COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 05 Juillet 2022
N° RG 20/00820 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GPPV
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 09 Mars 2020, RG 18/00623
Appelant
M. [V] [S]
né le 16 Avril 1963 à [Localité 3] (38), demeurant [Adresse 2]
Représenté par la SCP MAX JOLY ET ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY
Intimé
M. [T] [U]
né le 23 Juillet 1963 à [Localité 4], demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Isabelle BRESSIEUX, avocat au barreau d'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 14 juin 2022 avec l'assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- M. Michel FICAGNA, Président,
- Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,
- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
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Il a été procédé au rapport.
Par acte du 19 avril 2018, M. [T] [U] a assigné M. [V] [S] devant le tribunal de grande instance de Chambéry en paiement d'une somme de 16.500 euros outre intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2018, au titre d'une obligation contractuelle souscrite par ce dernier le 13 décembre 2012, relative à la remise de véhicules deux-roues de collection.
M. [V] [S] a conclu à l'irrecevabilité de la demande et sur le fond a conclu au débouté des demandes.
Par jugement du 9 mars 2020, le tribunal judiciaire de Chambéry a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par M. [V] [S],
- condamné M. [V] [S] à payer à M. [T] [U] la somme de 16 200 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2018, date de la mise en demeure,
- condamné M. [V] [S] aux dépens de l'instance avec distraction au profit de maître Isabelle Bressieux, avocat,
- condamné M. [V] [S] à payer à M. [T] [U] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
M. [V] [S] a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions d'appelant du 26 octobre 2020, il demande à la cour :
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel de M. [V] [S] à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Chambéry du 9 mars 2020, à titre principal,
Sur la fin de non-recevoir,
Vu l'article 122 du code de procédure civile,
Vu l'article 2224 du code civil, vu la règle de l'estoppel selon laquelle nul ne peut se contredire au détriment d'autrui,
- dire et juger que M. [T] [U] se prévaut d'un document daté du 13 décembre 2012 pour soutenir qu'aux termes de celui-ci, M. [S] se serait reconnu débiteur d'une somme de 20.000 euros en contrepartie de la remise de « véhicules de collections » qualifiés dans l'acte de « mobilette et autre »,
- dire et juger que M. [T] [U] disposait d'un délai expirant le 14 décembre 2017 pour présenter une demande constituant un acte interruptif au sens de l'article 2241 du code civil, dire et juger que par correspondance en date du 10 janvier 2018 M. [T] [U] est intervenu auprès de M. [V] [S] pour solliciter le règlement de la somme de 20.000 euros procédant selon lui d'une « reconnaissance de dette de décembre 2012»,
- dire et juger qu'aux termes de cette correspondance M. [T] [U] s'estimait, à cette date, créancier de la somme de la 20.000 euros correspondant selon lui à l'intégralité de la somme objet de la « reconnaissance de dette » dont il entendait se prévaloir,
- dire et juger que M. [T] [U] a fait délivrer une citation en justice par exploit en date du 19 avril 2018 en se prévalant des dispositions de l'article 2240 du code civil pour arguer que les versements dont il avait été destinataire de M. [S] au mois de juin et octobre 2015 matérialisaient la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait,
- dire et juger que M. [T] [U] s'est contredit au détriment de M. [S] pour contester l'irrecevabilité de son action pour cause de prescription quinquennale,
- dire et juger que le paiement n'est interruptif de prescription qu'à la condition d'émaner du débiteur ou de son mandataire et de révéler de façon claire, précise et non équivoque une reconnaissance par le premier du droit de celui contre lequel il prescrivait,
- dire et juger que les virements effectués par M. [V] [S] n'ont jamais révéler de façon claire, précise et non équivoque une reconnaissance par le premier du droit de celui contre lequel il prescrivait, en conséquence,
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Chambéry du 9 mars 2020 en ses dispositions ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par M. [V] [S] et statuant à nouveau,
- dire et juger l'action de M. [U] à l'égard de M. [V] [S] prescrite, dire et juger M. [T] [U] irrecevable en toutes ses demandes sans examen au fond,
Subsidiairement au fond,
Vu l'article 1353 du code civil,
Vu les articles 1126 et suivants du code civil dans leur version applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 vu l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, vu les articles 1303 et suivants du code civil,
- dire et juger que M. [T] [U] qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver,
- dire et juger que l'incertitude et le doute subsistant à la suite de la production d'une preuve doivent être nécessairement retenus au détriment de celui qui a la charge de cette preuve,
- dire et juger que M. [U] n'a jamais été en capacité de préciser la nature du contrat fondant sa demande à l'encontre de M. [V] [S] ni les véhicules objet de ce contrat,
- dire et juger que l'acte daté du 13 décembre 2012 ne permet pas de déterminer le montant de l'obligation dont M. [V] [S] serait éventuellement redevable à l'égard de M. [U],
- dire et juger que les véhicules remis par M. [T] [U] à M. [V] [S] lui ont été restitué en 2016,
- dire et juger que les certificats d'immatriculation nominatifs versés aux débats en première instance par M. [U] sont tous établis à son nom et ne porte trace d'aucune cession,
- dire et juger que le certificat d'immatriculation afférent au véhicule «mondial cross » est daté du 29 juillet 2016 soit postérieur de 4 ans à l'acte dont se prévaut M. [U],
- dire et juger que M. [U] réclame l'exécution d'une obligation dont il ne rapporte la preuve, en conséquence,
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Chambéry du 9 mars 2020 en ses dispositions ayant condamné M. [V] [S] à payer à M. [T] [U] la somme de 16.200,00 euros outre intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2018, date de la mise en demeure, et statuant à nouveau,
- dire et juger M. [T] [U] irrecevable et malfondé en toutes ses demandes, reconventionnellement, condamner M. [T] [U] à payer à M. [V] [S] la somme de 3.800 euros dont il s'est indument enrichi à son préjudice,
Très subsidiairement,
Vu la règle de l'estoppel selon laquelle nul ne peut se contredire au détriment d'autrui,
Vu les articles 1126 et suivants du code civil dans leur version applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 vu l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, vu les articles 1303 et suivants du code civil,
- dire et juger que par correspondance en date du 10 janvier 2018, M. [T] [U] avait sollicité le règlement d'une somme de 20.000 euros en exécution d'une « reconnaissance de dette » datée du 13 décembre 2012,
- dire et juger que M. [T] [U] s'est par la suite contredit au détriment de M. [V] [S] en sollicitant sa condamnation au paiement d'une somme de 16.500,00 € en indiquant de manière pour le moins contradictoire que cette somme correspondait au solde du prêt procédant de la « reconnaissance de dette » du 13 décembre 2012 ou au solde du prix de cession des véhicules objet du document daté du 13 décembre 2012,
- dire et juger que M. [T] [U] n'a jamais justifié ni même indiqué le nombre et le modèle des véhicules objet de cette opération,
- dire et juger que l'acte du 13 décembre 2012 fait uniquement mention de « mobilette et autre » et d'une somme en chiffre de 20.000 et celle en lettre de « mille euro environ »,
- dire et juger que l'absence d'accord contractuel sur la chose objet du contrat et le prix entraîne la nullité absolue du contrat litigieux,
- dire et juger que les véhicules remis par M. [T] [U] à M. [V] [S] lui ont été restitué en 2016, en conséquence,
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Chambéry du 9 mars 2020 en ses dispositions ayant condamné M. [V] [S] à payer à M. [T] [U] la somme de 16.200,00 euros outre intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2018, date de la mise en demeure, et statuant à nouveau,
- dire et juger M. [T] [U] irrecevable et malfondé en toutes ses demandes, reconventionnellement,
- condamner M. [T] [U] à payer à M. [V] [S] la somme de 3.800 euros dont il s'est indument enrichi à son préjudice, en tout état de cause,
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Chambéry du 9 mars 2020 en ses dispositions ayant condamné M. [V] [S] à payer à M. [T] [U] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance avec distraction au profit de maître Isabelle Bressieux , et statuant à nouveau,
- débouter M. [T] [U] de ses demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de première instance et d'appel, condamner M. [T] [U] à payer à M. [V] [S] la somme de 4.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, condamner M. [T] [U] au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [T] [U], aux termes de ses conclusions d'intimé du 31 mars 2021 demande à la cour :
Vu les articles 1900 et 1103 du code civil,
Vu l'article 1362 du code civil,
Vu les articles 9 et 564 du code de procédure civile,
Vu le droit positif actuel,
- débouter M. [V] [S] de l'ensemble de ses demande, fins et prétentions,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry en date du 9 mars 2020,
Y ajoutant,
- condamner M. [V] [S] à payer à M. [T] [U] la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [V] [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec application au profit de maître Isabelle Bressieux des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il soutient :
- que le 13 décembre 2012, il a remis à M. [V] [S], ami depuis plus de vingt ans, des véhicules de collection d'une valeur de 20.000 € et que par acte sous seing privé du même jour, ce dernier s'engageait à lui restituer la somme de 20.000 €, sans qu'un terme précis ne soit convenu pour le remboursement,
- que M. [V] [S] a commencé à rembourser la somme objet de la reconnaissance de dette en 2015, à savoir 500 € le 11 juin 2015, et à nouveau le 29 juin 2015, et enfin celle de 2.500 € le 6 octobre 2015, ce dont il résulte qu'il demeure redevable de la somme de 16.500 €,
- que sa demande n'est pas prescrite, compte tenu des paiements volontaires intervenus en 2015, le délai de prescription quinquennal courant depuis le dernier incident de paiement, à savoir depuis le 6 octobre 2015,
- que la demande de remboursement formulée pour la première fois en cause d'appel, ne pourra qu'être déclarée irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile,
- qu'il a fondé sa demande sur l'existence d'un contrat intervenu entre lui et M. [V] [S] étant conscient que le document que lui a remis M. [V] [S] ne remplissait pas les conditions légales de la reconnaissance de dette mais qu'il constituait à tout le moins, un commencement de preuve par écrit.
- que M. [S] s'est engagé, en contrepartie de la remise de véhicules deux roues, à lui payer la somme de 20 000 €,
- que M. [S] reconnaît dans le courrier adressé au concluant par son conseil le 18 janvier 2018 : « la remise (des motos) qui avait été préalablement effectuée en décembre 2012 au domicile de M. [V] [S] et avait servi de fondement à la reconnaissance de dette dont vous faites état »,
- que sur les 8 véhicules dont M. [T] [U] avait conservé la carte grise, trois ont été échangés par M. [V] [S] avec M. [G],
- que dans ces conditions, il est clairement établi que M. [V] [S] s'est engagé à lui payer la somme de 20 000 € en contrepartie de la remise des véhicules de collection.
MOTIFS
Sur la prescription
Au terme de l'article 2233 du code civil, 'la prescription ne court pas : (...) 3° A l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé.'
En l'espèce, il est produit un écrit manuscrit qui indique : ' je soussigné [S] [V] reconnaît devoir à Mr [U] la somme de 20 000 euro environ, pour les mobilette et autre. fait ce jour 13 -12 - 2012 ' . Ce texte est suivi de deux signatures (illisibles).
Il résulte des explications des parties que M. [U] a remis à M. [S] des deux-roues de collection en décembre 2012, en conséquence de quoi M. [S], aux termes d'un acte manuscrit a reconnu devoir à M. [U] une somme de '20 000 mille euros environ ' pour les mobilette et autre' .
M. [S] indique qu'il ne doit rien au motif qu'il a 'restitué' les motos en 2016.
M. [U] est peu explicite sur la qualification du contrat. M. [S] fait grief à M. [U] de ne pas préciser la nature de l'accord contractuel, sans lui-même donner la qualification qu'il estime adéquate, indiquant qu'il existe ' un doute...'.
Cependant, il convient de considérer que la convention entre les parties ne peut être qu'une vente puisque les deux parties évoquent une 'remise', que M. [U] n'a jamais sollicité la remise des motos, que M. [S], qui a disposé de trois motos au profit d'un certain M. [G] qui en atteste ( pièce 6) s'est comporté comme le propriétaire de ces motos.
Les parties ont manifestement entendu différer le paiement à une date indéterminée, étant relevé que M. [U] désigne M. [S] comme un ami de plus de 20 ans.
A défaut de terme, le paiement n'est devenu exigible qu'à compter de la demande de règlement du solde restant dû, matérialisée par la mise en demeure du 10 janvier 2018, et que par conséquent, la prescription quinquennale n'est pas acquise.
Ce moyen sera donc rejeté.
Sur le principe de non contradiction
La cour ne constate aucune contradiction dans les prétentions ou prises de positions de M. [U] qui tendent toutes à obtenir le paiement de la somme qu'il estime être devenue exigible.
Ce moyen sera rejeté.
Sur la preuve d'un contrat entre M. [T] [U] et M. [S]
Il sera constaté que l'écrit litigieux est bien signé des deux parties et que dès lors il s'agit bien d'un contrat de vente.
Ce contrat écrit est régulier et probant de l'existence de l'obligation sans avoir à recourir aux dispositions relatives au commencement de preuve par écrit.
Sur la nullité pour défaut d'objet
M. [S] soutient que le contrat serait nul en 'l'absence d'accord contractuel sur la chose objet du contrat et le prix' alors au contraire que le contrat est suffisemment explicite sur son objet, à savoir la remise de 'mobilette et autres' d'une part et explicite sur son prix d'autre part : 20 000 € .
Sur l'exécution du contrat
M. [S] reconnaît avoir reçu les motos. Il soutient les avoir restitué en 2016. Toutefois, il lui appartient de prouver qu'il est libéré de son obligation de paiement par l'effet de cette restitution qu'il allègue et qui pourrait valoir résolution amiable de la vente.
A cet égard, force est de constater qu'il ne produit aucune pièce justifiant de cette restitution. Il ne conteste pas ne pas avoir payé l'intégralité de la somme convenue.
Le fait que les motos et mobylettes ne soient pas décrites précisément dans l'acte est sans conséquence, puisque la remise n'est pas contestée et que le prix est certain.
En conséquence, le jugement sera confirmé .
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Déboute M. [V] [S] de ses moyens d'irrecevabilité et de nullité,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [V] [S] à payer à M. [T] [U] , la somme de 1 500 € supplémentaires, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens d'appel avec application au profit de maître Isabelle Bressieux des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 05 juillet 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Michel FICAGNA, Président et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, Le Président,