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07/07/2022 | FRANCE | N°20/01003

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 07 juillet 2022, 20/01003


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 07 Juillet 2022



N° RG 20/01003 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GQJT



Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 29 Juin 2020, RG 17/02014



Appelant



M. [C] [U]

né le 21 Mars 1972 à [Localité 10], demeurant [Adresse 3]



Représenté par l'EURL P.O. SIMOND AVOCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS



Intimés



M. [B] [

J]

né le 15 Septembre 1972 à LAUSANNE - SUISSE,

et

Mme [Z] [M] épouse [J]

née le 16 Janvier 1979 à [Localité 11]

demeurant ensemble [Adresse 2]



Représentés par Me Michel FILLARD, ...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 07 Juillet 2022

N° RG 20/01003 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GQJT

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON LES BAINS en date du 29 Juin 2020, RG 17/02014

Appelant

M. [C] [U]

né le 21 Mars 1972 à [Localité 10], demeurant [Adresse 3]

Représenté par l'EURL P.O. SIMOND AVOCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimés

M. [B] [J]

né le 15 Septembre 1972 à LAUSANNE - SUISSE,

et

Mme [Z] [M] épouse [J]

née le 16 Janvier 1979 à [Localité 11]

demeurant ensemble [Adresse 2]

Représentés par Me Michel FILLARD, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL FAVRE-DUBOULOZ-COFFY, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 08 mars 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte notarié du 10 janvier 2008, Monsieur [B] [J] et Madame [Z] [M] son épouse ont acquis un tènement immobilier cadastré section A n°[Cadastre 1] et [Cadastre 4], composé d'une maison à usage d'habitation et d'une grange attenante, lieudit [Localité 6] à [Localité 8].

Suivant permis de construire du 11 octobre 2012 et permis modificatif du 26 mai 2016, les époux [J] ont procédé à différents travaux de réhabilitation lesquels ont notamment porté sur un volume surplombant la parcelle contigüe appartenant à Monsieur [U] (parcelle cadastrée section A n°[Cadastre 5]) acquise suivant acte notarié du 21 décembre 1996.

Un litige concernant les travaux de réhabilitation est né entre les propriétaires des fonds respectifs, notamment en ce qui concerne l'ouvrage surplombant le fonds de Monsieur [U] permettant de relier la maison et la grange attenante des époux [J].

Aussi, par acte du 15 novembre 2017, ce dernier a fait assigner ses voisins devant le tribunal de grande instance aux fins notamment de les voir condamner à démolir l'ouvrage à usage de 'pièce à vivre', d'une superficie de 8,25 m², surplombant la parcelle cadastrée [Cadastre 7] lui appartenant.

Par jugement contradictoire du 29 juin 2020, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :

- débouté Monsieur [U] de sa demande d'annulation du procès-verbal de constat établi le 25 juin 2019 par la Selarl Jurisoffice,

- débouté Monsieur [U] de sa demande de destruction, sous astreinte et sous contrôle, de la structure surplombant la parcelle [Cadastre 7] lui appartenant,

- débouté Monsieur [U] de sa demande de destruction, sous astreinte, du mur de fond et du débord de toiture de ladite structure,

- déclaré recevables les demandes additionnelles formulées par Monsieur [U],

- débouté Monsieur [U] de sa demande de suppression, sous astreinte, des trois ouvertures du bien immobilier des époux [J],

- débouté Monsieur [U] de sa demande de suppression, sous astreinte, du dispositif d'évacuation des eaux de pluie des époux [J],

- débouté Monsieur [U] de sa demande indemnitaire formulée au titre des troubles anormaux du voisinage,

- débouté les époux [J] de leur demande indemnitaire formulée au titre de la procédure abusive,

- condamné Monsieur [U] à payer aux époux [J] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [U] aux entiers dépens,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes, comprenant les demandes plus amples et contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par déclaration du 4 septembre 2020, Monsieur [U] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 16 février 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Monsieur [U] demande à la cour de :

- déclarer recevable et fondé son appel,

Réformant la décision entreprise,

- débouter les époux [J] de leurs demandes et prétentions,

- annuler le procès-verbal de constat de la Selarl Jurisoffice du 25 juin 2019,

- condamner tant sur le fondement des articles 544 et 545 du code civil, que par application de la théorie des troubles anormaux de voisinage (article 1240 du code civil), les époux [J] à démolir l'ouvrage à usage de 'pièce à vivre', d'une superficie de 8,25 m², surplombant la parcelle cadastrée [Cadastre 7] lui appartenant et ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard un mois après signification de la décision à intervenir,

- dire et juger que les travaux de démolition seront effectués sous le contrôle de bonne fin d'un expert désigné aux frais avancés des défendeurs,

- juger illicites les empiétements, en façade Nord, de l'extension de la propriété des époux [J] sur sa propriété, tant au niveau de son mur que du débord de toiture,

En conséquence,

- ordonner par application des articles 544 et 545 du code civil, et sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage (article 1240 du code civil) la démolition des ouvrages litigieux sous astreinte de 200 euros par jour de retard un mois après signification de la décision à intervenir, et ce sous contrôle d'un expert désigné à cet effet,

- juger illicites les ouvertures offrant une vue directe sur la propriété de Monsieur [U] : fenêtre, façade Ouest éclairant la mezzanine au 1er étage, fenêtre et vélux, façade Nord, éclairant la salle de bains,

- constater que l'architecte [L], missionné par les époux [J] confirme la 'nécessité de déplacer la fenêtre' en conformité avec les articles 678 à 680 du code civil,

- ordonner sous le contrôle d'un expert désigné à cet effet, la suppression des ouvertures sus-désignées sous astreinte de 200 euros par jour de retard calculée un mois après signification de l'arrêt à intervenir,

- ordonner la suppression du dispositif des eaux de la propriété des époux [J] recueillies en toiture, illicitement raccordé au système d'évacuation de Monsieur [U] sur la façade sud en violation de son droit de propriété, sous astreinte de 200 euros par jour de retard calculée un mois après signification de la décision à intervenir et sous le contrôle d'un expert désigné à cet effet,

Subsidiairement,

- ordonner un transport sur les lieux,

- ordonner la désignation d'un expert, assisté d'un sapiteur-géomètre avec pour mission :

se rendre sur les lieux et prendre connaissance des pièces du dossier, notamment l'avis de l'expert [A] du 23 mai 2019, le plan d'état des lieux du géomètre-expert [E], son courrier du 8 janvier 2019, le procès-verbal de constat de la Selarl Viatores du 10 novembre 2020,

décrire la nature et l'ampleur des empiétements illicites et irrégularités objet du présent litige :

la suppression de la 'pièce à vivre' de 8,25 m² surplombant la parcelle cadastrée [Cadastre 7],

les empiétements, en façade Nord, de l'extension de la propriété des époux [J] sur sa propriété, tant au niveau de son mur que du débord de toiture,

le dispositif des eaux de pluie de la propriété des époux [J] recueilli en toiture illicitement raccordé au système d'évacuation de Monsieur [U] sur la façade sud,

donner son avis sur les ouvertures pratiquées par les époux [J] - vélux, ouverture salle de bain, ouverture verre dormant, leur conformité aux articles 665 et suivants du code civil,

décrire les remèdes, chiffrer le coût et les mesures nécessaires à la mise en conformité, à la suppression des empiétements illicites et irrégularités,

donner à la juridiction saisie tous éléments permettant d'évaluer l'ensemble des préjudices subis par Monsieur [U].

- ordonner le sursis à statuer sur les demandes principales dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,

En tout état de cause,

- condamner les époux [J] à lui verser, en réparation de ses troubles de jouissance, troubles anormaux de voisinage, la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner les époux [J] à lui verser une indemnité de 8 000 euros au titre des articles 699 et suivant du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

En réplique, dans leurs conclusions adressées par voie électronique le 23 février 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les époux [J] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- débouter Monsieur [U] de son appel,

- le condamner en sus à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er mars 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le constat d'huissier du 25 juin 2019

Au visa de l'article 544 du code civil, Monsieur [U] dénonce la nullité du procès-verbal de constat dressé le 25 juin 2019 par Maître [V] [S], huissier de justice à [Localité 9], au motif, d'une part, que l'officier ministériel aurait 'agi' non-contradictoirement et, d'autre part, qu'il serait entré illégalement sur sa propriété pour prendre des photographies.

La cour observe toutefois qu'aucune règle légale, réglementaire ou déontologique n'impose à un huissier de justice, pour la rédaction d'un constat, de convoquer contradictoirement l'ensemble des personnes susceptibles d'être concernées par ses constatations. En outre, le procès-verbal contesté est régulièrement versé aux débats et permet, en toute hypothèse, d'assurer le respect du contradictoire en ce que chacune des parties est en capacité de discuter la valeur probante des éléments consignés par l'huissier.

Par ailleurs, à la lecture du constat, établi à la demande de la commune de [Localité 8] qui n'est pas partie à la présente instance, il est patent que l'officier ministériel s'est transporté au domicile des époux [J], leur accord préalablement recueilli, pour vérifier la conformité des travaux exécutés suite à leur achèvement. A ce titre, l'huissier mentionne dans son constat, faisant foi jusqu'à inscription de faux, que '[ses] constatations ont été réalisées uniquement depuis la propriété de Monsieur [J], avec son autorisation, sur la parcelle cadastrée section A n°[Cadastre 4] suivant les plans de localisation obtenus depuis les sites géoportail et du cadastre'.

La consultation des 59 photographies annexées au constat ne permet pas d'établir que l'huissier mandaté par la commune se serait rendu sur la propriété de Monsieur [U], lequel ne vise d'ailleurs aucun des clichés du constat pour étayer l'affirmation selon laquelle l'officier ministériel se serait transporté sur son fonds sans son autorisation.

Il en résulte que Monsieur [U] doit être débouté de sa demande d'annulation.

Sur la démolition de l'ouvrage surplombant la parcelle [Cadastre 7] à usage de 'pièce à vivre'

Il n'est pas discuté que la parcelle cadastrée section A n°[Cadastre 5] a été régulièrement acquise par Monsieur [U] selon acte notarié du 21 décembre 1996. Il est également constant, à la lecture des écritures de l'appelant, que la 'pièce à vivre' litigieuse de 8,25 m² de surface résulte d'une transformation d'un volume en hauteur lequel permettait originellement le passage entre la maison et la grange acquises par les époux [J] par un plancher destiné à entreposer du foin, ledit plancher étant surmonté d'un toit.

Au visa des articles 544 et 552 du code civil et excipant du fait que la propriété du dessous entraîne nécessairement la propriété du dessus, Monsieur [U] sollicite de la cour qu'elle ordonne la démolition de l'ouvrage réalisé par ses voisins lesquels ne sauraient, selon lui, se prévaloir du bénéfice d'une quelconque prescription acquisitive.

S'il s'avère exact que l'article 552 susvisé prévoit que, par principe, la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous, il importe néanmoins de relever que cette présomption peut être combattue, notamment au moyen des titres dont disposent les parties. En ce sens, la cour retient à la lecture de l'acte de donation-partage du 1er août 1920 survenu entre [Y] (auteur indirect des époux [J]), [I] (auteur indirect de Monsieur [U]) et [P] [K], déposé le 6 décembre 1920 au rang des minutes de Maître [W], notaire à [Localité 9] et développé en détail par le premier juge dans une motivation non contestée en son analyse par l'appelant, que trois lots ont été constitués par l'auteur des consorts [K] et qu'[Y] s'est vu attribuer le premier d'entre eux notamment composé '[d']une remise située devant la maison du deuxième lot' (attribué à [I]), un passage commun demeurant réservé sous '[cette] remise au-devant de la maison du deuxième lot' permettant ainsi de retenir sans équivoque que la remise inclus pour partie un volume surplombant le passage dont la propriété au sol est aujourd'hui revendiquée par Monsieur [U].

Le titre de propriété des époux [J] retranscrit la succession des transmissions de propriété et rappelle la consistance du bien acquis par eux en reprenant littéralement la description de la donation-partage de 1920 précitée.

Bien que le 'document hypothécaire normalisé' établi en 1996 par le notaire ayant réalisé la vente de la parcelle [Cadastre 7] au profit de Monsieur [U] ne se réfère aucunement à l'acte de donation-partage de 1920 (le notaire ayant été dispensé d'établir une origine de propriété antérieure au 28 mars 1978), et bien que cet acte n'évoque aucunement la présence d'une remise en volume surplombant une partie de la parcelle [Cadastre 7], force est de constater que la consistance du fonds acquis par l'appelant ne peut excéder celle dévolue à [I] [K] au terme de l'acte du 1er août 1920 de sorte que Monsieur [U] n'est pas fondé à revendiquer la propriété du volume aménagé par les époux [J], pas davantage qu'il ne peut solliciter, sur le fondement des articles 544 et 552 du code civil, la démolition des travaux exécutés par eux.

Enfin, s'agissant de sa demande de démolition fondée sur l'existence d'un trouble anormal du voisinage, la cour relève que la construction litigieuse a été réalisée conformément aux prescriptions administratives, comme l'atteste le procès-verbal de constat d'huissier du 25 juin 2019 dressé à l'initiative de la commune de [Localité 8] lequel conclut en page 36/36 : 'de ce qui précède, je constate que les travaux de réhabilitation de la grange des consorts [J] sont conformes aux plans du permis de construire n°7421012B0018 et son permis modificatif n°7421012B0018M01'.

Au surplus, si un important contentieux administratif a opposé appelant et intimés quant à la régularité du permis de construire modificatif du 26 mai 2016 (le permis de construire initial du 11 octobre 2012 n'ayant pas été contesté), le conseil d'État a in fine annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon qui avait lui-même annulé l'arrêté du 26 mai 2016 en considérant que 'le permis modificatif attaqué permet de prolonger sur environ 1,20 mètres, avec le même bardage en bois, la couverture du mur de façade nord du 1er étage de la grange appartenant aux époux [J], jusqu'au mur mitoyen de l'habitation de Monsieur [U] et que ces travaux de clôture du mur s'inscrivent dans le volume préexistant du bâtiment. Par suite, en estimant qu'il ne constituait pas l'extension d'une construction existante en vue d'en conserver l'unité architecturale au sens du point 2 de l'article 7 UH du plan local d'urbanisme [...], la cour a dénaturé les pièces du dossier'.

Il en résulte qu'il n'est démontré aucune augmentation de surface ou de volume propre à caractériser un quelconque trouble pas davantage qu'une faute des intimés n'est caractérisée dans l'exécution des travaux conformément au permis accordé. Aussi, Monsieur [U] doit être débouté de sa demande de démolition, sans que les circonstances de l'espèce ne commandent d'ordonner un transport sur les lieux ou une expertise judiciaire.

Sur la démolition des empiétements en façade Nord

Sur le fondement d'un 'avis d'expert' de 2 pages émis par Monsieur [H] [A] et daté du 23 mai 2019, Monsieur [U] soutient que le volume rénové par les époux [J] empiète en façade Nord sur sa propriété 'tant au niveau de son mur que du débord de toiture'. Aucun élément technique complémentaire n'est versé aux débats par Monsieur [U] pour étayer ses prétentions étant observé que l'architecte, mandaté par lui, procède manifestement par affirmation en ce qu'aucun métré n'a été réalisé et aucune référence ou comparaison n'est effectuée en considération du cadastre, d'un bornage ou des titres de propriété des parties.

Les époux [J] produisent, pour leur part, une attestation du charpentier ayant réalisé la rénovation lequel 'certifie que la partie surplombant le passage de Monsieur [U] est constituée d'un porte-à-faux et d'une fixation par suspensions à la charpente. De ce fait, en aucun cas cette partie de solivage ne prend appui sur le mur de Monsieur [U]'. Par ailleurs, les constatations de l'huissier missionné par la commune de [Localité 8] indique, en page 26 du procès-verbal de constat du 25 juin 2019 : 'les photographies suivantes matérialisent le bâtiment après réhabilitation pris sous des angles différents où l'emprise au sol est identique à la précédente construction'. En outre, alors-même que l'avis d'expert susvisé retient simultanément en page 1/2 que la construction est implantée en limite de propriété et s'avère 'accolée' à la maison des époux [U], les photographies produites aux débats ne permettent aucunement de caractériser un quelconque empiétement. Enfin, Monsieur [N] [L], expert missionné par les époux [J], indique pour sa part en page 6/10 de son rapport daté du mois d'août 2019 n'avoir constaté 'aucun empiétement de quelque nature que ce soit' en façade Nord où les deux bâtiments [U] / [J] sont accolés.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [U] de sa demande de démolition, sans qu'il soit nécessaire de procéder à un transport sur site ou d'ordonner une mesure d'instruction complémentaire, une telle mesure ne pouvant être ordonnée en vue de suppléer la carence de l'appelant dans l'administration de la preuve.

Sur la suppression des ouvertures

Trois ouvertures sont successivement visées par Monsieur [U] comme constitutives d'une vue sur son fonds à savoir une fenêtre située sur la façade Ouest éclairant selon lui une mezzanine au 1er étage ainsi qu'une fenêtre et un vélux situés sur la façade Nord éclairant une salle de bain.

Il importe à titre liminaire de restituer ces ouvertures dans l'espace en ce que la fenêtre et le vélux visés en façade Nord par l'appelant correspondent, pour le premier juge ainsi que pour Monsieur [L], architecte DPLG, à des ouvertures situées en façade Est, étant précisé qu'aucun plan ni aucun constat faisant figurer les points cardinaux n'est versé aux débats et que la façade Nord correspond manifestement à celle où les deux bâtiments [U] / [J] sont accolés.

Aux termes des articles 678 et 679 du code civil, on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage (vues droites) ou des vues par côté ou obliques sur le même héritage s'il n'y a six décimètres de distance, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.

Il doit en l'espèce être rappelé que l'acte de donation-partage du 1er août 1920 portait création, pour le bénéficiaire du lot n°1 (attribué à l'auteur des époux [J]), d'une servitude de passage sur le fonds aujourd'hui cadastré section A n°[Cadastre 5] et plus spécifiquement sur le passage situé sous la remise sur lequel les ouvertures litigieuses sont susceptibles d'offrir une vue irrégulière.

Plus avant, conformément à l'article 690 du code civil, les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre ou par la possession de trente ans. Or, la comparaison des photographies versées aux débats par les parties et notamment celle portant le n°23 du bordereau communiqué dans les intérêts des époux [J] démontrent que les façades Est et Ouest de la remise, non-accolée au mur du bâtiment de Monsieur [U], étaient largement ouvertes avant la réalisation des travaux litigieux de sorte que, au regard de la configuration historique des lieux et de la vétusté du bâtiment avant réhabilitation, l'existence de vues était manifestement acquise depuis les façades de la remise sur le fonds de Monsieur [U] et ce depuis une date plus que trentenaire. Aucun trouble anormal du voisinage n'est par ailleurs caractérisé s'agissant des ouvertures contestées, la pose de vélux ou de fenêtres ayant manifestement réduit la vue préexistante sur le fonds voisin.

Ainsi, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [U] de ses demandes sans qu'il soit là encore nécessaire d'ordonner un transport sur les lieux ou de faire droit à la demande d'expertise formulée par l'appelant à titre subsidiaire.

Sur la suppression du dispositif d'écoulement des eaux de pluie

Alors-même que l'aspect de la grange et de la remise tel qu'il résulte des clichés versées aux débats démontre que cette construction est plus que trentenaire, il a été justement retenu par le premier juge par une analyse comparée des photographies antérieures et postérieures à la réhabilitation qu'il n'est pas établi que le dispositif de collecte des eaux de pluie a été modifié dans son tracé ou ses liaisons suite aux travaux entrepris. En ce sens, la reproduction d'une photographie ancienne, en dernière page du constat du 10 novembre 2020 versé par l'appelant, s'avère peu exploitable alors-même que les intimés produisent pour leur part une attestation du charpentier en charge des travaux de couverture qui atteste 'avoir remplacé la descente d'eau pluviale par un conduit tout cuivre en lieu et place d'un conduit PVC. Ce travail a été effectué à la demande de Monsieur [U] auprès de Mr et Mme [J]. Ces travaux ont été facturés à Mr et Mme [J]'.

En outre, Monsieur [N] [L], architecte DPLG missionné par les époux [J], indique dans son rapport après travaux que la descente des eaux pluviales est toujours située au même endroit et que les eaux de pluie s'écoulent de la même façon qu'antérieurement.

Aussi, ces éléments permettent de retenir que le dispositif d'évacuation des eaux de pluie a été remplacé au cours des travaux par un dispositif à l'identique, alors-même qu'il n'est pas contesté que la toiture et le dispositif d'évacuation des eaux ont été installés depuis plus de trente années avant litige.

Monsieur [U] est donc débouté de l'ensemble de ses prétentions relatives à la suppression du dispositif d'écoulement des eaux de pluie ainsi que de ses demandes subsidiaires de transport sur les lieux et d'expertise.

Sur la demande indemnitaire pour trouble de jouissance et trouble anormal du voisinage

Selon l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Conformément à l'article 651 du même code, ce droit est limité par l'obligation de ne pas causer à autrui un dommage excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Il incombe à celui qui invoque l'existence d'un trouble d'établir son caractère anormal. Celui-ci doit être apprécié in concreto.

En l'espèce, au moyen d'attestations de proches (épouse, s'ur, beau-frère, gendre), d'un tiers hébergé par lui et d'un voisin, Monsieur [U] allègue subir un trouble anormal du voisinage en ce qu'il subirait des nuisances sonores, une perte d'intimité ainsi qu'une perte d'ensoleillement. Il signale encore que le risque d'incendie serait accru.

Concernant les nuisances sonores et la perte d'intimité, les cris d'enfants perçus ponctuellement par la famille [U] et leurs visiteurs ne sauraient constituer un trouble anormal dans des relations de voisinages. De même, si l'usage d'un instrument de musique est attesté, son anormalité n'est aucunement démontrée au moyen d'éléments précis quant à l'intensité du bruit ou le caractère inadapté de l'heure à laquelle il en est fait usage.

La perte d'ensoleillement ou de luminosité alléguée dans le salon s'avère contredite par les éléments techniques susvisés faisant état d'une reconstruction à l'identique, Monsieur [N] [L] spécifiant en ce sens dans son rapport que 'la volumétrie de la grange [J] n'ayant pas été modifiée, il ne peut y avoir perte d'ensoleillement'. Dès lors, en l'absence d'éléments complémentaires objectivant le ressenti de Monsieur [U], ce préjudice n'apparaît nullement caractérisé.

Enfin, le risque accru d'incendie pour le bâtiment rénové n'est étayé par aucun élément tangible alors-même que l'ancienne grange était en bois et demeurait peu entretenue.

Aussi, Monsieur [U] doit être débouté de sa demande indemnitaire.

Sur les demandes annexes

Monsieur [U], qui succombe en son appel, est condamné à payer aux époux [J] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est en outre condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute Monsieur [C] [U] de l'ensemble de ses prétentions,

Condamne Monsieur [C] [U] à payer à Monsieur [B] [J] et Madame [Z] [M] épouse [J] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur [C] [U] aux dépens d'appel.

Ainsi prononcé publiquement le 07 juillet 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/01003
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;20.01003 ?
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