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07/07/2022 | FRANCE | N°20/00679

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 07 juillet 2022, 20/00679


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Jeudi 07 Juillet 2022





N° RG 20/00679 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GO6Q



Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 13 Mars 2020, RG 16/00620



Appelante



S.A.R.L. HOTEL RESTAURANT D'[Localité 5], dont le siège social est sis [Adresse 3] - prise en la personne de son représentant légal



Représentée par la SCP CABINET DENARIE BUTTIN PERRIER GAUDIN, avocat au

barreau de CHAMBERY





Intimés



M. [B] [F] [R]

né le 20 Mars 1940 à [Localité 7],

et

Mme [K] [E] [M] épouse [R]

née le 24 Janvier 1943 à [Localité 6], deme...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 07 Juillet 2022

N° RG 20/00679 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GO6Q

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 13 Mars 2020, RG 16/00620

Appelante

S.A.R.L. HOTEL RESTAURANT D'[Localité 5], dont le siège social est sis [Adresse 3] - prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SCP CABINET DENARIE BUTTIN PERRIER GAUDIN, avocat au barreau de CHAMBERY

Intimés

M. [B] [F] [R]

né le 20 Mars 1940 à [Localité 7],

et

Mme [K] [E] [M] épouse [R]

née le 24 Janvier 1943 à [Localité 6], demeurant ensemble [Adresse 4]

Représentés par Me Nathalie KOHLER, avocat au barreau d'ANNECY

La Commune d'[Localité 5], sise [Adresse 1]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELARL VAILLY BECKER & ASSOCIES, avocat au barreau d'ANNECY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 05 avril 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [B] [F] [R] et Mme [K] [M] son épouse (ci-après les époux [R]), sont propriétaires, sur la commune d'[Localité 5], d'une parcelle cadastrée [Cadastre 2]

Par arrêté du 28 avril 2015, le maire d'[Localité 5] leur a accordé un permis d'aménager portant sur la division de ce terrain en trois lots au plus, en vue de la construction d'habitations, de la création d'un lot en espace commun et de réseaux communs internes au lotissement. Ce permis prévoyait notamment le passage d'une canalisation d'eaux pluviales sur le terrain voisin, appartenant à la commune d'[Localité 5] donné en location par bail commercial à la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] par acte du 13 février 2010, et sur lequel cette société exploite une activité d'hôtel, bar, restaurant et salon de thé.

Un litige concernant la réalisation de ces travaux est né entre les époux [R] et la société Hôtel restaurant d'[Localité 5], cette dernière s'y opposant. Les époux [R] ont finalement assigné la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] devant le juge des référés aux fins de la voir condamner à laisser s'exécuter les travaux.

Par ordonnance du 21 décembre 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Annecy a condamné la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à laisser s'exécuter les travaux de raccordement de canalisations d'eaux pluviales prévus par le permis d'aménager, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance et pour une durée de deux mois, et sous peine d'une indemnité de 500 euros pour tout acte d'obstruction ponctuelle constatée après le démarrage des travaux.

La reprise des travaux a été compliquée par le blocage de la voie d'accès le 11 janvier 2016. Les travaux ont ensuite été ralentis ou suspendus en raisons des dissensions existant entre les époux [R] et les gérants de la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5]. Ils n'étaient finalement achevés que le 13 février 2017. Entre temps une procédure pénale avait été diligentée contre Mme [X], gérante de la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] laquelle a été condamnée pour violences volontaires sur la personne de M. [B] [F] [R].

Par acte du 4 avril 2016, les époux [R] ont assigné la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] aux fins, notamment, de la voir condamner au paiement de dommages et intérêts.

Par acte du 18 août 2017, la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] appelait dans la cause la commune d'[Localité 5] et le 22 septembre 2017 la jonction des procédures était ordonnée.

Par ordonnance du 26 janvier 2018, le juge de la mise en état rejetait une demande d'expertise formée par la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5].

Par jugement contradictoire du 13 mars 2020, le tribunal judiciaire d'Annecy a :

- condamné la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à verser à Mme [K] [M] et M. [B] [F] [R] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- renvoyé la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à mieux se pourvoir concernant sa demande indemnitaire à l'égard de la commune d'[Localité 5] sur le fondement de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales,

- condamné la commune d'[Localité 5] à verser à la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour trouble de jouissance,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à verser aux époux [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] aux dépens,

- rejeté les demandes autres, contraires ou plus amples.

Par déclaration du 30 juin 2020, la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] a interjeté appel du jugement.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 9 mars 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable et bien-fondé,

réformant le jugement déféré :

- dire et juger que les époux [R] ne démontrent pas que l'existence d'un retard dans ans l'exécution des travaux lui est uniquement imputable,

- dire et juger que les époux [R] ne rapportent pas la preuve d'un préjudice en lien avec le retard dans l'exécution des travaux,

- débouter les époux [R] de toutes leurs demandes et prétentions,

- débouter la commune d'[Localité 5] de toutes ses demandes et prétentions,

- dire et juger que la responsabilité délictuelle des époux [R] est engagée,

- dire et juger que la responsabilité de la commune d'[Localité 5] est engagée ensuite de ses manquements contractuels au regard de son obligation d'assurer la jouissance du bien loué et sa jouissance paisible,

- dire et juger que ces fautes lui ont causé un préjudice,

- condamner in solidum les époux [R] et la commune d'[Localité 5] à lui payer la somme de 90 000 euros de dommages et intérêts,

à titre très subsidiaire :

infirmant le jugement déféré qui l'a condamnée à payer aux époux [R] la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts, débouter les époux [R] de toutes leurs demandes et prétentions,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il lui a alloué la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts,

en tout état de cause,

- débouter les époux [R] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

- réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer aux époux [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la commune d'[Localité 5] de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- condamner in solidum les époux [R] et la commune d'[Localité 5] à lui verser une somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les époux [R] et la commune d'[Localité 5] aux entiers dépens, avec distraction au profit de maître Gaudin membre de la scp cabinet Denarié Buttin Perrier Gaudin, avocat sur son affirmation de droit, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En réplique, dans ses conclusions adressées par voie électronique le 14 mars 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la commune d'[Localité 5] demande à la cour de :

- juger mal fondé l'appel interjeté par la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5],

en conséquence,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a renvoyé la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à mieux se pourvoir sur le fondement des dispositions de l'article L.2131 du code général des collectivités territoriales,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer 5 000 euros à titre de dommages et intérêts à la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5],

statuant à nouveau,

- juger que sa responsabilité ne saurait être retenue sur le fondement des dispositions de l'article 1719 du code civil,

- débouter purement et simplement la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] de l'intégralité de ses demandes à son encontre,

à titre infiniment subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a limité les dommages et intérêts à 5 000 euros,

en tout état de cause,

- condamner la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à lui verser la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

En réplique également, dans leurs conclusions adressées par voie électronique le 3 décembre 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les époux [R] demandent à la cour de :

- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel formé par la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5],

- le déclarer mal fondé et en conséquence,

- confirmer le jugement du 13 mars 2020 en ce qu'il a jugé que la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] a commis des fautes à leur préjudice et leur a occasionné un préjudice,

- infirmer la décision en ce que ce préjudice a été indemnisé à hauteur de 10 000 euros,

- réformer ce point et statuant à nouveau,

- condamner la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à leur payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] de sa demande de condamnation des époux [R], retenant que ceux-ci n'ont commis aucune faute,

à titre subsidiaire, si les consorts [R] devaient être condamnés,

- condamner la commune d'[Localité 5] à les relever et garantir de toutes sommes qui seraient mises à leur charge,

- condamner la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à leur payer la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de procédure avec application au profit de maître Kohler, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mars 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire la cour observe que la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] ne formule pas, à hauteur d'appel, de demande tendant à voir engager la responsabilité délictuelle de la commune d'[Localité 5] sur le fondement de l'article L. 2131-1 du code générale des collectivités territoriales. A ce titre, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a renvoyé la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à mieux se pourvoir sur ce fondement devant le juge administratif.

Sur la responsabilité délictuelle des époux [R] envers la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5]

La société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] expose que les époux [R] engagent leur responsabilité sur le fondement des articles 1382 et 1384 anciens du code civil en arguant que M. [B] [F] [R] se serait introduit sur son terrain, qu'il a porté plainte contre elle pour tapage nocturne troublant la tranquillité d'autrui motifs pris du déclenchement intempestif de l'alarme qu'elle a faite installer en raison de la multiplication des cambriolages dans le secteur.

L'article 1382 ancien du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'article 1384 ancien du code civil prévoit la responsabilité du fait des choses, des père et mère, des maîtres et commettants et des instituteurs et artisans.

La cour relève en premier lieu que la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] ne reproche rien à Mme [K] [M]. La cour note, en deuxième lieu, qu'elle ne démontre pas une intrusion fautive et repérée de M. [B] [F] [R] sur son terrain. En troisième lieu, il convient de relever que le fait pour M. [B] [F] [R] d'avoir porté plainte ne saurait être fautif, sauf en cas d'abus de droit non démontré en l'espèce. La cour observe enfin en dernier lieu que la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] ne démontre pas avoir été victime d'une chose dont M. [B] [F] [R] aurait eu la garde, la responsabilité du fait des choses étant la seule à pouvoir a priori lui être reprochée au regard de l'article 1384 ancien du code civil, dès lors qu'il ne s'inscrit dans aucun rapport parent/enfant ou instituteur/élève, artisan/apprenti ou préposé/commettant.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] de sa demande de dommages et intérêts formée contre les époux [R].

Sur la responsabilité contractuelle de la commune d'[Localité 5] envers la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5]

Il est constant que la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] et la commune d'[Localité 5] sont liées par un contrat de bail commercial conclu le 10 février 1999 (pièce appelant n°1). Selon l'article 1719 du code civil applicable en l'espèce, le bailleur est, notamment, tenu de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

Le bail porte sur des locaux à usage d'hôtel, bar, restaurant et salon de thé. Les travaux litigieux consistent dans le creusement d'une tranchée profonde de plus de 3 mètres, après dépose des pavés, pour permettre le passage d'une canalisation d'eaux pluviales au profit de la parcelle appartenant aux époux [R]. Ils se sont terminés par le remblaiement avec compactage au moyen d'une plaque vibrante et repose des pavés. Ils se sont déroulés sur la voie latérale longeant les locaux loués, voie desservant des places de parking (pièce appelant n°23). Il est constant que, pendant la durée des travaux aucun véhicule ne pouvait passer, en particulier ceux des gérants ou ceux des clients. Il est tout aussi constant que les travaux ont entraîné des nuisances pendant toute leur durée, nuisances visuelles comme le montrent les nombreuses photographies versées aux débats et nuisances sonores provoquées par l'intervention de pelleteuses ou encore l'utilisation d'une plaque vibrante, outre les nuisances classiques d'un chantier de ce type (notamment la création de poussières).

La cour note encore que, par application de l'article 7 du contrat, le preneur s'engage à supporter, quelle qu'en soit la durée, les grosses réparations et les améliorations nécessaires et utiles, même si elles ne doivent pas lui profiter. De même, l'article 8 du contrat impose au preneur de supporter toutes modifications que le bailleur jugera nécessaire tant à l'aspect extérieur qu'à l'aspect intérieur par des constructions nouvelles ou addition de constructions, démolition ou édification. Toutefois le deuxième alinéa de l'article 8 exclut expressément l'hypothèse des travaux prescrits par les autorités administratives.

Le bail a été, au regard de son objet même, tel qu'il résulte de l'esprit des clauses du contrat, conclu en fonction de la possibilité pour les locataires de pouvoir offrir à leur clientèle un lieu paisible pour se reposer, se restaurer ou se détendre. Un commerce de ce type est, par ailleurs d'autant plus attrayant qu'il offre des facilités de stationnement.

Il en résulte, comme l'a relevé le tribunal, que les travaux litigieux ont nécessairement empêché les preneurs de jouir paisiblement de leur bail commercial ce que démontre notamment la baisse de location des chambres, en particulier du coté de l'hôtel où se déroulaient les travaux par la comparaison des réservations entre janvier 2015 et janvier 2016 (pièce appelant n°31). En outre, la commune d'[Localité 5] a proposé aux preneurs, par courrier en date du 17 septembre 2015, une réfaction de loyer sur le 4ème trimestre 2015 à hauteur de 5 000 euros HT 'afin de prendre en compte le préjudice créé' au regard 'des désagréments causés à l'activité commerciale' (pièce appelant n°7). Elle a donc elle-même reconnu l'existence de la privation de jouissance.

Il résulte des propres écritures de la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] que les travaux n'ont duré que 30 jours calendaires. Mais s'ils se sont étendus sur une durée beaucoup plus vaste c'est notamment, comme l'a souligné le tribunal, en raison du comportement des preneurs, lesquels ont obligé les époux [R] à recourir au juge des référés pour obtenir une décision imposant à la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] de laisser se dérouler les travaux. Le juge des référés a d'ailleurs expressément relevé l'obstruction de la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à la réalisation de travaux régulièrement autorisés sur la propriété de son bailleur (pièce [R] n°18).

Ainsi, c'est par une appréciation pertinente de la situation que le tribunal a condamné la commune d'[Localité 5] à verser à la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle. En effet, le préjudice de jouissance dont elle souffre du fait des travaux, ne saurait comprendre les malfaçons qu'elle dénonce (différence de couleur des dalles, gravier à la place des pavés, état des dalles, etc.). De même les problèmes de santé dont souffrirait le fils des exploitants, même à le supposer établi et en lien de causalité avec les travaux, ne relèvent pas du trouble de jouissance du preneur. Quant aux frais juridiques évoqués, ils sont compris soit dans les dépens soit dans les frais irrépétibles. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a limité à 5 000 euros l'indemnisation du trouble de jouissance.

Sur la responsabilité de la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] envers les époux [R]

Les époux [R] reprochent à la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] d'être à l'origine d'un important retard généré dans la réalisation des travaux envisagés sur leurs parcelles, en raison du blocage lié aux travaux de raccordement de l'évacuation des eaux pluviales. Ils lui imputent d'avoir tout mis en oeuvre pour retarder les travaux lesquels, à partir de septembre 2015, n'auraient dû durer que 12 jours et qui n'ont finalement été achevés que le 13 février 2017. Ils précisent que leur préjudice est établi en ce qu'ils ont ainsi perdu un droit à abattement fiscal dont ils auraient dû bénéficier sur l'année 2015. Ils avaient en effet conclu une promesse de vente le 28 juillet 2015, réitérée le 29 août 2016, le délai s'expliquant par l'attente de la fin des travaux et envisageait de donner 100 000 euros à chacun de leur deux enfants. Or, l'abattement exceptionnel sur les donations accordé en 2015 n'a, selon eux, pas été reconduit en 2016. Ils estiment leur préjudice à 15 000 euros.

La société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] précise, pour sa part, que le retard pris dans les travaux ne lui est pas exclusivement imputable et qu'il n'est pas démontré que les travaux ne devaient durer que 12 jours. Elle expose encore que la décision du conseil municipal autorisant les travaux ne lui était pas opposable faute de lui avoir été notifiée conformément aux dispositions de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales.

En ce qui concerne l'opposabilité à la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] de la décision municipale autorisant le raccord des eaux pluviales depuis les parcelles des époux [R] au réseau municipal, la cour relève que cette décision concerne le propriétaire de la parcelle sur laquelle le passage va se faire. Il appartient alors à ce dernier d'en informer son locataire. Il ne s'agit pas, en effet, d'une décision individuelle ou réglementaire concernant la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] elle-même et qui aurait dû faire l'objet d'une notification individuelle. En outre, l'article L. 2131-1 III du code général des collectivités territoriales précise que, pour les communes de moins de 3 500 habitants les actes réglementaires et les décisions ni réglementaires, ni individuelles sont rendus publics soit par affichage, soit par publication sur papier, dans des conditions fixées par décret en conseil d'Etat, soit par publication sous forme électronique. C'est le conseil municipal choisit le mode de publicité applicable dans la commune. Or, la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] ne démontre pas qu'aucune publication n'a été effectuée. De même la question de la publication de la servitude au cadastre est indifférente quant à sa validité vis à vis du locataire de la parcelle fonds servant. La servitude s'inscrit en effet dans le cadre des rapports entre les propriétaires du fonds servant et du fonds dominant. Enfin, il est constant que la commune a informé la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] par courriel que les travaux de raccordement étaient autorisés et qu'ils débuteraient fin juillet 2015 (pièce [R] n°4).

Sur la question d'un comportement fautif ayant généré un retard dans les travaux de raccordement et, consécutivement, un retard dans les opérations de vente et donation envisagés par les époux [R] sur le parcelle divisée, la cour relève que la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] ne peut pas affirmer avoir été mise devant le fait accompli. En effet, elle a été alertée en amont par la commune comme relevé ci-dessus et même invitée à se rapprocher du maître d'oeuvre pour toutes questions qui pourraient se poser. Dès le début des travaux, elle a pourtant envoyé des lettres recommandées avec avis de réception au maître d'oeuvre le mettant en demeure de cesser les travaux, de remettre en état le terrain sous peine de poursuites (pièces [R] n°5 à 7). Il lui a été rappelé par la même voie, par la commune d'[Localité 5] la procédure qui avait été suivie, avec une proposition de remise de 5 000 euros sur les loyers dûs (pièce [R] n°18). Malgré cela, comme l'a constaté le juge des référés, la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] a mis un obstacle délibéré au déroulement des travaux.

A la suite de la procédure de référé, les travaux devaient reprendre en janvier 2016, ce dont la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] a été informée par avocats interposés (pièce [R] n°19). Il est pourtant établi par un constat d'huissier du 11 janvier 2016 (pièce [R] n°20) qu'une voiture avait été mise sur l'un des accès au chantier, véhicule que Mme [X], présentée comme la gérante de l'établissement, a d'abord refusé de déplacer avant de s'exécuter et de s'en prendre physiquement et verbalement à M. [B] [F] [R]. Ces faits ne sauraient être contestés dans la mesure où ils ont débouchés sur une condamnation pénale de l'intéressée, confirmée en appel.

Il résulte encore des pièces produites aux débats que, par la suite, la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] s'est opposée à l'utilisation de certains engins et que cela a abouti à un retard mais dans la seule finition des travaux (pièce [R] n°28) qui ne seront finalement achevés qu'en février 2017. A partir du moment où le branchement des eaux pluviales était lui-même réalisé, les différends subsistants ne pouvaient concerner que les rapports entre la commune d'[Localité 5] et la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] voire entre celle-ci et le maître d'oeuvre.

La cour relève en effet que les travaux prévus dans le permis d'aménager ont été déclarés achevés à la date du 22 janvier 2016 par M. [B] [F] [R] lui-même, par déclaration du 27 janvier 2016. La commune d'[Localité 5] a attesté ne pas en contester la conformité le 2 février 2016 (pièce [R] n°33). Dès lors, à compter de ce moment, rien ne s'opposait à ce que les époux [R] poursuivent leur projet de vente et de donation. Le fait qu'ils n'aient réitéré la promesse de vente qu'en août 2016 (pièce [R] n°46) et opéré les donations à leurs filles qu'en juillet 2016 (pièce [R] n°47) alors que cela était manifestement possible dès février 2016, ne relève pas de la responsabilité de la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5].

Il résulte de ce qui précède que la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5], par l'intermédiaire de ses dirigeants a, de manière fautive, notamment par des voies de fait, empêché la réalisation paisible des travaux qui ont débuté en septembre 2015 et n'ont pris fin, en ce qui concerne les époux [R] qu'en février 2016, soit un délai de 4 mois.

En ce qui concerne le préjudice, les époux [R] revendiquent avoir perdu la possibilité d'obtenir un abattement fiscal par exonération de droits dans une limite de 100 000 euros par enfant qui était possible sur l'année 2015 (pièce [R] n°32). La cour observe que l'abattement en question était conditionné à la réalisation de la donation d'un terrain à bâtir par la signature d'un acte notarié au cours de l'année 2015. Il fallait encore que l'acte contienne un engagement de la part du donataire de réaliser ou d'achever des locaux neufs destinés à l'habitation dans un délai de 4 ans. Aucun élément ne permet, par ailleurs d'affirmer que les travaux tels qu'initialement prévus auraient été achevés en 12 jours seulement, la durée évoquée par la commune dans un courrier d'octobre 2016 se rapportant en réalité aux travaux de finition, bien postérieurs au branchement lui-même (pièce [R] n°30). A ce titre, le seul préjudice dont peuvent se prévaloir les époux [R] consiste donc en la perte d'une chance de remplir au bon moment les conditions leur permettant de pouvoir revendiquer le bénéfice de cette exonération.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé sur le principe de la responsabilité de la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à l'égard des époux [R] mais réformé en ce qui concerne le montant de l'indemnisation, que la cour réduit à la somme de 5 000 euros.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] qui succombe sera tenue des dépens de première instance et d'appel, avec distraction pour ces derniers, au profit de maître Nathalie Kohler, conseil des époux [R].

En équité, la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] sera condamnée à supporter partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposé par les époux [R] et la commune d'[Localité 5]. Le jugement déféré sera donc confirmé sur la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit des époux [R]. La société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] sera par ailleurs condamnée à verser aux époux [R], pris ensemble, la somme complémentaire de 2 000 euros et à la commune d'[Localité 5] la somme de 3 000 euros en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à ramener le montant des dommages et intérêts dus par la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à M. [B] [F] [R] et Mme [K] [M] à la somme de 5 000 euros,

Y ajoutant,

Condamne la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] aux dépens d'appel, maître [P] [L] étant autorisée à recouvrer directement auprès d'elle ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,

Condamne la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à payer, ensemble, à M. [B] [F] [R] et Mme [K] [M] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société Hôtel Restaurant d'[Localité 5] à payer à la commune d'[Localité 5] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Ainsi prononcé publiquement le 07 juillet 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/00679
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;20.00679 ?
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