COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
3ème Chambre
Arrêt du Mardi 05 Juillet 2022
N° RG 20/00963 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GQEP
Décision attaquée : Jugement du Juge aux affaires familiales de CHAMBERY en date du 23 Juillet 2020, RG 17/01196
Appelant
M. [B] [N]
né le 10 Novembre 1960 à [Localité 4], demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Richard DAMIAN, avocat au barreau de CHAMBERY
Intimée
Mme [W] [X]
née le 04 Mai 1961 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me El hem SELINI, avocat au barreau de CHAMBERY
-=-=-=-=-=-=-=-=-
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 17 mai 2022 avec l'assistance de Madame Laurence VIOLET, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Mme Catherine LEGER, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désignée par ordonnance de Madame La Première Présidente,
- Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
- Madame Claire STEYER, Vice-présidente placée,
-=-=-=-=-=-=-=-=-
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [B] [N], né le 10 novembre 1960 à [Localité 4] (73) et Mme [W] [X], née le 4 mai 1961 à [Localité 4] (73) se sont mariés le 16 juin 1990 par devant l'officier d'État civil de la commune du [Localité 3] (73), après avoir conclu un contrat de mariage de séparation de biens reçu le 14 juin 1990 par Maître [P], notaire à [Localité 5].
Par une ordonnance de non-conciliation en date du 22 septembre 2006, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Chambéry a notamment :
' attribué la jouissance du domicile conjugal, bien propre de Mme [W] [X], et du mobilier du ménage, à l'épouse,
' donné acte à Mme [W] [X] de son accord pour continuer à payer les prêts immobiliers communs d'un montant mensuel de 680 € compte-tenu de l'APL qu'elle perçoit,
' désigné le président de la chambre des notaires de la Savoie en vue d'élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager.
Par un jugement en date du 1er avril 2008, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Chambéry a notamment :
' prononcé le divorce de M. [B] [N] et de Mme [W] [X],
' commis le président de la chambre départementale des notaires de la Savoie pour procéder à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux, sous la surveillance du juge aux affaires familiales,
' condamné M. [B] [N] à payer à Mme [W] [X] la somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts,
' condamné M. [B] [N] à régler à Mme [W] [X] la somme de 12'000 € à titre de prestation compensatoire.
Ce jugement est devenu définitif en l'absence de recours.
Me [Z], notaire à [Localité 5], a été désigné le 27 novembre 2008 par le président de la chambre interdépartementale des notaires de la Savoie et de la Haute-Savoie pour procéder aux opérations de liquidation et partage des intérêts patrimoniaux.
Par un acte d'huissier en date du 3 juillet 2017, M. [B] [N] a fait assigner Mme [W] [X] devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Chambéry aux fins de partage de leurs intérêts patrimoniaux.
Par un jugement en date du 23 juillet 2020, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Chambéry a :
' déclaré irrecevables car prescrites les demandes de M. [B] [N] concernant le prêt de 60'000 Fr., le paiement de factures avant le 3 juillet 2012 et d'exigibilité d'échéances de prêts antérieurs au 3 juillet 2012,
' déclaré recevables les demandes de M. [B] [N] concernant les échéances de prêt postérieures au 3 juillet 2012 ou le paiement de factures courantes après cette date,
' rejeté les demandes de M. [B] [N] tendant à se voir reconnaître créancier de Mme [W] [X] au titre du paiement d'échéances de prêt portant sur l'ancien logement familial ou de factures courantes à compter du 3 juillet 2012,
' rejeté la demande de Mme [W] [X] tendant à condamner M. [B] [N] à lui payer la somme de 108'000 € au titre de l'indemnité d'occupation, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
' rejeté la demande de Mme [W] [X] tendant à voir M. [B] [N] condamné à lui payer la somme de 12'000 € correspondant à la prestation compensatoire à laquelle il a été condamné outre intérêts à taux légal majoré de cinq points,
' rejeté la demande de Mme [W] [X] tendant à voir M. [B] [N] condamné à lui payer la somme de 3000 € correspondant aux dommages-intérêts auquel il a été condamné outre intérêts,
' rejeté la demande de M. [B] [N] tendant à la capitalisation des intérêts,
' rejeté la demande de Mme [W] [X] tendant à la capitalisation des intérêts,
' rejeté la demande de M. [B] [N] tendant à la condamnation de Mme [W] [X] à lui payer la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles,
' rejeté la demande de Mme [W] [X] tendant à la condamnation de M. [B] [N] à lui payer la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles,
' condamné M. [B] [N] aux dépens avec distraction au profit de Me Selini,
' rejeté la demande de M. [B] [N] tendant au prononcé de l'exécution provisoire de la présente décision.
Par une déclaration en date du 27 août 2020, M. [B] [N] a relevé appel de ce jugement en le limitant aux dispositions relatives à la déclaration d'irrecevabilité du fait de leur prescription de ses demandes relatives au prêt de 60'000 Fr., au paiement de factures avant le 3 juillet 2012 et à l'exigibilité d'échéances de prêts antérieures au 3 juillet 2012, au rejet de ses demandes relatives à sa créance au titre du paiement d'échéances de prêt portant sur l'ancien logement familial ou de factures courantes à compter du 3 juillet 2012, au rejet de sa demande de capitalisation des intérêts, au rejet de sa demande relative aux frais irrépétibles et à sa condamnation aux dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 24 mai 2021, M. [B] [N] demande à la cour de :
' déclarer recevable et bien fondée l'appel interjeté par M. [B] [N] à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Chambéry date du 23 juillet 2020,
' réformer ledit jugement sur les demandes de M. [B] [N] et les dépens,
' déclarer recevables et non prescrites les demandes de M. [B] [N],
' constater les règlements effectués par M. [B] [N] dans l'achat du terrain et la construction de la maison et des charges, bien propre de Mme [W] [X], que M. [B] [N] a dépassé son obligation contributive aux dépenses du ménage, qu'il a contribué à l'amélioration du bien, son entretien et sa conservation par son industrie personnelle et qu'il y a eu enrichissement sans cause de Mme [W] [X],
' fixer la créance due à M. [B] [N] par Mme [W] [X] à la somme de 352.454,63 euros comprenant la créance de 100.687,50 euros au titre du prêt pour l'achat du terrain, 136.767,13 euros au titre de la construction du terrain, 15.000 euros au titre des taxes foncières, 100.000 euros au titre de l'industrie personnelle,
' condamner en tant que de besoin Mme [W] [X] à payer à M. [B] [N] la somme de 352.454,63 euros, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
' ordonner la capitalisation des intérêts,
' confirmer le jugement pour le surplus,
' rejeter l'ensemble des demandes de Mme [W] [X] tant irrecevables qu'infondées,
' Y ajoutant,
' condamner Mme [W] [X] à verser à M. [B] [N] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamner Mme [W] [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de Maître Damian en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
À l'appui de ses demandes, M. [B] [N] expose que malgré la désignation de Me [Z] en novembre 2008, les époux n'ont pas souhaité engager immédiatement la liquidation de leur régime matrimonial ; que les opérations n'ont été reprises qu'en juillet 2015. Il affirme qu'il détient une importante créance à l'égard de Mme [W] [X] puisqu'il a participé à l'achat du terrain et au financement de la construction qui est un bien propre de cette dernière; qu'en 2016 le notaire a établi ses créances à la somme de 111'249,99 euros ce à quoi Mme [W] [X] s'est opposée ce qui l'a contraint à saisir le juge aux affaires familiales. Il précise qu'entre-temps Mme [W] [X] a vendu le domicile conjugal pour un prix de 537'000 euros ; que pour autant aucun règlement amiable du conflit n'a pu intervenir ; qu'il a dû procéder à une saisie conservatoire pour sauvegarder ses droits ; que plusieurs procédures ont été engagées tant devant la cour d'appel que devant le juge l'exécution en 2017, 2018 et 2020 ; qu'il a obtenu partiellement satisfaction pour un montant de 82'500 €.
Concernant la prescription de ses demandes, M. [B] [N] rappelle que Mme [W] [X] n'a soulevé la prétendue prescription qu'à l'occasion de son deuxième jeu de conclusions et qu'elle n'a formé aucun incident de procédure ; qu'en application des dispositions de l'article 789 du code de procédure civile, Mme [W] [X] n'était plus recevable à soulever la fin de non-recevoir. Sur le fond, M. [B] [N] soutient que sa créance n'est pas prescrite en ce qui concerne le prêt relatif au financement du terrain ; que le délai de prescription quinquennale ne peut courir qu'à compter de la première demande de remboursement ; que le prêt en question avait un terme incertain et était subordonné à une réclamation du créancier ; que faute d'une telle demande, la créance n'est pas exigible avant l'assignation délivrée par ses soins le 3 juillet 2017. Concernant les créances relatives à l'acquisition, le financement, l'amélioration et la conservation de l'ancien domicile conjugal, M. [B] [N] indique qu'il s'agit de dettes particulières, soumises à la règle du profit subsistant et qu'en application des dispositions de l'article 2224 du code civil, il n'a eu connaissance du montant de sa créance qu'à compter du courrier du notaire en date du 1er février 2016 et ce compte-tenu du comportement obstructif de Mme [W] [X]. Il soutient encore qu'en application des dispositions de l'article 815 du code civil, ses créances ne pouvaient s'inscrire que dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial lesquelles n'ont été ouvertes qu'en 2015 ; qu'un projet de liquidation a été établi par le notaire le 22 septembre 2016 ; qu'il a encore fait état de sa créance dans le cadre de la procédure de divorce; que le jugement de divorce lui-même a commis le président de la chambre départementale et que dès lors le tribunal était saisi de la question de la liquidation de sorte que la prescription a été interrompue. Il affirme en conséquence que la prescription de sa demande n'était pas acquise lors de la saisine de la juridiction aux fins de liquidation et partage ; que le point de départ de la prescription ne peut être le jugement de divorce.
Sur le fond, M. [B] [N] rappelle que Mme [W] [X] a acquis en son nom propre le terrain sur lequel l'ancien domicile conjugal a été construit ; qu'il a participé tant à l'acquisition du terrain qu'au financement de la construction et des frais, par un prêt de 60'000 Fr qu'il a consenti à Mme [W] [X], tel qu'établi par l'acte authentique et par les justificatifs qu'il produit. Il affirme que Mme [W] [X] n'a jamais remboursé la somme, contestant l'existence de tout règlement par novation ou dation en paiement du fait de l'abandon d'un véhicule Volkswagen Passat à son profit. Il conteste également que la somme prêtée ait été une somme indivise, affirmant que les fonds n'ont fait que transiter par le compte joint. Il s'oppose aussi à l'argumentation selon laquelle son apport pourrait s'analyser en une contribution aux charges du mariage compte-tenu de la formalisation du prêt dans l'acte d'acquisition et du versement des fonds en une seule fois. Concernant sa participation au financement de la construction et aux frais, M. [B] [N] rappelle que Mme [W] [X] n'a jamais eu d'activité professionnelle stable et qu'il a réglé seul l'ensemble des charges du ménage même après le divorce ; qu'elle était donc dans l'incapacité de participer financièrement au remboursement du crédit qui a été en réalité supporté exclusivement par ses revenus, relevant qu'il était d'ailleurs co-emprunteur. M. [B] [N] rappelle que trois prêts immobiliers ont été conclus par le couple, qu'il bénéficiait d'une assurance plus complète que Mme [W] [X] ce qui démontre qu'il assumait principalement le remboursement des crédits, contestant les relevés de compte produits par son ex-épouse et affirmant que cette dernière ne percevait pas de revenus de son activité dans le magasin commun même si elle prélevait 8000 Fr. par mois qui ne peuvent être considérés que comme des revenus de M. [B] [N]. Il estime dans ces conditions que sa contribution aux charges du mariage était excessive puisqu'il a financé la construction de l'immeuble appartenant à Mme [W] [X] sans en retirer de bénéfice. Il soutient qu'il s'agit d'un enrichissement sans cause au profit de Mme [W] [X] et qu'il est équitable qu'il ait droit à sa quote-part de la vente de la maison. Il sollicite encore que sa contribution personnelle dans les travaux d'amélioration, de conservation et d'entretien de la maison soit reconnue puisqu'il s'est beaucoup investi. Il évalue sa créance au titre du financement de l'acquisition du terrain à la somme de 100'687,50 euros, sa créance au titre de la construction de la maison à la somme de 136'767,13 euros, sa créance au titre de la taxe foncière à la somme de 15'000 €, et sa créance due au titre de son industrie personnelle à hauteur de 100'000 €, soit un total de 352'454,63 euros.
Concernant les créances de Mme [W] [X] à son encontre, M. [B] [N] en sollicite le rejet notamment en ce qui concerne l'indemnité d'occupation en relevant que la jouissance du bien n'était pas privative et qu'au demeurant il a quitté le domicile conjugal en 2012, la créance réclamée par Mme [W] [X] étant dès lors prescrite depuis octobre 2017. Au surplus il estime que le montant de l'indemnité d'occupation réclamée par Mme [W] [X] est exorbitant et sans lien avec la valeur locative du bien en 2006.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 18 novembre 2021, Mme [W] [X] demande à la cour de :
' confirmer le jugement du 23 juillet 2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de M. [B] [N] concernant des échéances de prêts postérieures au 3 juillet 2012 ou le payement de factures courantes après cette date et en ce qu'il a débouté Mme [W] [X] de ses demandes sur les dépens,
' dire et juger recevables et bien fondées les demandes de Mme [W] [X],
' débouter purement et simplement M. [B] [N] de l'intégralité de ses prétentions,
Et y faisant droit,
' à titre infiniment subsidiaire
' dire et juger que M. [B] [N] a été intégralement remboursé du montant de ce prêt par la dation en paiement opérée en octobre 2005 avec la reprise du véhicule VOLKSWAGEN PASSAT de l'épouse,
' dire et juger que le prêt de 60 000 F a consisté en la simple exécution par M. [B] [N] de son obligation de contribuer aux charges du mariage,
' dire et juger que Mme [W] [X] a intégralement réglé le montant des prêts immobiliers (pour la construction de la maison, les travaux') sur ses comptes personnels et grâce à ses deniers propres,
' débouter par voie de conséquence M. [B] [N] de sa demande tendant à obtenir une quelconque créance à ce titre,
' en tous cas :
' condamner M. [B] [N] à payer à Mme [W] [X] au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 5000 € ,
' condamner M. [B] [N] aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de Maître Le-Hem Selini en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et des frais d'exécution.
À l'appui de ses demandes, Mme [W] [X] expose que M. [B] [N] a été reconnu coupable de violences conjugales le 20 décembre 2012, qu'il n'a que partiellement réglé les sommes dues depuis 2008 au titre de sa part contributive à l'entretien et l'éducation des enfants, qu'elle a dû saisir le juge de l'exécution qui a reconnu sa créance en appel à hauteur de 12'982,56 euros. Elle indique que M. [B] [N] ayant appris qu'elle avait vendu son bien immobilier, il a introduit une procédure de saisie-conservatoire des fonds qui a abouti suivant ordonnance du 7 septembre 2017 avec le blocage de 82'500 € en plus de la somme de 2772,98€. Dans ce contexte, M. [B] [N] a saisi le juge aux affaires familiales aux fins de liquidation judiciaire du régime matrimonial.
In limine litis, Mme [W] [X] relève la prescription des demandes de M. [B] [N], affirmant qu'en application des dispositions de l'article 789 du code de procédure civile applicable au moment de l'assignation, elle était bien recevable à soulever cette fin de non-recevoir. Sur le fond elle rappelle que le divorce a été prononcé le 1er avril 2008 et que M. [B] [N] ne l'a assignée en liquidation du régime matrimonial que le 3 juillet 2017. Elle soutient qu'en application des dispositions de l'article 2224 du code civil, les demandes de M. [B] [N] sont prescrites ; que les créances entre époux séparés de biens ne constituent pas une opération de partage ; que la somme de 60'000 Fr. est un prêt qui était exigible à tout moment sans attendre la dissolution du régime ; que le délai de prescription a dès lors couru à compter de la date jugement divorce qui est devenu définitif le 18 juillet 2008 ; que la prescription était dès lors acquise au moment de l'assignation le 3 juillet 2017.
À titre subsidiaire, Mme [W] [X] affirme qu'elle produit les relevés bancaires démontrant que les échéances des emprunts étaient prélevés sur son compte bancaire personnel; que M. [B] [N] ne démontre d'ailleurs pas avoir assumé réellement le remboursement des crédits. Concernant le prêt consenti par son époux lors de l'acquisition du terrain, Mme [W] [X] indique encore qu'elle a acquis le terrain auprès de sa mère qui lui a octroyé un prix avantageux et qu'elle en a remboursé M. [B] [N] par une dation en paiement consistant en la reprise d'un véhicule lui appartenant (évaluée à 9160,30 euros), permettant à son époux d'acheter en propre un véhicule BMW neuf. Elle affirme qu'aucun document n'a officialisé ce remboursement compte-tenu du contexte conjugal marqué par des violences répétées à son encontre. Mme [W] [X] soutient enfin que la somme de 60'000 Fr était en réalité une somme indivise les fonds se trouvant sur le compte joint des époux, tandis que M. [B] [N] ne démontre pas l'utilisation de fonds personnels, estimant que les relevés de compte produits par ce dernier ne sont pas suffisants pour corroborer ses affirmations. Mme [W] [X] relève enfin qu'il existe une présomption irréfragable de contribution aux charges du mariage au jour le jour et que le financement par M. [B] [N] de l'acquisition du terrain constitue sa participation alors même qu'il a joui du domicile conjugal gratuitement pendant plus de 15 ans, qu'il bénéficiait de revenus plus importants que les siens et qu'il ne rapporte pas la preuve de la disproportion de sa participation.
Concernant la créance revendiquée par M. [B] [N] au titre de la construction de la maison, Mme [W] [X] affirme que ce dernier n'a jamais déposé aucune somme sur le compte bancaire de son épouse qui avait pourtant servi au prélèvement des mensualités des emprunts. Elle indique concernant les factures de charges courantes produites par M. [B] [N], que ce dernier est demeuré au sein du domicile conjugal bien après le prononcé du divorce jusqu'en 2012 (l'obligeant à être hébergée avec les enfants chez ses propres parents) et qu'il était dès lors tout à fait normal qu'il assume ses propres charges. Elle relève que M. [B] [N] ne verse aucune preuve du paiement par ses soins des échéances des prêts, ni même des charges courantes durant la vie commune ; que dès lors le premier jugement doit être réformé en ce qu'il a déclaré recevables les demandes formées à ce titre par M. [B] [N]. Elle soutient qu'elle a assumé seule le remboursement des trois prêts, affirmant avoir tenu la comptabilité de la société Crido d'octobre 1991 à juin 1999 et avoir ensuite travaillé en qualité d'attachée administrative jusqu'en 2004. Elle affirme avoir dès lors bénéficié de ressources (salaires, produits de la vente de la société et prestations familiales) lui permettant de régler l'emprunt de son bien propre et contribuer aux charges de la famille à proportion de ses moyens. Elle conteste de la même manière l'apport en industrie revendiqué par M. [B] [N], relevant que ce dernier ne produit aucun justificatif à l'appui de sa demande, affirmant en réalité que celui-ci ne souhaitait pas s'investir dans la maison qu'il savait être un propre de son épouse.
La clôture est intervenue par une ordonnance en date du 2 mai 2020.
SUR QUOI, LA COUR :
Pour un plus ample exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées et régulièrement communiquées.
L'appel principal et l' appel incident ayant été formés selon les formes et dans les délais prévus par la loi, ils seront déclarés recevables.
Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la Cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif, et que ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater'.
De même, la cour n'a pas à statuer sur les demandes des parties tendant à la confirmation de dispositions du jugement qui n'ont fait l'objet d'un appel par aucune d'entre eux.
Sur la prescription des demandes formées par M. [B] [N]
M. [B] [N] soulève à titre liminaire le fait que Mme [W] [X] n'aurait pas valablement soulevé la fin de non recevoir tirée de la prescription dans le cadre d'un incident devant le juge de la mise en état, désormais seul compétent en application des dispositions de l'article 789 du code de procédure civile. Il convient cependant de relever que l'instance introduite devant le premier juge par assignation en date du 3 juillet 2017 est antérieure à l'entrée en vigueur de l'article 789 du code de procédure civile dans sa formulation issue du décret du 11 décembre 2019, entré en vigueur le 1er janvier 2020. Il y a dès lors lieu de constater que Mme [W] [X] était bien recevable à soulever la prescription des demandes de M. [B] [N] dans le cadre de ses conclusions au fond devant le premier juge.
Sur le fond, M. [B] [N] argumente ses demandes présentes par le fait qu'il a consenti un prêt de 60000 francs à Mme [W] [X] lors de l'acquisition par cette dernière d'un terrain, puis qu'il a remboursé des échéances de prêts souscrits par les deux époux pour l'édification d'une maison et qu'il a contribué au paiement de dépenses relatives à ce logement.
Mme [W] [X] soutient que les demandes formées par M. [B] [N] lors de l'introduction de la présente procédure le 3 juillet 2017 sont prescrites du fait qu'elles sont intervenues plus de 5 ans après le prononcé du jugement de divorce.
Le premier Juge a rappelé les textes relatifs à la prescription, en particulier les dispositions de l'article 2224 du code civil dont il découle que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer mais également celles de l'article 2236 du même code qui disposent qu'elle ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité et de l'article 2241 du même code qui précise les causes d'interruption du délai de prescription.
En l'espèce, concernant le point de départ du délai de prescription, M. [B] [N] soutient pour s'opposer à la décision attaquée ayant retenu la prescription de ses demandes relatives au prêt de 60 000 euros et au remboursement d'échéances de prêt et autres dépenses antérieurement au 3 juillet 2012, que celles-ci relèvent des opérations de liquidation du régime matrimonial et échappent au régime général; que le jugement de divorce en commettant le président de la chambre des notaires a interrompu le délai de prescription et qu'en réalité les opérations de liquidation n'ont débuté qu'en 2015.
Il faut cependant relever que M. [B] [N] a assigné Mme [W] [X] en liquidation et partage par assignation en date du 3 juillet 2017, ce qui établit le fait qu'il considérait lui-même que la procédure n'était pas en cours antérieurement devant le juge aux affaires familiales en l'absence de disposition en ce sens dans le jugement de divorce malgré la désignation d'un notaire.
Par ailleurs, il y a lieu de constater que les époux n'ont pas constitué de patrimoine indivis au cours de leur mariage bien qu'unis sous le régime de la séparation de biens; que les demandes formées dans le cadre de la présente instance ne sont relatives qu'à des créances entre époux (c'est à dire des mouvements de fonds intervenus entre les masses patrimoniales personnelles de chacun) et qu'il est constant que le règlement de créances entre époux séparés de biens ne constitue pas une opération de partage de l'indivision, les dispositions des article 815 et suivants du code civil ne leur étant dès lors pas applicables. En conséquence et conformément à une jurisprudence constante (Civ. 1re, 18 mai 2022, F-B, n° 20-20.725), il doit être constaté que, par application des dispositions précitées des articles 2224 et 2236 du code civil, le délai de prescription relatif aux créances entre époux nées pendant le mariage est celui de droit commun et qu'il a cessé d'être suspendu à compter du jour où le jugement de divorce intervenu le 1er avril 2008 est passé en force de chose jugée; il doit encore être noté qu'aucun acte interruptif n'est intervenu avant l'assignation délivrée par M. [B] [N] le 3 juillet 2017 (le simple projet d'acte liquidatif établi par le notaire ne pouvant constituer une cause d'interruption).
Concernant les échéances de prêt et les autres dépenses alléguées par M. [B] [N], il y a lieu de rappeler ainsi que l'a fait le premier juge que le point de départ du délai de prescription s'agissant d'échéances successives est fixé à la date de chaque échéance ou de chaque paiement effectué; qu'en conséquence c'est à bon droit que le jugement attaqué a déclaré prescrites les demandes relatives aux paiement d'échéances de prêt ou de factures effectués antérieurement au 3 juillet 2012.
Concernant le prêt consenti par M. [B] [N] à Mme [W] [X], il est constant que le contrat de vente du terrain au profit de Mme [W] [X] mentionne la phrase suivante: 'Mme [W] [X] acquéreur déclare qu'une partir du prix ci dessus payé provient pour 60 000 francs d'un prêt consenti par son époux M. [B] [N] qu'elle s'oblige à rembourser à première demande.' Il découle de cette formulation qu'aucun délai n'a été fixé pour la restitution de ce prêt d'argent, effectué sans terme et sans intérêts compte tenu de son caractère familial ; qu'il convient de rappeler qu'en l'absence de stipulation d'un terme aux conventions litigieuses, c'est le prêteur qui est en droit d'y apporter un terme à tout moment, par une mise en demeure respectant un préavis raisonnable. En l'espèce, il est constant que M. [B] [N] se savait depuis l'origine créancier de Mme [W] [X]; qu'il n'a pas été dans l'obligation d'attendre l'évaluation du notaire pour revendiquer ses droits; que d'ailleurs, au cours de la procédure de divorce, M. [B] [N] a formulé une demande de créance au titre du prêt de 60000 francs (il sollicitait du juge qu'il dise qu'il était créancier à hauteur de 9146,94 euros); que cette prétention reprise dans le jugement de divorce doit être considérée comme constituant une demande de remboursement, point de départ du délai de prescription. Si celui-ci a été suspendu jusqu'au moment où le jugement de divorce du 1er avril 2008 est devenu définitif en application des dispositions de l'article 2236 du code civil, il a ensuite repris son cours sans être interrompu valablement jusqu'à l'acte introductif d'instance le 3 juillet 2017, lequel est donc intervenu plus de 5 ans après; que la demande formée à ce titre est dès lors prescrite. Le premier jugement sera donc confirmé.
Sur les créances de M. [B] [N] au titre de son industrie personnelle, du paiement des échéances de prêt et autres factures afférentes au bien propre de Mme [W] [X]
M. [B] [N] affirme qu'il a participé au remboursement des emprunts contractés pour l'édification de la maison pour un montant de 136 767,13 euros, à divers travaux par son industrie personnelle qu'il évalue à 100000 euros et qu'il a assumé diverses charges dont des taxes foncières pour un montant de 15 000 euros
Concernant la demande de créance formée par M. [B] [N] au titre de son industrie personnelle, il y a lieu de relever que M. [B] [N] ne produit aucune pièce à l'appui de ses affirmations, si bien que cette demande ne pourra qu'être rejetée.
Concernant les échéances des prêts contractés ensemble par les époux pour financer la construction de la maison, il y a lieu de rappeler que seules les échéances honorées postérieurement au 3 juillet 2012 peuvent être retenues. M. [B] [N] produit les différents contrats de prêts (500000 francs auprès du Crédit Immobilier de Savoie, 100000 francs auprès de la Financière Régionale des Alpes, 149000 francs auprès du Crédit Lyonnais), les tableaux d'amortissement et un 'relevé de position de l'emprunteur' établi au nom de M. [B] [N] en date du 15 janvier 2014 mais relatif à un crédit souscrit en commun auprès du Crédit Immobilier de Savoie. Néanmoins, M. [B] [N] ne démontre pas avoir procédé réellement au remboursement des échéances au moyen de fonds personnels postérieurement au 3 juillet 2012, et ce alors que le couple était déjà divorcé depuis plusieurs années et que le juge conciliateur avait pris acte de l'engagement de l'épouse d'assumer seule les échéances des prêts; qu'il produit en effet les relevés du compte joint pour les années 2007 et 2008, qui ne permettent pas de déterminer avec quels fonds les crédits ont été remboursés et qui sont de toute manière antérieurs au 3 juillet 2012.
Il en est de même pour les factures produites aux débats par M. [B] [N], relatives aux dépenses courantes de la famille et les divers avis d'imposition qui sont tous antérieurs à 2012 et au surplus concernent les dépenses courantes du ménage.
L'ensemble de ces demandes sera donc rejeté et le premier jugement confirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il n'apparaît pas inéquitable au regard de la nature du litige de rejeter les demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.
M. [B] [N] ayant succombé tant en première instance qu'en appel, il sera donc condamné aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant après débats publics, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare l'appel recevable en la forme,
Au fond,
Confirme le jugement du Juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de Chambéry en date du 23 juillet 2020 en toutes ses dispositions dans la limite de l'appel entrepris,
Y ajoutant
Rejette la demande de créance formée par M. [B] [N] à l'encontre de Mme [W] [X] au titre de son industrie personnelle,
Rejette les demandes formées en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [B] [N] aux entiers dépens de l'appel avec distraction au profit de Me EL-Hem Sélini, avocate.
Ainsi rendu le 05 juillet 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine LEGER, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Laurence VIOLET, Greffier.
La GreffièreLa Présidente