COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Mardi 12 Juillet 2022
N° RG 20/01240 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GRJM
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BONNEVILLE en date du 05 Octobre 2020, RG 1119000062
Appelants
M. [B] [N]
né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 9] ([Localité 9]),
et
Mme [G] [W] épouse [N]
née le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 8] ([Localité 8]),
demeurant [Adresse 6]
Représentés par la SELARL CATHERINE BAUD-MARJOU, avocat au barreau de BONNEVILLE
Intimée
S.A. COMPAGNIE GENERALE D'AFFACTURAGE dont le siège social est sis [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal
Représentée parla SCP BRIFFOD/PUTHOD/CHAPPAZ, avocat au barreau de BONNEVILLE
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 05 avril 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort le 17 décembre 2015, le tribunal d'instance de Limoges a solidairement condamné les époux [B] [N] / [G] [W] :
- à payer à la Compagnie Générale d'Affacturage (CGA) la somme de 30 511,28 euros outre intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2013,
- aux dépens.
Ce jugement a été signifié aux époux [N] par actes du 12 janvier 2016, délivrés selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile.
Sur le fondement de ce jugement, la CGA a obtenu la mise en oeuvre d'une saisie sur les rémunérations de M. [N] à compter du 10 septembre 2018.
Par acte du 12 décembre 2018, les époux [N] ont fait citer la CGA devant le tribunal d'instance de Bonneville afin essentiellement de faire juger que le jugement du tribunal d'instance de Limoges du 17 décembre 2015 était non avenu et d'obtenir la levée de la saisie.
Par jugement du 5 octobre 2020, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Bonneville a :
- débouté les époux [N] de l'ensemble de leurs demandes,
- débouté la CGA de sa demande de dommages-intérêts,
- condamné in solidum les époux [N] :
. aux entiers dépens,
. à payer à la CGA la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration du 26 octobre 2020, les époux [N] ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes du dispositif de leurs conclusions notifiées par la voie électronique le 1er septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, les époux [N] demandent à la cour de :
- réformer le jugement déféré,
- annuler la signification faite le 12 janvier 2016, du jugement rendu le 17 décembre 2015 par le tribunal d'instance de Limoges,
- déclarer en conséquence non avenu ce jugement,
- ordonner la mainlevée de la saisie des rémunérations enregistrée par le tribunal de Bonneville sous le n°2018/A168,
- en tout état de cause,
. débouter la CGA de l'ensemble de ses demandes,
. condamner la CGA aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Catherine Baud-Marjou, et à leur payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées par la voie électronique le 6 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, la CGA demande à la cour de :
- débouter les époux [N] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes et par conséquent, dire et juger valable la saisie des rémunérations enregistrée par le tribunal judiciaire de Bonneville sous le numéro de RG 2018/A1968,
- réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts et statuant à nouveau sur ce point, condamner solidairement les époux [N] à lui payer 3 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- en tout état de cause, condamner solidairement les époux [N] :
. aux entiers dépens d'instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers sera ordonnée au profit de la SCP Briffod - Puthod - Chappaz en application de l'article 699 du code de procédure civile,
. à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et débouter les époux [N] de leur demande fondée sur ce texte.
La clôture est intervenue le 21 mars 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l'article 478 du code de procédure civile, 'Le jugement (...) réputé contradictoire au seul motif qu'il est susceptible d'appel est non avenu s'il n'a pas été notifié dans les six mois de sa date.'
Les époux [N] soutiennent que le jugement du tribunal d'instance de Limoges rendu le 17 décembre 2015 ne leur a pas valablement été signifié dans les six mois de sa date et est en conséquence non avenu.
Selon l'article 659 du code de procédure civile, 'Lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.'
Il résulte de la combinaison des articles 649, 117, 114 et suivants, et 651 du code de procédure civile que le non-respect des dispositions reproduites ci-dessus affecte l'acte signifié selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, de vices de forme, qui font nécessairement grief à son destinataire dès lors que la signification manque totalement son effet à savoir porter un acte à la connaissance de son destinataire.
En l'espèce, l'acte du 12 janvier 2016 par lequel le jugement du 17 décembre 2015 a été signifié aux époux [N] à l'adresse mentionnée dans ce jugement soit [Adresse 5]. A cette adresse, il a été constaté que :
- personne ne répondant à l'identification des destinataires de l'acte n'y avait son domicile, sa résidence ou son établissement,
- rien ne permettait d'identifier les destinataires : pas de boîte aux lettres, pas de sonnette au nom des époux [N].
Au titre des diligences qu'il a accomplies, l'huissier de justice instrumentaire a indiqué avoir procédé à une 'enquête de voisinage', sans autre précision, qui lui a 'confirmé' que la maison avait été 'vendue début 2015 (vente judiciaire)' et que les époux [N] seraient domiciliés à [Localité 11].
Il est patent qu'au regard de la première de ces informations, qu'il semblait d'ailleurs connaître, il appartenait à l'huissier de justice instrumentaire de procéder à d'autres diligences pour rechercher l'adresse des époux [N], ne serait-ce qu'auprès du tribunal de grande instance de Limoges territorialement compétent pour ordonner la vente de l'immeuble leur ayant a priori appartenu.
S'il est exact que cette démarche n'aurait pas permis de découvrir que les époux [N] étaient comme ils en justifient domiciliés à [Localité 10], elle aurait néanmoins révélé que selon le jugement d'adjudication sur surenchère du 11 mai 2015, les appelants n'étaient plus domiciliés dans la maison saisie de [Localité 7], mais [Adresse 1]).
Ainsi, l'adresse de [Localité 7] n'était manifestement pas la dernière adresse connue des époux [N]. Or, la signification d'un acte selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile en un lieu autre que la dernière adresse connue du destinataire de cet acte ne vaut pas notification : cf Civ 2ème - 2 juillet 2020 - n°19-14.893.
Il résulte de tout ce qui précède que l'acte du 12 janvier 2016 est nul.
Il convient donc d'infirmer le jugement déféré, de constater que le jugement rendu le 17 décembre 2015 à l'encontre des époux [N] par le tribunal d'instance de Limoges est réputé non avenu pour n'avoir pas été valablement signifié dans les six mois de sa date, et consécutivement d'ordonner la main-levée de la saisie mise en oeuvre sur les rémunérations de M. [B] [N] sur le fondement de ce jugement.
En conséquence, la demande indemnitaire présentée par la CGA pour procédure abusive ne peut qu'être rejetée.
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel doivent être supportés par la CGA, avec, pour ceux d'appel, application de l'article 699 du même code au profit du conseil des époux [N].
Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu'en faveur des époux [N]. Toutefois, dès lors qu'ils n'auraient pas eu de frais à exposer s'ils avaient avisé leur créancier de chacun de leur changement d'adresse, il y a lieu en équité de ne pas faire droit à la demande qu'ils ont présentée sur le fondement de ce texte.
PAR CES MOTIFS, après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté la Compagnie Générale d'Affacturage de sa demande indemnitaire,
Annule l'acte du 12 janvier 2016 par lequel le jugement rendu le 17 décembre 2015 par le tribunal d'instance de Limoges a été signifié aux époux [B] [N] / [G] [W],
Dit en conséquence que ce jugement est non avenu et ne peut constituer un titre exécutoire,
Ordonne en conséquence la main-levée de la saisie des rémunérations de M. [N] enregistrée au tribunal judiciaire de Bonneville sous le n°2018 / A 168,
Condamne la Compagnie Générale d'Affacturage aux dépens de première instance et d'appel, Maître Catherine Baud-Marjou étant autorisée à recouvrer directement à son encontre les dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,
Dit n'y avoir lieu à aucune application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 12 juillet 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La GreffièreLa Présidente