COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Mercredi 25 Mai 2022
N° RG 21/01400 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GX2Y
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BONNEVILLE en date du 23 Juin 2021, RG 21/00158
Appelante
SCI ALPAGES DES ESSERTS dont le siège social est sis Les Chalets de Philippe, - 700/718 route du Chapeau, Le Lavancher - 74400 CHAMONIX MONT BLANC prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Pascal Alexis LUCIANI avocat plaidant au barreau de GRASSE
Intimée
SA BANQUE PALATINE, dont le siège social est sis 42, Rue d'Anjou - 75008 PARIS Cedex 08 prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et par Me Bertrand CHAMBREUIL, avocat plaidant au barreau de PARIS
Partie Jointe :
Madame La Procureure Générale COUR D'APPEL - Place du Palais de Justice - 73018 CHAMBERY CEDEX
Dossier communiqué
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 15 février 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
I. Par acte authentique du 27 mars 2014, la SA Banque Palatine a consenti à la SCI Alpages des Esserts un prêt d'un montant de 1 000 000 euros, ayant pour objet le financement de la construction de six chalets situés à Chamonix, d'une durée de 144 mois.
À compter du mois de juillet 2018, la SCI Alpages des Esserts a cessé d'honorer ses engagements auprès de la Banque Palatine qui s'est prévalu de la déchéance du terme le 10 décembre 2019.
II. Par ordonnance du 18 mars 2020, le président du tribunal judiciaire de Bonneville a ouvert une procédure de conciliation en faveur de la SCI Alpages des Esserts, et a désigné Maître [M] [Y] en qualité de conciliateur, avec pour mission d'examiner la situation de cette société, de l'assister dans ses discussions et négociations avec la Banque Palatine, et le cas échéant dans la recherche d'un potentiel repreneur dans le cadre d'un processus de cession de ses actifs fonciers.
Par ordonnance du 2 juin 2020, le président du tribunal judiciaire de Bonneville a prorogé la mission de Maître [Y] jusqu'au 18 juillet 2020.
En application du premier alinéa de l'article 1, II de l'ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 telle que modifiée par l'ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020, la mission du conciliateur a été prolongée de plein droit de cinq mois, soit jusqu'au 18 décembre 2020.
Par ordonnance du 10 décembre 2020, le président du tribunal judiciaire de Bonneville a prorogé la mission de Maître [Y] jusqu'au 18 janvier 2021.
III. Par requête du 15 janvier 2021, la SCI Alpages des Esserts a saisi le président du tribunal judiciaire de Bonneville afin d'obtenir la suspension de la saisie immobilière initiée par la Banque Palatine selon commandement du 30 octobre 2020 et l'octroi d'un délai de paiement de 2 ans.
Par ordonnance du 29 janvier 2021, le président du tribunal judiciaire de Bonneville a :
- fait droit à la demande de délais de paiement fondée sur les dispositions de l'article 1343-5 du code civil,
- reporté le délai de paiement de la dette de la SCI Alpages des Esserts à l'égard de la Banque Palatine à la date du 1er février 2022,
- rappelé que sa décision suspend les procédures d'exécution et que les majorations d'intérêts ou pénalités ne sont pas dues pendant le délai.
Par déclaration au greffe du tribunal de Bonneville du 10 février 2021, la Banque Palatine a formé tierce opposition nullité à l'encontre de cette ordonnance.
Par ordonnance du 23 juin 2021, le magistrat délégué par le président du tribunal judiciaire de Bonneville a :
- déclaré recevable la tierce opposition nullité formée par la SA Banque Palatine contre l'ordonnance du 29 janvier 2021,
- déclaré nulle cette ordonnance,
et statuant à nouveau,
- déclaré nulle la demande de délais de la SCI Alpages des Esserts formée par simple requête,
- condamné la SCI Alpages des Esserts à payer à la SA Banque Palatine la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Alpages des Esserts aux dépens de l'instance.
La SCI Alpages des Esserts a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 5 juillet 2021.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées par voie électronique le 5 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SCI Alpages des Esserts demande à la cour de réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :
'à titre principal,
- considérer que la Banque Palatine était partie et représentée dans le cadre de la procédure de conciliation ouverte par le tribunal judiciaire de Bonneville,
en conséquence,
- déclarer le recours en tierce opposition nullité irrecevable,
- déclarer que la cour ne peut examiner le bien-fondé des demandes n'étant pas saisie d'un recours recevable,
'à titre subsidiaire,
- déclarer que l'ordonnance du 29 janvier 2021 répond aux exigences de la loi,
- en conséquence, rejeter le recours en tierce opposition nullité exercé sur le fondement de l'excès de pouvoir,
' à titre infiniment subsidiaire,
- condamner la Banque Palatine sur le fondement de l'article 581 du code de procédure civile à une amende civile à hauteur de 10 000 euros,
- condamner la Banque Palatine sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à une somme de 20 000 euros au titre des frais de justice,
- la condamner aux entiers dépens.
Aux termes du dispositif de ses conclusions adressées par voie électronique le 25 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SA Banque Palatine demande à la cour de :
- dire et juger qu'elle est recevable en ses demandes, fins et prétentions,
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- constater qu'elle est tiers à l'ordonnance du 29 janvier 2021,
- constater que cette ordonnance ne présente pas les caractères d'une ordonnance sur requête et ne peut être qualifiée d'ordonnance sur requête,
- dire et juger en conséquence que la voie du référé rétractation n'est pas ouverte,
- dire et juger que l'ordonnance du 29 janvier 2021 rendue sans qu'elle ait été entendue ou dûment appelée est entachée d'excès de pouvoir,
- la déclarer en conséquence recevable en sa tierce opposition nullité,
- prononcer la nullité de ladite ordonnance et la déclarer nulle et non avenue,
- déclarer nulle la demande de délais,
- débouter la SCI Alpages des Esserts de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,
- condamner la SCI Alpages des Esserts à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SCI Alpages des Esserts aux dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel par son conseil, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2022.
L'affaire a été retenue à l'audience du 15 février 2022.
Par réquisitions écrites du 1er mars 2022, le ministère public a conclu :
- à titre principal, à l'irrecevabilité de la tierce opposition formée par la Banque Palatine au motif qu'elle était partie à la procédure de conciliation,
- à titre subsidiaire, à la confirmation de l'ordonnance.
Ces réquisitions ont été immédiatement notifiées par la voie électronique aux parties pour qu'elles puissent le cas échéant y répondre en cours de délibéré conformément à l'article 445 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La requête du 15 janvier 2021 a été présentée par la SCI Alpages des Esserts sur le fondement de l'article 2 III de l'ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020 aux termes duquel Par dérogation au cinquième alinéa de l'article L. 611-7 du code de commerce, le débiteur peut demander au juge qui a ouvert la procédure de conciliation de faire application de l'article 1343-5 du code civil avant toute mise en demeure ou poursuite à l'égard d'un créancier qui n'a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de la créance.
Le président du tribunal judiciaire de Bonneville a justement constaté que ce texte n'était pas applicable en l'espèce dans la mesure où la Banque Palatine avait engagé des poursuites à l'encontre de la SCI Alpages des Esserts, en mettant en oeuvre une procédure de saisie immobilière.
Il a en conséquence statué sur la demande de la SCI Alpages des Esserts en considérant qu'elle était fondée sur le 5ème alinéa de l'article L. 611-7 du code de commerce, qui dans sa version en vigueur en janvier 2021, disposait qu'au cours de la procédure de conciliation, le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l'article 1343-5 du code civil.
L'article R. 611-35 du code de commerce pris pour l'application du 5ème alinéa de l'article L. 611-7, précise la procédure qui doit être suivie. Il énonce notamment que :
- le débiteur assigne le créancier poursuivant ou l'ayant mis en demeure devant le président du tribunal qui a ouvert la procédure de conciliation,
- ce magistrat statue sur les délais selon la procédure accélérée au fond après avoir recueilli les observations du conciliateur ou, le cas échéant, du mandataire à l'exécution de l'accord,
- la décision rendue est notifiée par le greffier au débiteur et au créancier et communiquée au conciliateur si celui-ci est encore en fonctions ou, le cas échéant, au mandataire à l'exécution de l'accord.
Sur la recevabilité du recours exercé par la Banque Palatine à l'encontre de l'ordonnance du 29 janvier 2021
La SCI Alpages des Esserts prétend que la Banque Palatine ne pouvait former une tierce opposition nullité à cette ordonnance. Elle développe deux moyens au soutien de cette prétention :
- la Banque Palatine n'est pas un tiers,
- conformément au dernier alinéa de l'article 496 du code de procédure civile, si elle souhaitait obtenir la modification ou la rétractation de cette ordonnance sur requête, elle devait en référer au juge qui l'avait rendue.
' Sur la qualité de tiers de la Banque Palatine
Le premier juge a justement relevé que le fait, mis en exergue par la SCI Alpages des Esserts, que cette banque soit partie à la procédure de conciliation ne permettait pas de considérer qu'elle avait été partie ou représentée à l'ordonnance du 29 janvier 2021 au sens de l'article 583 du code de procédure civile.
La qualité de tiers de la Banque Palatine a donc été justement retenue.
' Sur la qualification de la décision rendue le 29 janvier 2021 et le recours ouvert à l'encontre de cette décision
Il ne suffit pas que le juge ait été saisi par un acte intitulé 'requête'et qu'il ait statué par une décision intitulée 'ordonnance' pour que la décision qu'il a rendue soit qualifiée d'ordonnance sur requête.
L'article 493 du code de procédure civile définit l'ordonnance sur requête de décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
En l'espèce, si la décision rendue le 29 janvier 2021 a été rendue non contradictoirement, elle l'a été dans un cas où il convenait de respecter le principe du contradictoire ; par ailleurs, il ne s'agit pas d'une décision provisoire.
En conséquence, c'est à juste titre que le premier juge a dit qu'elle ne pouvait pas être qualifiée d'ordonnance sur requête, si bien que le recours en rétractation que tout intéressé peut exercer à l'encontre d'une telle ordonnance n'était pas ouvert à la Banque Palatine.
Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a déclaré la Banque Palatine recevable en sa tierce opposition.
Sur le bien-fondé du recours exercé par la Banque Palatine
La SCI Alpages des Esserts soutient que le juge ayant rendu l'ordonnance du 29 janvier 2021 n'a commis aucun excès de pouvoir, si bien que la tierce opposition nullité formée par la Banque Palatine doit être rejetée.
La violation du principe du contradictoire par le juge ne constitue pas en principe un excès de pouvoir de celui-ci. Toutefois, en matière de procédure collective, ce principe est tempéré notamment lorsque l'une des parties n'a pas été appelée à l'instance : cf Com 16 juin 2009 n°08-13.565.
Or, en l'espèce, le juge ayant ouvert la procédure de conciliation a statué, sans que la Banque Palatine, seule créancière concernée, soit appelée et alors qu'il n'était pas valablement saisi, les dispositions de l'article R. 611-35 imposant que le débiteur assigne le créancier.
En conséquence, l'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a retenu que le juge ayant rendu l'ordonnance du 29 janvier 2021, avait commis un excès de pouvoir.
Sur la demande de délais présentée par la SCI Alpages des Esserts
En vertu de l'article 582 du code de procédure civile, il convient de statuer à nouveau en fait et en droit sur la demande de délais de paiement présentée par la SCI Alpages des Esserts.
Cette demande était irrecevable pour n'avoir pas été valablement présentée selon les modalités prescrites par l'article R 611-35 du code de commerce.
Sur les demandes annexes
' Sur l'amende civile
Outre que la SCI Alpages des Esserts n'est pas recevable à demander que la cour prononce une amende civile à l'encontre de la Banque Palatine, le recours exercé par cette banque n'étant ni dilatoire, ni abusif, il n'y a pas lieu de la condamner au paiement d'une amende civile.
' Sur les dépens
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance ont été justement mis à la charge de la SCI Alpages des Esserts, qui doit également supporter ceux d'appel, avec application de l'article 699 du même code au profit du conseil de la Banque Palatine.
' Sur l'article 700 du code de procédure civile
Les conditions d'application de ce texte ne sont réunies qu'en faveur de la Banque Palatine.
La disposition de l'ordonnance dont appel, lui ayant alloué la somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance, doit être confirmée.
Au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a été contrainte d'exposer en cause d'appel, il lui est alloué une indemnité de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme l'ordonnance rendue le 23 juin 2021 par le magistrat délégué par le président du tribunal judiciaire de Bonneville,
sauf en ce qu'elle déclaré nulle la demande de délais présentée par la SCI Alpages des Esserts,
Statuant à nouveau sur ce point,
Déclare cette demande irrecevable,
Ajoutant,
Condamne la SCI Alpages des Esserts :
- aux dépens d'appel, la Selurl Bollonjeon étant autorisée à recouvrer directement à son encontre ceux dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision,
- à payer à la SA Banque Palatine la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Déboute les parties de toutes leurs demandes, autres, plus amples ou contraires.
Ainsi prononcé publiquement le 25 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La GreffièreLa Présidente