'exécution de THONON LES BAINS en date du 09 Novembre 2021, RG 21/00004
Appelante
S.A. CREATIS, dont le siège social est sis [Adresse 3] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SCP CABINET DENARIE BUTTIN PERRIER GAUDIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Eric DEZ, avocat plaidant au barreau d'AIN
Intimée
Mme [E] [Y]
née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 5], demeurant [Adresse 2]
Représentée par la SCP COTTET-BRETONNIER NAVARRETE, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 14 juin 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 15 janvier 2007, M. [O] [M] et Mme [E] [Y] ont contracté un crédit auprès de la SA Creatis.
Par jugement réputé contradictoire du 10 octobre 2008, le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion a, notamment, condamné solidairement Mme [E] [Y] et M. [O] [M] à payer à la société Creatis la somme de 45 669,24 euros au titre de ce prêt.
Par acte du 20 février 2009, ce jugement a fait l'objet d'une signification à étude d'huissier l'officier instrumentaire indiquant que le nom des destinataires était bien sur la boîte aux lettres de l'adresse indiquée.
La société Creatis a poursuivi l'exécution de cette décision en déposant une requête aux fins de saisie des rémunérations à l'encontre de Mme [E] [Y]. Une saisie a été ordonnée entre les mains du Pôle emploi par le tribunal d'instance d'Annemasse le 18 novembre 2018
Par acte du 16 décembre 2020, Mme [E] [Y] a assigné la société Creatis aux fins notamment de dire et juger irrégulière la signification du jugement rendu le 10 octobre 2008, dire et juger non avenu ce même jugement et d'ordonner la mainlevée de la saisie-rémunération.
Par décision contradictoire du 9 novembre 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :
- déclaré nulle pour vice de forme la signification du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion du 10 octobre 2008 sous le n° RG 08/01271, réalisée par la SCP Nicolas-Sibenaler-Fourgnaud, huissiers de justice, le 20 février 2009,
- déclaré non avenu le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion du 10 octobre 2008 sous le n° RG 08/01271,
- ordonné la mainlevée de la saisie des rémunérations enregistrée par le tribunal d'instance d'Annemasse sous le n° 2015/280 à l'encontre de Madame [Y] [E],
- condamné la société Creatis à payer à Madame [Y] [E] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Creatis aux entiers dépens,
- débouté les parties surplus de leurs demandes,
- rappelé que la présente décision est exécutoire par provision.
Par déclaration du 25 novembre 2021, la société Creatis a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 13 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Creatis demande à la cour de :
- juger recevable sur la forme et bien fondé au fond son appel
- juger irrecevables les pièces et conclusions adverses,
- réformer la décision rendue par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 09 novembre 2021 en ce qu'elle :
- a déclaré nulle pour vice de forme la signification du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion du 10 octobre 2008 sous le n° RG 08/01271, réalisée par la SCP Nicolas-Sibenaler-Fourgnaud, huissiers de justice, le 20 février 2009,
- a déclaré non avenu le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion du 10 octobre 2008 sous le n° RG 08/01271,
- a ordonné la mainlevée de la saisie des rémunérations enregistrée par le tribunal d'instance d'Annemasse sous le n° 2015/280 à l'encontre de Madame [Y] [E],
- l'a condamnée à payer à Mme [Y] [E] la somme de 2 500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamnée aux entiers dépens,
- a débouté les parties surplus de leurs demandes.
- confirmer le jugement pour le surplus,
- juger valide la signification du jugement du 20 février 2009,
- juger valide son titre exécutoire de la société Creatis,
- juger valide la procédure de saisie des rémunérations au vu de la liquidité de la créance de la société Creatis,
- juger que la procédure d'exécution diligentée à l'encontre de Mme [E] [Y] n'est pas abusive,
- juger non fondées les contestations de Mme [E] [Y],
- débouter Mme [E] [Y] de l'intégralité de ses prétentions, fins et moyens,
- condamner Mme [E] [Y] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [E] [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct des dépens d'appel au profit de maître Gaudin en application de l'article 699 du code de procédure civile.
En réplique, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 10 février 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens Mme [E] [Y] demande à la cour de :
- confirmer la décision rendue par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 09 novembre 2021, à l'exception en ce qu'elle a :
- déclaré nulle pour vice de forme la signification du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion du 10 octobre 2008 sous le n° RG 08/01271, réalisée par la SCP Nicolas-Sibenaler-Fourgnaud, huissiers de justice, le 20 février 2009,
- déclaré non avenu le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion du 10 octobre 2008 sous le n° RG 08/01271,
- ordonné la mainlevée de la saisie des rémunérations enregistrés par le tribunal d'instance d'Annemasse sous le n° 2015/280 à son encontre,
- condamné la société Creatis à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Creatis aux entiers dépens,
- réformer le jugement pour le surplus,
et, statuant à nouveau,
- condamner la société Creatis à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour saisie abusive et procédure abusive,
en tout état de cause,
- condamner la société Creatis à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Creatis aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2022.
Par note en délibéré autorisée, transmise par voie électronique le 29 juin 2022, Mme [E] [Y] a répondu à la demande d'irrecevabilité de ses conclusions en précisant que l'avis de fixation du 3 janvier 2022 indiquait que l'appelant disposait d'un délai d'un mois à compter de l'avis de réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délais pour remettre ses conclusions au greffe et que l'intimé disposait, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie, d'un délai d'un mois à compter de la notification de ses conclusions par l'appelant pour remettre ses conclusions. Mme [E] [Y] en déduit que le point de départ du délai de l'intimé pour conclure est le jour de la remise des conclusions de l'appelant et que ses conclusions, déposées dans le délai imparti, sont recevables.
Par deux notes en délibéré autorisées, signifiées par voie électronique le 30 juin 2022, la société Creatis a précisé :
- d'une part, qu'elle acceptait que les pièces de première instance de l'intimé soit communiquées dans le cadre de l'appel,
- d'autre part, que Mme [E] [Y] n'ayant pas constitué avocat avant la signification de la déclaration d'appel et des conclusions d'appelant, il n'y avait pas lieu d'opérer une notification avant que ne soit intervenue la constitution d'avocat ; elle estime également que, s'agissant d'une irrecevabilité d'office, la cour est compétente pour statuer.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'irrecevabilité des conclusions de Mme [E] [Y]
L'article 905-2 du code de procédure civile dispose que, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, l'appelant dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe. Le texte ajoute que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.
Il résulte de ce texte que l'irrecevabilité de conclusions notifiées tardivement doit être soulevée devant le président de la chambre saisie ou le magistrat délégué à cet effet. En conséquence, la demande d'irrecevabilité présentée par la société Creatis est elle-même irrecevable devant la cour d'appel. Elle sera donc rejetée.
Sur la saisie des rémunérations
- Sur la régularité de la signification du jugement du 10 octobre 2008
La société Creatis précise que la signification du jugement fondant la saisie des rémunérations est régulière car pratiquée une première fois le 22 janvier 2009 avec procès verbal de recherches fructueuses et une seconde fois à l'adresse ainsi découverte par acte déposé à l'étude. Elle estime que les vérifications opérées par l'huissier sont suffisantes au regard de l'article 656 du code de procédure civile. Elle conclut à l'absence de nullité de la signification et consécutivement au caractère non caduc du jugement de condamnation constituant son titre exécutoire dont le montant a été mis à jour pour prendre en compte les intérêts courus depuis le 7 mars 2008 et les frais d'exécution.
Mme [E] [Y] réplique qu'elle n'a jamais habité à l'adresse à laquelle la deuxième signification du jugement a été faite. Elle prétend qu'il est impossible que son nom ait pu figurer sur la boîte aux lettres à cette adresse et précise, au delà, qu'elle n'a jamais été signataire du contrat de prêt litigieux. Mme [E] [Y] dit encore ne pas avoir engagé de procédure d'inscription de faux car elle ne dispose pas des éléments suffisants pour faire prospérer une telle procédure. Elle prétend que le jugement ne lui a jamais été régulièrement signifié.
La cour constate que le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint Pierre de la Réunion du 10 octobre 2008 est un jugement réputé contradictoire. A ce titre, il doit faire l'objet d'une signification dans les 6 mois de sa date, conformément aux dispositions de l'article 478 du code de procédure civile.
En l'espèce, la signification est intervenue une première fois par acte d'huissier du 22 janvier 2009 transformé en procès-verbal de recherches fructueuses. Cette signification a donc été faite dans le délai de 6 mois qui expirait le 11 avril 2009. L'huissier précise dans son acte les diligences accomplie, en l'espèce, après s'être présenté à l'adresse de [Localité 6] (celle déclarée au jugement) et avoir constaté que les intéressés n'y demeuraient plus, il a accompli 'les recherches usuelles prévues par la loi' lui ayant permis de trouver une adresse à [Localité 4] (pièce société Creatis n°2). Il en résulte que Mme [E] [Y] à qui devait être signifié l'acte ne peut pas être considérée comme sans domicile, ni résidence, ni lieu de travail connu au sens de l'article 659 du code de procédure civile. Par conséquent, les diligences visées par ce texte n'avaient pas, alors, à être accomplies.
La signification est intervenue une seconde fois, à l'adresse découverte par le premier huissier, soit sur la commune de [Localité 4], par acte du 20 février 2009, également entrepris dans le délai de 6 mois visé ci dessus. L'huissier indique dans son procès-verbal que la copie de l'acte a été déposée en son étude car l'intéressée n'était pas sur place et qu'il n'a pas pu, lors de son passage, avoir d'indication sur le lieu où rencontrer Mme [E] [Y], circonstances rendant impossible la remise de l'acte à personne ou à une personne acceptant de le recevoir. Il précise les diligences entreprises en l'espèce, la présence du nom inscrit sur la boîte aux lettres. Il rappelle enfin le contenu de l'article 656 du code de procédure civile et le fait qu'il a adressé la lettre prévue par l'article 658 du même code avec copie de l'acte de signification (pièce société Creatis n°3). L'huissier ne s'est donc pas contenté des mentions figurant dans le précédent acte puisqu'il a procédé lui-même à la vérification sur la boîte aux lettres. Il en résulte que la délivrance de l'acte est régulière.
Il est constant qu'un acte d'huissier présente le caractère d'un acte authentique dans les mentions qui relatent les faits qu'il a personnellement accomplis dans l'exercice de ses fonctions. Il est tout aussi constant en jurisprudence que les mentions figurant dans un acte de signification accomplies par un huissier de justice ont valeur authentique même s'il s'agit de mentions préimprimées (cass. civ. 2ème, 26 septembre 2013, n°12-23.167). Par conséquent, comme Mme [E] [Y] le reconnaît elle-même, cette valeur probante ne peut être combattue que par la procédure d'inscription de faux.
Il en résulte que la signification du jugement du 10 octobre 2008 doit être considérée comme valablement faite. Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions.
- Sur le caractère liquide de la créance
Mme [E] [Y] dénonce la différence de montant entre celui du crédit tel que rappelé dans le jugement de 2008 (41 300 euros) et celui indiqué lors de l'audience de saisie des rémunérations (66 847,81 euros). La cour observe cependant que la condamnation figurant dans le jugement de 2008 est d'un montant de 45 669,24 euros, outre intérêts, sur la somme de 40 304,62 euros au taux de 10,38 % à compter du 7 mars 2008 (pièce société Creatis n°1).
La société Creatis justifie que le montant de sa créance comprend bien le principal de 45 669,24 euros, auxquels s'ajoutent à bon droit les intérêts acquis, les dépens et les frais de procédure, pour un montant total de 60 650,20 euros (pièce société Creatis n°5 et 6). La créance présentée est donc justifiée, certaine, liquide et exigible.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de Mme [E] [Y]
Il convient de rappeler que l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière. En l'espèce, force est de constater que la société Creatis n'a fait que mettre en oeuvre les voies de droit à sa disposition pour recouvrer sa créance. A cet égard, la thèse soulevée par Mme [E] [Y] selon laquelle elle n'a jamais signé le contrat litigieux mais que c'est son compagnon d'alors qui a imité sa signature est indifférent. Un tel élément démontrerait en effet la mauvaise foi dudit compagnon mais pas nécessairement celle du prêteur. En conséquence, Mme [E] [Y] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [E] [Y] qui succombe sera tenue aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction, pour ceux d'appel, au profit de maître Laetitia Gaudin, avocate, par application de l'article 699 du code de procédure civile. Elle sera corrélativement déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ailleurs, aucune considération d'équité ne permet de faire droit à la demande de la société Creatis quant aux frais irrépétibles non compris dans les dépens. Elle sera donc déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Rejette la demande d'irrecevabilité des conclusions de Mme [E] [Y],
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déboute Mme [E] [Y] de toutes ses demandes,
Condamne Mme [E] [Y] aux dépens de première instance et d'appel, maître Laetitia Gaudin étant autorisée à recouvrer directement auprès d'elle les dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,
Déboute la société Creatis de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Ainsi prononcé publiquement le 22 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller, en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La GreffièreP/La Présidente