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28/06/2022 | FRANCE | N°20/00538

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 28 juin 2022, 20/00538


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 28 Juin 2022





N° RG 20/00538 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GOFH



Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON-LES-BAINS en date du 05 Février 2020, RG 2018J2306





Appelants



M. [B] [T] [Y] [S]

né le 11 Décembre 1973 à BERNAY (27300), demeurant 190 B route du Montet - 74500 LARRINGES



Mme [R] [E] [Z] [C] épouse [S]

née le 23 Mai 1970 à LES LILAS (93260), dem

eurant 190 B route du Montet - 74500 LARRINGES



Représentés par Me Jean-luc GIRAUD, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS









Intimée



S.A.R.L. CHABL'EXPERT, dont le ...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 28 Juin 2022

N° RG 20/00538 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GOFH

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON-LES-BAINS en date du 05 Février 2020, RG 2018J2306

Appelants

M. [B] [T] [Y] [S]

né le 11 Décembre 1973 à BERNAY (27300), demeurant 190 B route du Montet - 74500 LARRINGES

Mme [R] [E] [Z] [C] épouse [S]

née le 23 Mai 1970 à LES LILAS (93260), demeurant 190 B route du Montet - 74500 LARRINGES

Représentés par Me Jean-luc GIRAUD, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimée

S.A.R.L. CHABL'EXPERT, dont le siège social est situé 11 chemin de Courson - 74890 BONS EN CHABLAIS

Représentée par Me Clélia PIATON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELARL LINK ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de LYON

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 10 mai 2022 avec l'assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

- M. Michel FICAGNA, Président,

- Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,

- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Il a été procédé au rapport.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [B] [S] et Mme [R] [C] épouse [S] sont associés de la SARL Secourisk, créée en 2012, dont M. [S] est le gérant. L'objet social de cette société est l'enseignement du secourisme, ainsi que la vente de matériel dédié.

Les époux [S] sont également associés d'une société Secourisk Coordination Sécurité, qui exerce une activité d'ingénierie et d'études techniques.

La société Secourisk a confié à la société Chabl'Expert une mission de présentation des comptes annuels, selon lettre de mission du 20 octobre 2012. La société Secourisk Coordination Sécurité a également confié l'établissement de ses comptes annuels au même cabinet d'expertise comptable.

En 2016 M. et Mme [S] ont souhaité acquérir les murs d'un bâtiment, afin d'y loger leurs deux sociétés, mais également de réaliser un investissement locatif.

Les époux [S] ne disposant pas du financement nécessaire, et souhaitant également réaliser une opération patrimoniale à caractère familial en associant leurs trois enfants, la société Chabl'Expert leur a conseillé la constitution d'une SCI familiale, la SCI CLIVA constituée le 14 avril 2016, laquelle a souscrit un emprunt pour l'acquisition de l'immeuble.

M. et Mme [S] ont par ailleurs financé l'apport personnel nécessaire au prêt en se distribuant des dividendes de la société Secourisk pour un montant de 85.000 €, par l'intermédiaire de leurs comptes courants d'associés, en sus de leurs revenus habituels. Cette distribution a été approuvée par l'assemblée générale des associés du 22 décembre 2016.

Ce versement a été soumis à l'impôt sur le revenu, contributions sociales et RSI.

Estimant que le montage qui leur a été proposé par la société Chabl'Expert est à l'origine de cette imposition supplémentaire, alors, selon eux, qu'un autre montage leur aurait permis d'y échapper, et qu'ainsi l'expert-comptable aurait commis un manquement à son obligation de conseil et d'information, M. et Mme [S] ont sollicité un règlement amiable du litige et saisi à cet effet le conseil régional de l'ordre des experts-comptables.

La société Chabl'Expert a contesté toute responsabilité, de sorte qu'aucune solution amiable n'a été trouvée.

C'est dans ces conditions que, par acte délivré le 10 août 2018, M. et Mme [S] ont fait assigner la société Chabl'Expert devant le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains pour obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 48.250 € en réparation du préjudice financier qu'ils ont subi par sa faute, outre celle de 8.000 € au titre du préjudice moral, et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Chabl'Expert s'est opposée aux demandes en contestant tout manquement à son devoir de conseil et a formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 4.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité procédurale.

Par jugement contradictoire rendu le 5 février 2020, le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains a :

débouté M. et Mme [S] de l'ensemble de leurs demandes,

débouté la société Chabl'Expert de sa demande de dommages et intérêts,

condamné M. et Mme [S] à payer à la société Chabl'Expert la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

laissé à la charge de M. et Mme [S] les entiers dépens.

Par déclaration du 7 mai 2020, M. et Mme [S] ont interjeté appel de ce jugement.

L'affaire a été clôturée à la date du 25 avril 2022 et renvoyée à l'audience du 10 mai 2022, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 28 juin 2022.

Par conclusions notifiées le 31 mars 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. et Mme [S] demandent en dernier lieu à la cour de :

Vu les articles 1217 et 1231-1 du code civil,

dire et juger M. et Mme [S] recevables et bien fondés en leur appel,

y faisant droit,

réformer le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés de toutes leurs demandes,

dire et juger que la société Chabl'Expert a manqué, envers les époux [S], à son obligation d'information et de conseil,

constater que cette faute a occasionné, pour les consorts [S], un préjudice financier de 48.520 €,

débouté la société Chabl'Expert de l'ensemble de ses demandes,

condamner la société Chabl'Expert à leur payer la somme de 8.000 € au titre du préjudice moral subi,

condamner la société Chabl'Expert au paiement de la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la même aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Jean-Luc Giraud, avocat.

Par conclusions notifiées le 5 novembre 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Chabl'Expert demande en dernier lieu à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1217 et 1231 du code civil,

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu l'absence de toute faute de la part de la société Chabl'Expert,

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. et Mme [S] de l'ensemble de leurs demandes,

infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Chabl'Expert de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et statuant de nouveau :

condamner M. et Mme [S] conjointement et solidairement à payer à la société Chabl'Expert la somme de 4.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

condamner M. et Mme [S] conjointement et solidairement à payer à société Chabl'Expert la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. et Mme [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

MOTIFS ET DÉCISION

En application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

L'expert-comptable, tenu d'un devoir de conseil à l'égard de ses clients, n'est débiteur que d'une obligation de moyens, en dehors des missions liées à la présentation des comptes (délais, exactitudes des opérations comptables notamment) pour lesquelles il peut-être tenu d'une obligation de résultat.

En l'espèce M. et Mme [S] font grief à la société Chabl'Expert d'avoir manqué à son devoir de conseil en ne leur proposant pas une solution alternative à la SCI familiale telle qu'elle a été conçue.

Ils contestent aujourd'hui avoir souhaité constituer une telle SCI uniquement familiale et que la société Chabl'Expert serait seule à l'origine de ce montage, alors qu'il aurait été préférable d'y faire entrer la société Secourisk.

Il résulte des pièces produites aux débats que l'investissement immobilier projeté en 2016 l'était à l'évidence par les membres de la famille [S], et non par la société Secourisk elle-même. En effet, s'agissant d'un immeuble entier, contenant plusieurs locaux à usage commercial ainsi qu'à usage d'habitation, un tel investissement n'entrait pas dans l'objet social de la société Secourisk.

Au demeurant, M. et Mme [S] n'expliquent pas comment cette société aurait pu, à elle seule, réaliser cet investissement, de sorte que la constitution de la SCI était incontournable. Il n'est aucunement démontré que l'expert-comptable aurait incité les époux [S] à faire entrer leurs enfants au capital de la SCI: une telle décision revient aux seuls intéressés dont il n'est pas prétendu qu'ils auraient été sous une quelconque influence.

Sur le montage réalisé en lui-même, M. et Mme [S] font reproche à la société Chabl'Expert de leur avoir conseillé de financer leur apport personnel par le paiement de dividendes de la société Secourisk, pour lesquels ils ont été contraints de payer des impôts et cotisations sociales.

Toutefois un tel conseil ne ressort nullement des échanges produits aux débats, tandis que la pièce n° 2 produite par la société Chabl'Expert révèle que de très nombreux prélèvements ont été effectués en 2016 dans les comptes de la société Secourisk au titre des salaires de M. [S] pour un montant total de 73.400 € entre le 1er février et le 30 juin 2016, auxquels s'ajoutent des prélèvements de dividendes pour un total de 78.000 €.

Dans la mesure où les époux [S] ne disposaient pas d'un apport personnel suffisant pour obtenir le prêt immobilier, ils ont librement décidé de puiser dans les réserves de la société Secourisk, prélèvements dont ils ne pouvaient ignorer qu'ils seraient assujettis à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Ce point a d'ailleurs été rappelé lors de l'assemblée générale du 22 décembre 2016 (pièce n° 13 des appelants).

Il n'appartient pas à l'expert-comptable de s'immiscer dans les décisions de ses clients, mais seulement d'attirer leur attention sur les conséquences éventuelles de ces décisions lorsqu'il en a connaissance.

La faute alléguée de ce chef n'est donc pas établie.

Quant au fait de n'avoir pas proposé l'intégration de la société Secourisk au capital de la SCI, permettant ainsi un apport sans imposition, M. et Mme [S] ne démontrent nullement que cette solution était juridiquement praticable, ce type d'opération ne figurant pas dans l'objet social de cette société, ni qu'elle aurait permis d'éviter le paiement d'un quelconque impôt. Il n'est pas établi que le coût en aurait été moindre, sauf à le faire supporter par la seule société Secourisk, au risque de commettre un abus de bien social.

En outre, la société Chabl'Expert souligne, sans être utilement contredite par les appelants, que l'entrée de la société Secourisk au capital de la SCI CLIVA aurait eu pour effet de priver cette dernière du bénéfice de l'option du régime fiscal applicable, seul celui de l'impôt sur les sociétés lui étant alors applicable, sans qu'il soit démontré que ce dernier aurait été plus favorable que celui des revenus fonciers.

Enfin, le préjudice allégué par M. et Mme [S] n'est aucunement démontré, les sommes avancées comme ayant été payées au titre des impôts et prélèvements sociaux concernant à la fois les dividendes perçus, mais également les salaires versés au gérant et les revenus fonciers de la SCI, sans que les pièces produites permettent de distinguer ce qui a été payé uniquement au titre des dividendes litigieux. Il ne peut être sérieusement prétendu que l'imposition sur les revenus fonciers dégagés par la SCI CLIVA serait constitutive d'un préjudice, ni celle appliquée aux salaires versés à M. [S] par la société Secourisk.

Il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre et par des motifs que la cour approuve que le tribunal a rejeté toutes les demandes de M. et Mme [S], en l'absence de faute et de préjudice.

La société Chabl'Expert demande à titre reconventionnel des dommages et intérêts pour procédure abusive. Toutefois, l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute, et l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que lorsqu'elle révèle une faute ou une erreur grave dont la commission a entraîné un préjudice pour le défendeur, ce qui n'est pas démontré en l'espèce.

Le jugement déféré sera encore confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande reconventionnelle.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Chabl'Expert la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. et Mme [S] supporteront les entiers dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains le 5 février 2020 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne solidairement M. [B] [S] et Mme [R] [C] épouse [S] à payer à la société Chabl'Expert la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel,

Condamne solidairement M. [B] [S] et Mme [R] [C] épouse [S] aux entiers dépens de l'appel.

Ainsi prononcé publiquement le 28 juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Michel FICAGNA, Président et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/00538
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-28;20.00538 ?
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