PL/ MV
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
chambre civile-première section
Arrêt du Mardi 15 Novembre 2011
RG : 10/ 02674
Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ANNECY en date du 15 Novembre 2010, RG loyer7/ 156
Appelante
La SA KERIA, dont le siège social est situé 4 Rue des Tropiques-Espace Orion-38436 ECHIROLLES
représentée par la SCP DORMEVAL-PUIG, avoués à la Cour assistée de la SELARL JURISTIA AVOCATS, avocats au barreau de GRENOBLE
Intimés
M. Bernard X... né le 18 Décembre 1938 à DRANCY (93700), Mme Annie Y... épouse X... née le 04 Avril 1952 à LA FERTE SOUS JOUARRE (77260), demeurant ensemble...-64600 ANGLET
représentée par la SCP BOLLONJEON ARNAUD BOLLONJEON, avoués à la Cour assistée de la SELARL IXA, avocats au barreau d'ANNECY
- =- =- =- =- =- =- =- =-
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 17 octobre 2011 avec l'assistance de Madame Vidal, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Monsieur Billy, Président de chambre,
- Monsieur Leclercq, Conseiller
-Monsieur Morel, Conseiller.
- =- =- =- =- =- =- =- =-
Par acte sous seing privé du 5 janvier 1998 prenant effet au 1er janvier de la même année, les époux X... ont consenti à la SA Kéria un bail commercial d'une durée de neuf ans ;
Par acte d'huissier du 5 juillet 2006, les époux X... ont donné congé avec offre de renouvellement à compter du 1er février 2007 moyennant un loyer annuel de 105 000 € hors taxes et hors charges ;
Le locataire a accepté le principe du renouvellement de bail et a refusé de payer le loyer demandé et proposé de limiter l'augmentation aux conditions prévues par le bail ;
Après un échange de correspondance, les bailleurs ont notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 octobre 2006 le mémoire aux fins de fixation du nouveau loyer et ont saisi la commission départementale de conciliation des baux commerciaux ;
Par avis du 20 décembre 2006, la commission a proposé de fixer le loyer annuel à la somme de 103 500 € ;
La société Kéria a refusé de se ranger à cet avis de sorte que les époux X... l'ont assigné par-devant le juge des loyers commerciaux ;
Par ordonnance du 7 mai 2007, celui-ci a invité la partie la plus diligente à saisir le tribunal de grande instance d'Annecy pour faire juger si le loyer litigieux était susceptible d'augmentation au vu d'une certaine clause du bail et a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de l'interprétation de la clause litigieuse ;
Par jugement du 10 septembre 2008, le tribunal de grande instance d'Annecy, saisi par les époux X..., a jugé que la clause ne faisait pas obstacle à toute augmentation du loyer ;
Par arrêt du 9 juin 2009, la cour d'appel de céans a confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Le pourvoi a été déclaré non admis par arrêt du 14 septembre 2010 ;
Entre-temps, les époux X... ont poursuivi la procédure devant le juge des loyers commerciaux qui, par ordonnance du 31 août 2009, a ordonné une expertise confiée à M. A... ;
Un litige oppose par ailleurs les parties à propos des conditions d'entretien de l'immeuble qui a donné lieu à l'intervention de plusieurs experts ;
Il résulte du rapport d'expertise de M. A... que le loyer plafonné s'élèverait au 1er février 2007 à 59 193, 66 € alors que la valeur locative à la même date serait de 98 000 € ;
La SA Kériaa fait établir un rapport d'expertise amiable par M. B... ;
Par ordonnance du 15 novembre 2010, le juge des loyers commerciaux a :
- Rejeté la demande d'annulation du rapport d'expertise,
- Fixé le loyer du bail renouvelé le 1er février 2007 à 98 000 € par an hors taxes et charges ;
- Condamné la SA Kéria à payer la différence entre le nouveau loyer et l'ancien avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- Ordonné la capitalisation des intérêts échus par année entière,
- Dit que faute pour les parties d'avoir établi un nouveau bail dans le mois du jugement, celui-ci vaudra bail en application de l'article L 145-57 du code de commerce,
- Condamné la SA Kériaà payer aux époux X... une indemnité de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le jugement était assorti de l'exécution provisoire ;
La SA Kéria était condamnée aux dépens ;
La SA Kéria en a interjeté appel par déclaration au greffe du 6 décembre 2010 ;
Vu les dernières conclusions de la SA Kéria du 22 septembre 2011 qui tendent à voir :
- Annuler le rapport d'expertise,
- Sur le fond, à titre principal, débouter les époux X... de leurs demandes,
- À titre subsidiaire, ordonner une contre expertise,
- À titre infiniment subsidiaire, dire que la valeur locative ne saurait excéder 78 628, 72 € ;
- Condamner en toutes hypothèses les époux X... à payer une indemnité de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens avec application pour ceux d'appel des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Dormeval et Puig, avoués associés ;
Vu les dernières conclusions des époux X... du 28 juin 2011 intitulées « conclusions no 2 » qui tendent à voir :
Confirmer les dispositions de l'ordonnance déférée dont il résulte que le loyer doit être fixé selon la valeur locative ;
Infirmer l'ordonnance pour le surplus pour fixer le loyer du bail renouvelé à 105 000 € HT et hors charges à compter du 1er février 2007,
Condamner la SA KERIA à payer la différence entre le nouveau loyer et l'ancien avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2007,
Dire et juger que par application des dispositions de l'article 1154 du Code Civil, les intérêts échus depuis plus d'une année produiront eux-mêmes intérêts,
Condamner l'appelante au paiement d'une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la SA KERIA aux entiers dépens avec application au profit de la SCP BOLLONJEON-ARNAUD-BOLLONJEON, avoués, des dispositions de l'article 699du code de procédure civile, pour ceux d'appel.
SUR CE :
- Sur l'exception de nullité de l'expertise tirée de l'article 233 du code de procédure civile :
Attendu que selon la SA Kéria, le rapport d'expertise ne serait pas l'oeuvre de M. A... mais d'une collaboratrice de son cabinet ainsi qu'il résulterait de la circonstance que cette collaboratrice assistait avec l'expert à la réunion d'expertise, et que toutes les pages du rapport d'expertise porteraient ses initiales, à savoir CR ;
Attendu que le nom de Mme C... est effectivement mentionné sur la couverture du rapport d'expertise ;
Attendu cependant que selon l'article 278-1 du code de procédure civile, l'expert peut se faire assister dans l'accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité ;
Attendu que le rapport d'expertise porte la signature de l'expert désigné par le juge des loyers commerciaux, de sorte que les conditions posées par ce texte sont respectées, qu'au surplus, la SA Kéria ne conteste pas que M. A... se soit rendu sur les lieux le 19 novembre 2009 ainsi qu'il résulte de la mention figurant en page 3 du rapport d'expertise ;
- Sur l'exception de nullité de l'expertise tirée de l'article 16 du code de procédure civile :
Attendu que la SA Kéria reproche à l'expert de ne pas avoir répondu à son dire no 1 :
Attendu que celui-ci est ainsi libellé :
« Dans le cadre du dossier visé en référence, la Société KERIA vous transmet un premier dire et elle verse aux débats une pièce complémentaire no 40 (25 photographies) et vous transmettra sous bref délai un rapport d'expertise réalisé par un expert immobilier près la Cour d'Appel de CHAMBERY relativement au bâtiment. Les premiers éléments du rapport d'expertise qui vont être exposés sommairement démontrent manifestement que les conditions de l'article L. 145-33 du Code de Commerce et les conditions des articles 23-1 et 23-4 du décret sic ne sont pas réunies. Il n'y a pas de modification notable des facteurs locaux de commercialité au cours du bail écoulé et le déplafonnement n'est pas justifié ; »
Attendu que la SA Kéria expose ensuite les raisons qui s'opposeraient au déplafonnement du loyer ;
Attendu que les photographies communiquées à l'expert n'appellent évidemment aucun commentaire de sa part,
Attendu d'autre part que l'expert a examiné le rapport de M. D... ainsi qu'en fait foi une mention en page 44, de même que celui de M. B... (pages 58 et 59) ;
Attendu que pour le surplus, il convient de faire application des dispositions du troisième alinéa de l'article 276 du code de procédure civile selon lesquelles l'expert n'est tenu de répondre qu'au dernier dire de chaque partie ; Attendu que la SA Kéria critique encore le travail de l'expert en faisant valoir que l'expert aurait proposé des conclusions largement différentes de celles du pré-rapport sans les avoir soumises au débat contradictoire ;
Attendu toutefois que si l'article 276 du code de procédure civile impose à l'expert de répondre aux dires des parties, il n'a pas pour autant l'obligation de répondre aux nouvelles contestations que sa réponse pourrait susciter ;
Attendu que la SA Kéria reproche encore à l'expert de ne pas fournir ses sources mais seulement de les citer ;
Attendu toutefois que les parties étaient en mesure de critiquer les chiffres retenus et, le cas échéant, d'en proposer d'autres, alors au surplus que les chiffres de M. A... sont très proches de ceux de M. B... ;
Attendu encore que l'expert a pris soin d'indiquer que certains chiffres qu'il avait relevés ne lui paraissaient pas fiables, de sorte qu'ils étaient inexploitables, notamment à propos des décisions de la CDEC, et n'en a tiré aucune conclusion ;
Attendu qu'il en résulte que l'exception de nullité doit être rejetée ;
- sur l'évolution des éléments mentionnés à l'article L. 145-33 du code de commerce :
Attendu que les époux X... invoquent uniquement l'amélioration notable des facteurs locaux de commercialité ;
Attendu que l'expert invoque comme élément favorable :
- une augmentation de la population sur la zone de chalandise de 9, 5 % qui est toutefois inférieure à celle de la région Rhône-Alpes mais supérieure à celle de la France métropolitaine ;
- Une augmentation du chiffre d'affaires TTC en euros constants dans la zone du grand Epagny de 1, 55 % ;
- Une augmentation de 15 % du trafic routier aux deux points de comptage les plus proches,
- Une augmentation de la densité commerciale par rapport aux zones de Seynod/ Annecy sud de 169 % et Annecy centre de 105 % ;
Attendu que l'augmentation du chiffre d'affaires ne présente pas de caractère significatif, que l'expert indique lui-même que l'augmentation du trafic routier s'explique dans une large mesure de l'augmentation du trafic des routes annexe et non du centre commercial en lui-même ;
Attendu que l'augmentation de la population sur la zone de chalandise, même si elle est relativement significative, ne saurait entraîner par elle-même une amélioration notable des facteurs locaux de commercialité à défaut de toute explication sur les habitudes de consommation de cette clientèle nouvelle ;
Attendu enfin que l'augmentation de la densité commerciale présente un caractère relatif, par rapport à d'autres zones commerciales voisines, qu'on peut seulement en tirer la conclusion que la zone commerciale du grand Epagny se développe sensiblement plus vite que les autres zones commerciales concurrentes prises en considération par l'expert, ce qui ne permet pas d'affirmer que les facteurs locaux de commercialité du commerce la SA KERIA se soient améliorés ;
Attendu que l'expert a relevé des éléments négatifs, à savoir l'extension des surfaces commerciales de Conforama et Fly proposant un rayon luminaire ;
Attendu qu'il en résulte que l'expertise ne met en évidence aucune amélioration notable des facteurs locaux de commercialité, qu'il est permis en outre de relever que l'expert ne s'est pas prononcé, puisqu'il a conclu son rapport avec la mention suivante : « sous réserve de l'appréciation souveraine du tribunal » ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement ;
Confirme les dispositions de l'ordonnance déférée qui ont rejeté les exceptions de nullité de l'expertise soulevées par la SA Kéria;
Réforme pour le surplus l'ordonnance déférée et statuant à nouveau,
Dit que le prix du bail renouvelé le 1er février 2007 sera fixé conformément au bail avec l'augmentation résultant de l'application de l'indice prévue par celui-ci ;
Déboute la SA kéria et les époux X... de leurs demandes d'indemnité sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile ;
Dit que le coût de l'expertise de M. A... sera partagé par moitié entre les parties ;
Dit que pour le surplus, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel,
Ainsi prononcé publiquement le 15 novembre 2011 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Claude Billy, Président de Chambre, et Marina Vidal, Greffier.
Le Greffier, Le Président,