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25/05/2022 | FRANCE | N°21/01507

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 25 mai 2022, 21/01507


COUR D'APPEL de CHAMBÉRY







2ème Chambre



Arrêt du Mercredi 25 Mai 2022





N° RG 21/01507 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GYGX



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Juge de la mise en état de CHAMBERY en date du 13 Juillet 2021, RG 20/00927



Appelant



M. [B] [L]

né le 03 Mars 1947 à AIX LES BAINS (73100), demeurant Chef-Lieu - 73410 SAINT GIROD



Représenté par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL RAYNAUD AVOCAT, avoc

at plaidant au barreau de LYON





Intimés



Mme [A] [V] [K] épouse [W]

née le 24 Mars 1968 à VANNES (56000), demeurant 4 rue Saint Vincent - 56190 MUZILLAC



Représe...

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Mercredi 25 Mai 2022

N° RG 21/01507 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GYGX

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Juge de la mise en état de CHAMBERY en date du 13 Juillet 2021, RG 20/00927

Appelant

M. [B] [L]

né le 03 Mars 1947 à AIX LES BAINS (73100), demeurant Chef-Lieu - 73410 SAINT GIROD

Représenté par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL RAYNAUD AVOCAT, avocat plaidant au barreau de LYON

Intimés

Mme [A] [V] [K] épouse [W]

née le 24 Mars 1968 à VANNES (56000), demeurant 4 rue Saint Vincent - 56190 MUZILLAC

Représentée par Me Ingrid-astrid ZELLER, avocat au barreau de CHAMBERY

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/003394 du 08/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CHAMBERY)

M. [J] [W], demeurant 8, rue Deurbroucq - 44000 NANTES

sans avocat constitué

CREDIT AGRICOLE DES SAVOIE, dont le siège social est sis 4 avenue du Pré Félin - 74940 ANNECY LE VIEUX prise en la personne de son représentant légal

Représenté par la SCP VISIER PHILIPPE - OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES, avocat au barreau de CHAMBERY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue le 15 mars 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

I. Les créances du Crédit Agricole des Savoie à l'encontre de la SCI Feeling

' En vertu d'un jugement rendu le 6 mai 2013 par le tribunal de grande instance de Chambéry, confirmé par un arrêt de cette cour en date du 10 juin 2014, la SCI Feeling est débitrice à l'égard du Crédit Agricole des Savoie, au titre du solde débiteur de son compte bancaire, de la somme de 35 378,98 euros, outre :

- intérêts au taux de 14,25 % à compter du 26 mai 2010, ces intérêts étant annuellement capitalisés,

- et dépens.

Le Crédit Agricole des Savoie fait état d'une créance d'un montant global de 141 189,06 euros arrêtée au 2 juin 2020.

' En vertu d'un acte authentique du 12 juin 2008, le Crédit Agricole des Savoie a consenti à la SCI Feeling, deux prêts immobiliers de 140 000 euros chacun, assortis d'intérêts au taux de 4,65 % pour l'un et de 5,55% pour l'autre.

Le remboursement de ces prêts était garanti par :

- l'inscription de privilèges de prêteur de deniers sur le bien financé,

- les engagements de caution solidaire de M. [B] [L] et de Mme [A] [W], associés de la débitrice principale, chacun dans la limite de 14 000 euros pour chaque prêt.

Ces prêts n'ont pas été remboursés et le Crédit Agricole des Savoie s'est prévalu de la déchéance du terme.

Puis, il a diligenté une procédure de saisie immobilière au terme de laquelle le bien financé a été adjugé le 9 mars 2010, au prix de 92 000 euros, qui n'a pas permis de désintéresser le Crédit Agricole des Savoie.

A la date du 2 juin 2020, le Crédit Agricole des Savoie fait état de deux créances à hauteur de 110 195,84 euros et de 222 533,88 euros.

' En vertu d'un acte authentique du 12 juin 2008, le Crédit Agricole des Savoie a consenti à la SCI Feeling un prêt immobilier de 185 000 euros assorti d'intérêts au taux de 4,90 %.

Le remboursement de ce prêt était garanti par :

- l'inscription d'un privilège de prêteur de deniers sur le bien financé,

- les engagements de caution solidaire de M. [B] [L] et de Mme [A] [W], associés de la débitrice principale, dans la limite de 18 500 euros chacun.

Ce prêt n'a pas été remboursé et le Crédit Agricole des Savoie s'est prévalu de la déchéance du terme.

Puis, il a diligenté une procédure de saisie immobilière au terme de laquelle le bien financé a été adjugé le 9 mars 2010, au prix de 150 000 euros, qui n'a pas permis de désintéresser le Crédit Agricole des Savoie.

A la date du 2 juin 2020, le Crédit Agricole des Savoie fait état d'une créance à hauteur de 92 632,12 euros.

II. Les créances du Crédit Agricole des Savoie à l'encontre de la SCI CMDL

' En vertu d'un jugement rendu le 18 novembre 2010 par le tribunal de grande instance de Chambéry, la SCI CMDL est débitrice à l'égard du Crédit Agricole des Savoie :

- au titre du solde débiteur de son compte bancaire, de la somme de 32 296,95 euros, outre intérêts au taux de 14,25 % à compter du 26 mai 2010,

- 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre dépens.

Le Crédit Agricole des Savoie fait état d'une créance d'un montant global de 76 769,45 euros arrêtée au 2 juin 2020.

' En vertu d'un acte authentique du 12 juin 2008, le Crédit Agricole des Savoie a consenti à la SCI CMDL, deux prêts immobiliers de 54 000 euros chacun, assortis d'intérêts au taux de 4,65 % pour l'un et de 5,55% pour l'autre.

Le remboursement de ces prêts était garanti par :

- l'inscription de privilèges de prêteur de deniers sur le bien financé,

- les engagements de caution solidaire de M. [B] [L] et de Mme [A] [W], associés de la débitrice principale, chacun dans la limite de 5 500 euros pour chaque prêt.

Ces prêts n'ont pas été remboursés et le Crédit Agricole des Savoie s'est prévalu de la déchéance du terme.

Puis, il a diligenté une procédure de saisie immobilière au terme de laquelle le bien financé a été adjugé le 1er juin 2010, au prix de 62 000 euros, qui n'a pas permis de désintéresser le Crédit Agricole des Savoie.

A la date du 2 juin 2020, le Crédit Agricole des Savoie fait état de deux créances à hauteur de 44 833,50 euros et de 43 243,08 euros.

III. Les poursuites à l'encontre des associés des SCI sur le fondement de l'article 1857, alinéa 1er du code civil

' Par actes des 4 et 8 février 2016, le Crédit Agricole des Savoie a fait assigner M. [B] [L] et Mme [A] [K] épouse [W] devant le tribunal de grande instance de Chambéry pour obtenir paiement de ses créances au titre du solde débiteur des comptes bancaires de chacune des deux SCI.

Par jugements du 17 décembre 2018, le Crédit Agricole des Savoie a été débouté de ses prétentions, motif pris qu'il ne démontrait pas avoir engagé de vaines poursuites à l'encontre des SCI.

' A la requête du Crédit Agricole des Savoie, le tribunal de grande instance de Chambéry a ouvert une procédure de liquidation judiciaire :

- à l'encontre de la SCI Feeling par jugement du 22 octobre 2019,

- à l'encontre de la SCI CMDL par jugement du 15 novembre 2019.

Le Crédit Agricole des Savoie a déclaré ces créances au passif de chacune de ces deux sociétés.

Le 26 mars 2021, la Selarl [R] & [D], en sa qualité de liquidateur judiciaire de ces deux sociétés, adressait au Crédit Agricole des Savoie des avis d'irrecouvrabilité de ses créances.

' Par acte du 25 juin 2020, le Crédit Agricole des Savoie a fait assigner M. [B] [L] devant le tribunal judiciaire de Chambéry aux fins essentiellement d'obtenir le paiement des sommes suivantes :

' en sa qualité d'associé de la SCI Feeling,

- au titre du solde débiteur du compte bancaire, 42 356,72 euros outre intérêts au taux de 14,25 % à compter du 3 juin 2020,

- au titre du solde du prêt de 140 000 euros assorti d'intérêts au taux de 5,55 %, 33 058,75 euros outre intérêts au taux conventionnel à compter du 3 juin 2020,

- au titre du solde du prêt de 140 000 euros assorti d'intérêts au taux de 4,65 %, 66 760,16 euros outre intérêts au taux conventionnel à compter du 3 juin 2020,

- au titre du prêt de 185 000 euros, 27 789,64 euros outre intérêts au taux de 4,90 % à compter du 3 juin 2020.

' en sa qualité d'associé de la SCI CMDL,

- au titre du solde débiteur du compte bancaire, 39 884,73 euros outre intérêts au taux de 14,25 % à compter du 3 juin 2020,

- au titre du solde du prêt de 54 000 euros assorti d'intérêts au taux de 5,55 %, 22 416,75 euros outre intérêts au taux conventionnel à compter du 3 juin 2020,

- au titre du solde du prêt de 54 000 euros assorti d'intérêts au taux de 4,65 %, 21 621,54 euros outre intérêts au taux conventionnel à compter du 3 juin 2020.

' Par acte du 30 juin 2020, le Crédit Agricole des Savoie a fait assigner Mme [A] [K] épouse [W] devant le tribunal judiciaire de Chambéry aux fins essentiellement d'obtenir le paiement des sommes suivantes :

' en sa qualité d'associée de la SCI Feeling,

- au titre du solde débiteur du compte bancaire, 98 832,34 euros outre intérêts au taux de 14,25 % à compter du 3 juin 2020,

- au titre du solde du prêt de 140 000 euros assorti d'intérêts au taux de 5,55 %, 77 137,09 euros outre intérêts au taux conventionnel à compter du 3 juin 2020,

- au titre du solde du prêt de 140 000 euros assorti d'intérêts au taux de 4,65 %, 155 773,72 euros outre intérêts au taux conventionnel à compter du 3 juin 2020,

- au titre du prêt de 185 000 euros, 64 842,48 euros outre intérêts au taux de 4,90 % à compter du 3 juin 2020.

' en sa qualité d'associée de la SCI CMDL,

- au titre du solde débiteur du compte bancaire, 39 884,73 euros outre intérêts au taux de 14,25 % à compter du 3 juin 2020,

- au titre du solde du prêt de 54 000 euros assorti d'intérêts au taux de 5,55 %, 22 416,75 euros outre intérêts au taux conventionnel à compter du 3 juin 2020

- au titre du solde du prêt de 54 000 euros assorti d'intérêts au taux de 4,65 %, 21 621,54 euros outre intérêts au taux conventionnel à compter du 3 juin 2020.

' Par acte du 19 novembre 2020, M. [L] a appelé en la cause M. [J] [W] afin qu'il le relève et garantisse des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.

IV. La décision dont appel

M. [L] a saisi le juge de la mise en état d'un incident tendant :

- d'une part, au sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée à l'encontre de M. [W] et dans laquelle il s'est constitué partie civile,

- d'autre part, à ce que l'action du Crédit Agricole des Savoie soit déclarée irrecevable :

. eu égard à l'autorité de chose jugée attachée aux jugements rendus le 17 décembre 2018,

. car prescrite s'agissant des soldes des prêts consentis aux SCI Feeling et CMDL.

Mme [K] épouse [W] a soutenu la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée.

Le Crédit Agricole des Savoie s'est opposé au sursis à statuer et a conclu au rejet des fins de non-recevoir.

Par ordonnance du 13 juillet 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Chambéry a :

- rejeté l'exception de procédure soulevée par M. [L],

- rejeté les fins de non-recevoir soulevées par M. [L] et Mme [W],

- condamné in solidum M. [L] et Mme [W] :

. aux dépens de l'incident distraits au profit de la SCP Visier-Philippe - Ollagnon-Delroise & associés,

. à payer au Crédit Agricole des Savoie la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 16 juillet 2021, M. [L] a interjeté appel de cette ordonnance.

V. Les prétentions des parties

Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien des prétentions, M. [L] demande à la cour de :

' réformer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions,

' y ajoutant, in limine litis,

- juger que les deux jugements du tribunal de grande instance de Chambéry rendus le 17 décembre 2018 à l'encontre du Crédit Agricole des Savoie sont définitifs et revêtus de l'autorité de chose jugée,

- juger bien fondée la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée attachée à ces jugements,

- juger que le Crédit Agricole des Savoie est prescrit en son action en paiement des soldes restant au titre des prêts consentis aux SCI Feeling et CMDL,

- ordonner le sursis à statuer jusqu'au prononcé d'une décision pénale définitive à l'encontre des époux [A] et [J] [W], suite à leur convocation devant le tribunal correctionnel de Chambéry pour le 19 janvier 2021,

' en tout état de cause,

- débouter le Crédit Agricole des Savoie et les époux [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,

- condamner le Crédit Agricole des Savoie :

. aux dépens dont distraction au profit de Me Christian Forquin en application de l'article 699 du code de procédure civile,

. à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, Mme [K] épouse [W] demande à la cour de :

' réformer l'ordonnance dont appel,

' in limine litis,

- constater que les décisions rendues le 17 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Chambéry sont définitives et revêtues de l'autorité de la chose jugée,

- dire et juger recevable et bien-fondée la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée attachée à ces décisions,

- juger que le Crédit Agricole des Savoie est prescrit en son action en paiement des soldes débiteurs des trois prêts consentis à la SCI Feeling et des deux prêts consentis à la SCI CMDL,

- en conséquence, débouter le Crédit Agricole des Savoie des demandes formulées à son encontre,

- constater qu'elle s'en rapporte sur la demande de sursis à statuer formulée par M. [L],

' en toute hypothèse,

- débouter le Crédit Agricole des Savoie de l'ensemble de ses demandes,

- condamner le Crédit Agricole des Savoie :

. aux dépens dont distraction au profit de Me Ingrid-Astrid Zeller, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

. à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, le Crédit Agricole des Savoie demande à la cour de :

- dire et juger recevable mais mal fondé l'appel de M. [L],

- confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

- rejeter toutes prétentions de M. [L] et Mme [K] épouse [W],

- condamner in solidum M. [L] et Mme [K] épouse [W] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner les mêmes aux dépens de l'instance d'appel, distraits au profit de la SCP Christine Visier-Philippe et Carole Ollagnon-Delroise et associés en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La déclaration d'appel et les conclusions de M. [L] ont été signifiées à M. [W] par actes du 7 septembre 2021 et du 6 octobre 2021.

Les conclusions du Crédit Agricole des Savoie ont également été signifiées à M. [W] par acte du 5 novembre 2021.

Ces trois actes ont été délivrés selon les modalités de l'article 656 du code de procédure civile. Il n'est pas justifié de leur retrait par M. [W] en l'étude des huissiers de justice instrumentaires.

M. [W] n'a pas constitué avocat.

La clôture est intervenue le 28 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le sursis à statuer

Aux termes de l'article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.

Il suffit de se reporter au dispositif des conclusions d'incident de M. [L] du 7 décembre 2020, qui ont saisi le juge de la mise en état, pour constater que sa demande de sursis à statuer, constitutive d'une exception de procédure, n'a pas été présentée avant toute fin de non-recevoir. Elle n'est donc pas recevable, étant observé au surplus que les faits dont M. [W] doit répondre devant le tribunal correctionnel de Chambéry ne concerne que très indirectement le Crédit Agricole des Savoie et que la décision que rendra cette juridiction n'aura gobalement pas d'influence sur le sort du présent litige.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée attachée aux jugements du 17 décembre 2018

Selon les dispositions de l'article 1355 du code civil, ayant repris les dispositions de l'article 1351 du même code, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement et il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

En conséquence, la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée des jugements rendus le 17 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Chambéry, dans les affaires enrôlées sous les n° de RG 16/342 et 16/343 ne peut être opposée qu'aux demandes en paiement que le Crédit Agricole des Savoie fonde sur les soldes débiteurs des comptes bancaires de la SCI Feeling et de la SCI CMDL, demandes qui étaient les seules dont le tribunal de grande instance était saisi et qu'il a rejetées.

S'il est exact que l'autorité de chose jugée peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, encore faut-il que le caractère nouveau de ces événements ne résulte pas de ce que la partie qui les invoquent a négligé d'accomplir une diligence en temps utile.

En l'espèce, dans ses jugements du 17 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Chambéry a rejeté les demandes du Crédit Agricole des Savoie eu égard aux dispositions de l'article 1858 du code civil, aux motifs que la banque ne justifiait pas avoir préalablement et vainement poursuivi les personnes morales et que leur insolvabilité n'était pas démontrée.

C'est à la suite de ces jugements et pour ne plus se voir opposer les dispositions de l'article 1858 du code civil, que le Crédit Agricole des Savoie a pris l'initiative de saisir le tribunal de grande instance de Chambéry aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de chacune des deux SCI Feeling et CMDL, démarche qu'il aurait pu et même dû accomplir avant les assignations en paiement délivrées à M. [L] et à Mme [W] en février 2016.

En conséquence, les événements postérieurs aux jugements du 17 décembre 2018 que le Crédit Agricole des Savoie invoque ne peuvent pas conduire à écarter l'autorité de chose jugée attachée à ces jugements, quand bien même elle serait, ainsi que le soutient la banque, limitée à la recevabilité des demandes en paiement dont le tribunal de grande instance de Chambéry était alors saisi.

Il convient donc de déclarer le Crédit Agricole des Savoie irrecevable en ses demandes en paiement présentées à l'encontre de M. [L] et de Mme [W], au titre du solde débiteur des comptes de chacune des deux SCI Feeling et CMDL.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

L'article 2219 du code civil définit la prescription comme un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.

En l'espèce, M. [L] et Mme [W] ne soulèvent pas la prescription tirée de la tardiveté de l'action engagée à leur encontre. Ils ne contestent ainsi pas que le Crédit Agricole des Savoie a agi dans le délai de cinq ans à compter de la publication de la dissolution des SCI dont ils étaient les associés, conformément aux dispositions de l'article 1859 du code civil.

M. [L] et Mme [W] soulèvent l'extinction des créances que le Crédit Agricole des Savoie prétend détenir sur les SCI Feeling et la SCI CMDL au titre des prêts qu'il leur a consentis le 12 juin 2008, et sur le fondement desquelles il agit à leur encontre en vertu de l'article 1857 du code civil aux termes duquel les associés répondent indéfiniment des dettes de la société, à proportion de leur part dans le capital social.

Ils fondent cette fin de non-recevoir sur les dispositions des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, énonçant une prescription quinquennale et font valoir que postérieurement aux jugements d'adjudication des 9 mars 2010 et 1er juin 2010, le Crédit Agricole des Savoie n'a, jusqu'au 9 septembre 2019, date à laquelle il a assigné les deux SCI en liquidation judiciaire, accompli aucun acte suspensif ou interruptif de prescription aux fins de recouvrer ses créances résiduelles au titre des dits prêts.

Sur ce point, le Crédit Agricole des Savoie n'oppose aucun argument de droit ou de fait, étant observé que si les actes notariés du 12 juin 2008 sont revêtus de la formule exécutoire (pièces 9, 14 et 24 de la banque) et constituent ainsi des titres exécutoires en vertu de l'article L. 111-3,4° du code des procédures civiles d'exécution, le régime de la prescription décennale fixé par l'article L. 111-4 du même code ne leur est pas applicable.

Il résulte de ce qui précède que la créance détenue par le Crédit Agricole des Savoie à l'égard des SCI Feeling et CMDL au titre des prêts du 12 juin 2008 est prescrite.

Il convient donc de déclarer le Crédit Agricole des Savoie irrecevable en son action en paiement à l'encontre de M. [L] et de Mme [W].

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

En vertu de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel doivent être supportés par le Crédit Agricole des Savoie, qui seront recouvrés conformément aux règles applicables à l'aide juridictionnelle, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit du conseil de M. [L] et le cas échéant de celui de Mme [W].

Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu'en faveur de M. [L] et de Mme [W]. Toutefois, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'équité conduit la cour à laisser à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont, l'un et l'autre, exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS, après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour statuant publiquement et par défaut,

Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Déclare irrecevable la demande présentée par M. [B] [L] aux fins de sursis à statuer,

Déclare le Crédit Agricole des Savoie irrecevable en toutes ses demandes en paiement dirigées à l'encontre de M. [B] [L] et de Mme [A] [W],

- celles présentées au titre des soldes débiteurs des comptes bancaires des SCI Feeling et CMDL se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée aux jugements rendus le 17 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Chambéry dans les affaires enrôlées sous les n° RG 16/342 et 16/343,

- celles présentées au titre des prêts consentis le 12 juin 2008 aux SCI Feeling et CMDL se heurtant à la prescription des créances nées de ces prêts,

Dit en conséquence que le tribunal judiciaire de Chambéry est dessaisi de l'instance enrôlée sous le n°RG 20/927, à laquelle le présent arrêt met fin,

Condamne le Crédit Agricole des Savoie aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle accordée à Mme [A] [W],

Autorise Me [N] [C] à recouvrer directement à l'égard du Crédit Agricole des Savoie les dépens dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision,

Autorise Me [T] [H] à recouvrer directement à l'égard du Crédit Agricole des Savoie les dépens d'appel dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision,

Dit n'y avoir lieu à aucune application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

Ainsi prononcé publiquement le 25 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/01507
Date de la décision : 25/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-25;21.01507 ?
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