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28/06/2022 | FRANCE | N°14/01853

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 28 juin 2022, 14/01853


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 28 Juin 2022





N° RG 14/01853 - N° Portalis DBVY-V-B66-E52W



Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ANNECY en date du 22 Mai 2014, RG 13/00115





Appelante



Mme [W] [M] épouse [G]

née le 19 Octobre 1959 à ANNECY (74000), demeurant 6 rue des Marquisats - 74000 ANNECY/FRANCE



Représentée par la SELARL C. & D. PELLOUX, avocats au barreau d'ANNECY


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Intimés



M. [X] [L]

né le 16 Janvier 1948 à CHAMBERY (73000), demeurant 6 rue des Marquisats - 74000 ANNECY



Mme [N] [L] née [E]

née le 24 Juillet 1950 à ST MICHEL DE...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 28 Juin 2022

N° RG 14/01853 - N° Portalis DBVY-V-B66-E52W

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ANNECY en date du 22 Mai 2014, RG 13/00115

Appelante

Mme [W] [M] épouse [G]

née le 19 Octobre 1959 à ANNECY (74000), demeurant 6 rue des Marquisats - 74000 ANNECY/FRANCE

Représentée par la SELARL C. & D. PELLOUX, avocats au barreau d'ANNECY

Intimés

M. [X] [L]

né le 16 Janvier 1948 à CHAMBERY (73000), demeurant 6 rue des Marquisats - 74000 ANNECY

Mme [N] [L] née [E]

née le 24 Juillet 1950 à ST MICHEL DE MAURIENNE (73140), demeurant 6 rue des Marquisats - 74000 ANNECY

Représentés par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentés par la SARL JUDIXA, avocats plaidants au barreau d'ANNECY

Mme [O] [M]

née le 15 Janvier 1961 à ANNECY (74000), demeurant chemin des bernets - 74320 sevrier

Représentée par la SELARL C. & D. PELLOUX, avocats au barreau d'ANNECY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 31 mai 2022 avec l'assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

- M. Michel FICAGNA, Président,

- Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,

- Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Il a été procédé au rapport.

Le 25 octobre 2010, Mmes [W] et [O] [M], propriétaires bailleresses de locaux commerciaux à usage d'hôtel de tourisme et restauration situés à Annecy, ont donné congé à leurs locataires, M. et Mme [L], avec refus de renouvellement, pour le 30 avril 2011.

Par assignation des 14 et 17 mars 2011, les locataires ont saisi le tribunal de grande instance d'Annecy sur le fondement des dispositions de l'article L.145 -14 du code de commerce pour obtenir paiement de l'indemnité d'éviction.

Par ordonnance du 17 juin 2011, le juge de la mise en état a ordonné une expertise, confiée tout d'abord à M. [T] puis, par ordonnance du 29 juin 2011, à M. [Y], expert près la cour d'appel de Lyon.

Par assignation du 17 janvier 2013, les locataires estimant régler une indemnité d'occupation sur-évaluée, ont saisi le tribunal de grande instance pour voir fixer cette indemnité à la valeur locative réelle, par application de l'article L. 145- 28 du code de commerce dont ils sont redevables depuis le 1er mai 2011

Par jugement du 22 mai 2014 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

- fixé à la somme de 960 euros HT le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle à compter du 1er mai 2011,

- ordonné la compensation entre le montant de cette indemnité d'occupation mensuelle et les sommes d'ores et déjà versées depuis cette date par les époux [L],

- dit que, s'il ressortait du compte à dresser entre les parties, un trop versé par les époux [L], ils seraient dispensés de tout paiement jusqu'à due concurrence,

- condamné solidairement les dames [M] à payer aux époux [L] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les dames [M] de leurs demandes,

- condamné solidairement les dames [M] aux dépens.

Mmes [M] ont interjeté appel par déclaration du 25/07/2014. Elles ont sollicité la désignation d'un sapiteur et à titre subsidiaire ont soutenu qu'il n'y avait pas lieu à abattement sur le montant du loyer s'il était jugé que celui-ci correspondait à la valeur locative.

Les époux [L] ont conclu à la confirmation du jugement.

Par arrêt mixte du 1er mars 2016, la cour d'appel de Chambéry a statué en ces termes :

'Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau,

Sursoit à statuer sur le montant de l'indemnité d'occupation,

Ordonne une nouvelle expertise confiée à M. [Y], expert près la cour d'appel de Lyon avec la mission suivante :

- évaluer la valeur locative des locaux donnés en location par les dames [M] aux époux [L] à la date du 30 avril 2011 par application des articles L145-28 et L145-33 du code de commerce,

- donner son avis motivé sur l'importance de l'abattement pour précarité qu'il conviendrait d'appliquer (...)

Réserve les dépens.'

La cour a jugé :

- que selon l'article L145-28 du code de commerce, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions de l'article L145-33, compte tenu de tous éléments d'appréciation, que la règle du plafonnement ne s'applique pas (Cass civile 3 - 14 novembre 1978, 77-12.032), qu'il est d'usage d'appliquer un abattement dit de précarité pour tenir compte de l'incertitude dans laquelle se trouve le preneur, et de l'impossibilité de céder son fonds,

- que dès lors, la décision des premiers juges de fixer l'indemnité d'occupation par référence au loyer contractuel n'est pas pertinente,

- qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré,

- qu'il convient d'ordonner une nouvelle expertise, et désigner à cette fin le même expert désigné pour l'évaluation de l'indemnité d'éviction.

Les bailleresses ont fait signifier leur droit de repentir à M. et Mme [L] le 4 février 2016, de sorte que l'indemnité d'occupation due par les locataires maintenus dans les lieux n'est due qu'entre l'expiration du bail et le 4 février 2016.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 20 juillet 2020 aux termes duquel il conclu à une indemnité d'occupation de 16 000 €, après abattement de 15 % sur la valeur locative de 19 000 €.

Mme [W] [G] née [M] et Mme [O] [M], aux termes de leurs conclusions récapitulatives après expertise du 6 mai 2021, demandent à la cour :

Vu les dispositions des articles L 145-28 et L 145-33 et suivants du Code de commerce,

- de fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par Monsieur et Mme [L], sur la période courant du 1er mai 2011 au 04 février 2016, à la somme de 16.000 euros HT et hors charges par an,

- d'ordonner l'exigibilité des taxes locatives et différentes prestations et fournitures que les propriétaires sont en droit de récupérer sur les locataires, par référence à l'article 38 de la loi du 1er septembre 1948,

En conséquence,

- de condamner solidairement Monsieur et Mme [L] à payer à Mesdames [W] et [O] [M] la somme de 26.936,96 euros au titre de l'indemnité d'occupation due par eux, somme qui devra porter intérêts au taux légal à compter du dépôt du rapport d'expertise définitif de Monsieur [Y], soit le 20 juillet 2020,

- de débouter Monsieur et Mme [L] de toutes demandes, fins et conclusions contraires,

- de condamner solidairement Monsieur et Mme [L] à payer à Mesdames [W] et [O] [M] la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire de Monsieur [Y], distraits au profit de la Salarl Cet D Pelloux, Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Monsieur [X] [L] et Mme [N] [L], aux termes de leurs conclusions n° 1 après expertise demandent à la cour :

- d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Annecy 22 mai 2014 en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation à 960 € HT,

Statuant à nouveau,

I. Sur le montant de l'indemnité d'occupation

A titre principal,

- de juger que l'indemnité d'occupation mensuelle due par les époux [L] entre le 1er avril 2011 et le 1er février 2016 sera de 793 € HT par mois,

A titre subsidiaire,

- de juger que l'indemnité d'occupation mensuelle due par les époux [L] entre le 1er avril 2011 et le 1er février 2016 sera de 1029 € HT,

II. Sur le décompte entre les parties

- de rejeter la demande des dames [M] de paiement de charges et de "taxes locatives ",

- d'ordonner la compensation entre l'indemnité d'occupation due par les époux [L] et celle payée par eux,

En conséquence,

- de condamner in solidum les dames [M] à verser aux époux [L] la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens avec pour les dépens d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Scp Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, avocats associés.

MOTIFS

Sur le montant de l'indemnité d'occupation due par les époux [L] pour la période séparant le non-renouvellement du bail à l'exercice du droit de repentir

En vertu de l'article L.145-28 § 1 du code de commerce, un locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.

Le locataire est redevable d'une indemnité qui est déterminée conformément aux dispositions de la section 6 titrée "Du loyer" et 7 titrée "De la résiliation", donc sur la base de la valeur locative et, ce, compte tenu de tous éléments d'appréciation.

Il est d'usage de faire application d'un abattement sur la valeur locative, destinée à indemniser le locataire dans la limitation de ses droits du fait de sa situation de précarité.

Il résulte de l'expertise que les lieux loués sont désignés dans le bail commercial du 20 décembre 1984 de la manière suivante :

"Au rez-de-chaussée, une chambre froide, une salle de restaurant, une cuisine, un WC avec lavabo, coin bureau, avec terrasse sur rue et marquise au-dessus ;

Au premier étage, trois pièces, salle de bains, WC".

Les lieux loués se trouvent dans un "petit immeuble fin XIX ème siècle élevé sur rez-de-chaussée de trois étages outre greniers sans caractère architectural remarquable.

L'aspect extérieur est plutôt banal. La surface pondérée est de 68 m².

La salle de restaurant/bar, aménagée il y a 25 ans environ, est en bon état avec une installation électrique refaite et une alarme incendie en place, le tout dans le respect des normes, mais sans climatisation.

Il s'agit d'un bail ordinaire sans charge particulière au détriment du locataire.

Il présente de nombreux atouts notamment sa situation face au lac, en centre-ville, à proximité du coeur ancien très touristique, face aux pontons d'embarquement des bateaux de croisières et d'un important parking, avec possibilité de terrasse.

Selon l'expert les prix couramment pratiqués dans le voisinage permettent de fixer la valeur locative à 10 880 € HT/C pour la partie ' Restaurant'.

Pour la partie Hôtel meublé, classé ' tourisme sans étoile', l'expert a relevé qu'elle se composait de trois chambres louées au 1er étage avec WC et salle de bains communs, dotées de portes coupe-feu, de double-vitrage et de volets en bois.

La clientèle est constituée d'étrangers réfugiés envoyés par la préfecture, ce qui lui assure un flux régulier d'activité d'où la prise en compte par l'expert d'un taux d'occupation de 100 %.

Les époux [L] ont acheté les murs du 2ème étage où sont exploitées 6 autres chambres.

Le chiffre d'affaire global en 2010 pour 9 chambres était de 83 000 euros en moyenne, soit selon l'expert de 27 600 € pour les trois chambres objet du bail.

L'expert indique qu'il convient d'appliquer un coefficient sur chiffre d'affaire en fonction de la catégorie de l'hôtel, d'un montant de 30 % compte tenu de la situation géographique très favorable, ce coefficient pouvant aller de 17 à 35 % selon les usages pour des hôtel de 0, 1 voire 2 étoiles sans services apportés en zone secondaire.

Ainsi, selon l'expert, la valeur locative la partie Hôtel meublé serait de 8 280 €

L'expert propose enfin un abattement de précarité de 15 %

Toutefois, au vu de la précarité particulièrement préjudiciable dans la situation personnelle des époux [L], au regard de leur âge et de leurs projets de cessation d'activité qui ont été contrariés, et surtout de la longueur de la procédure en fixation de l'indemnité d'éviction, un abattement de précarité de 35 % doit être appliqué sur le montant de la valeur locative retenue par l'expert et qui paraît tout à fait justifiée au regard de l'analyse qu'il en a faite .

Ainsi l'indemnité d'occupation sera fixée en appliquant sur la valeur locative un abattement de précarité de 35% soit :

19 000 HT x 65% = 12 350 € annuel, ou 1029 € HT mensuel.

Les époux [L] sont tenus au paiement de cette indemnité d'occupation pour la période entre le 1er mai 2011 et le 1er février 2016.

Sur le décompte entre les parties

Les époux [L] justifient par la production de l'intégralité de leurs relevés de compte bancaire avoir réglé au titre de l'indemnité d'occupation, à titre provisionnel, la somme totale de 67 219,86 TTC €.

Ce montant ne fait pas l'objet de contestation sérieuse. Il convient donc d'ordonner la compensation entre l'indemnité d'occupation fixée dans l'arrêt et les sommes payées par les locataires pour le total justifié de 67 219,86 €.

Sur les charges et impôts

Les bailleurs sollicitent au terme de leur écritures de la cour : " d'ordonner l'exigibilité des taxes locatives et différentes prestations et fournitures que les propriétaires sont en droit de récupérer sur les locataires . "

Cette demande insuffisamment précise n'est pas une prétention admissible en l'absence de détail ou de décompte.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Vu l'équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

La présente procédure a été initiée par les locataires mais dans l'intérêts des deux parties. Aussi, il convient d'ordonner le partage par moitié des frais de procédure.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Vu l'arrêt de la cour ayant infirmé le jugement déféré et sursis à statuer sur le montant de l'indemnité d'occupation,

Statuant de nouveau,

Fixe à la somme de 1029 € HT mensuel le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle à compter du 1er mai 2011 jusqu'au 1er février 2016,

Ordonne la compensation entre le montant de cette indemnité d'occupation mensuelle et les sommes d'ores et déjà versées à titre provisionnel depuis cette date par les époux [L] à hauteur de 67 219,86 €,

Déboute les bailleresses de leur demande aux fins 'd'ordonner l'exigibilité des taxes locatives et différentes prestations et fournitures que les propriétaires sont en droit de récupérer sur les locataires, par référence à l'article 38 de la loi du 1er septembre 1948",

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et qu'en appel,

Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les appelantes et les intimés, avec distraction au profit des avocats de la cause qui en ont fait la demande en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 28 juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Michel FICAGNA, Président et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 14/01853
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-28;14.01853 ?
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